22 avril 2007

Nouvelle zéro tique

J’avais une convulsion terrible qui consistait à écrire sur un blog Rachel ma plus-que-coloc qui s’amusait à lire mes tics, pareils à ce tic de mon œil droit qui se ferme lorsque j’écris et que mon bras droit se resserre en de spasmes d’os et de muscles fatigués d’être paresseux; une certaine Sophie du temps que je lui pilais sur les pieds, elle, s’adonnait à l’écriture d’histoires cochonnes et moi de lui convulser mon bras droit à la figure et de lui dire que tes nouvelles n’excitent personne : pas plus qu’à la télé les chanteuses qu'on est tous fatigués d’en voir chanter toutes pareilles.

20 avril 2007

Pareil - pas pareil

J’ai une envie très profonde d’embrasser toutes les filles. Toutes, sauf celles dont les origines me sont étrangères, celles qui sont immigrantes, celles dont la couleur de la peau est différente de la mienne.

Quant aux hommes, je les déteste tous. Tous, sauf en de pareilles conditions; je n’aime que les hommes dont les origines me sont étrangères, ceux qui sont immigrants, ceux qui viennent d’ailleurs, de pays étrangers : ceux qui ne sont pas moi.

13 avril 2007

Poisson cru

Le monde n’a pas de mémoire.
Les appartements n’ont pas de mémoire.
Les arbres n’ont pas de mémoire.
Les chiens non plus.
Les chats encore moins.
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Première lettre.
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Je sais ma mémoire s’est perdue il y a longtemps de ça quand je suis né. Où elle est restée je sais pas. Je me dis toujours au fond d’un précipice. Je me dis toujours au fond de toi mais que la couleur de tes yeux changeait souvent avec le vert de l’eau. Le vert de l’océan de toi. Mais je me souviens pas…

Des choses comme ça que je me souviens pas depuis que tu es partie de l’appartement les cheveux ton odeur de vague que je me souviens pas. Que j’ai l’impression d’un aquarium qui fait l’appartement les murs de vitre qui sont tous-tous pareils Rachel que si je me regarde dans la vitre de qui je suis. Je me souviens pas l’air Rachel qui me manque.

Ça fait longtemps que je fais semblant Rachel de me souvenir et que plus je fais semblant plus j’invente. Ça c’est pour ça tu peux me lire Rachel que je t’écris.

Que je m’ennuie de toi Rachel des fois ma mère m’appelle quand des fois elle m’appelle, elle me demande comment ça va à l’école. Je sais pas si j’avais l’examen de biologie hier ou demain. Est-ce que tu le sais, toi? Hier ou demain?

J’ai perdu mes horaires au fond des tiroirs qu’il faudrait que je les fouille au fond de toi j’ai peur. Que les tiroirs cachent ma mémoire pleine d’océans de toi que j’ai pas la clé.

Aide-moi Rachel. Je suis peureux de retrouver ma mémoire morte comme un bébé.
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Deuxième lettre.
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Hier Rachel j’ai été voir mon docteur c’est une fille. C’est rare je vais la voir mais je voulais des médicaments pour ma mémoire. J’ai dit Madame j’ai perdu ma mémoire parce qu’elle s’est étouffée au fond d’un précipice vide.

J’ai parlé de toi Rachel à mon docteur j’ai dit je suis sûr que j’ai pas la bonne mémoire parce qu’il est où notre champ avec le marécage vert foncé il est où ton sourire mouillé je me souviens pas! C’est loin que tu es loin…

Mon docteur elle m’a dit :

– Ton nom et ta date de naissance s’il te plaît.

– William Drouin! 31 juillet 1985!

– C’est en plein ça! Bye-bye.

Là j’ai dit c’est quoi c’est tout Madame! Tu peux pas me faire ça tu peux pas me dire ça comme ça c’est pas une preuve que j’ai une mémoire que je sache mon nom de famille et la date de ma naissance! C’est pas une preuve Rachel moi je veux les preuves.

