30 août 2009

La chose laide



les gens laids
sont souvent plus beaux
lorsqu’ils sont vus
par de laids yeux






Tout le monde est mort



Je ne veux pas le dire et j’ai le droit de ne pas le dire, mon médecin me l'a dit : je ne suis pas obligé de tout écrire ce que je pourrais dire... Je veux dire, ce n’est pas écrit dans le ciel que tout devrait être écrit, tout comme tout ce qui est dit n’est pas toujours dit, je veux dire, les gestes, ça parle aussi, mais ce que je dis, là, c’est que je ne veux pas le dire, et si je ne veux pas dire une chose, j’ai le droit, car tout n’est pas nécessairement écrit, nécessairement dit, ni même insinué, je veux dire, les secrets, si le mot existe, c’est que quelqu’un a dû déjà dire « hé, viens ici, je vais te dire un secret... », ou encore « hé, viens ici, j’ai un secret à te dire : paraît qu’elle lui a dit un secret hier soir... »

Je veux seulement dire que, puisque le mot secret existe, j’ai le droit de l’utiliser, et de ne pas dire mon secret. Je dis le mot secret, oui, mais ce mot renferme un tas d’autres mots, quoi, il renferme le secret lui-même ; il renferme ce que vous ignorez ; il renferme si bien que vous n’avez aucune idée de ce qu’est mon secret, voilà pourquoi j’aime les mots, ce sont de véritables bouches cousues, de vrais amis, jamais ils ne s’échappent! J’adore les mots, parce que même si je dis le mot secret, le mot « secret » ne veut rien vous dire. Rien. Voilà, les mots, je les adores, parce qu’ils ne veulent absolument rien dire. Rien du tout. Si vous y pensez : que je vous dise que j’ai un secret à dire, j’ai beau dire le mot « secret » quarante fois, vous ne saurez pas plus ce qu’est le secret en question! N’est-ce pas formidable? Ma mère disait souvent : « Celui qui ne dit rien, qui ne fait rien, qui ne pense rien, n’existe pas. » 

Les mots ne veulent rien dire, et même lorsque je dis que les mots ne veulent rien dire, ça ne veut pas tout à fait dire quelque chose, ça dit presque rien en fait, ça dit à peine que les mots veulent dire quelque chose, alors que c’est tout le contraire que je tente de dire, je veux dire que les mots ne veulent rien dire, et cela, cette phrase-là, est carrément incompréhensible. Pensez-y. « Les mots ne veulent rien dire ». Bien sûr, ils ne veulent rien dire, ils n’ont pas d’envie ou de désir de dire quelque chose... Mais « les mots ne veulent rien dire », au sens propre, ça ne veut rien dire! On se demande : les mots ne veulent rien dire? Vraiment? Est-ce possible? Alors pourquoi parlons-nous? Allons donc! Ça ne veut rien dire! 

Ça ne veut absolument rien dire, comme tous les mots d’ailleurs, rien ne veut dire rien, tout veut se taire ouais, je crois que tout préfère se taire et à vrai dire, n’y avez-vous jamais pensé, les mots aiment-ils être nommés? Je ne crois pas. Les mots préfèrent être tus, ils ne sont pas faits pour être prononcés, pas même faits pour être pensés, juste faits pour être dessinés comme une suite de lignes courbes qui ne signifient rien, rien du tout. Rien n’est jamais expliqué. La preuve : mon médecin ne m'explique jamais rien. Et lorsqu’on tente d’expliquer une chose, la moitié des gens à qui l’on tente d’expliquer cette chose ne comprend rien. Alors à quoi bon les mots? Je pose la question, à quoi bon écrire des milliers de mots alors que la moitié des gens à qui l’on écrit ces mots ne comprendra rien, et avec raison, puisque ces mots ne veulent rien dire! Je pose plutôt la question : mais que comprennent ceux qui comprennent, s’il n’y a rien à comprendre? 

Vraiment, ceux qui ne comprennent rien aux mots qui ne veulent rien dire, ils sont tout à fait dans le droit chemin, mais ceux qui comprennent? S’inventent-ils toujours d’impossibles significations à tout ce qui se pose devant eux? Savent-ils vraiment ce qu’est une banane? Je veux dire, si je leur disais, ba-na-ne, le jaune s’illuminerait-il dans leur esprit? Leur peau deviendrait-elle jaune? Si oui, alors bravo, mais si je leur disais que la banane en question n’était pas mûre, créerais-je un bug dans leur tête qui oscillerait entre le jaune et le vert?

Personne ne peut m’obliger à dire ce que je ne veux pas dire. Mais puisqu’il n’y a personne pour comprendre mes mots, et puisque mes mots ne veulent rien dire : ma mère m’a souvent dit, en secret : « celui qui ne dit rien, qui ne fait rien, qui ne pense rien... Est mort... »

Je ne crois pas que cela ne veule rien dire, et puisque ces dix derniers mots ne veulent rien dire pour certaines personnes, je dirais plutôt que je crois que cela ne veut rien dire, et je parle de cette histoire de banane ou de mort, histoire qui n’en était pas nécessairement une, car qui sait ce qu’est une histoire? Ce que je vous dis, là, est-ce une histoire? Y a-t-il un personnage? Oui, moi. Mais ce moi est narrateur, alors c’est un demi-moi, ou mieux encore, il n’est pas du tout moi, il n’a rien de moi, en ce sens où même celui qui parle ne parle pas vraiment, même celui qui dit ne dit pas vraiment, car celui qui dit n’est pas celui qui dit, autrement dit, celui qui dit exister n’existe pas. Même celui qui narre ne narre pas, même celui qui parle ne parle pas, même celui qui écrit n’écrit pas, même celui qui dit ne dit pas. Rien ne se dit, rien ne s’écrit, rien ne se parle, rien ne se narre, rien ne se fait. Car celui qui fait, fait-il vraiment? Si je fais un gâteau, je me demande, fais-je vraiment un gâteau si je le mange après l’avoir fait? Non mais, je veux dire, celui qui fait et qui ingurgite ce qu’il a fait, devient-il ce qu’il a fait? 

Celui qui fait ne fait pas toujours, de même que, lorsque je reçois un coup de fil pendant que je suis en train d’écouter la télé, je réponds et si mon interlocuteur me demande « qu’est-ce tu faisais? », je réponds « rien! » Je ne réponds pas que j’écoutais la télé, je ne réponds pas que je lisais, je ne réponds pas que j’écrivais... Dès qu’on me demande ce que je faisais, je réponds rien. Pas que je réponde rien, non, je réponds quelque chose, je réponds « rien », en ce sens où je tiens à dire à mon interlocuteur que je ne fais rien, qu’en tout temps il peut bien débarquer chez moi, sans problème, dans l’espoir que nous pourrions faire enfin quelque chose, car sans l’autre, la vie n’est rien et/ou est rien, vide de sens, pourrait-on dire. Pourrait-on dire...

