21 février 2009

Tu n'as jamais lu de texte meilleur que celui-là



I

Tu es devant ton ordinateur et tu t’apprêtes à lire le nouveau texte de William Drouin. Tu as lu d’autres textes du même auteur, mais tu te souviens plus précisément d’un texte qui avait su te faire rire. Tu te demandes si celui-ci aura le même effet. Tout ce que tu peux dire, à présent, c’est que le narrateur semble te parler directement. Mais tu refuses de croire qu’il puisse te parler à toi exactement, car il ne t’a jamais nommé.

Tu avais du temps devant toi, alors tu as commencé la lecture de ce texte dont le titre avait piqué ta curiosité. Tu as d’abord fait défiler le texte rapidement pour connaître sa longueur. As-tu beaucoup de temps devant toi? Tu es une personne occupée. Tu penses à ce que tu devrais faire au lieu de lire ce texte. Dormir, peut-être... Tu manques de sommeil. Tu le sais. Tu devrais faire une sieste. Tu le dis souvent, mais tu le fais rarement.

Tu es sur ta chaise, devant ton ordinateur. Tu as pensé à ton lit parce que tu as lu le mot dormir, et maintenant, tu te demandes si tu es réellement confortable sur cette chaise. Tu pourrais garder ton dos appuyé contre le dossier, mais cette posture éloigne tes yeux de l’écran. Tu pourrais te rapprocher de l’écran, mais tu détestes avoir le dos courbé. Cela dit, tu es absolument libre d’adopter la position qui te plaît. De même que tu es libre de lire cela ou de ne pas lire cela. Et cette liberté te fait soudainement sourire.

II

Tu t’es rendu sur le blog de William Drouin après avoir vérifié tes messages sur Facebook. Tu espérais qu’il y ait du nouveau. Une invitation, un spectacle. Quelqu’un d’intéressant aurait pu t’écrire. T’inviter à sortir. Ta meilleure amie aurait pu t’annoncer qu’elle a quitté son petit ami. Ou mieux encore, un ami d’enfance que tu n’avais pas revu depuis le primaire aurait pu te contacter. Et cet ami d’enfance aurait pu être ton âme-soeur. Tu aurais pu être sympathique et répondre à son message. Il aurait pu te récrire, te raconter que l’amour c’est de la merde, mais qu’avec toi c’est différent, et que c’est pour ça qu’il a imprimé tes photos et qu’il les a collées sur tous les murs de sa chambre.

Mais non, rien de tout cela n’est arrivé. Personne ne t’a écrit. Tu te dis que tu détestes Facebook et que tu devrais cesser d’y aller. De même que tu devrais supprimer ton adresse e-mail. Couper tout contact avec la société. Partir en forêt. Voyager pendant un mois ou deux. Mais tu ne le fais pas. Tu le dis, mais tu ne le fais pas. Et tu penses à toutes ces choses que tu as dites mais que tu n’as jamais faites. 

Tu es devant ton ordinateur et tu réalises que l’écran aurait besoin d’être lavé. Et tu le réalises parce que tu as lu que tu le réalisais. Quand as-tu lavé le clavier et l’écran pour la dernière fois? Tu ne t’en souviens pas. C’est signe qu’il serait temps de le faire. Mais tu ne le feras pas avant d’avoir terminé ta lecture. Tu remets alors la corvée à plus tard. Comme tu le fais toujours d’ailleurs. Et tu sais très bien qu’après avoir lu ce texte, tu ne laveras pas ton écran. Tu n’as tout simplement pas envie de le faire.

III

Tu ne comprends toujours pas en quoi le titre de ce texte est représentatif de ce que tu lis. Tu n’es pas convaincue que ce texte puisse être le meilleur que tu aies lu. Tu es sceptique et tu as raison de l’être. Tu as lu plusieurs livres avant de t’attaquer à ce texte. Tu connais plusieurs auteurs très connus, dont St-Exupéry, Camus, Sartre, Nothomb... ainsi que l’auteur de L’accro du shopping dont tu as oublié le nom. Tu as entendu parler de Balzac, Flaubert, Proust, et tu ne vois pas comment ce texte pourrait surpasser ceux-là. Tu te dis qu’avec ce titre, l’auteur ne manque pas de culot. Et tu dis cela parce que tu as lu que tu te disais cela.

Tu te dis que tu pourrais toi-même écrire un texte qui porterait le même titre. Le tien serait totalement différent. Et peut-être meilleur que celui-là. Tu dis que tu le feras. Tu en écriras un. Tu le dis, mais tu ne le fais pas. Tu ne sais pas quoi écrire. Tu n’as pas d’idées. Tu manques d’inspiration. Et parfois, tu dis carrément n’avoir aucun talent pour l’écriture. Mais tu gardes le moral. Tu te trouves un autre talent. Tu ne chantes pas si mal. Et tu sais dessiner. 