Là elle a dit o.k. tiens prends ça elle m’a donné les médicaments pour la retrouvaille de la mémoire. Des médicaments ronds. Des billes jaunes. J’en prends une depuis une semaine Rachel je me rappelle un peu de choses. Un peu plus ça m’aide.

Je vais t’envoyer une par la poste que tu vas la prendre, l’avaler, tu vas m’écrire. Tu vas m’écrire Rachel réponds-moi!

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Troisième lettre.
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Au fond les médicaments Rachel je suis bête j’en prends pas assez mon docteur elle a dit de continuer en avaler trois par jour.

Pour retrouver ma mémoire ce que je fais pour toi Rachel peut-être tu vas me revenir.

Tantôt je t’écrivais j’ai eu un souvenir tu sais. L’été qu’il faisait chaud on allait dans le sous-sol de tes parents. Il faisait toujours froid dans le sous-sol ça je me rappelle de ça que ta mère disait qu’il était climat-tissé à cause de l’ombre.

Cet été-là est-ce que tu t’en rappelles Rachel dis-moi oui parce que moi les choses que je me rappelle me font mal. Je sais pas pourquoi. Ça me fait mal de me souvenir des choses c’est pour ça hier Rachel je suis retourné voir mon docteur c’est une fille.

Je lui ai dit Madame! Là tu vas m’en donner d’autres des médicaments parce que deux par jour, les choses que je me rappelle me font mal!

Mon docteur c’est une fille elle a sorti des mots scientifiques. La Noce-talgie. Elle m’a dit continue en avaler trois par jour.

J’ai l’impression elle me prend d’un stupide. Mais demain je vais aller nager à la piscine. Je nage bien Rachel que j’aime ça nager.

Demain mes cours de natation je vais me mettre en forme et après je vais vérifier le courrier voir si tu m’écris. Je t’aime Rachel!

P.S. que je sais que tu aimes pas ça que je dis ça mais je t’aime!
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Quatrième lettre.
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Tu reviens pas Rachel je fouille ma caboche de comment tu m’as laissé tout seul loin de toi Rachel hier j’ai oublié ma natation à la piscine!

J’avais pas l’horaire de ma natation est-ce que c’est toi qui l’as Rachel? C’est toujours toi qui me faisait rappeler elle est où l’horaire de ma natation? Tu l’as peut-être avec toi.

Réécris-moi là sinon j’oublie tout hier Rachel je suis retourné voir mon docteur c’est une fille! J’ai dit Madame! Je veux retrouver ma mémoire! Je veux pas que les souvenirs me font mal! La maudite fille elle m’a encore sorti le mot scientifique que j’ai de la mêle-en-colis à cause de toi!

Je comprends pas Rachel je suis tanné Rachel est-ce que tu as pris les billes jaunes que je t’en ai envoyées quatre hier?

Je suis tanné de l’appartement vide à toi. Dehors il pleut Rachel et ça me rappelle que j’ai oublié les choses de quand tu m’avais emmené voir l’océan. Réécris-moi pour ça…
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Cinquième lettre.
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J’ai oublié de te dire Rachel est-ce que je t’ai déjà dit Rachel que l’été il fait froid que c’est un sous-sol que je vis que les poissons ont pas de mémoire est-ce que je t’ai déjà dit Rachel que je suis mêlé-en-colis que tu m’écris pas pour me dire je me souviens de toi avec l’été froid, que je suis retourné hier Rachel voir mon docteur c’est une fille!!!

Que je lui ai dit MADAME! Il faut que tu m’aides parce que là j’ai pris trop les médicaments ça va pas ça va pas! Mon docteur elle m’a regardé avec des yeux vides de poisson cru que j’ai pas aimé ça. Je lui ai dit poisson cru! POISSON CRU QUE JE DIS!

Elle m’a dit de calmer de mes nerfs de petit garçon qu’elle m’a traité de ce nom-là. Elle a dit c’est pas des billes jaunes pour la mémoire que je t’ai donné, c’est que du sucre. Que des bonbons!

