16 janvier 2007

Vert laid

Tchhhttt… crrrchttt… le grichage faisait semblant de cesser quand les madames du salon de coiffure tapaient sur l’écran de la télé… grrrch… les parasites recommençaient dans les haut-parleurs… schhhtt… fchhht… parce que le vent dehors agitait les câbles et les moineaux aux pattes crispées sur les fils… bzztchh… parce que les fils électriques menaçaient de s’effondrer avec les moineaux, les antennes avec... grchhht !… schhhtt ! Les madames aux yeux plissés essayaient de comprendre les nouvelles de l’heure et les moitiés de phrases de témoignages du genre de « grrrch…vous dire que fchhht dans pas longtemps, si l’orbite de New York attire plus de satellites que celui de Pluton, on va se demander lequel des deux fait réellement partie du système ».

Une nouvelle planète du nom de New York venait de faire son apparition dans le système, une planète qui se méritait tout un spectacle d’éclipses de kodaks et de journalistes excités dans l’orbite de leurs caméras satellites. On ne parlait que de ça à la télé. Sur les trottoirs new-yorkais, ça bousculait : une madame pleurait que « merde, tassez-vous, c’est moi qui pleure, vraiment, je pleure et quand je mouche, j’ai une trompette dans le nez » alors qu’une autre répondait que « non, dégagez avec vos trompettes, moi j’ai la fanfare au grand complet ». C’était le jeu du celui qui impressionne le plus aura droit de pleurer à la télé et enfin, un monsieur frappait les braillards et rugissait : « moi, j’ai trouvé un morceau de tour décapitée, un bout d’imperméable de pompier triste et un genou de bureaucrate décédé ». Ce monsieur-là remportait la mise. Les caméras lui sautaient dessus : « vous passerez à la télé pour pleurer pendant quinze secondes, vous aurez la gloire et vos quinze grosses secondes mais, parlez-nous de vos jolies trouvailles, et surtout, faites-nous votre show de trompettes ! ».

Les médias n’avaient que ça dans leur lentille. Moi, je n’avais que quinze ans et je n’habitais pas à New York mais, quelle bizarre de journée allait être ce 11 septembre et, au salon de coiffure, sans faire exprès dira-t-on, Nancy Cormier, une coiffeuse abominable que je détestais, me décapitait l’oreille gauche. Je lui avais demandé de me teindre les cheveux, ce qu’elle avait plutôt bien réussi, mais comme si ce n’était pas assez de me taponner le crâne pendant trois quarts d’heure, il avait fallu qu’elle s’improvise terroriste du ciseau et du gant de plastique. Elle avait confondu l’oreille et le cheveu parce que sa petite télévision lui avait révélé l’émotion internationale, le drame du siècle. Je sortais de son atroce salon de coiffure avec une teinture et une oreille en sang, du sang dans les labyrinthes, et la fragrance de ma laideur légendaire :

– Maudite épaisse ! Qu’est-ce qui leur prend aussi, à New York, d’envoyer des crashs de même pour me décapiter l’oreille pis se défouler pendant que je me fais teindre les cheveux !

J’avais de gros cheveux verts laids. J’ignore pourquoi j’avais fait confiance à cette coiffeuse qui pourtant me trouvait super stupide avec mes airs d’idiote dans le salon de coiffure. J’étais allée là-bas avec de gros mottons de poussières dans les cheveux, du gros cuir sur les poignets et du gros cutex rouge : c’était évident qu’elle allait finir par me décapiter quelque chose.

Du salon de coiffure jusqu’à chez moi, je me plaisais dans une laideur très étrange et très plaisante. Ça sentait New York. Et ce vent qu’il y avait, aussi laid qu’un affolement d’insecte, parvenait jusqu’à moi sans équivoque avec la merde qui sortait des égouts et les déchets et pourtant, je vous assure qu’il faisait beau. Je me plaisais même au milieu du peuple et les dialogues incohérents et dégueulasses des pollueurs, je me foutais même d’être laide, parce que ça sentait le hippie mort, ça sentait l’adepte de la paix imaginaire qui avait été tué pour de bon. Je planais jusqu’à ce que j’atteigne mon chez moi, la laideur familière de ce qui avait été ma petite enfance que je détestais, et le gazon de la cour arrière. Mon père y avait laissé sa tondeuse pour que je tonde ce qu’il y avait à tondre d’herbe et de pissenlits jaunes. Je lui avais dit encore la veille que oui, certainement, je le ferai mais, je devais encore sacrer en m’acharnant sur la tondeuse qui ne partait pas :

– Avoir su que la mongole de Nancy Cormier allait me décapiter l’oreille gauche pour exprimer son « émotion internationale », j’aurais dit à papa qu’il s’arrange tout seul avec sa vieille tondeuse, y a juste lui pour faire partir une ruine de même !