Tu te dis aussi que si tu es le personnage principal de ce texte, ça doit être parce qu’il y a chez toi quelque chose d’intéressant. Et d’une certaine façon, sans toi, il n’y aurait pas de texte. Tu es donc indispensable. Tu es flattée de lire cela. Et tu es flattée parce que tu viens de lire que tu l’étais, mais aussi parce que tu l’es vraiment.

Cela te rend heureuse. Tu es heureuse. En tout cas, tu as lu que tu l’étais - ou que tu devrais l’être. Et tu tentes de l’être. Mais quand tu l’es, tu souhaites toujours l’être davantage. Tu te dis alors que tu pourrais faire jouer la chanson que tu ne cesses d’écouter ces temps-ci. Cette chanson te rend un peu plus heureuse chaque fois que tu l’écoutes. Tu interromps alors ta lecture pour double-cliquer sur le titre de la chanson que tu aimes.

IV

Tu poursuis ta lecture, mais tu as déjà hâte au deuxième couplet. Tu aimes particulièrement ce couplet. Et si tu l’aimes, c’est parce que tu aimes chanter par-dessus. Mais c’est aussi parce que, lorsque tu l’écoutes, tu penses à une personne que tu aimes, et cela te rend doublement heureuse. Tu essaies d’oublier le fait que cette personne ne t’a pas écrit sur Facebook. Tu aurais aimé un mot de sa part. Tu pourrais être triste de ne pas en avoir reçu, mais le texte que tu lis parvient à te divertir suffisamment pour ne plus y penser. Tu te dis alors que tu devrais en remercier l’auteur. Tu pourrais lui laisser un commentaire : Merci de m’avoir changer les idées.

Voilà. Tu laisseras un commentaire. Tu veux le faire. Tu dis que tu le feras. Mais tu ne le fais pas. Tu préfères le faire une fois que tu auras lu texte en entier.

Si tu sentais ce matin que tu allais nous faire une petite dépression, cette dépression s’est complètement dissipée. Tu es loin de la crise. Tu ne paniqueras pas aujourd’hui. Tu ne pleureras pas. Et tu t’en réjouis. Tu penses aux fois où tu as beaucoup pleuré. Tu y penses parce que tu as lu que tu y pensais. Mais pourquoi avais-tu pleuré? Tu ne t’en souviens pas. Et puis, oui, ça te revient. Tu étais triste. Voilà. C’est tout. Tu n’as pas envie d’en parler davantage. 

Tu te dis parfois qu’il te faudrait parler davantage des peines que tu as vécues : cette journée où tu es restée sans voix, humiliée devant telle personne ; cette fois où ta meilleure amie t’a laissé tombé pour de bon ; toutes ces petites fois désagréables où ça n’allait pas entre papa et maman. Mais tu ne le fais pas. Tu fais comme si ces choses n’avaient jamais existé. Parfois, tu as peur que toutes ces émotions refoulées se changent en folie. On t’enfermerait. Et tu n’aimes pas être enfermée. Puis tu te compares à d’autres. Et tu te consoles.

De toute façon, aujourd’hui, ta peine te semble absurde. Tu ne veux pas y penser. Tu te dis que ta peine n’intéresse personne. Ça peut intéresser tes meilleurs amis, peut-être, mais tu ne vois pas l’intérêt de raconter à n’importe qui les pires histoires qui te soient arrivées. Tu les a déjà racontées, une fois ou deux, mais il te paraît inutile de les répéter chaque fois que tu fais une nouvelle rencontre. Tu préfères faire semblant que tu as toujours plus ou moins tout contrôlé. Que les obstacles que tu as surmontés, ils n’ont existé que pour faire de toi la personne mature que tu es.

Tu lis cette description en te demandant si elle te convient, ou si l’auteur a tout faux. Tu sais pourtant que ce texte n’a pas été écrit spécialement pour toi. Tu n’es pas naïve. Mais tu serais ravie que l’auteur ait écrit ce texte spécialement pour toi. Tu aimerais y croire. Mais tu es incapable d’y croire.

Es-tu certaine que l’auteur n’a pas écrit tout cela en pensant à toi? Peut-être t’a-t-il récemment croisée, et d’un bref regard, a-t-il su capter ce que tu voulais lire? Il s’est inspiré de ce qu’il savait de ta vie, et il a construit ce texte. Un texte qui te plaît beaucoup, mais dans lequel une phrase te tracasse toujours : « Tu le dis, mais tu ne le fais pas. » Pourquoi l’auteur répète-t-il si souvent que tu ne fais pas ce que tu dis? Tu ne lui as pourtant jamais fait de promesses...