Je comprends pas Rachel ce qu’elle m’a dit mon docteur que les médicaments c’était des billes de sucre jaune et que le temps allait me vieillir avec la mémoire qui allait revenir…

J’ai déjà goûté à des bonbons Rachel! Mon docteur elle me prend d’un stupide! Rachel est-ce que les billes jaunes tu les as avalées est-ce qu’elles goûtaient les bonbons pour de vrai?

J’ai dit MADAME TU M’AS DONNÉ DES BONBONS AU LIEU DE MA MÉMOIRE JE SAIS QUE TU DIS QUE J’AI PAS PERDU MA MÉMOIRE.

Je sais je l’ai perdue au fond de Rachel ma mémoire qu’elle me répond pas que le monde a jamais eu de mémoire et que la Noce-talgie est la preuve que je suis malade mais que mon docteur elle pense que ça va passer avec le temps qui fait vieillir
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MAIS MAINTENANT, EST-CE QUE JE POURRAIS D’EN AVOIR, DES VRAIS MÉDICAMENTS POUR MA MÉMOIRE!

10 avril 2007

L'Oiseau Ve Elle

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La complexité de cet oiseau qui s’envole par le ciel et remonte ses ailes sur l’horizon. La franchise avec laquelle il se déploie du violet des garçons vers le rose d’un soleil endormi, les ailes aussi longues que les nageoires des poissons. Énormes dans les océans.

L’insoupçonnable vérité de cet oiseau qui s’envole par les océans, les soirs d’été dans le jaune du ciel qui veille encore, tard. Les taches écarlates dérobées sous les pattes de cet oiseau. L’odeur de citron, mêlée à l’houblon d’un verre, cette odeur de paille sèche qui revient ramper jusqu’à terre.

L’incompréhensible sincérité de cet oiseau noir qui s’allonge, à plat ventre devant le soleil. Parmi les milliers de grains de sable dorés que Dieu a lancé sur l’horizon. Cet oiseau qui s’envole dans le rose d’un infini. Les yeux quasiment fermés.

Le mystère de cet oiseau qui bascule à son envol, lorsque le vent s’élève sous son ventre blanc et que disparaît le gris des nuages.

La grâce terrifiante des couleurs que cet oiseau éparpille sur les champs de maïs. Le flou avec lequel il étire ses contours noirs, pour obscurcir chaque explosion de jaune.

La délicatesse avec laquelle il éclate sur les courbes du vent. À l’ouest d’un orage qui se prépare.

Le sentiment de cet oiseau qui fuit les vagues des drapeaux noirs fichés dans les champs. Ce qu’il reste de jaune, à cet oiseau qui plane au-dessus des champs.

La fragile solitude de cet oiseau, devant les champs de son enfance, très loin. Son envol léger, mélancolique, au-dessus des masses de tourbe fraîche et de blé.

Le délire ardent de cet oiseau qui s’évade. Fuyant l’altitude de l’orage par d’étourdissantes couches de couleurs vives. D’énormes strates, déformées des nuages, qui défilent au rythme des ascensions de cet oiseau. L’orange des strates. Énormes dans le ciel.

Le chant vibrant de cet oiseau qui se dissipe dans l’angoisse. Son alarmante musique qui n’a jamais quitté la cime des arbres. La fanfare fiévreuse de ses pattes. L’orgue qui frôle ses ailes et les fait monter plus haut. Le piano qui glisse, derrière.

L’inexplicable couleur de cet oiseau noir dans la paille du ciel. Ce qu’il reste de l’ombre de sa silhouette dispersée, sur le jaune de l’ouest, alors que le violet recouvre l’est.

La force avec laquelle je crie à cet oiseau de ne pas partir. Le brun du ciel entre mes doigts. Quelques glaçons, au fond de ma gorge.

La force avec laquelle je crie à cet oiseau de revenir. Au violet de mon attente. Au sommeil ma peau.

La force avec laquelle je me plante dans ce champ. Enraciné dans le foin de mes bottes. Drapeau noir à la main. Près d’un marécage sur lequel le soir est tombé, vert foncé. Le bruit aigu des moustiques à la surface de l’eau.

