16 janvier 2007

La traversée du jus rouge

Me remonte à la tête ce jour où je sortis de l’appartement avec à la tête ma solitude toute emballée et prête à être avouée et cette solitude qui jamais n’en croisa une autre par hasard malgré mon vouloir : jamais l’amour ne vint pour de bon, jamais le masculin ne me sauta dessus du genre de putain c’est merveilleux d’avoir les jambes lourdes, non, j’avais le teint pâle et le féminin m’enivra à un point tel que jamais ma copine ne m’aima jusqu’à l’anéantissement et jusqu’à ce que les chaises s’effondrent dans la cuisine avec de la draperie en lambeaux tout plein, pulvérisée en cendres, du rideau déchiré et l’amertume qui vient avec;

j’étais un acteur et j’eus l’horrible peur de marcher sur les trottoirs au moment de sortir de l’appartement et j’eus peur des aveugles, peur des clochards qui jamais ne lisent, en réalité, je courus jusqu’à l’essoufflement oui; ma copine méritait que je meurs et oui; je courus en sachant parfaitement qu’une autre demoiselle m’attendrait au bout de ma frayeur, au bout de ma course; je courus jusqu’à ce que cette demoiselle dont je tombai amoureux cessât ma course insensée dans le couloir d’un centre d’achat avec les babioles des magasins et les blouses on ne peut plus jolies que le mec super ordinaire que j’étais : je voulus absolument être cette demoiselle dont je tombai affreux affreusement amoureux du coup du couloir que je parcourus jusqu’à elle mais enfin non elle ne m’aima pas, non elle ne voulut rien d’autre que l’argent de mes poches pour quelques autres blouses plus jolies que moi, peut-être n’était-elle qu’une vendeuse pensai-je après tout et je crois que je pensai que je perdis confiance enfin, j’avais toujours été le lion à la course jusqu’à ce jour de cette demoiselle méchante, aussi méchante que si elle m’eut pris pour un cadavre; reste que tout n’était pas perdu et permettez-moi de laisser entendre l’espoir que j’eus à ce moment et qui me remonte aujourd’hui jusqu’aux tympans qui me bourdonnent à mort : j’achetai une blouse que cette demoiselle me vendit super cher et soudain, je me sentis plus fière que le lion que je fus et que je n’étais plus, plus belle que toute ma solitude d’homme que j’eus et que je fus autrefois;

cela n’empêcha pas que je devins absolue absolument amoureuse de toutes les demoiselles de la planète et tant pis pour les hommes et tant pis de toute façon : ils s’effémineront eux aussi;

j’eus le choix de bien paraître dans les rues sales de ce montréal ouvert ou de faire la mal élevée avec ma blouse : j’avais fière allure là-dedans et c’est avec le cutex rouge au bout des doigts que le destin se révéla à moi sur le trottoir au sujet des demoiselles, je ralentis le pas et finies les jambes lourdes et finis les voyages inutiles à tenter de croiser des solitudes qui ne viennent pas « non elles préfèrent rester seules » et finies les prières pour qu’on m’envoyât un cheval et pour qu’on me remplaçât le lion que j’avais autrefois et qu’on me remplaçât mes jambes médiocres;

au sol je n’eus besoin que de courbes et de jambes pas viriles du tout, de plier avec mes cheveux de gaillarde par en avant et de quelque manque d’orgueil pour enfin que j’aperçusse la beauté aussi laide soit-elle juste là au sol : une sucette à moitié sucée et croquée à moitié gisait au sol parmi la poussière et les fragments d’asphalte devant moi ah, une sucette à moitié sucée avec quelques poussières dessus;

une sucette sucée par quelqu’un d’inconnu que je ne connaissais pas et si, et si cet inconnu était une inconnue; et si cette inconnue qui avait sucé la sucette était une demoiselle qui m’aimait?; et la sucette rouge me sembla bien seule et triste dans la poussière mais, la façon dont je la vis fut si belle et si amoureuse que je me mis à l’embrasser avec la langue, j’embrassais la sucette pendant que les autres disaient que ah, il faut être fou pour licher une sucette dégueulasse sur le trottoir simplement dans l’espoir qu’une jolie demoiselle l’ait lichée en premier et quel amour honteux et je pensai fort fort à la tête de cette demoiselle qui devait avoir sucé la sucette avant moi; et je pensai à cette demoiselle qui devait être fort jolie et enfin dans un certain sens, j’embrassai la plus jolie des demoiselles et je la suçai tellement que j’eus de la salive de demoiselle dans la bouche, même que je me la collai au palais tellement j’avais envie d’elle; même que je la fis tourner dans ma bouche tellement que je la bouffai;

c’est avec le jus de cette demoiselle qui me dégoulinait partout que je me mis à crier avec mon extraordinaire voix de fille que « vous êtes plates avec votre asphalte, moi j’ai du sucre au bout de mon bâton, avec toutes les blouses que ça implique, la demoiselle et moi nous ne faisons qu’une! », mais les autres me regardèrent bizarres et c’est qu’ils devaient tous être jaloux de ma blouse super jolie, au moins tout autant que de mes lèvres rouges au goût de sucette rouge qui goûtait le rouge, enfin, après toutes les misères que j’avais eues à passer par là et le calvaire de devenir quelqu’une avec du cutex et de la gentillesse, il fallut que je fusse audacieuse et mûre avec mon sourire juteux plein de bulles de jus rouge pour faire frustrer les autres avec mes grosses phrases baveuses du genre de « c’est rare de voir les demoiselles faire des ravages comme ça, han han comme ça avec la langue, c’est tout un luxe que je me paie de pouvoir m’aimer sur un trottoir dégueulasse »

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