Tu détestes quand les gens s’en prennent ainsi à toi sans raison. Tu es très bien capable de faire ce que tu dis. Quand tu dis que tu feras quelque chose, c’est parce que tu as l’intention de le faire! Allons donc! Tu ne mens pas! Tu n’es pas hypocrite! Et l’expression « Grand parleur - p’tit faiseur », ça ne colle pas à ta personnalité. 

Tu te dis alors que tu pourrais écrire un commentaire qui exprimerait ton mécontentement : Au début, je m’identifiais vraiment à ton personnage... Mais à la fin, t’as tout gâché avec ta phrase que tu répètes tout le temps. C’est décevant... tu me connais très mal! 

Et puis non, tu n’écris rien. Tu ne le fais pas. Tu le dis, mais tu ne le fais pas.

Tu n’arrives pas à croire que l’auteur puisse répéter encore cette stupide phrase. Tu l’as si souvent lue qu’elle ne te fait ni chaud ni froid. Et puis tu te dis que l’auteur se moque de toi. Et ça ne t’étonne pas. Il adore se moquer de ses lecteurs.

V

Tu sais que la fin du texte approche. Et ton regard se braque sur le lien par lequel on laisse un commentaire à l’auteur. Tu ne sais toujours pas quel commentaire laisser. Si tu devais en laisser un, ça ne serait rien de bien méchant. Tu comprends sa moquerie. Mais tu aimerais lui faire savoir que toi aussi, tu es capable de te moquer.

Tous les commentaires qui te viennent à l’esprit sont soit trop ridicules, soit trop sérieux. Tu en cherches un qui soit parfait. Tu te dis que tu manques encore d’inspiration et que, décidément, tu n’as aucun talent pour l’écriture. 

Et puis ça y est. Eurêka. Tu as trouvé quelque chose. C’est comme si l’auteur lui-même t’avait aidé à trouver ton commentaire. Tu te dis que tu lui écriras : Je n’ai jamais lu de texte meilleur que celui-là! 

Tu te dis que tu le feras. Et tu le feras.

16 février 2009

Comme disent les lapins



Je pensais à moi, seul, assis là, sur une chaise de l’endroit. Je pensais juste à moi. Je pensais à moi qui pensais à moi qui pensais être moi pensant. À moi, seul, assis là. Et comme je me disais que je pensais un peu trop à moi, elle est arrivée et ça m’a fait autre chose à penser. 

Elle est arrivée comme une limonade sans sucre. Rien qu’à la voir j’ai grimacé. Moi je buvais une bière. C’était ma troisième. La troisième bière de mon quatrième pichet. Et je pensais à moi. Je me disais que j’aurais beaucoup plus de plaisir si les filles qui me parlent jamais disparaissaient. Les filles qui me parlent pas elles m’emmerdent. Elles sont comme des plantes vertes. Elles boivent juste de l’eau. Et puis elles sont comme les enfants. La drogue elles touchent pas à ça. J’ai dit hocus pocus. Comme disent les lapins. Et en pensant lapin, j’ai pensé chapeau. Et en pensant chapeau, j’ai pensé chapeau. Et elle s’est approchée de moi et ça m’a fait autre chose à penser.

Elle s’est approchée comme une strip-teaseuse toute habillée. Je lui ai donné dix dollars. Mais c’était pas parce qu’elle bougeait bien. C’était pour un autre pichet. Un autre pichet pour moi. Je la regardais se débrouiller au bar. Elle était comme la lune. Des fois je la voyais qu’à moitié. Surtout quand je clignais de l’oeil. Et j’étais encore tout seul. Assis là. Entouré de tous mes amis que j’aime pas. Et j’avais rien à leur dire. Sauf leur dire rien. Alors j’ai pensé à moi. Et elle est revenue avec le pichet et ça m’a fait autre chose à penser.

Elle est revenue comme un ange. En tuant personne. Je lui ai dit t’es comme une fleur. T’as des pétales. Et elle a voulu que j’arrête de boire. Et j’ai dit je suis d’accord. Tu peux boire toi aussi. Elle m’a dit mon petit ami m’a quitté. Je lui ai demandé pourquoi elle l’avait quitté. On s’est battu. Rien que des petites tapes. Rien qui fasse saigner. Mais quand même ça a effrayé les gens. Ils se sont éloignés. Et j’ai dit à cause de toi je me retrouve encore tout seul. Elle a essuyé le sang qu’elle avait sur la gueule et m’a dit tu penses juste à toi. J’ai dit c’est pas vrai. Des fois je réfléchis. Et j’ai pensé à elle qui disait que je pensais juste à moi et ça m’a fait autre chose à penser.