La complexité de la vase dans laquelle je m’enfonce. La boue dans laquelle je crie à cet oiseau qu’il me revienne.

La boue dans laquelle je crie à cet oiseau qu’il me recolle les morceaux, de mes paysages violets. Que cet oiseau fasse tomber le vent. Qu’il fasse éclater le bleu de mon azur saccagé. De jaune et de noir.

L’évasion de cet oiseau, monté vers l’ocre de l’insomnie. La prunelle de ses yeux, juste avant que l’obscurité ne se resserre à l’horizon. Sa musique, d’une angoisse qui coule encore, sur les roches mouillées de ce champ. Plus haut pour que son amour se porte, des libellules jusqu’à moi.

L’amour complexe de cet oiseau qui s’envole par le futur de mon agonie. Le noir, sur l’immensité de l’horizon qui ne se perd pas. Les couleurs de cet oiseau que j’embrasse, avant que les terrains de mon enfance ne soient ravagés par le temps.

La complexité de cet oiseau qui retrouve les cris de mon enfance, sur les terrains que j’ai plongés dans l’infini du noir. Pour que nous ne fassions qu’un. Planté dans la nuit.

Les ailes noires de cet oiseau qui me reviennent, pour l’aplomb de l’univers.

Sous ses ailes, des étoiles pour lesquelles je m’évapore.
Énorme dans le ciel.

1 avril 2007

Tes draps vides à toi

Quelque chose se mêlait aux ligaments de ma parole…
Un énorme rocher roulait sur les parois de ma gorge…

Un énorme rocher traçait son chemin, de tout son poids, le bruit sourd du rocher, sur les parois de ma gorge, écrasait ma respiration jusqu’au sang de mes nerfs, jusqu’à la poussière de mes os.

Nostalgie.

J’avais dans la gorge une sorte de passé ravagé par le soir et le ciel tranché par l’horizon. Une sorte de fracture due à la chute de mes sentiments, du plus profond de ma naissance.

Une vague s’était détachée de mon passé, à l’horizon, destructrice dans le ciel, dans les fragments de la cime des arbres : le sentiment des morceaux de la lune, une lune en morceaux, des morceaux d’étoiles dispersés, les confettis de mon âme éparpillée sur les murs de l’appartement.

Les yeux avec les cernes déchirés jusqu’au menton, quelque chose à voir avec les morceaux invisibles, les doigts pleins de pouces; les doigts qui tombent, les doigts des marionnettes mal ficelées.

Ma gorge était un précipice sans fin, un énorme précipice aux lisses parois. Lisses comme les rochers dont les vagues s’occupent au bord de la mer.
.

Ma gorge était une flamme photographiée, arrêtée, attendant l’arrivée d’une respiration.
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Pour que Rachel sente le bruit du rocher, au fond de mes poumons, qu’elle le sente, de son roulement dans les cavernes de ma gorge…

Pour qu’elle me revienne en un morceau, avec le sourire, les longs soirs d’été, ses sourires qu’elle faisait remontrer jusqu’aux miens.

Ma gorge s’était agrandie en un gouffre plus profond, un océan vidé de son eau.

Le gouffre de panique, dehors, m’appelait. Quelque chose s’obstinait à tout ravager sur son passage, décidément, ne me laissant absolument rien, que le vide de quelques élans paranoïaques…

Mes oreilles chauffaient, brûlantes de quelque chose, attisées par un feu qui craignait tout de mon âme dissoute dans la mer, à l’horizon tranché par les arbres, à l’horizon…

J’avais l’esprit fort et l’âme fragile, le gouffre ouvert, à se demander à qui la victoire. À la force ou à la faiblesse… un gouffre dont le couloir d’accès était la gorge.