Ce qu’on pourrait dire se limite certainement à ce que les autres pourraient comprendre, et puisqu’ils comprennent toujours bien davantage que ce qu’on pourrait dire, on n’ose pas rien dire, enfin, on ose rien dire, car c’est ce que nous disons, mais on n’ose pas dire. Car les autres disent comprendre alors que rien n’a été dit, bien plus de gens comprennent les paroles des gens qu’il n’y a de gens qui ont effectivement parlé, il existe beaucoup plus de gens qui ont lu que de gens qui ont écrit, c’est ainsi, la compréhension est bien plus populaire que l’énonciation. Cela dit, je n’ai jamais voulu dire cela. 

De la même façon, personne n’a jamais voulu rien dire. Je veux dire, personne ne dit rien. C’est drôle. Le nombre de fois où j’ai entendu mon médecin dire : « Je n’ai pas voulu dire que vous alliez mourir, Monsieur, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire! Je n’ai voulu rien dire! Rien du tout! Couchez-vous sur le dos. »

L'autre jour, pendant que mon médecin examinait mes cordes vocales, je lui ai demandé : « À quoi pensez-vous, Docteur? » Et mon médecin, naïvement, a répondu : « À rien, Monsieur, arrêtez de parler!... »

Dès lors, mon titre était trouvé. Tout le monde est mort ; personne ne dit rien, personne ne fait rien, personne ne pense rien, personne n'existe. Mais c'est un secret. Ne répétez à personne ce que je viens de vous dire. Car si tout le monde apprenait que tout le monde est déjà mort, plus personne ne se battrait pour la vie des autres... Et comment je ferais, moi, pour vivre sans mon médecin? 

27 août 2009

La lecture



I

Mirandole : Ce matin, j’ai lu...

François : Attends une seconde... T’as lu? Où? Non, quoi, t’as lu quoi? Non, pas quoi, je veux dire qu’est-ce? Qu’est-ce que t’as lu? Non! Pas qu’est-ce, mais pourquoi, pourquoi t’as lu?!

Mirandole : Parce que ce matin, tu n’étais pas là pour me faire la lecture.

François : Et pourquoi crois-tu que je te fais la lecture?

Mirandole : Tu ne me fais pas la lecture, tu me demandes pourquoi je crois que tu me fais...

François : D’habitude! Pourquoi crois-tu que j’ai pris l’habitude de te faire la lecture?

Mirandole : Parce que tu veux lire ce que je lis?

François : Parce que je ne veux pas que tu lises!

Mirandole : Pourquoi?

François : Parce que je ne veux pas que tu lises!

Mirandole : Pourquoi tu ne veux pas que je lise?!

François : Parce que lire, c’est pour les idiots!

Mirandole : Mais, quand tu me fais la lecture, tu lis. Non?

François : Non! Je ne lis pas! Je parle!

Mirandole : Et un lecteur qui parle, c’est quoi?

François : C’est... ça n’existe pas! T’as déjà vu quelqu’un lire et parler en même temps?

Mirandole : Oui. Toi, quand tu me fais la lecture...

François : Idiot!

Mirandole : J’ai lu!

II

François : Ce n’est pas sérieux... Reprenons du début. Où as-tu lu, non quoi, t’as lu quoi je veux dire qu’est-ce, qu’est-ce que t’as lu non, pourquoi t’as lu?!

Mirandole : Parce que je suis tombé sur un titre, c’était...

François : Tu veux me faire la lecture ou quoi?!

Mirandole : Non, je veux dire le titre c’est tout. C’était...

François : Et après le titre, qu’y aura-t-il?!

Mirandole : Il y aura le premier chapitre, les premiers mots...

François : Ça y est! Tu veux me faire la lecture!

Mirandole : Non, je ne te fais pas la lecture! Je m’arrête au titre! C’était : La table en bois.

François : Une table en bois, vraiment? Accrocheur...

Mirandole : C’est pour cette raison que je l’ai lu!

François : Et le premier chapitre, ça disait quoi...?

Mirandole : « Avant de nettoyer la table, il faut s’assurer que la surface soit propre. »

François : J’adore! Hum. Je veux dire. Bon titre. Et la suite? Les premiers mots?

Mirandole : Il était une fois une table...

François : Oui, je sais, mais la suite!

Mirandole : Bossue, pleurant la disparition de ceux qu’elle tenait autour d’elle...

François : C’est triste! Et ensuite?

Mirandole : On l’avait installé dans la salle à manger, salle à manger dotée d’une grande fenêtre, grande fenêtre par laquelle ladite table ne pouvait point voir...

François : La pauvre! Il est arrivé quoi?

Mirandole : a) elle a rapetissé l’une de ses pattes pour attirer l’attention b) elle s’est mise à discuter avec une chaise

François : Elle s’est mise à discuter avec une chaise! Je choisis b)!

Mirandole : La chaise lui dit : Moi je peux voir par la fenêtre! Plouc! J’ai deux yeux globuleux dans les noeuds, comme deux bilboquets! Si tu veux, je te raconte ce que j’y vois!

François : La table a accepté?

Mirandole : La table a dit : « O.k. c’est ben beau, check dehors, mais en échange je peux-tu te donner de quoi? » Et la chaise a dit : « Ça serait vraiment cool si tu pouvais dire trois fois le mot Plouc. »

François : Et la table, qu'est-ce qu’elle l’a dit?

Mirandole : Plous plouc plouc! Un regard dehors à tribord juste pour voir jusqu’au bord de la gare s’il y a des corps!

François : Ah! Elle l’a dit! Plouc trois fois! Et la chaise, qu’est-ce qu’elle a fait?

Mirandole : Je ne sais pas... J’ai arrêté de lire.

François : Pourquoi?!

Mirandole : Parce que tu étais revenu. Et j’avais envie de te parler.

François : Pour me dire quoi?!

Mirandole : Pour te dire que j’avais lu...

François : Mais, t’aurais pu continuer de lire plutôt!

Mirandole : Non, j’étais assis à ta table, et je n’ai jamais le droit de m’y asseoir le jour.

François : Ce n’est pas une raison! Vas chercher le livre! Fais-moi la lecture!

Mirandole : Mais je n’ai pas envie de lire, j'aime mieux quand tu me parles... Je trouve ça plate le livre...

25 août 2009

Les rues noires



Il y a sur le mur de la maison dehors une lanterne qui éclaire avec des moustiques autour et il fait noir, mais les gens discutent, les gens jouent aux cartes dans la pénombre et moi, dans la fraîcheur de la pelouse, dans l’humidité, je devrais être couché mais tous les parents du village ont décidé que c’était vendredi et que le couvre-feu est levé : les enfants peuvent se balader n’importe où même s’il est passé minuit. C’est dans ces moments comme celui-là que je remercie la terre de m’avoir fait un frère. Ça fait quelqu’un avec qui se balader dans les rues noires, et dans la cour arrière, ça fait quelqu’un avec qui endurer la musique des parents. 