Elle m’a embrassé comme une éponge. En caressant un peu le plancher. Et moi je l’ai embrassé comme une seringue. Je m’étais pas rasé. Je lui ai demandé son nom. Elle m’a dit tu peux me demander mon numéro de téléphone. Alors j’ai eu son adresse. Elle m’a demandé quand est-ce qu’on se revoit. J’ai dit je vais t’appeler dans trois jours. Alors j’ai pensé à moi avec un téléphone dans les mains. J’ai pensé à moi qui devais absolument l’appeler. Et j’ai pensé merde, il faut que je l’appelle et ça m’a fait autre chose à penser.

Elle a retourné mon appel le lendemain. J’ai dit ça fait trois jours que je pense à toi. Et j’ai pensé à elle qui pensait peut-être à elle, ou à moi, qui pensais à elle ou à moi, ou à elle qui pensait que je pensais pas à elle mais qui pensait que penser lui donne mal à la tête. Elle a dit moi aussi je pense à toi depuis qu’on se connaît, depuis hier. J’ai dit quoi, à qui tu pensais les deux jours d’avant? Elle a dit à rien. Rien... Ça... Rien... Du coup ça m’a fait penser à rien.

13 février 2009

Acrostiche

C’était une salope à qui j’ai dit :
Halte là! Touche-moi pas!
Avec tes gros yeux vides
Retourne chez toi
Lâche-moi et si tu veux baiser
Ou faire autre chose
Tu y arriveras pas
T’es pas mon style
Et la salope est partie et j’ai dit :

Grosse salope va!
Assez parlé! J’ai une petite amie
Une vraie fille qui ferait jamais ça
Toucher n’importe qui
Il faut toujours la supplier d'ailleurs
Et toute la nuit je l’adore et lui dis :
Rendors-toi pas! Touche-moi!

11 février 2009

Le cheval de mer


I

Y avait sur l’océan de gros bateaux larges comme ça, avec de la tôle en morceaux, et des fumées très noires, comme du temps des chemin de fer crasseux, et les bateaux qui transportaient des cargaisons un peu mystérieuses. Le bateau dans lequel j’étais servait à transporter des caisses de légumes vers les pays, rien de méchant. On voulait pas la guerre et ce qu’on avait, nous, c’était principalement des carottes et des pommes de terre. 

C’était mon travail de me faire transporter comme ça. Faut dire, c’était facile mais pas payé cher. Souvent après le voyage c’était la mort pour plusieurs. Je détestais mon travail. Faut dire, on fait pas ce qu’on veut. Ni, on est pas ce qu’on veut non plus. J’étais toujours avec les légumes et je déteste les légumes. Je préfère les fruits. Mais y avait pas de fruits. 

Y avait les amis et on se tenait compagnie dans le bateau. On se moquait des origines, de la couleur de notre peau qui était brune ou jaune ou blanche, faut dire, parfois rouge mais c’était rare parce que les amérindiens, chez nous, ça existe pas.

Y en a eu un, quand même, peau rouge, qui a débordé dans la cave. Il est arrivé en craquant le bois. Il a ouvert sa caisse. Et on a vu des pommes de terre sortir. Au début elles sortaient, mais après elles explosaient. Nous, on avait les peaux un peu brunes toutes impressionnées de voir la peau rouge faire des ravages. Je dis ça, parce que c’est peut-être à cause de lui, le rouge et le manque d’attention et que tout s’est mis à branler dans la cave. 

Des morceaux de tôle et ça n’a pas pris de temps que notre bateau s’est changé en épave. Et la fumée très noire sur le dessus de l’océan. Moi j’ai coulé comme les autres et j’ai perdu de vue. J’ai perdu connaissance. Je suis tombé dans les pommes comme de la musique très loin et très creux. De la sourdine et j’ai vu ma vie qui défilait. Mais ça n’était pas intéressant.

Y avait le fond de l’eau. Et nos peaux qui étaient devenues bleues ou vertes. Et mes amis qui avaient arrêté de se moquer. Ils faisaient plus rien sauf être morts comme de la poutine. Moi il me restait encore un peu de temps. Et moi même si je meurs je me moque quand même, ça m’empêche pas, parce que c’est ce que je préfère.

J’ai cherché des yeux pour me moquer. Y avait la carcasse pas vivante et les boulons de la cave avec les caisses qui voulaient presque flotter mais refusaient de. Et y a eu l’hippocampe.

II

Y avait cet hippocampe sur une roche. Il était bébé parce qu’il était vraiment bébé. Il répétait à peu près les mêmes mots, monté sur la roche. Il se mettait à m’énerver parce qu’il parlait avec l’écho des océans pleins de coraux qui écorchaient comme sa voix :

- Je suis un cheval de mer! Je suis un cheval de mer! qu’il disait en se dandinant sur la roche et il imitait très mal le galop d’un vrai cheval.