Draps vides. Dans le lit, tes draps vides à toi. Les draps paraissaient s’ennuyer de ton corps, partout, l’ennui de toi qui m’étourdissait, me chauffait les oreilles…

…jusqu’à l’ivresse de l’espoir qu’elle me revienne. Tôt ou tard…

Dans le noir de la solitude qui s’est échappé de ma mémoire, un parfum est sorti de son flacon, coulé dans mes draps nostalgiques, mouillé de ton odeur et de la mienne…

Et les draps se mouvaient par le sommeil, je dois avoir dormi longtemps, et les draps se retiraient sous mes orteils en une vague immense. Et les draps comme les montagnes dissoutes à l’horizon, tranchées par la mer et l’apocalypse, remontaient dans le creux de mon corps.

Le sommeil m’avalait, la gorge aussi grande que celle d’une baleine morte, j’entrais dans un gouffre dont je ne sortirais plus. Les flaques du parfum sur ma poitrine me transperçaient la gorge.

Les parois de ma gorge se sont brisées, éclatées par le gonflement de ton parfum.

Les flots m’ont emporté, loin du rivage…
Les flots ont fait de mon corps des miettes de poussières dans les draps...

Et je suivais les marrées de mes draps. Et je balançais dans le vide du sommeil, tantôt dans les coins profonds de la mer, tantôt jusqu’aux fragments de la lune.

Ma gorge continuait de tisser ses draps par-dessus le précipice du monde, des étoiles, de l’infini de l’horizon…
.

Dans l’espoir que tu me reviennes…
Dans l’espoir que je me revienne…
Le lendemain…

.



Dans mes poumons, les restants du parfum de la veille. Des morceaux de draps dans les yeux, déchirés jusqu’au menton.

J’étais aveugle…

Dehors, le jour avalé par la nuit. Je croyais dormir encore. Et la lune est tombée entre mes mains, et mes doigts sont tombés d’une chute terriblement sombre.

Le jour ravagé par l’horizon, en face, et je sentais quelque chose s’approcher.

Et je sentais une énorme vague noire tomber du ciel, emportant les débris des étoiles; pour m’ouvrir la gorge, atteindre le précipice…

Les draps nostalgiques

Rachel était partie une fin de semaine chez ses parents. Moi pas. Moi jamais. J’étais resté à l’appartement. Tout seul, tout seul, tout seul. Tout seul trois fois séparées par des virgules, j’avais quelque chose dans la gorge.
Une musique cruelle, Ocean of noise, d’Arcade Fire... si c’est ce que tu écoutais…

Au creux de l’intérieur, quelque chose se mêlait aux ligaments de ma parole. Un énorme rocher roulait sur les parois de ma gorge.

Un énorme rocher traçait son chemin, de tout son poids, le bruit sourd du rocher, sur les parois de ma gorge, écrasait ma respiration jusqu’au sang de mes nerfs, jusqu’à la poussière de mes os.

Nostalgie, j’avais dans la gorge une sorte de passé ravagé par le soir et le ciel tranché par l’horizon. Une sorte de fracture due à la chute de mes sentiments, du plus profond de ma naissance.

Une vague s’était détachée de mon passé, à l’horizon, destructrice dans le ciel, dans les fragments de la cime des arbres : le sentiment des morceaux de la lune, une lune en morceaux, des morceaux d’étoiles dispersés, les confettis de mon âme éparpillée sur les murs de l’appartement.

Les yeux avec les cernes déchirés jusqu’au menton, tout ça, ça avait quelque chose à voir avec les morceaux invisibles, ceux qu’on essaie de recoller avec ça d’épais de colle mais que ça ne vaut rien parce qu’on ne fait que les effriter encore plus. Les doigts pleins de pouces, les doigts qui tombent : les doigts des marionnettes mal ficelées.

Ces morceaux-là qui s’évadent et ne reviennent pas. Ceux-là qui glissent lentement, entre les doigts, qui s’échappent en tombant. Ceux-là qui échappent à absolument tout, même à la vérité.

Ma gorge était un précipice sans fin. Un énorme précipice aux lisses parois. Lisses comme les rochers dont les vagues s’occupent au bord de la mer.

Lisses comme la flamme d’une bougie sur une photo.

Ma gorge était une flamme photographiée, arrêtée, attendant l’arrivée d’une respiration.

« Il faut que je lui achète ça! »

J’avais vu dans une revue, sur une page publicitaire, l’image d’un parfum qui venait tout juste de sortir dans les magasins : « Il faut que je cours acheter le flacon de parfum, au plus vite, et l’offrir à Rachel pour quand elle va revenir à l’appartement. »

Pour qu’elle réalise toute la douleur avec laquelle j’avais attendu son retour. Pour qu’elle sente le bruit du rocher, au fond de mes poumons, qu’elle le sente, de son roulement dans les cavernes de ma gorge.

« Je prends l’auto. Arrive au magasin. La madame vendeuse, super petite genre trente centimètres carrés ouais, même pas en trois dimensions la fille, me dit qu’avec ce parfum-là une femme peut faire tourner les têtes quelque chose de rare, qu’avec ce parfum-là, on peut séduire n’importe quoi.

Sur le coup la vendeuse m’a fait peur mais, après avoir acheté le flacon, me suis convaincu que j’avais fait la bonne affaire. Oui c’est sûr, t’as pas de raison d’avoir peur… t’as fait la bonne affaire…
»

Pour que Rachel me revienne en un morceau, avec le sourire, les longs soirs d’été, ses sourires qu’elle faisait remontrer jusqu’aux miens.

« Reviens du magasin avec le parfum, rentre dans l’appartement vide, me mets à peindre. Parfum tient tout seul dans son flacon...

Je peins, jusqu’à trois heures du matin, l’autoportrait d’une femme qui n’est pourtant pas moi; me noie dans une paranoïa, sur les parois de ma gorge, et les murs, avec les femmes qui s’en dégagent… »

Ma gorge s’était agrandie en un gouffre plus profond. J’étais un océan vidé de son eau. Le gouffre de panique, dehors, m’appelait. Quelque chose s’obstinait à tout ravager sur son passage, décidément, ne me laissant absolument rien, que le vide de quelques élans paranoïaques.

« Dois aller dormir… Il faut que tu dormesÇa te sert à quoi de rester là… »

Mes oreilles chauffaient, brûlantes de quelque chose, attisées par un feu dévastateur. Un feu qui craignait tout de mon âme dissoute dans la mer, à l’horizon tranché par les arbres, à l’horizon.

J’avais l’esprit fort et l’âme fragile, le gouffre ouvert, à se demander à qui la victoire. À la force ou à la faiblesse. Un gouffre dont le couloir d’accès était la gorge.

« Rachel va revenir demain matinTu peux pas te permettre qu’elle te trouve là, en train de paranoïer, noyé dans les visions invisibles, ou pire encore, qu’elle me trouve en cendres. Consumé sur une chaise… Il faut que tu ailles dormir… »

Draps vides. Dans le lit, tes draps vides à toi. Les draps paraissaient s’ennuyer de ton corps, partout, l’ennui de toi qui m’étourdissait, me chauffait les oreilles.

« T’arriveras pas à t’endormirMais si j’arrosais les draps, un peu de parfum, du parfum que je t’ai acheté, et si je m’arrosais moi aussi, peut-être je chaufferais moins et… Peut-être tu sentirais son parfum, son parfum exprès pour elle, mêlé au mien... »

Je ne m’aspergeais que de quelques gouttes de parfum du magasin, dans un lit dévasté par l’absence, pour précipiter le retour de Rachel.

Pour la sentir près de moi, à nouveau, pour que le nouveau parfum m’enivre, jusqu’à l’ivresse de l’espoir qu’elle me revienne. Tôt ou tard.

Je dois avoir dormi longtemps dans le noir terrible de la chambre. Dans le noir de la solitude qui s’est échappé de ma mémoire, et le parfum sorti de son flacon, coulé dans mes draps nostalgiques, mouillé de ton odeur et de la mienne.

Et les draps se mouvaient par le sommeil, je dois avoir dormi longtemps, et les draps se retiraient sous mes orteils en une vague immense. Et les draps comme les montagnes dissoutes à l’horizon, tranchées par la mer et l’apocalypse, remontaient dans le creux de mon corps.

