24 janvier 2007

Rides dérisoires

Je demande à mon père : « Te souviens-tu de quand t’étais petit? »

Il ne répond pas. J’enchaîne tout de suite avec une série de questions :

« À cette époque-là, trouvais-tu que le décor de ta maison faisait « années 50 »?

« Pensais-tu que les cheveux des Beatles allaient être à la mode pour toujours?

« T’en doutais-tu, que plus tard il y aurait les patins à roues alignées, et que plus personne voudrait patiner avec les vieux patins old style sauf pour faire cool?

« T’en doutais-tu, que la forme des bouteilles de bière allait changer?

« Croyais-tu réellement que la télé noir et blanc était super efficace, qu’elle était super claire, et que rien pourrait l’égaler?

« Pensais-tu qu’on serait capables d’inventer les lecteurs mp3? Les iPod? Te doutais-tu de ça? Réponds-moi!»

À chaque question, mon père ne répond pas. J’ai beau exiger qu’il me réponde : il ne dit rien. C’est son air triste qui parle.

Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent. Les questions polluent.

Pourquoi mon père ne répond-il pas? Est-ce parce qu’il ne voit pas clair? Est-ce parce qu’il ne s’est jamais arrêté à réfléchir plus longtemps que deux secondes? Jamais il n’aurait cru que son fils lui poserait de telles questions, c’est ça?

Je me vois un peu dans l’obligation de voir plus clair que mon père. Je regarde le décor de l’appartement. Les tapisseries. Je trouve qu’elles font « vieux ». On dirait qu’elles sortent du temps où mon frère est né. Du temps où notre chat siamois vivait encore. On dirait qu’elles sortent de l’ancien temps.

Sur une commode, il y a une photo de moi bébé. Je fais terriblement vieux là-dessus. Je suis surpris de ne pas avoir de barbe sur cette photo-là.

Il y a les lampes qui sont laides parce qu’elles font contemporain. Autour des lampes, il y a les éléphants en plâtre. Les bibelots. Les tiges de bambou dans le salon. On fait quoi, avec ça? On essaie de faire croire quoi? Et à qui?

Faudrait être fous pour croire que les robinets sont bien pensés, que les frigos sont révolutionnaires et que les jeans n’existent qu’aujourd’hui et pas demain.

Nous sommes tous virés fous.

Je trouve que les escaliers roulants dans les centres d’achats font très « années-2000-ancien-temps ». C’est rien, comparé aux toilettes publiques qui font terriblement vieux.

Les dinosaures ont eu raison. Les iPod ne sont pas technologiques du tout. Détruisez-moi ça.

J’ai l’impression de vivre dans une préhistoire rapprochée… Les chevaux me racontent le Moyen Âge. Les jeux de cartes ont les coins pliés. Les Anglais sentent la poussière. Les Inuits se taisent dans leurs igloos. Les Québécois sont mous. Les singes se tirent les cheveux dans le biodôme. Un universitaire italien me parle en vieux français.

Nous sommes tous virés fous.

Les adolescents sont existentialistes depuis qu’ils ont arrêté de se couper les veines. Les médecins meurent tandis que les grottes renaissent pour la millième fois. Les ordinateurs s’éteignent tous en même temps.

The Arcade Fire me chantent qu’ils vont mourir demain. Il faut les entendre avant de vieillir. Se dépêcher pour pleurer. Il faut que je me trouve un nouveau dieu avant demain.

Les questions existent pour la je-ne-sais-plus-combientième-fois aujourd’hui. Dieu aussi. Les bidules aussi. Les machins aussi. Le premier machin a été le rien-du-tout, et après il y a eu les cordes à linge et moi. La guerre aussi. Et les travestis, donc!, et les jets privés?, c’est pareil. Même chose pour les lecteurs mp3. Même chose pour la machine à voyager dans le temps.

Même chose pour tout ce qui viendra… même chose pour tout ce qui ne viendra pas… C’est dans la tête que ça se passe.

Un vieil homme fume une cigarette. Je lui écris un petit mot : « Monsieur, retournez donc dans les années 30; your time is yours, me I belong to 1985. » Je m’allume une cigarette. J’ai inventé la machine à voyager dans le temps.

Une voiture dépasse le vieil homme. C’est un nouveau modèle d’auto qui semble me crier : « Voici le nouvel engin démodé-passé-date de l’année ! » Super. Je n’ai rien contre vous, Monsieur le nouveau modèle, mais : « J’ai pas une cenne moi, anyway; mon porte-monnaie date de quelle année, exactement? »

Je cherche des vieux dollars dans le sofa. Rachel me dit qu’elle aimerait tant revenir à l’époque du troc. Un sac de blé contre une paire de raquettes. Moi, ce sont les coquillages que je préfère.

Dans les prisons, les prisonniers se voient à la télé. Les États-uniens s’unissent à l’unanimité. Ils adoptent la mode de la pendaison.

Où est-elle passée, la technologie? Y a-t-il quelque chose qui puisse me faire dire : « Ah, là, ça y est, nous progressons! »

Toujours, ma tête est transpercée, percée et repercée par l’idée que mes enfants auront raison de me trouver préhistorique. L’idée dépasse tout avancement technologique. Vaut-il mieux s’arrêter là? Mettre un terme aux percées technologiques?

Mon père lève la tête. Il me répond : « Oui. »

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