Je crois que c’est possible que les planètes soient habitées, et par de serviables monstres, et que les étoiles filantes puissent achever leur fil poussiéreux dans les sacs remplis de voeux de toutes les petites filles, les petits garçons ; et que les obèses vomissent leurs bonbons aux pieds des petits africains, que c’est possible, que l’énorme énormité se résolve dans le minuscule esprit de l’un, et que les formules mènent chez le quelque part de l’autre. C’est possible, je dis, que les singes dialoguent comme des singes et que ça existe, des gens qui n’embêtent personne et des vents qui ne tempêtent pas, et des écrivains qui n’écrivent pas, et des rigoles qui ne rig...
M’sieur Tourni : Excusez-moi de vous interrompre pendant votre délire, Monsieur Defe. Je suis André Tourigny, vous vous souvenez de moi? Nous nous sommes vus la semaine passée... Je suis venu pour vous parler de choses importantes. Je peux poser ma valise sur cette table?
Rigolent et rigolent, mais que ça existe, les peintres qui ne peignent rien de ce qu’ils veulent, et les peignes qui ne peignent rien mais qui peignent bien...
M’sieur Tourni : J’ai manqué un bout de votre conversation. Où en êtes-vous? Ma valise ne vous gêne pas j’espère? Albin Defe? Vous m’entendez?
Des choses, comme ça, qui arrivent! Que je dis, que je dis toujours aussi que les valises ont des poignées pour ceux qui ont des mains, mais que tous n’ont pas de main. Le jour où les philosophes auront pensé à ceux qui n’ont pas de main pour déconstruire ce que ceux avec des mains ont construit, je leur accorderai une importance mais pour l’instant, je mise sur les étoiles Monsieur!
M’sieur Tourni : Les étoiles, oui, nous en étions là. Avez-vous réussi à communiquer avec les étoiles cette semaine?
J’ai frappé le répondeur, deux fois, la boîte une fois, et cinq fois la voix automatique qui m’obligeait de parler après le bip. Mais j’ai des responsabilités, M’sieur Tourni, je n’ai pas ça qu’à faire que de remplir mon sac à voeux! Cette semaine, j’ai réalisé les monstres, les elfes, les lutins, les barbares, et j’en étais aux lucioles avant que vous n’arriviez me perturber...
M’sieur Tourni : Les fées. Vous voulez dire les fées. Celles avec les...
Les trop gros seins. C’est ça, les extra-naines lumineuses volantes. J’en ai croisé deux hier soir et ce n’était pas, laissez-moi vous dire, tout de joie de les voir briser la baguette que leur offrais et je me suis dit que vous aviez peut-être raison, que je suis peut-être dangereux de ne ressentir au fond de moi-même aucune pitié pour tout ce qui n’est pas humain.
M’sieur Tourni : Oui, nous en avons parlé la dernière fois... Seriez-vous prêt à dire que je suis humain maintenant?
Il y a moi qui suis humain et les ovnis qui le sont peut-être, puis il y a les robots, les illusions, ensuite il y a les plantes et les animaux mais je ne vois pas comment vous et puis, de toute façon, vous me faites penser à un gros macaque. Je ne vois pas pourquoi je tuerais un animal innocent. J’aime des animaux qu’ils mangent les insectes et les feuilles. Pour cela je ne leur veux aucun mal.
M’sieur Tourni : Dans ma petite valise, si ça ne vous dérange pas que je l’ouvre, j’ai apporté un sachet de noix... Voyez, ce sont des noix bien ordinaires, rien de...
Vous remettez ça avec les noix! J’ai déjà crié mille cinquante six deux trente fois que vous ne mangez pas de noix! Je vous ai parlé de ça que la hantise était invivable et que bla! Bla! J’ai dit cent fois que les singes ne mangeaient pas de noix et vous, ce que vous trouvez à faire, c’est votre mouvement de sacoche à poignée et de sachet rempli de noix! Je vous avais demandé de regarder mes documentaires sur les singes! Les avez-vous regardés? Si vous l’aviez fait, vous auriez appris que vous raffolez des insectes et des feuilles! Mais vous, non, non bien sûr vous, vous vous remettez aux noix!
M’sieur Tourni : J’ai dû faire une erreur... Excusez-moi, Defe. Je vous l’accorde : je suis singe et je raffole des insectes... Je n’en ai pas sur moi pour le moment mais je vous assure que, pour dîner, je me fait un sauté de légumes aux insectes...
Votre ordonnance, la semaine dernière, qu’elle était-elle? Si je me souviens bien, je vous avais ordonné de manger des feuilles de bambou.
M’sieur Tourni : Je n’en ai pas trouvées au magasin et...
Avez-vous pensé à votre diète? Dans mon dossier, je vois que je vous avais prescrit le bambou et les champignons. Je vois ni amande, ni grenoble, ni noisette, ni arachide bref, je ne vois rien qui parle des noix. Souhaitez-vous rester obèse toute votre vie? Si oui, dites-le-moi tout de suite, comme ça vous n’entrerez plus jamais dans mon bureau, et j’aurai la paix pour terminer ce que j’ai commencé. Je ne suis pas gros, moi, M’sieur Tourni, et j’ai des responsabilités. Je travaille à écrire. Et si je veux un jour finir mon roman, vous avez intérêt à régler votre problème d’obésité.
M'sieur Tourni : Je venais seulement vous demander si j'avais doit aux graines de tournesol mais...
La question est résolue. Merci de votre visite. Repassez la semaine prochaine. Maintenant, vous allez retourner à vos documentaires. Et moi, à mon roman.