Vient un temps où notre
tête, comme un chaudron, cède sous le couvert de ce qu’elle mijote. Il
faut bien, un jour ou l’autre, dévaler nos idées comme les enfants se
tuent sur les pentes de ski, sans craindre le vertige ni la vitesse, et
renverser la fausse humanité de ceux qui nous parlent comme si nous
avions déjà la chaise roulante d’accrochée au cul.
Je l’ai
dit au ministre, qu’il avait coupé mon arbre rond devant chez moi pour y
planter un arbre triangle mais que j’aimais mieux mon rond. Il a dit
les arbres triangles sont gratuits, mais les arbres ronds coûtent deux
fois plus cher. J’ai dit je m’en fous. Je veux l'arbre que j’avais. Il
m’a demandé :
- Avez-vous coupez notre arbre triangle?
- Oui, j’ai dit, je ne l'aimais pas alors je l'ai coupé avec la scie. Je reveux mon arbre rond.
-
Si vous l'avez coupé, alors vous êtes dans le tort. Vous devrez le
payer. Nous ne paierons pas pour le rond que vous voulez si vous avez
coupé notre triangle.
- Même si c’est vous qui avez remplacé mon rond par un triangle?
- Nous remplaçons gratuitement les triangles par les ronds. Mais planter un nouvel arbre rond, c’est mille six cent dollars.
C’est
compliqué. Avec le ministre, c’est toujours compliqué. Je finis
toujours par croire que je n’y comprends rien et que le mieux, pour moi,
pour ma survie, c’est de garder le silence. Je me tais. Je laisse les
grandes personnes s’occuper des grandes affaires. Et j’espère qu’ils
auront la gentillesse de me rendre ce qu’ils me doivent.
Enfin,
j’ai payé le prix qu’ils demandaient pour mon nouvel arbre rond. Le
mille, le six et le cent, et les quatres et les vingts des taxes qu’il
fallait. Des pelles sont arrivées chez moi. Il y avait des gens qui
pendaient au bout des pelles et, au bout des gens, il y avait d’autres
gens qui riaient des gens. J’ai eu envie de crier. Mais j’ai souri à la
place. Et puis le lendemain matin, j’ai crié. Personne ne m’a entendu.
Alors j’ai téléphoné. J’ai dit :
- Monsieur Ministre! Dans mon
arbre rond que vous avez planté hier! C’est au sujet de l’arbre rond que
vous avez planté hier… Il n’y a pas l'oiseau que j’avais. Je reveux mon
oiseau!
- Monsieur, m’a-t-il répondu, si vous voulez votre
oiseau, il faut payer. Nous vous avons offert le service de base. Pour
le service optimal, celui avec les oiseaux et les écureuils, c’est deux
mille sept cent dollars.
- Je ne veux pas les écureux. Seulement les oiseaux.
Il
a dit que les écureuils étaient gratuits à l’achat des oiseaux. Alors
j’ai payé. Un camion s’est garé devant chez moi. Un homme en est sorti
avec une cage à oiseaux. Dans la cage, il y avait l’oiseau et
l’écureuil. L’homme a placé les animaux dans mon arbre. L’oiseau a fait
son nid. L’écureuil aussi. J'ai cru que c'était mon oiseau, mon
écureuil. Mais le lendemain matin, j’ai encore crié. Et j’ai téléphoné :
-
Monsieur Ministre! Votre oiseau n'est pas celui que j'avais avant! Dans
mon ancien arbre rond, j'avais un oiseau qui s’appelait Gorge-Rouge! Il
avait un collier mauve autour du cou avec un chiffre d’écrit dessus! Je
lui donnais du gruau le matin! Il bavait l’après-midi et chantait le
soir! Ce n’est pas Gorge-Rouge que votre homme m’a porté là!
- Quel était le chiffre inscrit au collier de Gorge-Rouge?
- 1048!
-
Laissez-moi voir… dix quarante-huit. C’est un rouge-gorge. Il vous en
coûtera neuf cent soixante pour l’avoir. Avec les taxes, c’est mille
quarante-huit.
- 1048? C’était à moi le rouge-gorge! C’était moi
qui l’a baptisé! Je lui donnais ses grains de tournesol, et son gruau
tous les matins! Je l’avais gratuit avant que vous m'enlevez mes arbres
ronds!
- Ah vous savez, la gratuité, il faut la payer d’une façon
ou d’une autre. Si vous n’avez plus les moyens de payer, l’offre tient
toujours de venir chez vous planter un arbre triangle. Et ça ne vous
coûtera pas un rond.
- J’ai les moyens, Monsieur Ministre, j’ai les moyens!
- J’envoie un homme chez vous lundi prochain.
-
Non, Monsieur Ministre! J’ai les moyens! Quand je dis que j’ai les
moyens, je veux dire que j’ai les moyens d’arrêter de vous payer!