16 janvier 2007

La femme recousue

« On en vient à s’enticher de choses matérielles lorsqu’on a peur d’avancer, par la peur qu’engendre le grand amour des vies »

Ça a commencé à Paris. Il y avait ces femmes aux jambes et aux muscles de cuisses chaudes, de la sueur, presque pas, mais vous voyez, c’est que là-bas les femmes marchent et marchent sans cesse. Ça leur fait des jambes de gazelle qu’on voudrait croquer. Des chevilles, des pieds trop doux qui sentent bon. Puis il y avait ce mec, vendeur de machines à coudre le tissu. Pas plus fou qu’un autre, moi, me disais-je, l’idée est bel et bien née à ce moment-là.

Je me suis caché dans l’embrasure d’une porte, vous voyez style film de cinéma, et j’ai attendu une passante. Il fallait que j’en attrape une rapide, avec de vrais sabots à talons ou à plateformes, une bague à l’orteil, le gros si possible. Elle a fini par passer, ma piétonne, avec des jambes pas trop bronzées juste assez, avec de petites chaussettes blanches, tant pis pour la bague à l’orteil je m’en passerai et puis, je trouverai bien le moyen de l’oublier. J’ai sauté sur ma piétonne, elle a tenté de courir mais oh il ne fallait pas qu’elle coure, elle m’aurait semé avec ces jambes-là. Non je dirais que je l’ai bien eue, la gazelle, ça m’aurait valu une médaille de président, n’importe lequel des présidents, au point où j’en suis, ce n’est pas une tête de président qui ferait une différence. J’ai transporté ma gazelle jusqu’aux toilettes, dans les cabinets, je l’ai sauté pendant qu’elle était encore vivante mais à vrai dire, elle était déjà morte quand j’ai eu fini d’éjaculer. Peu importe, nous ne sommes pas là pour baiser une femme qui n’a que les jambes et rien d’autre d’une déesse. Nous sommes là pour lui couper le corps. C’est ce que j’ai fait, justement, je lui ai tranché le corps en deux, juste au niveau du tronc. J’ai gardé le bas (les jambes, le sexe et tout ce que je trouvais beau) et j’ai jeté le haut dans la toilette. Les bras n’ont pas passé par le tuyau de la cuvette, j’aurais dû y penser avant, mais bof, je me suis enfui avec les jambes et le bassin de ma gazelle qui, ma foi, perdait beaucoup de sang.

Comme j’étais en voyage, je devais transporter tout ça d’un pays à un autre, de ville en ville dans un grand sac-poubelle vert, et le sac-poubelle devait être percé parce qu’il laissait couler du sang sur les trottoirs. Mais ne vous en faites pas, les policiers m’ont cru cuisinier ou quelque chose du genre, ils ont pris le sang pour du ketchup ou du jus de boulette de viande pas fraîche, allez savoir. J’ai pris le train, j’empestais du dernier wagon à la locomotive, jusqu’à Venise. Rendu là, je devais trouver une femme qui aurait les seins ronds comme les vagues, des bras agiles comme les rames des gondoles et le ventre ferme et capable de se cambrer comme un pont. J’étais dans la bonne ville. Il va sans dire que j’en ai trouvé une, de nationalité je ne sais plus quoi, il y a de tout à Venise. Elle était bien construite bien faite, bronzée style Hawaii avec un bikini bien rempli. J’ai sauté sur ma tigresse, oui je saute souvent comme un lion fou de goût d’envie de dépecer sa proie. Je l’ai prise, ma tigresse avec les cheveux en broussailles, et je l’ai emmenée faire un tour aux bécosses oui celles-là étaient plus sales qu’à Paris je dois dire. Et je n’ai pas perdu de temps, non je l’ai pas baisée celle-là, j’ai baissé mon pantalon et j’ai pissé un bon coup parce que j’avais foutrement envie et c’est tout. J’ai saisi ma petite hachette, et hop, on sectionne. La tête échevelée est partie loin derrière la poubelle et les jambes, je les ai frottées sur moi avant de les foutre dans les chiottes. J’ai conservé le milieu du corps, du bassin jusqu’aux épaules, et alors il ne me manquait plus que la tête pour avoir ma déesse à moi, ma perfection charnelle. Plus rien que la tête… tout y est, presque, alors trouvons une foutue tête… il n’y en avait beaucoup, des têtes, à Venise, mais mon voyage prenait fin et je devais revenir au Québec avant que les jambes de ma gazelle et que les bras de ma tigresse ne se décomposent avec la puanteur. Je suis rentré chez moi, avec mes sacs-poubelles pleins de viande pas fraîche. J’ai dit à ma femme que j’allais sortir les ordures, les mettre au chemin, pour ne pas qu’elle sache que mes sacs-poubelles contenaient des femmes mortes :

- Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? me demande-t-elle.
- Eh bien, les ordures, les vidanges, ma chérie, je vais les mettre au bord du chemin, justement. C’est drôle que tu me demandes.

C’est pas drôle du tout parce qu’elle ne m’a pas cru. Putain. Là je me suis questionné « comment elle sait que c’est pas vrai », elle a poursuivi :

- Je te crois pas, parce que j’ai pas cuisiné de viande cette semaine, seulement des pâtes. Cette viande-là doit appartenir à la voisine, moi je suis végétarienne. T’avais peut-être oublié.

C’est bien vrai ça. J’avais oublié parce que j’en avais rien à foutre. Et j’ai pensé : « je pourrais peut-être lui couper la tête. Elle est pas si mal, et je pourrais la coudre aux épaules et au cou de ma tigresse de Venise, ça ferait une déesse pas si mal. Après tout, je suis carnivore moi, j’aime la viande et les carnivores mange les herbivores, c’est bien connu ; elle est végétarienne ». Mais bof, c’est ma femme, je pourrais trouver mieux, je ne suis pas à ce point mal pris. En plus je la connais trop bien, cette québécoise, nous sommes pareils. Allez, je suis allé voir la voisine, et j’ai eu le même problème : je suis tombé sur une québécoise. Dès qu’on se met à communiquer d’un langage qui nous est familier, une sorte de compassion s’installe alors dans notre esprit, hélas, et nous ne sommes plus capables d’actes cruels. Je suis monté à ma chambre avec mes sacs-poubelles puants. J’ai cousu les jambes de ma gazelle de Paris au tronc de ma tigresse de Venise : il me manquait toujours la tête pour parfaire ma déesse. Je ne trouverai jamais de tête au Québec, ici je ne suis pas un étranger et les femmes ne me sont pas étrangères, je suis foutu. Je suis là à me demander quoi faire, ma femme prépare le dîner. Trouver une tête qui ne soit pas plus profonde qu’un bout de chair, c’est dur. Je me mettrais à chercher que je ne ferais que discuter avec les femmes, pris de compassion au moindre regard, elles me parleraient et j’oublierais leur peau et leurs allures je n’y verrais que l’intérieur. C’est par malchance que les habitants d’un même pays aient accès à l’intérieur de tous et chacun par pure compassion. Je ne trouverai que des têtes qui me parleraient d’une voix pénétrante, puis de l’amour de la vie qu’elles ont. Ah, si seulement les gens n’avaient pas de conscience dans la tête, je n’aurais pas tant de mal à leur tordre le cou. Femmes, rendez grâce à votre conscience qui vous sauve des hommes comme moi ! Votre tête, c’est la seule chose qui soit à l’abri de toute barbarie masculine. Peut-être qu’un jour je ne verrai plus les consciences dans la tête des gemmes. Peut-être qu’on y verra que du bois ou du fer, ou des fils, ou des machines. En attendant, je prendrai l’horloge circulaire du mur, ronde comme une tête, pour la fixer aux épaules de ma tigresse. Voilà une tête pas si mal. Et je pense qu’on en vient à s’enticher de choses matérielles comme celle-là lorsqu’on a peur d’avancer, par la peur qu’engendre le grand amour des vies.

Aucun commentaire: