23 janvier 2007

Kamikaze

Que serait-il arrivé si on m’avait assassiné à l’âge de huit ans?

Probablement que mon père aurait reçu un million de dollars ou deux, parce que c’est ainsi : les avocats et les chercheurs ont analysé la situation d’aujourd’hui. Ils en sont venus à étiqueter la vie des êtres humains au point d’en donner une valeur monétaire. On peut savoir qu’un individu vaut tant, alors qu’un autre vaut tant. À huit ans, je devais valoir pas loin d’un million. Ainsi, si j’étais mort à cause de l’incompétence d’un médecin lors d’une opération, par exemple, on aurait sûrement versé un montant compensatoire à mon pauvre père. Vu l’injustice flagrante, les médecins auraient payé pour leurs fautes, et c’est pareil que lors d’une contravention, lors d’une amende… On paie et on paie.

Les façons de corriger ces injustices n’ont pourtant pas toujours été liées à l’argent : il n’y a pas si longtemps, alors que la religion occupait la place du pouvoir (cette même place que l’argent occupe aujourd’hui), il n’y avait pas plus grande peine concevable que celle de l’excommunication. Toute personne qui corrompait les dogmes de l’époque se voyait alors perdre l’indispensable : la religion.

Plus tard, dans les années 50 au Québec, on remarque une autre façon de procéder : lorsqu’un individu commet un acte inacceptable aux yeux de la société (tel que l’avortement), on le pointe sévèrement du doigt afin que sa réputation soit à jamais salie…

Ce qu’il faut comprendre, c’est que, depuis toujours, on punit les gens d’une seule manière : en leur retirant toute chose qui nous semble indispensable (argent, religion, réputation, etc.).

Un problème s’impose toutefois. Que fait-on d’un être pour qui « l’indispensable » est de commettre le crime qui l’habite, et ce, à n’importe quel prix? Dans ce cas, même la peine de mort ne parviendrait pas à empêcher l’action, car si les désirs sont plus grands que les conséquences qui s’ensuivent, le risque de perdre la vie n’est pas un risque, il est sacrifice. C’est alors qu’apparaissent les kamikazes.

Il est malheureux que certains pays perçoivent le sacrifice de l’autre comme une faute. Il n’est pas toujours évident de voir l’indispensable dans de telles violences. De là l’absurdité du pays qui tente de convaincre l’autre d’agir pacifiquement : « Si vous nous faites la guerre, dit le pays, nous vous punirons en conséquence. Et la seule punition que nous voyons à ce jour, c’est celle de vous faire la guerre. »

Et voilà que ce pays attaque l’autre, car bien qu’il y ait le risque de se détruire, le sacrifice en vaut toujours le coup, des deux côtés : le besoin d’attaquer l’autre devient alors plus grand que le risque de tout perdre.

Et à ceux qui manifestent dans la rue, avec les pancartes et les chansons, à ceux qui manifestent contre la guerre, je dis : « Pauvres acharnés, la guerre n’est pas de ces choses qui s’éteignent! Il s’agit là de choses éternelles! »

Il s’agit là d’un dépassement de la raison! À vous qui manifestez, je dirais que vous aussi, vos désirs sont plus grands que réalité!

Et pour vous prouver que la guerre ne doit pas être éteinte et qu’elle est une chose belle, voici l’indissociable.

Supposons que je suis amoureux d’une jeune fille qui, elle, est en couple avec un autre garçon. La fille n’est pas libre, mais je la désire tant que j’en rêve jour et nuit. Mon amour pour elle me ronge horriblement et me fait affreusement mal. Un jour, inévitablement, je me risque à aller la voir pour lui avouer mon amour : par le fait même, je déclare la guerre et deviens le rival de son compagnon. Mais, avouez que, vous aussi, vous m’auriez suggéré d’avouer mon amour, qu’il y ait ou non un autre garçon dans le décor!

J’agis en véritable kamikaze. Je risque une guerre, mais comment pouvez-vous croire qu’il s’agit là d’une mauvaise chose? Comment auriez-vous pu dire qu’il valait mieux que je me laisse abattre par les conséquences de ma déclaration d’amour, et que je ne fasse rien? Je sais très bien que je risque de pleurer si elle ne m’aime pas. Plus encore, je risque de me suicider! Mais, je sais aussi qu’elle m’aimera peut-être elle aussi, et, qu’ainsi, ce sera son compagnon qui subira la défaite.

Vous avouerez que tout sentiment devait être avoué d’une façon ou d’une autre. Et qui sait quelles conséquences, encore pires, auraient découlé du fait d’avoir refoulé mes pulsions les plus humaines!

Vous avouerez donc que la guerre est aussi nécessaire. À ceux qui tentent de tuer la guerre, je réponds : vous tentez de tuer l’indispensable. Il n’y a heureusement aucune logique, aucune raison qui puisse mettre fin aux désordres les plus humains et les plus profonds.

Enfin, vous avouerez que, s’il n’y avait plus de guerre, c’est qu’il n’y aurait plus d’amour non plus, ou, du moins : c’est qu’il n’y aurait plus de désir dans l’amour. Alors, préférez-vous qu’on nous règle comme des machines bien-pensantes? C’est ce que vous me laissez entendre, et c’est une solution qui, je crois, n’en est pas une.

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