29 mars 2010

L'éternel Luxias


Luxias avait 53 000 ans. Il était éternel depuis 52 872 ans (nous arrondissons). Il avait presque autant de bras qu’il avait d’années, mais il n’avait qu’un seul cerveau. Il se consolait de cela en se disant qu’il avait beaucoup plus de doigts que n’en avaient les autres humains. 

Quand je l’ai vu pour la première fois, il avait 34 000 jambes. Il les trimbalait dans les rues de Morco, d’un pas lourd et moribond. Tous ces bras qu’il traînait à journée longue l’épuisaient. À chaque coin de rue, il devait s’arrêter pour reprendre son souffle. Il allait mourir s’il avait continué de trimbaler ses bras comme d’énormes spaghettis...

Je l’ai pris en pitié. L’énorme Luxias était déjà géant quand je l’ai rencontré au coin de la rue Marisaine. J’ai dû m’adresser à lui en criant, tellement sa tête se trouvait à des mètres de la mienne. Il a saisi mon épaule d’une dizaine de bras, mais je n’ai pu entendre ce qu’il a murmuré là-haut. 

Il n’avait pas l’air vieux. Son visage avait conserver l’allure qu’il avait le jour où Luxias avait choisi d’être éternel. Certes, avec le temps, quelques changements s’étaient opérés. Son visage s’était lui aussi multiplié. Il avait quatorze nez, et sur ses joues, de nouvelles bouches tentaient de se former. Mais Luxias savait stopper la croissance de ses bouches. Tous les soirs, il les brûlait avec une cuillère qu’il faisait chauffer dans la braise d’un feu. 

Au coin de la rue Marisaine, Luxias n’a pas murmuré longtemps. Il s’est effondré comme un dieu du ciel. Je suis retournée chez moi et j’ai ramené une grande hache. Je lui ai tranché un bras au hasard, pour voir s’il se rendrait compte de quelque chose. Ma supposition était juste : il ne ressentait rien. Son corps était fait de matières artificielles. Je ne sais si c’était du caoutchouc, du plastique ou de la gélatine, mais cela m’a donné une idée. Quand Luxias s’est réveillé de son inconscience, je lui ai proposé de lui tailler les bras. Et il a accepté.

2

Au coin de la rue Marisaine, les passants ont commencé à s’attrouper autour de moi tandis que je plantais la hache dans les membres caoutchouteux de mon géant. Plexes, le plus violent de mes amis, a voulu que je lui prête ma hache. Je savais qu’il aurait fait du mal à mon géant, alors j’ai refusé. J’ai limité la frustration de Plexes. J’aurais dû savoir qu’il se vengerait tôt ou tard.

Les passants continuaient à me critiquer. Les plus scientifiques d’entre eux tentaient de m’enlever la hache. Ils disait que Luxias avait fait son choix il y avait de cela 52 848 ans : « Il a voulu être éternel même s’il savait que l’immortalité obligeait une régénérescence continuelle des membres extérieurs... Tant pis pour lui! »

Pour le blesser, ils lui criaient des injures. Mais Luxias, de ci-haut, ne les entendait pas. Alors ils lui lançaient les noix qu’ils trouvaient par terre. Je riais au fond de moi-même. Les noix les plus grosses qu’ils ont pu trouver n’étaient pas plus grosses qu’une oreille de Luxias. Et je continuais de tailler mon arbuste de chair, hache à la main. Quelques-uns me traitaient de meurtrière. Je n’ai jamais osé leur répondre que j’étais amoureuse.

D’autres sont arrivés avec des mégaphones. Ils criaient là-dedans pour que Luxias les entendent. Je me suis battu. Ils ont eu peur de ma hache et je leur ai volé leurs mégaphones. 

3

Après quelques heures, il y avait beaucoup de sang sur la rue. Je ne regardais même plus les passants. Je hachais automatiquement et méthodiquement. Je ne me rendais pas compte que plusieurs en recevait plein la figure. Les bras de Luxias avaient diminué de moitié. Je continuais mes mouvements de criminelle. 

Mon géant s’est enfin relevé. Une fois debout, il m’a jeté un regard tendre. Ses quelques bouches m’ont souri, et ses quatorze nez se sont retroussés d’un seul coup quand il m’a remercié. Je l’ai senti plus vivant que jamais. J’ai pris un mégaphone et je l’ai invité chez moi :

- J’habite au neuvième étage! Ça va être comme un tête à tête!

J’ai ouvert la fenêtre. J’ai remarqué qu’il avait plusieurs petits yeux à côté de ses « vrais yeux ». Chez lui, tout se dédoublait. Et cela parce qu’il avait voulu être éternel. Maintenant, il regrettait ce choix. Le lendemain, il m’a encore demandé de lui couper quelques membres.