J’étais jeune et je ne comprenais rien de ce que disaient les vieux. Je dirais même plus : je me foutais de ce qu’ils racontaient. Tout me paraissait obscure et étrange, parfois ennuyant, mais toujours remarquablement nouveau. Pour cette raison, tout s’ancrait si rapidement dans ma mémoire, sans que j’y fasse attention, que c’était comme si j’avais autour de moi un champ magnétique attirant la totalité de mes possibles souvenirs. Tout me collait à la peau. Une éponge, voilà ce que j’étais. Je regrette aujourd’hui cette époque spongieuse... Je me demande ce qui se serait produit si, au lieu de tout absorber, j’avais tout craché.

Mais je ne suis pas là pour supposer, encore moins pour regretter. Je suis là pour vous expliquer que Marie-Ève habitait dans les rues noires près du fleuve. Mon frère et moi avions marché jusqu’à chez elle, simplement pour voir sa maison et l’imaginer, elle, à l’intérieur de cela, faisant je ne sais pas quoi, dormir peut-être, qui sait, et nous tentions d’expliquer à quel point elle devait être belle lorsqu’elle dort.

Nous étions amoureux d’elle. Comme deux frères idiots qui ignorent les rivalités que posent l’amour. Et de voir sa maison, comme ça, la nuit alors que nous avions l’habitude de la voir en plein jour, c’était comme regarder une chose sous un nouvel oeil. Comme la première fois où vous avez mis le pied dans la cour de votre école primaire la nuit : étrangement nouveau. Vous réalisez alors que les choses existent autant la nuit que le jour, à la différence qu’elles sont un peu plus foncées. Mais de voir ce foncé, ce noir qui nous avait longtemps été caché par le couvre-feu, ça nous avait ouvert les yeux sur un nouveau monde. Mon frère avait alors vu la possibilité de ne pas retourner se coucher : 

- Je me demande si c’est possible de rester réveillés jusqu’à demain matin...

- Demain matin? Même si on dort pas, le soleil va se lever quand même? Pour rien tu penses?

- J’ai entendu papa dire que c’était possible. Le soleil va se lever pis on va être demain. C’est le soleil qui tourne... genre...

- On va être transportés... genre... 

Mon frère avait la ferme intention de rester éveillé devant la maison de Marie-Ève. L’idée de la voir sortir de chez elle au petit matin, et d’être témoin de sa sortie, ça le faisait sourire. L’idée me plaisait aussi, seulement, j’étais de deux ans plus jeune que lui. Je savais qu’il serait deux fois plus difficile pour moi de passer la nuit debout. Et mon frère le savait aussi. Il avait la mauvaise manie de vouloir toujours tout gagner, et moi, j’avais la mauvaise manie de toujours me dire que mon frère avait la mauvaise manie de toujours gagner, ce qui me faisait abandonner toute compétition. Nous avions seulement soulevé l’idée d’une nuit blanche que, déjà, je prévoyais échouer : mon frère va voir Marie-Ève sortir demain matin, pis moi, je la verrai pas parce que je vais être en train de dormir sur le gazon juste là...

- Si on s’assit sur l’asphalte, tu peux pas t’endormir sur le gazon. Envoye, tu vas être capable! On fait ça. 

Nous étions assis sur le trottoir. Les pieds sur la chaussée. Nous attentions que le soleil se lève, mais surtout, que Marie-Ève sorte de chez elle. Mon frère devait croire qu’elle verrait cette nuit blanche comme une preuve d’amour, un gage de romantisme, et qu’elle accepterait de l’embrasser sitôt qu’elle le verrait. Reste que, plus la nuit avançait, plus nos lèvres racontaient d’histoires, et plus nous apprenions de choses sur l’un et l’autre.

- T’aimes qui toi? m’a demandé mon frère.

- Je sais pas...

- Isabelle m’a dit qu’elle te trouvait beau.

- Isabelle? Hein, non! Elle est grosse...

- T’aimes qui d’abord?

- Tu le sais... Comme toi. Marie-Ève.

- Tu fais tout le temps comme moi, arrête de me copier pis trouve-toi ta blonde!

- Marie-Ève c’est pas encore ta blonde!

Et nous nous sommes disputer de cette façon une bonne partie de la nuit. De disputes en disputes, le soleil a fini par se montrer derrière la maison de Marie-Ève. Peu à peu, les boîtes à fleurs sont devenues roses. Et les rideaux, jaunes. La voiture, quant à elle, est restée noire.

- Attends! Je vais aller cueillir une fleur pour Marie!

- Ouais! Moi aussi!

- Non! C’est mon idée! 

J’obéissais toujours à mon frère. Je suis resté assis tandis qu’il allait cueillir une fleur dans la boîte à fleurs de Marie-Ève. Il est revenu s’asseoir à côté de moi, sa fleur à la main. Il devait être six heures. Le samedi, Marie-Ève pouvait bien se lever vers les neuf heures... qui sait. Nous attendions son réveil. 

Vers neuf heures, je dormais couché sur la pelouse depuis déjà une bonne heure. Mon frère, lui, faisait tourner la tige de la fleur entre ses doigts. Il patientait, comme dans les films. Son acte romantique devait inévitablement prendre fin. Marie-Ève n’avait rien à faire dehors ce matin-là. Elle regardait peut-être la télé. 

Mon frère n’avait pas eu le courage d’aller cogner à sa porte. La nuit blanche avait été pour lui un échec. Il m’a regardé, endormi sur le gazon, puis il a chuchoté : 

- T’as gagné... Moi je m’en vais me coucher...

Il a jeté sa fleur sur le trottoir, puis il est remonté par la côte jusqu’à chez nous. Il redoutait l’humeur des parents. Il songeait probablement déjà à un plan. Il avait probablement déjà trouvé une solution pour faire croire qu’il n’était jamais sorti de la maison la veille. 

Vers dix heures, des voitures ont commencé à passer sur la rue devant moi. Je me suis réveillé, un peu paniqué, mais content d’avoir survécu à la nuit blanche. J’ai trouvé, sur le trottoir, la fleur que mon frère avait laissée. Je l’ai pris, puis j’ai essayé de comprendre comment les choses avaient pu tourner de cette façon :

- C’est con. Il est parti. J’ai gagné... Mais il s’est rien passé.

Je me suis approché de la maison de Marie-Ève. Puis, après quelques minutes d’hésitation, j’ai cogné à sa porte. Sa mère m'a ouvert et j'ai dit : 

- Allo. Est-ce que Marie-Ève est là?

- Oui, un instant. Marie!

Puis elle est arrivée devant moi comme un ange en pyjama qui venait de manger un bol de froot loops.

- Allo. C’est une fleur. C’est pour toi. Mon frère voulait te la donner tantôt, cette nuit, mais là il est parti se coucher, il était trop fatigué...

- T’as pas dormi de la nuit?!

- Moi oui. J’ai dormi sur ton gazon. Mais lui... il t’aime. Bye!

J’ai couru jusqu’à chez moi comme un enfant. C’était bien ce que j’étais. Enfin, j’avais donné à mon frère la seule victoire qu’il lui revenait. La possibilité qu’une nuit, Marie-Ève revienne l’attendre jusqu’au matin devant notre maison. Et cette nuit a effectivement eu lieu. Le lendemain, pendant la nuit, mon frère a entendu une jeune fille mettre la main dans la boîte à fleurs de la maison, dehors, sous la fenêtre donnant sur sa chambre.