Le sommeil m’avalait, la gorge aussi grande que celle d’une baleine morte, j’entrais dans un gouffre dont je ne sortirais plus. Les flaques du parfum sur ma poitrine me transperçaient la gorge.

L’odeur d’un parfum que j’imaginais être de toi m’entrait jusque dans la gorge et faisait déraper le rocher qui roulait sur les parois. Les parois de mon gouffre.

En peu de temps, les parois de ma gorge se sont brisées, éclatées par le gonflement de ton parfum. Les flots m’ont emporté, loin du rivage. Les flots ont fait de mon corps des miettes de poussières dans les draps.

Et je suivais les marrées de mes draps. Et je balançais dans le vide du sommeil, tantôt dans les coins profonds de la mer, tantôt jusqu’aux fragments de la lune.

Ma gorge s’était fait avaler par le parfum du sommeil, mais elle continuait à tisser ses draps par-dessus le précipice du monde, des étoiles et de l’infini de l’horizon.

Dans l’espoir que tu me reviennes…
Dans l’espoir que je me revienne…
Le lendemain…

« Tu dors encore? Lève-toi! Merde. Rachel doit être revenue de chez ses parents plus tôt que prévu. Ça sent le parfum de Rachel, celui que tu voulais lui donner, c’est plein les draps. On n’a pas le temps de laver les draps, dépêche-toi, lève-toi! »

Dans mes poumons, les restants du parfum de la veille. Des morceaux de draps dans les yeux, déchirés jusqu’au menton.

J’étais aveugle. Tout seul, tout seul, tout seul, et aveugle.

« Oui, je suis revenue plus tôt que prévu. Tu sais, les autobus, faut pas prendre de chance. Qu’est-ce que ça sent? Je sais pas. Ah, oui, je t’ai acheté un cadeau!

Sors du lit avant de lui donner… Ça paraîtra mieux… Tant pis, elle me questionne déjà à propos de l’odeur…

Ça sent le parfum de fille. Avec qui t’as couché?!

Personne… C’est ton parfum. Laisse-moi aller le chercher! Merde, il est où le flacon, il est où… Tu t’es perdu, un peu, cette nuit… T’aurais dû laver les draps… Ça sent le parfum de fille! Toi-même, tu sens le parfum de fille!

Je sais pas… Je sais pas…

Je pars une fin de semaine, et tu trouves le moyen de coucher avec une autre! Merde! Con! Non! Tu comprends pas! Le parfum est à toi! C’est ça, que je voulais t’offrir! Il est à toi! Mais je le trouve pas!
Merde, tu me racontes des histoires! Tu dis n’importe quoi! Tu me prends pour quoi? J’aurais jamais dû revenir ici… Jamais... J’aurais dû laver les draps… Me convaincre de pas acheter le parfum…

Ta voix, qu’est-ce qu’elle a, pour que t’aies autant de misère à sortir un son de là-dedans, t’as dû fêter fort hier. Avec qui. Avec moi. Avec toi. J’étais même pas là! Moi oui! Je m’excuse. J’ai voulu que tu me reviennes… Rachel, j’avais peur…

J’y pense. C’est toi qui m’a trompé, con, sors de la chambre. Je vais laver les draps et toi, tu sors d’ici. Trouve-toi un autre appartement.

Trouve-toi un autre appartement, voilà, c’est ta faute tout ça. Ta faute si elle te manquait. Et la nostalgie, ce que ça peut faire… Mais je l’aime encore, et moi aussi, mais il faut décamper au plus vite. Avant qu’elle se décide à tout brûler! »

Dehors, le jour avalé par la nuit. Je croyais dormir encore. Et la lune est tombée entre mes mains, et mes doigts sont tombés d’une chute dramatique.

Le jour ravagé par l’horizon, en face, et je sentais quelque chose s’approcher. Et je sentais une énorme vague noire tomber du ciel, emportant les débris des étoiles; pour m’ouvrir la gorge, atteindre le précipice.