La tondeuse ne répondait pas. J’étais très, très frue. J’avais dans le nez cette espèce d’odeur fraîche de gazon frais, cette espèce d’odeur ultra sage et fatigante qui ne s’emporte jamais parce qu’elle fait semblant d’être parfaite puis, tout à coup, j’ai eu dans le nez cette odeur différente, genre poussière de grenier mélangée avec de l’urine de chat. C’était celle de mon voisin. Claude Henri. J’en étais affreusement allergique. À chaque fois que ce voisin apparaissait, je lançais des atttchoum ! à n’en plus finir, j’éternuais vers l’infini avec la morve, la gorge châtiée par mon asthme de fumeuse indomptable oui, j’avais des larmes d’allergies aux yeux donc je pleurais, je pleurais malgré moi et mon voisin jouissait rien qu’à me parler avec sa pitié-beurk bien à lui :

– Taratata tutute, mademoiselle l’excitée (c’était sa façon gentille à lui de m’appeler gentiment, mais je m’en moquais atroce, atrocement) ! Si vous manquez d’essence pour votre tondeuse, je peux vous en donner ! J’en ai plein ! J’en économise dans mon cabanon !

Non. Je ne voulais rien savoir de son essence poison. Il s’appelait Claude Henri et je le détestais. Claude Henri. Aux élections municipales, le vote de papa avait permis à Claude Henri d’être réélu « maire de cette superbe ville qui n’est pas New York » pour une huitième fois consécutive cette année-là. Mon voisin s’imaginait que grâce aux élections il avait le droit de sortir par la porte d’en arrière de chez lui et de faire son petit check du midi, le cou super long, exprès pour m’observer de l’autre côté de la haie de cèdres, toujours avec son veston noir (et blanc, un peu, à cause du poil de son maudit chat blanc super plate) et sa cravate, comme un gros quétaine qui sort sur son balcon pour réaliser que ah, « la fille de Monsieur Léonard se choque, ah, la fille de Monsieur Léonard a sûrement une déficience mentale, ah, mon dieu qu’elle vieillit mal… ces allergies vont la tuer », mais c’était lui le pire dans toute l’histoire et je le dis parce que ces scènes de voisins ont certainement été les scènes les plus stupides de toute ma vie.

Claude Henri était une grosse caricature sale, et je le dis parce qu’il ne dormait jamais sans son veston. La nuit, je l’entendais se donner du plaisir avec sa cravate enroulée autour de la bite qu’il avait, de la longueur qu’il avait et ça faisait de jolis nœuds de cravate qu’il serrait et serrait jusqu’à ah l’orgasme et quand on y pense, vous n’êtes pas si différents de Claude Henri. Je le détestais, ce voisin, ce stupide voisin… parlait toujours avec un sourire que je détestais, un sourire qui se moquait un peu de ma personne, un peu pour me faire la discipline, un peu pour mourir d’envie de me dire je suis plus vieux que toi parce que j’ai 45 ans et je souris devant toi parce que je sais un peu mieux que toi ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, parce que ton père n’a pas dû te faire l’éducation correctement alors qu’en fait, il ne savait rien ni de moi, ni de papa, ni de mon oreille. C’était avec ce sourire-là qu’il me parlait, de l’autre côté de la haie de cèdres qui ne poussait jamais assez vite à mon goût :

– C’est de l’essence que ça vous prend ! Vous manquez d’essence !

…qu’il aille donc se faire un nœud de cravate avec son essence… moi, je voulais faire la guerre à ma tondeuse, shit, je lui avais tout de même répondu ce quelque chose d’un peu malgré moi, d’un peu rempli de désir de le cogner :

– J’ai pas besoin d’essence… je connais très, très bien les tondeuses. C’est tout le temps difficile à partir au début, bon. Les tondeuses attaquent jamais le terrain tout de suite pis ça, c’est rien d’autre que la faute du gars qui a décidé un jour de troquer une faux pour une tondeuse sans demander à Madame la Mort si elle était d’accord avec l’échange…

– La faux, la mort… houlà, hou ! Haha ! Là vous me faites rire, je ne savais pas que vous étiez symboliste !