Je le regardais avec tout ce que je bougeais pas dans la poussière de mon épave. Il était flou. Un peu plus il était invisible. Et il galopait très mal :

- Arrête de dire que t’es un cheval de mer, j’ai dit. Tu peux pas dire que t’es un cheval. T’as pas le droit. Si tu peux pas galoper avec les sabots que t’as pas, avec la crinière que t’as pas, arrête de dire que t’es un cheval! 

Et puis il hennissait très mal :

- Hi Han! Hi Han! Mais je suis vraiment un cheval! Je suis un cheval! qu’il s’entêtait à dire. 

- Ouais, c’est ça... Si t’es un cheval, moi je suis une patate...

- Mais oui, qu’il dit. C’est ce que tu es... Hi Han! Hi Han! Une patate!

C’est vrai, j’avais oublié ma peau un peu brune et puis un peu rougie je lui ai accordé son statut de cheval, gentiment, parce qu’y paraît, les chevaux ça aime beaucoup les patates.

III

- Bon d’accord le cheval, j’ai dit. Je veux pas finir poutine. Et je veux encore moins finir noyé. La peau ratatinée, c’est amusant pour les frites, mais pas pour les patates encore toutes rondes. Alors prouve-moi que t’es un cheval et tire-moi de là!

Il a encore henni comme un âne. Il arrêtait pas et j’ai eu envie de rire mais j’ai pas ri. Il a enroulé sa queue en spirale autour de ma pelure. Il a tiré. Il hennissait parce qu’il forçait beaucoup et il m’a ramené à la surface de l’eau comme un étalon et un peu plus je l’aimais.

Y avait le soleil dehors dans du ciel bleu. C’était la catastrophe mais tout brillait comme si c’était le jardin. 

- Tu sais ce qu’ils aiment manger les chevaux? j’ai demandé à l’hippocampe. 

- Des patates. Hi...

- Han! Non! j’ai dit. Ils détestent ça les patates. Ça goûte la terre. Et les chevaux font caca sur la terre. C’est dégueulasse. Les chevaux ils aiment les carottes. 

- Je veux pas ce qui goûte les crottes.

- Les carottes. Pas les crottes. Et je sais où y en a plein de carottes. C’est sur la terre. La terre ferme.

- À la ferme. Hi! Han!

- ...Oui, bon d’accord, si tu veux. À la ferme...

IV

Les petits bourrelets de l’eau sur le dos de mon hippocampe et il avait faim alors il nageait très vite. Je me foutais bien qu’il aime les carottes ou pas. Je voulais qu’il me ramène sur la terre ferme. 

Il transportait très bien, très confortable. J’étais dans le creux de sa spirale de queue et je racontais ce que je savais des chevaux. Ils dorment debout. Ils regardent de travers. Mon hippocampe regardait aussi de travers, il faut le dire l’effrayant, j’avais peur qu’il fonce dans les icebergs. S’il y avait eu des icebergs.

Je l’ai guidé comme sur un chariot. Et à la plage. Accostés comme deux naufrages. Et après la plage, c’était le terrain gazonné. Le carré de terre. J’ai dit c’est un jardin. J’ai dit c’est une ferme. 

Mon hippocampe a cherché des chevaux mais y avait pas de chevaux. Et j’ai vu la cage avec les grillages et j’ai eu envie de rire mais je sais pas si j’ai ri. J’ai pointé un petit lapin et j’ai dit :

- Voilà ce que c’est! Un cheval! Un vrai!... Comme toi! Tu vois ce qu’il mange? C’est une carotte!

- Un cheval, qu’il a dit. C’est blanc. C’est petit. Et les oreilles...

- Quoi les oreilles? Qu’est-ce qu’elles ont ses oreilles elles sont bien ses oreilles. Non?

- Je ressemble pas à ça.

- Mais oui que tu ressembles à ça! Pourquoi tu te déçois. Tu veux une carotte? 

Et mon hippocampe s’est senti mal et j’ai cru que c’était mon lapin qui lui donnait le mal de coeur mais c’était autre chose parce que l’hippocampe a étouffé. Il manquait d’eau parce que les hippocampes ça vit dans les eaux. Pas dans les airs. Et moi j’étais gorgé.

Il est tombé et moi je suis monté dans la cime d’un arbre pour me moquer. Je moquais beaucoup et la musique jouait creuse dans les trous d’oreilles de l’hippocampe. J’étais flou sur la branche. Je me suis senti invisible avec mon écho de voix :

- Je suis une pomme de terre! Je suis une pomme de terre! que je disais en me dandinant sur la branche.

L’hippocampe-cheval-de-mer a retrouvé sa voix et il me regardait très immobile :

- Arrête de dire que t’es une pomme de terre... qu’il m’a dit mourant. Tu peux pas dire que t’es une pomme... T’as pas le droit. Si tu peux pas tomber des arbres avec la pelure verte que t’as pas, avec la petite tige que t’as pas... Arrête de dire que t’es une pomme! 

