13 mai 2008

Le Boulot


« On ne se fait pas une vie. On la subit. »

Il était une fois un Fermier.

Il était, cette fois-là, un Fermier qui creusa, à la sueur de son front, un trou au milieu de sa cour. Il y planta, en plein été, un jeune Bouleau blanc. 

Il y avait donc, cet été-là, au milieu du terrain de ce Fermier, un Bouleau blanc; Bouleau dont la hauteur de la cime ne dépassait pas la tête des hommes; Bouleau aux branches jeunes et fragiles sur lesquelles les oiseaux évitaient de se percher. Car il ignorait les raisons de sa présence au milieu du terrain, le Bouleau réfléchissait sans cesse à son utilité.

***

Quand vint l’automne, le Bouleau se tourna une première fois vers un coin de la cour. Il y vit un Pommier. 

- Je ne suis pas heureux... dit le Bouleau.
- Pourquoi? demanda le Pommier.
- J’ai vu, répondit le Bouleau, j’ai regardé autour et j’ai bien vu, Pommier!
- Qu’as-tu vu?
- Ce matin, une pomme est apparue au bout de ta branche. Un enfant a cueilli le fruit puis l’a mangé. Il s’est régalé... Dis-moi, Pommier, que feras-tu encore de ta vie si bonne aujourd’hui?
- Aujourd’hui, c’est l’automne. Je vais nourrir un autre enfant en donnant une autre pomme.
- Moi, je ne sais nourrir personne... affirma tristement le Bouleau. Je n’ai pas de fruit. Et je ne sers à rien!
- C’est étrange, dit le Pommier. Ton emplacement en est un de choix, Bouleau. Tu dois pouvoir y faire quelque chose... Il faut être bien généreux pour savoir offrir des pommes. Si tu y penses bien, tu trouveras bien comment faire!

Et le Bouleau étira ses branches. Il les tendit bien raides. Il les fit longues, et cela le fit grandir. Mais aucune pomme ne fit d’apparition sur ses branches.

***

Après l’automne vint l’hiver. Le Bouleau se tourna vers un deuxième coin de la cour. Il y vit un Sapin dans la neige.

- Je ne suis pas heureux... dit encore le Bouleau.
- Pourquoi? demanda le Sapin.
- J’ai vu, j’ai regardé autour et j’ai bien vu, Sapin!
- Qu’as-tu vu?!
- Ce matin, un écureuil s’est glissé sous tes branches. Il a grimpé le long de ton tronc puis il y a trouvé un abri. Il s’est protégé du froid... Dis-moi, Sapin, que feras-tu encore de ta vie si bonne aujourd’hui?
- Aujourd’hui, c’est l’hiver. Je vais abriter un autre écureuil en le couvrant du froid.
- Moi, dit le Bouleau, je ne sais pas avoir d’épines... Je n’ai plus de feuilles. Et je ne sers à rien! 
- Il faut être bien fort pour abriter les animaux, répondit le Sapin. Réfléchis encore. Tu trouveras comment faire.

Et le Bouleau se tint droit et solide. Il fit de son tronc un pied massif. Il prit beaucoup de poids, mais aucune épine ne fit d’apparition.

***

Après l’hiver vint le printemps. Dans un troisième coin de la cour, le Bouleau vit un Magnolia.

- Je ne suis pas heureux... dit le Bouleau.
- Pourquoi? demanda le Magnolia.
- J’ai vu, j’ai regardé autour et j’ai bien vu, Magnolia!
- Qu’as-tu vu! Qu’as-tu vu!
- Ce matin, une femme s’est arrêtée devant toi. Elle a admiré la beauté d’une de tes fleurs. Elle te trouvait si joli... Dis-moi, Magnolia, que feras-tu encore de ta vie si bonne aujourd’hui?
- Aujourd’hui, c’est le printemps. Je vais charmer une autre femme en lui offrant une autre fleur.
- Moi, dit le Bouleau, je ne sais pas avoir de fleurs... Je n’ai que de laids bourgeons. Et je ne sers à rien!
- C’est tout un art que de faire éclore de jolies fleurs, répondit le Magnolia. Réfléchis-y encore, Bouleau. Tu trouveras comment faire!