Finalement, au bout de quelques mois, Luxias n’avait plus que deux bras et deux jambes, comme tout le monde. Je ne l’avais jamais vu si heureux. Quand il marchait, il me semblait heureux et cela me rendait heureuse. 

À même la fenêtre de mon appartement, il arrivait souvent qu’il me demande de lui faire quelques chirurgies. Je lui taillais un oeil ici et là avec ma hache. Mais à mes yeux, sa beauté ne changeait pas. 

Ces derniers temps, il venait chaque jour à ma fenêtre. Il me demandait de stopper ses régénérescences. La plupart du temps, j’acceptait de mettre la hache à la pâte. Mais, souvent, il me demandait de le couper de moitié : « Je suis trop grand... Coupe-moi en deux... » Je refusais sur-le-champ. Je savais que de telles transformations le tueraient.

Puis un soir, je me sentais fatiguée. J’ai refusé de sortir la hache ou le couteau. Je lui ai demandé de revenir le lendemain matin. Luxias n’a pas su attendre. Par hasard (ou peut-être l’a-t-il cherché), il a rencontré Presto, sur la rue Halte. Ce dernier lui a offert de le tailler gratuitement. Et mon pauvre géant s’est laissé faire. Presto lui a taillé beaucoup trop d’orteils et, sur un échafaudage, il s’est même attaqué à son genou droit. Heureusement, les policiers sont arrivés. Sans eux, Luxias aurait certainement accepté de se faire couper en deux pour ne plus être géant.

Peu après ces événements, pendant la nuit, Luxias est venu me voir pour des réparations. Il m’a demandé de recoudre la peau de son genou et, comme si c’était possible, de lui inventer un dixième orteil. Les soirs suivants, c’était toujours la même chose : Luxias revenait à ma fenêtre avec trop de membres coupés. Il me demandait de corriger les erreurs des autres. Il ne venait plus me voir que pour réparer la chirurgie des autres. 

Je n’étais pas experte, et rien de ce que je faisais n’avait l’air de satisfaire Luxias. Il était triste de tout cela. Alors je lui ai dit de revenir le soir suivant. Je lui ai promis un baril de botox. Et un tonneau de silicone... Je lui ai promis de nouveaux orteils ainsi que deux genoux parfaitement lisses et ronds.

5

J’ignore comment Plexes s’en est informé, mais il savait que Luxias viendrait à ma fenêtre ce soir-là. Quand je suis entrée chez moi avec mes barils de botox et de silicone, Plexes était devant ma porte. Il m’a offert de l’aide pour porter la marchandise. Je n’ai pas refusé. Sitôt ma porte ouverte, Plexes a filé droit à la fenêtre de ma chambre. Quand il a vu le visage de Luxias, il lui a sauté dessus. Il s’est agrippé aux cheveux de mon géant et, malgré tous les hochements de mon monstre, il a pu atteindre le dessus de sa tête.

Quand je suis arrivée à ma chambre, j’ai remarqué que ma hache n’y était plus. Plexus la brandissait dans les airs. D’une main il s’accrochait aux cheveux de Luxias et de l’autre, il hachait le crâne de mon amoureux. J’ai crié plus fort qu’un mégaphone. J’ai voulu sauté par ma fenêtre, mais ils étaient déjà beaucoup trop loin. Ils fonçaient dans les édifices. 

Enfin, la hache de Plexes a atteint le cerveau de mon immortel. Ce jeune scientifique savait bien que le cerveau était le seul moyen de stopper l’éternité... 

6

Après la mort de Luxias, plusieurs groupes religieux se sont formés. Plexes est devenu une sorte de Jesus Christ. Ses valeurs (la vérité, le courage, l’humanité) ont triomphé sur le monde. Vous connaissez la suite.

26 mars 2010

Jogue ou l'homme-marteau

Fletcher, tu cherches toujours tes outils... Ton pantalon n’a pas déjà assez de poches? Ça te prendrait un sac à dos pour que tu cesses d’égarer ton marteau! Et toi, le soudeur, tu te crois indispensable au chantier? Tu sais combien on te paie? Tu devrais frémir de peur à l’idée qu’un jeune talentueux prenne ta place...