Et puis je chantais très bien dans l’arbre en dansant avec le vent :

- Hiou! Hiou! Mais je suis vraiment une pomme! Je suis une pomme!

- Si t’es une pomme, moi je suis un hippocampe...

- Mais oui, que j’ai dit. C’est ce que t’es... Hiou! Hiou! Un hippocampe!

V

L’hippocampe m’a accordé le titre de la pomme. Et je l’ai tiré de là. J’essayais de le transporter jusqu’à l’eau il a dit je veux pas de l’eau, j’ai faim! Et c’était vrai parce qu’il avait pas voulu de ma carotte. Alors il mourait de faim.

- Tu veux manger quoi? je lui ai demandé.

- Je veux des crevettes...

- C’est quoi une crevette?

- C’est un fruit de mer! qu’il me dit.

J’ai regardé mon hippocampe. Il m’a regardé aussi. On s’est demandé. Un fruit de mer? Et là, je me suis dit il faut que je lui parle, à cette stupide crevette qui se prend pour un fruit...

À Charlotte

9 février 2009

Carnets de Luc Harnais III

XVI


Sylia parut triste au téléphone. C’était le festival des regards tristes. Je dis cela à cause de sa voix bien sûr. Elle avait une voix au regard triste. Une voix toute aïgue. Toute tremblante. Toute laide. Après qu’elle eût raccroché, je fixai le téléphone pendant un long moment. Encore le regard triste qui ne me quittait pas et je ne quittai pas le téléphone du regard. 

Je priai pour qu’il sonnât de nouveau. Je l’observais, plein d’ennui, les deux paumes sur les joues. Tout tremblant. Tout laid. J’essayais de me rappeler la voix de Sylia. Au cas où je ne l’entendrais plus. Je n’avais pas son numéro. Elle seule pouvait m’appeler. Mais elle ne me rappelait pas.

Je m’entendais parler mais pourquoi elle ne m’appelle pas elle quittera s’en ira à Londres sans moi ; je me dis tant pis pour elle si elle préfère Londres c’est bien tant pis pour elle, j’ai pourtant dans mes culottes un Big Ben bien plus grand rien que pour elle et elle crache dessus - non en fait, elle ne crache pas dessus, même ça elle ne le fait pas. 

Et je commençai à divaguer de la sorte. Pour m’éloigner de la souffrance de son absence, il fallut bien que mes pensées se dirigeassent vers autre chose que son absentéisme dégueulasse, alors elles se dirigèrent vers des choses plus sensuelles et puis voilà. Je fantasmais en français, puis en anglais aussi : et si je vous épargne les détails de mes fantasmes, c’est que vos petits yeux purs sont de petits black holes qui à mon avis ne sont pas prêts pour de telles revelations

XVII

Le lendemain plein d’ennui les éclats défaits autour de mes yeux hier éclatants quelques ciels perdus, perdus oui mais perdus dans le creux de mes mains je passai au D’Artagnan. Si j’avais eu du mascara il m’aurait coulé je demandai à la réception La chambre de Sylia s’il vous plaît La chambre de Sylia! Et j’allai cogner à sa porte. 

Sylia m’ouvrit. Son regard flirta, flirta c’est vite dit deux syllabes avec moi, mais il se déplaça bien vite dans toute la chambre. Puis vers la télé. Puis oui c’est vrai cette histoire de zèbre et de Provence ils en parlent à TF1. Sylia me demanda des explications :

- C’est quoi cette histoire? C’est à cause de toi que ce zèbre existe?

- Oui... lui répondis-je. J’ai voulu planter des pissenlits de Sorel... Et j’ai voulu voir les zèbres de Provence... Et peut-être j’ai trop prié un zèbre m’est apparu. À Arles.

- Et maintenant...

- Je dois aller...

- À Arles...

- Voir mon petit zèbre...

- Dans le champ...

- Peut-être mort...

- Qui sait...

- Sylia...

- S’il y a de la place pour deux...

- Tu veux venir avec moi?

La question m’était venue naturellement. Je n’attendais pas de réponse. De toute façon, je ne l’écoutais pas. J’étais captivé par les variations de son accent français. C’est tout ce que j’entendais. Un accent que je voulais m’approprier. J’en voulais un pareil. Je le voulais dans ma bouche.

- Je dois prendre le train bientôt et... je dis, le train va arriver et je vais partir alors tu ne seras

Je l’embrassai. Sans qu’elle ne s’y en attendît. Puis je pensai : crie-moi dans la gorge. Sylia. Crie fort. Peut-être après j’aurai ton accent...