- Marie! 



24 août 2009

Les trous noirs






François : Des trous noirs! Voilà ce que tu fais! Des trous noirs!

Mirandole : Des trous noirs? Et mes trous ne mangent rien?

François : Des trous noirs sur ma table! Tu prends ma table pour un univers ou quoi? Ma table, ce n’est pas l’univers!

Mirandole : Je me suis endormi!

François : Depuis quand tu fumes? 

Mirandole : Je ne sais pas...

François : Moi je le sais! Tu fumes depuis que tu brûles ma table! C’est-à-dire depuis deux jours! Pourquoi as-tu commencé ça?!

Mirandole : J’ai commencé par prendre une cigarette et ensuite...

François : Non! Quand as-tu commencé à brûler ma table! 

Mirandole : J’ai commencé à brûler ta table lorsque j’ai commencé à fumer...

François : Non! Tu as commencé à brûler ma table lorsque tu as commencé à t’endormir à table! Et pourquoi t’endors-tu à table? 

Mirandole : Parce que je suis fatigué?

François : Parce que tu ne prends pas la partie au sérieux!

Mirandole : La partie de pions...

François : La partie d’échecs! Mirandole! La partie d’échecs! Tu es incapable de te concentrer sur la partie! Regarde ton fou! Surveille ton fou, Mirandole! Il va se faire manger!

Mirandole : Mais non, mon fou ne va pas se faire manger. Il est là, sur l’échiquier, tout tranquille... Personne ne va s’avancer vers lui avec de grands crocs... qu’est-ce que tu racontes mon fou va se faire manger?

François : Regarde ma reine. Elle est en ligne droite avec ton fou. Elle peut le bouffer n’importe quand! Et ton fou, lui? Il ne peut pas avancer en ligne droite! Est-ce que tu comprends le jeu, Mirandole? Tu comprends les échecs?

Mirandole : Je comprends le jeu de pions! Je bouge mon fou! Et alors? 

François : Et alors... Et alors rien, je ne bouge pas ma reine... Je bouge mon pion! 

Mirandole : ...Je le comprends ton jeu! Je m’endors pendant, c’est tout! Il ne se passe jamais rien!

François : Quoi il ne se passe jamais rien? Je viens de bouger un pion! Un pion! Dans ta tête, tu es sensé reconfigurer l’espace de jeu, dimensionner tes possibilités, revoir tes risques de perdre ta reine, réévaluer tes stratégies, inventer de nouvelles attaques! Quoi il ne se passe rien sur ma table? Il se passe toujours quelque chose sur ma table!

Mirandole : Mais je n’ai plus de reine...

François : Et alors? Tu essaies de combiner tes deux fous pour en faire une reine! Il faut que tu me mettes échec et mat Mirandole! Échec et mat!

Mirandole : Mais je n’ai qu’un seul fou...

François : On s’en f... On s’en moque! Il faut que tu réfléchisses!

Mirandole : Pour réfléchir, ça me prend une cigarette!

François : Vas-y, fume! Mais joue! Pense au jeu devant toi! Ma reine est prête à attaquer ton roi... Suppose que c’est l’univers qui se joue devant toi! Et ma reine, c’est un trou noir que tu dois à coup sûr éviter! Tu dois t’en échapper! Mais attention, elle vise droit, mais elle vise aussi en diagonale! 

Mirandole : Alors je joue ma tour là-bas. 

François : Là-bas? 

Mirandole : Dans ton coin à toi. À deux cases de ton roi. Tes pions ne peuvent pas reculer? C’est toi qui me l’as dit... Alors je ne vois pas comment ton roi pourrait se sortir de là... le pauvre.

François : C’est... Ha! Voilà, Mirandole! Tu vois, tu sais jouer!...

Mirandole : Mais je te l’ai dit que je sais jouer à ton jeu de pions... C’est juste que ça m’endort.

François : C’était une pratique.

Mirandole : Une pratique? 

François : Un exercice. Je voulais voir si tu savais jouer! 

Mirandole : Mais j’ai eu ton roi. Alors je suis le roi, j’ai gagné tous les territoires...

François : Oui, t’as gagné. Tu possèdes tout l’échiquier maintenant, voilà ta récompense, tu possèdes tout le pays, tout le continent, toute la planète, tout l’univers! T’es content?

Mirandole : Alors ça ne dérange pas si je m’endors? Juste là, un moment...

François : Mais, Mirandole! Ta cigarette!

Mirandole : Un trou noir de plus ou de moins dans mon univers, après tout, c’est le mien maintenant...



François et Mirandole tirent leur révérence



I



Mirandole : Tu ne dis rien? 

François : Quoi je ne dis rien? Je dis toujours quelque chose. Qu’est-ce que tu fais avec une fourchette? Je te dis toujours quelque chose ; je dis tu fais quoi avec une fourchette. Quoi je ne dis rien?

Mirandole : Mais à propos de la table? Tu ne dis rien?

François : Quoi la table? Ce n’est pas un propos! Une table, c’est un objet, un meuble, un mobilier, un objet, pas un propos!

Mirandole : La table, non, c’est impossible. C’est ta table! Et je m’approche de la table... fourchette à la main...

François : Je m’en fous! Je la vends!

Mirandole : Tu vends ma fourchette?

François : Oui!

Mirandole : Mais personne ne voudrait d’une fourchette... À moins qu’elle ne vienne avec l’ensemble, la coutellerie, le stéréo, le buffet, la cuisinière...

François : La table!

Mirandole : La table?! Tu veux vendre la table?! Attends. Ça ne va pas. On change de chapitre. Et peut-être après tu changeras d’idée?

II

François : Changer de chapitre ne règle pas tout! Je n’ai pas changé d’idée! Je veux vendre la table.

Mirandole : Mais, notre histoire ne tient qu’à ça! Sans cette table, nous ne sommes rien, nous n’avons rien à dire, nous sommes sans intérêt! Qu’allons-nous devenir?

François : Faudra se recycler...

Mirandole : Se recycler?! Hé ho, je n’entre pas même pas dans une poubelle verte! Ni verte, ni bleue! Tu veux me recycler en quoi?!

François : Tu pourrais faire la poubelle, verte ou bleue, je te laisse le choix. Et moi, je me jetterais en toi! Oh oui, j’accepterais de faire cela...

Mirandole : Tu veux qu’on se jette... mutuellement?...

François : Qu’on se recycle! En autre chose! Je ne sais pas moi... Dans notre deuxième vie, nous pourrions être un tas de choses! Un tas de briques! Un tas de de papiers! Un tas d’animaux! Un tas de plantes!

Mirandole : Un tas de merde!

François : Pessimiste! Le pessimiste voit le verre d’eau à moitié vide ; l’optimiste le voit à moitié plein...

Mirandole : Et celui qui a soif ne le voit pas, il le boit!

François : Pessimiste... 

Mirandole : Non! J’ai soif! 

François : Y a de l’eau là bas! Dans le robinet! De l’eau fraîchement recyclée! Des tas de gens pourraient nous boire si nous nous recyclions...

Mirandole : Boire nos paroles?