Moi non plus. Il reste que sans toute logique je savais mieux que lui ce que je disais. J’avais de gros cheveux verts laids. Vraiment. Il aurait suffit que ma tondeuse finisse par attaquer le terrain pour que le bruit enterre mon voisin et que ma colère disparaisse avec les morceaux de gazon dans le sac-poubelle. Je m’acharnais sur la corde de la tondeuse et criais que tout ça est stupide ! parce que tout ça est stupide ! et moi, j’avais été assez stupide pour répéter deux fois une phrase à laquelle il allait répondre c’est sûr :

– Ne soyez pas si pessimiste (qu’il disait avec le sourire), il ne faut pas désespérer !

Mon politicien était une grosse caricature stupide et moi, chaque fois que je parlais de politique, je semblais m’enfoncer dans la plus grande stupidité qui soit et le 11 septembre me servait drôlement, et quelle bizarre de journée était-ce, pour lui faire ravaler sa politique par le nez :

– Je suis loin d’être « pessimiste » comme tu dis (je commençais à être arrogante), la preuve c’est qu’ils vont finir par avoir une raison de le faire, leur World Trade Center au milieu de la forêt amazonienne, pis, c’est correct ça !

– Ah ! C’est ça, votre trip de toujours vouloir des cheveux ou un dessus de tête super flash ? Vous voulez provoquer ? Vous voulez qu’on se demande si vous êtes une extra-terrestre ? Là, ça tire sur le fluo votre affaire.

Claude Henri avait un plan ultra simple que même un chat tout ce qu’il y a de plus rudimentaire aurait compris. C’était le plan du « révolte-toi toi-même et rends-toi stupide de sorte que, stupide parmi les stupides, tu sautes dans mon panier à la minute où je prononcerai un de mes irrésistibles votez pour moi », un plan digne d’un voisin pas trop subtile qui veut trop faire le méchant quand il ne l’est pas :

– Je me demande si vous faites semblant d’être stupide ou si vous l’êtes vraiment.

Si papa avait été là, il m’aurait dit de sortir les poings devant Claude Henri. Papa disait qu’il fallait se défendre contre les bêtes, sinon l’indifférence mènera à l’abandon et l’abandon mènera à l’acceptation et l’acceptation fera pleurer. Il souhaitait que Claude Henri s’effondre tout d’un coup (je me demande encore pourquoi papa avait voté Claude Henri aux élections), que la stupidité l’attrape brusquement dans le détour et que la politique le fasse souffrir comme tout le monde. Papa n’était pas sage du tout. Je l’adorais. Il a toujours été convenu que si la vie ne permettait pas à papa de voir la politique faire souffrir Claude Henri, ce serait moi qui ferais le travail. C’était une histoire de famille (et maman le dit encore chaque fois qu’elle me rend visite (elle n’est pas morte) : « c’est de famille »)). J’ai toujours souhaité le malheur des autres avant le mien parce que les gens sont très, très bêtes et les bêtes me font pleurer. Je ne vous en dis pas plus. Je vous raconte et un point c’est tout. Vous êtes bêtes. Je n’ai pas envie de pleurer.

– Tu remarqueras (je lui répondais avec toute mon arrogance), qu’à chaque fois que les journalistes réussissent à démasquer une stupidité et à l’éventrer sur la place publique, on voit à la télé deux ou trois autres fonctionnaires hauts placés sortir de l’ombre pour afficher leur stupidité. C’est un travail à la chaîne, pareil comme quand je pousse la première plaque de mon jeu de dominos après les avoir alignées toutes debout. Pis c’est très correct de même. Ça prend absolument des gens qui ont la stupidité flagrante et très, très visible pour qu’on leur saute dessus et que les vrais cons s’avouent par la suite. Moi, j’ai décidé de donner mon nom en tant que stupidité avouée. Je m’inscris tout en haut de la liste. Je ne fais même plus semblant d’être stupide, je le suis tout simplement. Qu’est-ce que tu veux, ça en prend, des passionnées comme moi.