XVIII

Elle avait accepté de m’accompagner à Arles. Nous partîmes ensemble pour la gare de Lyon. À Paris. Pas à Lyon. À Paris. Nous arrivâmes à la gare de Lyon. À Paris. Pas à Lyon. J’étais mélangé. C’était elle qui me mélangeait. Non c’était la gare. Non c’était... Elle ne connaissait rien de moi et j’eus l’irrésistible envie de me dévoiler à elle petit à petit. Comme du temps dans un sablier.

5 février 2009

L'âme soeur





Je n’écris pas d’histoires. C’est probablement pour cette raison que ma femme m’a laissé. Je ne suis pas brillant. Je ne suis pas génial. Ni même intellectuel. Ni même lecteur. À vrai dire, je ne sais que copier. Ce texte n’est rien d’autre qu’une copie d’un autre texte que j’ai lu sur Internet. Il n’en tient qu’à vous d’utiliser le verso de cette page pour y dresser votre liste d’épicerie ou pour y dessiner n’importe quel gribouillis. Toutes les raisons sont bonnes pour ne pas lire ce qui suit...

Bon. Il est possible que vous vous obstiniez quand même à poursuivre votre lecture. Si c’est le cas, je n’ai pas intérêt à vous faire patienter davantage. Voici les quatre raisons pour lesquelles vous vous entêteriez à lire ceci : 1- vous êtes particulièrement impatients de connaître de quoi ce texte parlera ; 2- vous êtes obligés de lire ce texte ; 3- vous lisez absolument tout ce qui existe ; 4- vous m’aimez d’un amour comme il ne s’en fait plus.

Si vous lisez ceci parce que vous êtes particulièrement impatients de connaître de quoi ce texte parlera, cela implique deux choses : soit vous êtes curieux de savoir si l’histoire racontée sera bonne, soit vous êtes curieux de savoir si je suis un auteur génial. Si vous êtes curieux de savoir si l’histoire sera bonne, vous avez probablement arrêté votre lecture à la première phrase du texte, celle-là où je dis que je n’écris pas d’histoires. Je vous dis donc au revoir, à vous qui ne me lisez plus. Même si c’est inutile puisque vous n’êtes plus là.

Si vous vous entêtez encore à lire, c’est peut-être que vous êtes curieux de savoir si je suis un auteur génial. Cela implique donc que vous n’avez pas lu le premier paragraphe du texte (premier paragraphe où, clairement, je dis ne pas être génial) et cela prouve que vous avez débuté votre lecture par le deuxième, troisième ou quatrième paragraphe (chose étrange que je ne fais jamais, mais aussi je ne lis jamais alors : je suppose qu’il est possible que les lecteurs débutent parfois par un autre paragraphe que le premier). Cela étant dit, je vous suggère de retourner au premier paragraphe et de cesser votre lecture après avoir réalisé que je ne suis pas génial.

À ceux qui lisent ceci parce qu’ils y sont obligés, je dis que vous ne l’êtes plus. J’ignore les motifs qui vous poussent à lire par obligation, mais celle-ci est désormais levée. Croyez simplement mon autorité plus grande que celle de vos dirigeants, de votre professeur, de votre mère ou de vos amis, et allez jouer dehors. Personne ne vous en voudra. 

Enfin, si vous lisez ceci parce que vous lisez absolument tout ce qui existe, alors c’est soit vous aimez lire de nouvelles choses, soit vous aimez lire des textes que vous avez déjà lus. Dans un cas comme dans l’autre, vous devriez arrêter votre lecture : j’ai dit d’emblée que ce texte n’était qu’une copie d’un autre texte. Allez plutôt lire l’original. Il est facile à trouver sur Internet.

Si vous entamez ce septième paragraphe, c’est donc que vous vous foutez bien de connaître de quoi ce texte parlera, car ceux qui cherchaient à savoir si l’histoire allait être bonne (tout comme ceux qui étaient curieux de savoir si j’étais un auteur génial) ont cessé de lire. Ceux qui étaient obligés de lire sont partis jouer dehors. Ceux qui aimaient lire sont partis, à mon grand bonheur, chercher le texte original. Il ne reste que vous. Vous qui m’aimez d’un amour comme il ne s’en fait plus. Et si vous persistez à lire, c’est que vous persistez à dire que vous m’aimez et dans ce cas : soit vous m’aimez véritablement, soit vous êtes menteurs.

J’ai pourtant dit, dans le deuxième paragraphe, que je n’avais pas intérêt à vous faire patienter. Mais je n’ai pas cessé de vous faire patienter. Donc, si vous m’aimez toujours, c’est que vous aimez perdre votre temps. Mais les menteurs n’aiment pas perdre leur temps. S’ils mentent, c’est plutôt pour gagner du temps. Ainsi, vous qui me lisez à présent n’êtes pas menteurs. Et si vous n’êtes pas menteurs, c’est que vous m’aimez véritablement. 