François : Oui. Ce serait comme être publiés sans jamais n’avoir rien écrit de génial...

Mirandole : Ça se peut?

François : Ça se peut bien plus que cela ne se peut! Cela se fait! Partout!

Mirandole : J’écris, souvent... 

François : Mais on s’en fout de ce que tu écris! L’important c’est ce que tu dis!

Mirandole : Je ne dis jamais rien d’intéressant. Je ne dis que des conneries... Les gens disent balivernes. Personne ne peut s’abreuver de ce que je dis. C’est comme du poison pour tout le monde...

François : Que crois-tu qu’ils écoutent, les gens? Des conneries! Que crois-tu qu’ils lisent? Les conneries d’autres cons! Toi ou l’autre, quelle différence ça fait? Allez, je vends la table. On se recycle. Sous forme de paroles. Plus aucun objet. On se recycle sous forme de texte. On n’existe plus. Nous sommes des personnages inventés par un autre. François et Mirandole. Et personne ne saura rien d’autre au sujet de nous. Sauf le fait que nous avons déjà tournés autour d’une table. Les gens nous entendront parler, sous forme de dialogue, surplombés d’un titre, et enfin, ils entendront. C’est tout. Nous servirons peut-être à quelque chose!

Mirandole : À quoi? 

François : Tous ces jours que j’ai passés à nettoyer ma table... Ils y trouveront bien une signification! Un symbole! Ils y trouveront l’espérance de vivre, l’espérance de protéger un objet plutôt qu’un être vivant, que sais-je! Ils se moqueront de moi, de toi, puis ils garderont leur réserve, ils laisseront passer les âges puis ils diront que nous sommes de beaux personnages! J’entends ça d’ici : Mirandole est génial! François est génial! Ils sont bourrés d’absurdités, de vie et d’envies! Je ne sais pas ce qu’ils trouveront, Mirandole... Vraiment, j’essaie de deviner. Mais je suis prêt à prendre le risque...

Mirandole : Mais... Ils ne diront jamais que Mirandole est génial... Quand je lis un livre de Balzouf, je ne dis pas Le Père Grelot est génial, je dis Balzouf est génial. Non? 

François : Non! Oui! Non! Balzouf? C’est qui lui? Je n’ai jamais lu, Mirandole, jamais! Mais je sais une chose : ceux qui vivent dans les livres ne meurent jamais. 

Mirandole : Tu as la peur de mourir?

François : Pas la peur! La possibilité!

Mirandole : La possibilité d’avoir peur de mourir? Mais tout le monde possède cette chose!

François : Tout le monde?! Tout le monde possède-t-il une table, Mirandole, je te demande, tout le monde possède-t-il une table comme la mienne?!?!?!?

Mirandole : Oui, François, à peu près tout le monde je crois, que c’est un malheur collectif oui, tout le monde possède une table... j’ai le regret, de dire que... tout le monde oui, François, tout le monde...

François : Tout le monde?!? 

Mirandole : Quatre pattes surmontées d’une planche de bois ou de mélamine? Ils sont rares, ceux qui n’en ont pas...

François : Une table qui soit la mienne, Mirandole, une table qui soit la mienne?!?!?!?

Mirandole : Qui soit la tienne? Non, puisqu’elle est la tienne, François, personne d’autre ne possède une table qui soit la tienne... Personne ne possède une table qui soit la tienne! Depuis quand perds-tu la raison, François? Je ne te sens pas dans ton état normal.

François : C’est toute cette histoire de vente qui m’a rendu fou! Je ne la vends plus, Mirandole. Cette table est la nôtre. La mienne. La seule qui puisse exister sous mon nom. Pour rien au monde je ne l’échangerais...

Mirandole : Ou ne la recyclerais?

François : Quoi?! Cesse de parler. Tu ne dis que des conneries! Balivernes! Du poison pour tout le monde! Pour rien au monde je ne la recyclerais! Je ne recyclerai rien du tout!

23 août 2009

N O V I N A



N   O   V   I   N   A



1
L'enfant au chapeau convexe



Burçot me traînait sur le tapis du couloir comme si j’étais une poche de vers de terre sur le quai d’un pêcheur. Je ne sais pas si l’image est exacte, car l'image était justement mon problème. Un sac d'appâts. J’étais de la viande. Une pièce de viande qu’on traînait jusqu’au salon de Baptiste. Et même si je ne sais plus trop ce que j’étais, je sais qu’ils avaient besoin de moi. Burçot me répétait que j’étais leur candidat, leur dernier candidat. Il me rassurait du mieux qu’il pouvait en me disant que ce n'était pas une question de vie ou de mort. À cette époque, je n’avais que dix ans. Lui en avait douze. Il était de son devoir de me rassurer. Sans quoi je n’aurais jamais pu être son ami.

Burçot : Tu es le candidat idéal. Tu sais pourquoi? Parce que tu es le dernier candidat de tous les candidats! Ils vont faire avec toi! Pas de choix!

J’avais rencontré le Docteur Draüs un mois avant d’entrer chez les candidats de la maison Juliette. Ma rencontre avec le docteur s’était très bien passée. Il avait des doutes au sujet de mon chapeau, mais Burçot avait vite fait de les régler avec ses mensonges.

Draüs : Et son chapeau, il peut l’enlever?

Burçot : Oui, bien sûr... il va l’enlever quand ça sera le temps de l’enlever! C’est le candidat idéal, que je vous dis! Il a dix ans, il n’a jamais connu sa mère et il la cherche.

Draüs : C’est vrai ce que dit Burçot? Tu veux une maman?

Burçot a été le premier à m’apprendre ce qu’était un candidat : « un candidat, c’est quelqu’un qui cherche une maman. » Alors j’étais candidat. C’est vrai. Je n’avais jamais connu ma mère. Et quand le Docteur Draüs m’a demandé si je voulais vraiment une maman, j’ai souri. Et pour Draüs, quiconque sourit acquiesce. Pour lui, un candidat, c’est quelqu’un qui sourit. Les mots ont autant de définitions qu’il y a de gens qui parlent dans l’univers.

Burçot s’apprêtait à me faire entrer dans le salon de Baptiste. Il me traînait lentement, comme s’il redoutait mon entrée au salon. Il s’inquiétait au sujet de mon chapeau. Il ne me parlait que de ça. Il me disait : nous leur dirons de pas regarder ton chapeau, et ils regarderont rien, tout ira bien, tu vas voir, tu auras ta nouvelle maman et elle t’aimera, tu vas voir, elle va t’aimer. Il se retenait de ne pas pleurer. Pendant ce temps, dans le salon, sur des divans presque mauve foncé, ça criait.

Baptiste : Qu’est-ce qu’il fait Burçot? Il reste des candidats?

Draüs : Il en reste, c’est sûr... Burçot! Ramène ton cul avec un autre candidat! 

Burçot : Oui oui! J’arrive! Candidat numéro 112 : Sixpé Clandres, un ami à moi! Mais je vous préviens, son chapeau est convexe, alors faut pas le regarder...

Draüs : Burçot! T’es con ou quoi? Bien sûr qu’on va le regarder son chapeau!