Claude Henri me regardait. Il ressemblait à un pauvre animal figé qui tente de comprendre en s’efforçant de sourire véritablement mais qui n’est pas capable faute de muscle et de tonus et qui bon, cesse de tenter à l’instant exactement où il se dit tant pis, elle est mignonne et c’est tout mais moi, je n’allais pas endurer l’instant présent parce que beurk, les contemplations… Claude Henri aimait bien contempler ceux qui sont stupides mais qui ne le sont pas, voilà, d’où le succès de Tom Hanks dans Forrest Gump. Même si je n’étais pas une accro finie du cinéma, je savais remarquer les acteurs et d’ailleurs, les bons acteurs faisaient toujours des films trop compliqués. Moi, je voulais du fusil et des farces.

La tondeuse ne partait pas et Claude Henri me trouvait de plus en plus stupide. Je criais guns and jokes ! guns and jokes ! et encore, guns and jokes !, pour qu’il sache une fois pour toutes que je ne suis pas Tom Hanks et que moi, je suis du côté des méchants très bien du côté de ceux qui rêvent de guns et de jokes, d’un énorme massacre, pour de vrai. J’ai pris le ton d’une dictatrice irréductible oui, je parlais d’un massacre plaisant, où même Claude Henri aurait trouvé son compte en arrachant mes gros cheveux verts laids : « que les anarchistes arrachent la tête des punks de ce monde, pis que les punks coupent les jambes de tous les hippies d’avant, pis que tous les gothiques se coupent les veines pour de vrai, pis que tout le monde rit de la tuerie, moi la première avec mes jeans troués pis mon cutex rouge, pis que tout le monde crève, les animaux avec ! ».

La tondeuse m’a répondu, elle, je vous jure que mon voisin n’a rien répondu mais que le moteur de ma tondeuse s’est déchaîné d’abord avec son crrrchttt, puis son trrratatapa, et enfin son incroyable vroum à couper les têtes, un son qui vous aurait tous fait perdre la tête ! Ok, ça ne coupait rien d’autre que le gazon et la mauvaise herbe, mais dans ma tête bien sûr que oui, ça coupait les têtes ! C’était ça, les hélices qui se déchaînaient !

– Tu vois ! Ça a rien à voir avec l’essence (je m’emportais) ! Madame la Mort est avec moi pis elle me pardonne, à moi, à chaque fois, parce que j’ai le don avec elle ! J’ai un vrai don et papa le savait très, très bien quand il m’a laissé la tondeuse avant de crever, pis j’peux te dire que c’est pas en faisant le p’tit gentil que tu vas réussir à faire partir une tondeuse !

J’adorais les hélices et j’adorais papa. C’était le signal du vrai real message, l’espèce de go que j’attendais de mon fabuleux « plus rien à perdre » et c’est exactement là que, avec un sourire un peu nouveau et very, very spectacular, j’ai crié à mon vieux voisin que « ok, à c’t’heure, traverse la haie de cèdres, pis amène ta cravate, on va jouer ». Je riais aux éclats. Comme mon voisin traversait me rejoindre, j’éclatais en morceaux de rires, haha, avec le vroum de la tondeuse qui retentissait à des kilomètres, nous étions loin de s’entendre ! Nous étions sourds ! Enfin, le jeu de la cravate : Claude Henri poussait la cravate tout au fond de ma noune, jusqu’à très loin, avec sa bite, et comme il se retirait par moment, la cravate restait profondément dans mon sexe ferme d’adolescente. Je traitais Claude Henri de gros tata-toton-twit et je vous jure que plus il me frappait, plus je me trouvais belle et qu’enfin, il nouait mes gros cheveux verts laids autour de ses poings, sortait l’amour et la langue pour licher ce que j’avais de vert et d’oreille gauche.

Et vous, auriez-vous traversé la haie de cèdres pour venir jouer avec moi ? Vous seriez venus, n’est-ce pas… voir si j’avais de gros cheveux verts laids. Aussi laids que la mauvaise herbe et les pissenlits que la tondeuse dévorait sans hésiter, aussi laids que cette cravate que j’avais profondément et aussi laids que Claude Henri le politicien tout de chair et de cravate que j’avais déniché et que je m’apprêtais à dévoiler aux kodaks de New York oh, oui, j’avais pris note de ne pas avoir peur des avions et de tout raconter à propos de la cravate profonde : « je partirai pour New York demain matin… il ne sera pas trop tard pour passer pendant les nouvelles du midi et pour raconter l’épisode du vous ne devinerez jamais de quelle horrible façon j’ai trouvé ce morceau de cravate de politicien, et moi aussi j’aurai mes trompettes, j’aurai mes quinze secondes de gloire et papa sera fier de moi là où il est, là-bas, je suis sûre qu’ils ont la télé ».

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