Les lecteurs tombent comme des mouches. Vous êtes maintenant peu nombreux à me lire. Si vous êtes encore là, c’est assurément parce que vous me voulez moi. Et vous ne pouvez douter de mon amour pour vous (si vous en doutez, allez relire la troisième ligne du deuxième paragraphe, mais tâchez de revenir vite poursuivre votre lecture).

Je vous imagine remonter le texte jusqu’au deuxième paragraphe. J’imagine vos yeux qui cherchent. Ceux qui à présent me lisent m’aiment... Et j’aime ceux qui me lisent à présent...

Je vous aime parce que j’aime ceux qui ne me ressemblent pas. Vous, vous aimez perdre votre temps à lire ce que j’écris. Moi, je déteste perdre mon temps à écrire ce que j’écris. Vous, vous êtes brillants. Moi, je ne suis pas brillant. Si vous l’ignoriez, ce n’est pas la peine de retourner au premier paragraphe... Je préfère que vous cessiez immédiatement de lire, car si vous l’ignoriez, c’est que vous êtes ignares. Et si vous êtes ignares, c’est que vous n’êtes pas vraiment brillants et donc je ne vous aime pas. Et je n’aime pas que ceux que je ne m’aime pas me lisent trop longtemps.

Tous ceux qui me lisent à présent m’aiment de la façon que je veux qu’ils m’aiment. Les moins brillants d’entre vous se sont sentis offusqués lors de mes derniers propos. Offusqués, ils sont partis. Ils n’ont pas aimé que je les traite d’ignares. Quelques ignares doivent être restés malgré tout (je les salue). Je parviendrai certainement à les aimer puisque, après tout, il faut à quelque part qu’ils aient été assez brillants pour refuser l’autorité dont j’ai fait preuve. Je n’aurais su agir aussi brillamment qu’eux, aussi je ne peux les comparer à moi-même : je ne lis jamais.

À présent, vous lecteurs êtes tous de brillants véritables amoureux de moi. Ou à peu près. C’est réciproque. Mais il faut encore vous départir. Qui sont les filles? Qui sont les gars? Je veux trouver le lecteur idéal. Le lecteur modèle. Et s’il était modèle, ce lecteur serait assurément lectrice. Voyons voir. Vous êtes peu nombreuses à me lire... Si peu nombreuses que je n’hésiterais pas à vous tutoyer.

Tous les autres lecteurs qui ont cessé de lire au premier chapitre ou après sont jaloux de toi... Cela te rend heureuse. Tu m’aimes. Mais qui es-tu? Je me vois mal te demander ton nom. Tout ce que je sais de toi, c’est que tu ne me ressembles pas. Je sais aussi que je t’aime parce que tu ne me ressembles pas. Tu écris des histoires. Tu es brillante. Tu es géniale. Tu es intellectuelle. Tu es lectrice. Tu es mon âme soeur. Ne le prends pas mal. Ce n’est pas pour t’effrayer... Mais tu es la seule qui puisse me lire jusqu’au bout. 

Je te laisserai mes coordonnées à la toute fin du texte. Tu pourras m’appeler. Je t’inviterai à dîner chez moi. Nous lirons ce texte ensemble, en se rappelant que c’est grâce à lui si nous nous sommes rencontrés. Tu m’avoueras que tu n’aimais pas trop la fin du texte. Je te répondrai que ce texte est une copie d’un autre texte. Ce n’est pas ma faute si tu ne l’aimes pas. C’est la faute du texte que j’ai lu. Et je t’avouerai que si j’ai lu le texte que j’ai copié, c’est probablement parce que je suis lecteur. Et tu me diras que, dès les premières lignes, je t’avais pourtant dis que je n’étais pas lecteur. Mais j’ajouterai que je t’avais aussi dit que je n’aimais pas perdre mon temps. Et tu aurais dû savoir que ceux qui n’aiment pas perdre leur temps sont souvent menteurs. 

Tes yeux se prépareront au pire. Je te dirai que tu aurais dû te méfier de mes raisonnements depuis le début. Ils prouvent bien une chose. Je suis intellectuel. J’aime faire des déductions. Je n’aime pas écrire d’histoires. 

Tu voudras retourner chez toi. Tout de même, j’aurai réussi à te faire venir chez moi. J’en retirerai une certaine fierté. Je dirai que je suis génial. Je dirai que je suis brillant. Je t’avouerai que ce texte est de moi : je l’ai copié sur Internet, oui, mais c’est moi qui l’avais mis sur Internet. À l’époque, je l’avais écrit pour ma femme. D’ailleurs, elle m’a laissé peu de temps après l’avoir lu.

Avec toi, c’est différent. Depuis que tu lis mon texte, il ressemble de plus en plus à une histoire. Une histoire d’amour où le gars s’amuse à briser l’espoir de son âme soeur. Et j’adore ça. J’adore raconter des histoires.