Et le Bouleau tenta de faire éclore une fleur. Pour cela, il fit éclater ses bourgeons en de petites feuilles. Mais aucune fleur ne fit d’apparition.

***

Après le printemps, l’été revint. Cela faisait un an que le Bouleau vivait au centre de la cour. Il avait regardé chacun des trois coins du triangle que formait le terrain. Il avait découvert trois nouveaux arbres, mais il n’avait rien su faire de sa vie.

- Je ne sais rien faire! cria le Bouleau. Personne ne me montrera donc jamais comment me faire une vie!

Un Serin, qui avait entendu les lamentations de l’arbre, vint se percher sur une branche du Bouleau. 

- Ah! Enfin! s’exclama le Serin. Vous voilà bien mature! 
- Mature? demanda le Bouleau. 
- Nous, les oiseaux, préférons se percher aux branches matures. Nous évitons celles fragiles qui pourraient craquer.
- Vous devriez partir, Serin. Je suis faible et fragile, car je ne suis pas heureux...
- Pourquoi cela? demanda le Serin.
- J’ai vu, j’ai regardé autour et j’ai vu, Serin!
- Je m'en moque! répondit le Serin. Je me moque de ce que vous avez vu, Bouleau!
- Comment?
- C’est un bel emplacement que vous avez là. En plein centre de la cour du Fermier! 
- Je ne mérite pas ce centre, dit le Bouleau. Je ne sers à rien...
- À quoi voulez-vous donc servir? demanda le Serin.
- J’aimerais servir à nourrir les enfants, à abriter ceux qui ont froid et à charmer les femmes!

Le Serin ricana.

- Oh là là, dit le Serin, je ne connais pas un arbre qui fasse tout cela d’une vie...
- Peut-être, rétorqua le Bouleau. Mais moi, je ne fais absolument rien de tout cela!
- Qu’allez-vous faire, alors?
- Je demanderai au Fermier qu’on me fasse tuer par les gens des villes... Je demanderai qu’on me coupe! Qu’on fasse de moi un meuble! Une bûche! Que sais-je! Ma mort servira à quelque chose... 

Le Serin lima une branche du Bouleau. Il y enleva quelques saletés incrustées sur le bois, puis il continua :

- En effet, vous avez de très belles écorces, Bouleau! Plus d’un homme en voudrait dans son foyer... Mais ne croyez-vous pas, cher Bouleau, que si vous demandiez la mort, le Fermier ne planterait pas un autre Bouleau pour vous remplacer?
- Qu’il le fasse... murmura le Bouleau. Ça m’est bien égal...
- Ne croyez-vous pas, poursuivit le Serin, que s’il en était ainsi, vous ne feriez que donner au suivant votre chagrin? Car après votre mort, on plantera un autre Bouleau au milieu de la cour, un autre Bouleau regardera autour et verra l’inutilité de son existence! Enfin, au milieu du terrain, un autre Bouleau demandera la mort! Ah! N’y aura-t-il donc jamais un seul Bouleau qui puisse vivre au centre de cette cour!

Le Serin se choqua au point d’en faire trembler le Bouleau. Ce dernier répliqua à l’oiseau :

- Et vous, Serin, que ferez-vous encore de votre vie si bonne aujourd’hui?
- Un Serin veut être serein; un Bouleau veut du boulot! dit le Serin. Il y a de ces choses qui ne changent pas, Monsieur! Mais quelqu’un a bien voulu qu’il en soit ainsi... Vous ne croyez pas? 

***

Le Bouleau avait fait le choix de mourir et, quand vint l’automne, il fut prêt à annoncer sa mort. Il retourna voir le Magnolia pour les adieux :

- Adieu, Magnolia. Je quitte l’endroit, car je ne sers à rien. Je ne manquerai pas de dire au Fermier de bien te soigner. Ta vie est indispensable. Dis-moi, Magnolia, as-tu bien donner des fleurs aujourd’hui?
- Non, Bouleau, répondit le Magnolia. Je n’ai pas de fleurs aujourd’hui. C’est l’automne et mes fleurs sont mortes. Je ne fais rien, Bouleau.
- Tu ne fais rien?! s’étonna le Bouleau.
- C’est bien cela. Mais puisque tu pars, je vais pleurer ton départ. C’est ce que je vais faire aujourd’hui...