Burçot a ouvert la porte du salon comme on jette un criminel au bout d’un pont de pirate. Il m’a placé devant Messieurs Baptiste et Draüs pour l’évaluation.

Draüs : Son chapeau est convexe? Vu de l’extérieur, peut-être...

Baptiste : Que voulez-vous dire, Docteur Draüs?

Draüs : Si Clandres retirait son chapeau, nous verrions que l’objet peut tout aussi bien être concave... C’est un chapeau...

Baptiste : Un chapeau est un objet de forme convexe, Monsieur Draüs! Cessez vos plaisanteries!

Clandres : Mais c’est rien qu’un chapeau... Où est Mademoiselle Deloise?

Draüs : Hé! Le jeune... Juliette ne voudra jamais d’un enfant qui porte chapeau convexe, compris? N’est-ce pas Baptiste?

Baptiste : Ma femme a horreur du convexe... Sixpé, s’il te plaît, mêle-toi de ce qui te regarde... Nous tentons de régler ton problème de chapeau. C’est un problème formel.

Draüs : Un problème de géométrie! J’y pense! Où est passé notre géométr...ologue? Géo...maticien? Le type qui se promène avec des équerres!

Baptiste : Je ne l’ai plus revu depuis la semaine passée... 

Draüs : La semaine passée...? C’était...

Baptiste : Draüs! Ne me dites pas que vous ne vous rappelez pas... Vous argumentiez à l’effet qu’un cercle avait un nombre infini de côtés! Vous saviez très bien que le type de la géométrie allait tenter de vous prouver le contraire!

Draüs : Eh quoi! Si les géo...mathématiciens croient qu’un cercle n’a qu’un seul côté, eh bien, j’aime autant ne pas en avoir! De ces... géomates! 

Baptiste : Écoutez, Draüs, Juliette veut voir son enfant... un enfant... n’importe quel enfant qui pourrait être le sien, alors retournez voir le gars de la géométrie et dites-lui qu’un cercle n’a qu’un seul côté! Ensuite, vous verrez ce qu’il peut faire de ce chapeau!

Draüs : Merde! Clandres! Vous n’auriez pas pu venir sans votre chapeau?!?

Clandres : Mais... j’ai toujours eu mon chapeau... 

Burçot : C’est vrai, Monsieur Draüs, mon ami a toujours eu son chapeau, il l’avait quand vous l’avez rencontré il y a de ça un mois, et quand vous m’avez demandé de l’amener ici, vous saviez très bien que la forme de son chapeau était celle-là, comme tous les autres chapeaux d’ailleurs, je ne vois pas...

Draüs : Burçot! Ta gueule. Sixpé, tu veux dire que tu existes avec ce chapeau-là? Tu veux dire que c’est un vrai chapeau?! 

Clandres : Aussi vrai que votre pantalon et que votre moustache, aussi vrai que les lunettes de M’sieur Baptiste! Et aussi vrai que les culottes de Burçot!

Baptiste : Non, mes lunettes, je ne suis pas né avec. Je peux les enlever quand je veux. Attendez voir...

Draüs : Là n’est pas la question, Baptiste! Vous vous rendez compte du problème qui se pose? Clandres ne peut pas enlever son chapeau! Il fait partie de ce qu’il est! Burçot! Combien il reste de candidats pour... la candidature de... vous savez, combien reste-t-il d’enfants derrière la porte?! 

Burçot : Sixpé était le dernier, Docteur...

Draüs : Alors c’est ça? On n’a pas le choix? Ce sera ça, l’enfant de Juliette? Votre enfant, Baptiste! Regardez-le! Il a un chapeau de forme convexe sur la tête!

Baptiste : Mais Draüs, vous avez bien dit tout à l’heure que son chapeau pouvait aussi être de forme concave, non?

Draüs : C’est possible, oui, mais combien de temps avons-nous...

Baptiste : Nous aurons le temps que ça prendra! Draüs, faites tout ce qui est en votre pouvoir pour donner à un ce chapeau une forme concave! Et Burçot, retourne à la maison et entre dans la chambre de ma femme. Dis-lui que son enfant s’appelle Novina et qu’il ne tardera pas à se présenter. Dis-lui qu’il a un léger retard... à cause d’un... coup de soleil sur la tête. Ça passera! 

Burçot : Mais, Monsieur Baptiste... Clandres ne peut pas avoir eu de coup de soleil sur la tête... Il a un chapeau sur la tête...

Baptiste : Burçot, tu sais ce que disent toujours les idiots? 

Burçot : Non Monsieur?

Baptiste : Ils disent toujours « Il a un chapeau sur la tête. » Alors tais-toi et fais ce que je te dis!

Burçot suivait les ordres de Baptiste. Il manquait en lui-même l’estime de lui-même. Il était grassouillet et convexe. Dès que Baptiste lui ordonnait quelque chose, Burçot s’activait comme si sa vie en dépendait. Je me disais que c’était pour l’argent : si Baptiste avait les moyens de s’offrir un docteur, un alchimiste, un magicien, un philosophe, un enfant pour sa femme, un géo...métaticien, il pouvait bien s’offrir un Burçot sous-payé.

Plusieurs fois, ils m’ont forcé à retirer mon chapeau. Mais, évidemment, j’en étais incapable. Je ne suis pas un extra-terrestre. Je n’habite pas les autres univers, les autres dimensions, là où les gens peuvent peut-être se dévêtir puis se vêtir comme bon leur semble. On ne peut pas transgresser les lois du monde qu’on habite. On ne peut pas demander à un homme de retirer son chapeau lorsqu’il a été créé avec!

Clandres : Je vous l’ai déjà dit, c’est un vrai chapeau! Les gens m’ont appelé Sixpé et j’ai eu le chapeau qui venait avec!

Draüs : À moins qu’on lui mette un truc sur la tête?

Vestegarde : Un truc?

Draüs : Un ballon, une housse, une couette, un voile de mariée! Je ne sais pas moi! Quelque chose qui envelopperait cette horreur convexe?

Vestegarde : Je n’ai rien de tout ça, Docteur Draüs... Allez plutôt voir le géo... Le type qui se promène avec des équerres...

Draüs : ...Hum, non. Disons que j’entretiens avec ce type-là un lien amical plutôt fragile... Disons que ce lien ressemble à une ficelle avec laquelle un bulldozer ferait du bungee... Vous voyez ce que je veux dire...

Vestegarde : Eh bien... Vous devriez vous poser la question : est-ce vous qui contrôlez le bulldozer, Draüs?

Draüs : ? Je n’ai pas de permis de bulldozer...

Vestegarde : Dites-vous bien une chose... Prenez garde : des gens nous lisent au moment-même où nous nous parlons...

Vestegarde était le philosophe de la maison Juliette. Il n’avait que de vagues réponses au sujet de ce qu’il fallait faire de mon chapeau. Et puisque Draüs refusait toujours de visiter l’homme aux équerres sans nom, il a proposé l’alternative. Il m’a emmené dans son laboratoire en me disant que c’était possible pour moi de retirer mon chapeau. 

Draüs : Une petite incision là... Une coupe là... Je n’enlèverai qu’une infime partie de ton cerveau, Sixpé, et la totalité de ton chapeau. Qu’en dis-tu? Tu perdras la partie supérieure de ton crâne, mais tu seras enfin débarrassé de ce chapeau. Et tu auras une maman. C’est ce que tu veux n’est-ce pas? Une maman?

Clandres : Oui Docteur, une maman...

Et j’ai souri sans trop de pensées. Et le Docteur Draüs a sorti le scalpel, les couteaux, tous les instruments pour enlever la forme convexe de quiconque possède une forme convexe. En moins de trente minutes, c’était fini. Il avait recousu la petite membrane trop mince recouvrant mon cerveau fragile. J’avais une nouvelle tête. Mais je n’avais plus de chapeau.

Draüs : Burçot! Baptiste! Vous pouvez avertir Mademoiselle Deloise! Son enfant est prêt! Enfin, son enfant s’en vient! Il a guéri son coup de soleil!

L’équipe est montée du salon à l’escalier, de l’escalier à la chambre de Juliette. Ils espéraient que le dessus de mon crâne soit invisible, mais ils s’énervaient parce qu’on voyait les marques, comme des marques de machine à coudre sur mon front. J’ai fait l’arrivée devant Mademoiselle Deloise et j’ai perdu les mots à cause de l’opération.

Clandres : Bonne our ma ne moiselle Deloise...

Burçot : Haha! Ne vous inquiétez pas, Juliette. Novina voulait dire Bonjour Mademoiselle Deloise... 

Juliette : Tais-toi Burçot! Je n’ai pas besoin d’un traducteur lorsque mon fils me parle!

Burçot : Excusez-moi Mademoiselle Deloise... Novina, vous pouvez vous présenter...

Clandres : Oui! C’est moi, Maman, je suis Novina! Bonjour, ma de moi... maman! 

Baptiste : Mais, chérie, c’est qu’il n’a pas encore appris à parlé... Oh, je vois! Les bébés, ça prend du temps... On lui apprendra tout ça ensemble chérie...

Mademoiselle Deloise avait fait le silence. Elle observait la situation. Elle a regardé le dessus de mon crâne qui n’était pas tout à fait du même beige que le reste de mon visage. J’ai paniqué à l’intérieur de moi, mais je n’ai pas dit les sons. Puis, Baptiste a voulu expliquer : 

Baptiste : Juliette... Tu as enfin retrouvé ton enfant. Novina, c’est lui! Les tests d’ADN correspondent, n’est pas Docteur? Celui que tu demandes depuis dix ans! Il est là, devant toi. Allez, serre-le dans tes bras... Il a besoin de ton amour.

Juliette : Qu’est-ce qu’il a sur la tête? Il a été recousu?!

Draüs : Hum. Non. Échappé. Il a été échappé. Oui. Dans une rivière. Dans l’eau, mais pas dans l’eau. Sur une roche. Sa tête a frappé contre une roche. Terrible accident... Il a fallu le guérir. Mais son QI est identique à la moyenne!

Baptiste : Non! Pas identique! Draüs, que dites-vous... Supérieur! Son QI est supérieur! Chérie, je te jure, cet enfant est le nôtre...

Juliette : Baptiste, mon chéri... C’est moi qui ai payé pour les démarches pendant huit ans... Je vous ai fait confiance pour que vous retrouviez mon fils, Novina. Et maintenant, enfin, j’obtiens une réponse... Alors, oui, cet enfant a intérêt à être le mien!

Clandres : Oui Ma, maman. Mais je viens de naître, alors c’est un peu la complication...

Juliette : Burçot, n’as-tu rien à dire au sujet de ce Novina? Il me paraît abruti!

Burçot : C’est pourtant lui Mademoiselle, c’est bien lui... Je l’ai trouvé en train d’écrire dans un parc. Il écrivait à sa mère, mais sans savoir à qui adresser la lettre...

Juliette : Peux-tu me la lire, cette lettre, Burçot?

Burçot : Euh, mais, Mademoiselle...

Juliette : Burçot!

Et Burçot a sorti de sa poche une lettre que je n’avais pas écrite. Ce n’était pas mon écriture. Et ce qu’il a raconté en lisant la lettre, c’était comme un rêve que je n’avais pas rêvé.

Burçot : Maman... tu es méchante...

Draüs : Burçot! Qu’est-ce que tu fous! Range cette lettre! 

Burçot : Tu es méchante parce que tu ne sais pas que je suis ton enfant, mais peut-être si tu savais, tu pourrais cesser de me donner les ordres de papa qui me dit toujours...

Baptiste : Burçot! Dans ta chambre!

Burçot : Alors que je n’ai pas vraiment de chambre... Parce que le seul endroit où je pourrais dormir sans faire des cauchemars, c’est dans ton lit. Je ne sais pas pourquoi j’ai arrêté d’être ton enfant. C’est papa qui a changé mon nom. Mais depuis que je sais écrire...

Et Baptiste a agrippé Burçot pour le transporter dans sa chambre mais il se débattait comme un orphelin. Il tenait la lettre qu’il avait écrite et il voulait poursuivre la lecture mais son père l’empêchait en lui criant d’aller à la chambre. Et encore, le silence qui a fait du bien, Juliette a mis de la colère très pâle dans la pièce.

Juliette : Baptiste! Laisse-le finir!

Burçot : Je n’écris que pour prouver que j’ai une mère...

18 août 2009

Merde!




Même quand je suis une merde, je ne suis pas une merde, même quand je suis une merde, je visite putain je, visite les villes et je marche, t’as déjà vu une merde qui marche?! Ouais? Bah alors soit t’avais des vers dans le cul et ta merde s’est mise à ramper, soit ce que t’as bouffé t’a fait halluciner...

Et la merde se tenait devant moi, un mec avec un tout petit peu de barbe et à vrai dire, j’étais très effrayé, surtout, j’étais très effrayé de lui demandé d’où venait sa merde enfin, je savais bien que tout cela venait de l'intestin, mais j'étais curieux de savoir quand est-ce qu’il faisait sa merde.

Quand est-ce que je fais ma merde?! La merde, je la fais quand quelqu’un me dérange tu vois, tu me traites de merde une fois et je te monte dessus et je te butte!

Il était très dangereux, vraiment, enfin, j’avais l’impression qu’il aurait pu me déféquer dessus n’importe quand, comme ça, prout, il aurait pu baisser son pantalon et moi, le pauvre moi, j'aurais reçu tout le brun qu’il aurait voulu que je reçoive. Mais je lui ai demandé : Pour faire la merde, tu montes dessus une butte?

Non, je te monte dessus et je te butte! Tu veux rire de moi ou quoi? Tu veux que je fasse la merde avec toi c’est ça! Tu veux la merde!

C’est drôle, j’aime pas trop les gens qui me disent « tu veux la merde »... Et je n’avais pas envie du tout de merde, j’avais plutôt envie d’une pizza.

Non, je veux pas ta merde, j’ai dit, je veux une pizza!