Le Bouleau fut troublé par la déclaration du Magnolia. Il décida de repousser la date de son départ.

***

Après l’automne, l’hiver revint. Cette fois, le Bouleau se tourna vers le Pommier.

- Adieu, Pommier. Je quitte, dit le Bouleau, c’est décidé. Mais que cela ne t’empêche pas de donner des pommes aujourd’hui!
- Je ne donne pas de pommes aujourd’hui, répondit le Pommier. C’est l’hiver et mes pommes sont mortes. Je ne fais rien, Bouleau.
- Tu ne feras rien aujourd’hui! N’est-ce pas triste, Pommier?
- Je ne suis pas triste de ne rien faire. Mais puisque tu pars, je suis triste. Je vais pleurer. C’est ce que je vais faire aujourd’hui.

Le Bouleau, surpris, repoussa encore la date de son départ.

***

Après l’hiver, le printemps revint. Et ce fut au tour du Sapin de recevoir les adieux du Bouleau.

- Adieu, Sapin. Je m’en vais. N’oublie pas d’abriter les écureuils aujourd’hui...
- Je n’abrite personne aujourd’hui! répondit le Sapin. C’est le printemps et les écureuils sortent de mes branches! Ils vont grimper sur d’autres arbres. Ils n’ont plus froid. Je ne fais rien, Bouleau.
- Tu ne fais donc rien aujourd’hui?...
- Ton départ m’attriste. Je vais pleurer aujourd’hui. C’est ce que je vais faire, Bouleau...

***

Après le printemps, l’été revint. Le Bouleau vivait alors depuis deux ans. Il fit craquer ses branches et appela le Fermier. Ce dernier accourut immédiatement.

- Qu’y a-t-il, Bouleau? demanda le Fermier.
- Dites-moi, Fermier, ne devrais-je pas mourir? Aidez-moi à trouver une réponse! Je ne sais rien faire!
- Et que font les autres? Voyons voir... C’est l’été : le Sapin pleure les animaux qu’il n’abrite pas, le Pommier pleure les pommes qu’il n’a pas encore, et le Magnolia pleure les fleurs qu’il a déjà perdues!... Hum... Ou mes arbres pleureraient-ils plutôt ta mort prochaine, Bouleau? Dis-moi...?

Le Bouleau regarda tout autour. Il vit, dans chaque coin du terrain, un arbre pleurer.

- Moi, reprit le Fermier, je suis heureux de te voir en vie.
- Pourquoi cela?
- J’ai planté trois Bouleaux, ici, avant toi. Tous sont morts au bout d’un an. J’ai cru que rien ne pousserait jamais au centre de ma cour...
- Mais pourquoi, Fermier? Pourquoi m’avoir planté ici? À quoi voulez-vous que je serve?

Le Fermier baissa la tête et regarda le pied de l’arbre.

- J’ai un fils... dit le Fermier. Il adore les bouleaux...
- C’est donc pour cette raison que je suis là?
- Mon fils est décédé il y a trois ans de cela... Il est enterré juste là. À tes pieds... Ne le sens-tu pas, sous tes racines?

***

Un jour, le Serin vint rendre visite au Bouleau.

- Et puis? demanda le Serin au Bouleau. As-tu trouvé ce que tu feras de ta vie si bonne aujourd’hui, au centre de la cour du Fermier?

Enfin, pour la première fois, le Bouleau put répondre avec joie :

- Aujourd’hui, que ce soit le printemps, l’été, l’automne ou l’hiver, Je vis pour la mort de son Fils...








8 mai 2008

Du chaos et du calme



Une hirondelle noire
Tatouée sur son pied blanc
Orageait les draps
Tachés comme les vaches

Le pied furieux
Comme une aile bloquée
Battait l’énergie des frissons
Des nids sous la pluie

Rachel couvait mon chaos
Comme une poule sur ferme calme
Avant que je ne gâchasse
La tranquillité du drame

Mes mots soulevèrent le dessin
Ne gardant de l’hirondelle
Qu’une aile seule

Je n’eus alors pour m’écrire
Le chaos ou le calme
Qu’une seule ligne

Je préfère le calme.