Il m’a répondu : Mais je vais chier sur ta pizza pauvre mec! Tu me fais chier depuis le début de la soirée, tu crois que je vais pas chier sur ta pizza moi?! Eh merde tu peux te la foutre dans le cul ta pizza!

Mais, j’ai dit, mais est-ce que tu veux chier sur ma pizza ou tu veux me la foutre dans le cul? Parce que je doute que les deux soient possibles, je veux dire, si déjà tu chies sur ma pizza, moi, je vois pas pourquoi elle aurait affaire à mon cul (et j’ai essayé de parler le plus décemment possible).

Non, il dit, tu comprends pas mec. Moi, je suis pas une merde, je fous pas la merde avec n’importe qui. C’est toi qui m’énerve. Mais si t’es une merde, et si tu veux te battre d’égal à égal, vraiment, je peux être une merde si tu veux. Pour toi. Allez viens! Viens-t-en! Je t’attends sur le trottoir! Qu’est-ce t’as dans le cul? Viens! Je t’attends là! 

Euh, j’ai dit stupidement, euh, c’est que, ils disent toujours, la merde sur les trottoirs, c’est interdit maintenant.... Et j’ai pas de petit sac... Tu veux que je fasse quoi avec ta merde?

Des affres dans les cheveux




Des affres dans les cheveux.
Cette fille répétait sans cesse
Des affres dans les cheveux.

Quoi des affres? que je me fâchais. Quoi des affres? 
Des trous noirs, qu’elle disait, des nids. Et je me suis demandé l’acrostiche, peut-être, la façon de parler étrange j’ai dit, c’est une façon de me parler?!

Elle a eu peur que je l’abatte alors elle s’est recroquevillée sur elle-même en un seul coin, pas deux : vous connaissez quelqu’un capable de se recroqueviller en deux coins? C’est qu’il doit être énorme.

Non, il n’est pas énorme! qu’elle me dit, l’air fâché. 

J’ai dit : je ne parlais pas de ton amoureux imaginaire, je parlais de la possibilité qu’un homme puisse se recroquevillé en deux points aussi loin que ce coin de mur-là, puis ce coin de mur-là. D’accord, je l’avais souvent agacée quant au poids de son petit ami, c’est vrai. Mais elle était si lâche. Elle aurait tant pu avoir mieux...

Et mes affres dans mes cheveux ils...

Lâche-moi avec tes affres! T’en n’as pas! Que je lui ai dit clairement, avec les majuscules et tout. Ça suffit. Cette fille avait été ma soeur, mais elle ne l’était plus. C’était définitif. C’était décidé. J’était prêt à signer :

- Dès lors que nos signatures seront sur ce bout de papier, nous ne serons plus frère-et-soeur, tu entends! Tu entends?

Elle était sourde alors elle a dit : Des affres dans les cheveux. La seule phrase qu’elle était capable d’écrire. Et je lui ai demandé : Mais qui t’a appris à dire cette phrase stupide?!? Tu veux des affres dans tes cheveux?! C’est quoi des affres?!

Alors je lui ai jeté du blanc d’oeuf, des poignées de farine et du bran de scie dans les cheveux. Tout cela colla! Et elle a eu dans les cheveux des tas de tas de morceaux dégueulasses et j’ai ri. J’ai dit : signe ; nous ne sommes plus frère-et-soeur.

Elle a signé.

Je l’ai aimée, à ce moment-là, je ne l’ai pas détestée, car j’ai dit bravo. Pour la première fois de ma vie, j’était fier de ma soeurette sourde-muette. 

Des affres dans les cheveux les aff...

Quoi? Je ne pouvais croire qu’elle le redirait encore après tout ça. Je m’apprêtais à la frapper et, lui montrant ma grosse main prête pour la claque devant son petit visage, je lui criais quoi?!

Les affaires dans mes cheveux...

Les affaires dans tes cheveux...

Soudain c’est étrange, elle ne m’a plus paru étrange elle m’apparût,

normale.

Exercice 001



Il claquait des genoux nerveusement et fixait le dossier de l’autre fauteuil, celui devant lui, dans l’avion, il ne pensait qu’à une chose, une personne, une fille : Judith. Il avait pris l’avion sans trop savoir pourquoi, ne sachant qu’une seule chose : son amour pour Judith. 

Et il se dit mais pourquoi, qu’est-ce que je fous là dans l’avion alors que je devrais être à courir dans les prés avec Judith, celle que j’aime, alors que je devrais être en train de l’embrasser sauvagement dans Paris, dans New York, va savoir, où elle voudra aller! 

Il reçut un petit coup de coude de la part de sa voisine de droite et, conscient de cela, il pensa : si seulement son coude pouvait être celui de Judith... et il se mit à croire que sa voisine fût Judith.

***
MIX

Il avait pris le dossier de Judith, et son amour claquait sauvagement devant lui, il ne pensait qu’à son fauteuil, nerveusement, ne sachant pourquoi personne ne pensait fixer une autre fille. Il se dit : pourquoi être en train? Va savoir, il avait pris l’avion, comme un coude dans Paris, conscient d’une seule chose : sa voisine avait pris les genoux de Judith.




Le type respecté

C’était un type super respecté, super aimé, très gentleman, du genre à laisser le frigo ouvert pour donner à sa petite amie une brise d’hiver les jours de canicules un gars super gentleman, les nuits glaciales, quand il dormait avec elle, il se déshabillait pour la couvrir de ses sous-vêtements, par amour, vraiment, un gars comme il ne s’en fait plus, lorsqu’elle lui parlait de choses importantes, il trouvait le moyen tout de même de chanter par-dessus elle pour lui remonter le moral, il chantait Yesterday et lorsqu’elle lui disait qu’il réfléchissait trop au passé, il lui répondait que le présent n’a d’égal que le passé, alors elle ne comprenait rien mais, quel homme c’était : les filles adorent lorsqu’on leur dit des trucs qu’elles comprennent pas, du genre : demain je toucherai enfin le chômage auquel je n’ai pas droit parce que je ne suis pas au chômage, et du même coup, je toucherai l’aide social auquel je n’ai pas droit parce que je travaille et du coup, tu sais quoi, je te l’achètes la robe que tu voulais!

C’était un type super génial qui m’a appris tout ça, et c’est lui qui m’a appris à laisser la fille avec qui j’étais. Il m’a appris une foule de trucs. Grâce à ses conseils, j’ai appris à dire à ma copine, chaque fois qu’elle me demandait si elle devait mettre sa nuisette sexy pour la nuit : tu sais chérie, une noisette, c’est une petite noix ; si tu mets une nuisette, ça veut dire qu’on passera une petite nuit... as-tu vraiment envie que la nuit soit courte?! Non? Vraiment? Alors mets ton pyjama...

C’était un type super génial, va savoir pourquoi sur sa tombe c’est écrit : il fraudait l’aide-sociale, on ne comprenait rien quand il parlait, quand on lui parlait il ne faisait que chanter, l’hiver il lançait ses sous-vêtements sur tout le monde et l’été, il laissait la porte de son frigo ouverte. Pas étonnant qu’il soit mort après avoir mangé la viande hachée qu’il gardait là-dedans...