Mais je ne suis pas là pour vous faire peur. Je suis ici pour vous parler de quelqu’un qui a été oublié. Vous vous rappelez, Jogue, et cet énorme marteau qu’il portait sur la tête? C’était tout de même curieux. L’outil était fait d’acier, mais je crois que la base du manche était fait de bois. Le manche lui entrait dans le crâne, comme s’il était un membre de son corps. Même lorsque Jogue hochait la tête, le marteau restait bien en place. Nous avions tenté, une fois, de le lui arracher. Mais lorsque nous tirions, pour lui, c’était comme si nous tirions sur son oreille : il hurlait de douleur. Il a fallu que nous nous rendions à l’évidence... le marteau faisait partie de son corps. Mais chaque fois qu’il se retournait brusquement, il accrochait une porte ou une fenêtre. Il endommageait tous les murs, si bien que personne ne voulait se tenir près de lui. Aussi, j’ai entendu dire que, chaque fois qu’une fille tentait de l’embrasser, elle se prenait un coup de marteau dans la gueule. Enfin, elle n’était pas drôle pour personne, cette anomalie physique. Mais nous en riions à chaque fois que l’heure du dîner sonnait. Vous vous souvenez. 

Au cinéma, nous l’avions croisé. Et lorsqu’il s’assoupissait sur son banc et commençait à somnoler, on disait qu’il cognait des clous. On rigolait bien, mais ce n’était pas drôle pour ses voisins d’en face. Eux, ils devaient recevoir des coups de marteaux derrière la tête chaque fois que le film était emmerdant. Non vraiment, Jogue avait intérêt à ne jamais s’endormir en public, sans quoi il assommait tout le monde.

Le pauvre Jog avait, vous vous souvenez, rembourré la tête de son marteau en y scotchant de la ouate. Il avait l’air complètement ridicule. La ouate n’était pas bien fixée du tout. Dès qu’il hâtait le pas, des nuages de ouates se dispersaient derrière lui. Lorsqu’il courait, lui-même recevait en plein visage d’énormes moutons de ouate. Mais une fois chez lui, il en remettait n’est-ce pas? Chaque matin, il rafistolait la ouate sur la tête de son marteau. Comme un toupet. Je crois qu’il n’a jamais compris qu’on se foutait de sa gueule quand il nous parlait. On lui répondait « what? what? what?! ouate ouate ouate! ». Lui, il se mettait à parler en anglais. On ne comprenait rien de ce qu’il chahutait. C’est ça qui était marrant.

Mais vous savez ce qui est arrivé par la suite? Eh bien le pauvre, il a voulu se suicider. On dit qu’il avait voulu accrocher au mur de sa chambre une photo. C’était une photo encadrée, celle de Fénée, l’électricienne. La fille dont il était amoureux. Il s’était procuré un clou, mais il lui fallait bien un marteau pour clouer le clou. Eh bien, croyez-le ou non, sur un coup de tête, tout est tombé par terre! Paf! Sur le parquet! La photo s’est détruite et le pauvre ne s’en est jamais remis. 

C’est là qu’il s’est acheté une corde et un crochet. Mais pour fixer le crochet au plafond, il se trouve qu’il avait besoin d’un marteau. Il a couru jusqu’au garage le plus près, mais ils n’en avaient plus à vendre. Pourtant, c’était juste là! Au milieu de son front! Et puis la meilleure, vous ne savez pas? On dit qu’il a voulu se crucifier. Oui, des clous dans les paumes! Mais le marteau qu’il avait de planté dans la tête ne se rendait pas plus loin que les avant-bras! Alors tout ce qu’il a pu faire, c’est se clouer le coude. Bon d’accord, il a saigné un bon coup, mais jamais son nom n’est apparu dans les journaux du lendemain. Il n’est jamais mort de cette façon. Mais croyez bien qu’après cette tentative, son bras gauche était complètement détruit. Il l’a eu dans le plâtre pour au moins le restant de ses jours.

Ensuite, on dit qu’il a prit le bateau. Il voulait rejoindre les siens. Les requins-marteaux. Il semble qu’il ait été capable de nager sous l’eau sans bonbonne pendant dix heures. Mais il n’y a aucun témoin. Reste que, lorsqu’il est ressorti de l’eau, son corps s’était de nouveau transformé. Sur sa main droite, à l’endroit où nous avons l’index, Jogue avait un tourne-vis. Le manche est de plastique mais se mélange parfaitement avec la jointure de son index. 

On dit même plus. On dit qu’il sait souder. Il passe, dans le clou de son coude, un courant électrique qui fait fondre l’acier. Et quand le clou de son coude a fini de souder, il s’en plante un autre et soude encore. 

J’ignore ce que Jogue nous réserve encore. Mais d’ici un an, il est possible qu’il sache accomplir chacun de nos métiers respectifs. Alors nous avons deux choix : soit on le convainc de retourner à ses requins, soit on le tue. Qu’est-ce que vous décidez?

Parodie : Vincent Filion

DIALOGUE DE NAPHTÉE ET NÉTON
(ou incompréhension vis-à-vis d'un texte de Vincent Filion)

«
Je rentre chez moi, nettoie mes lunettes que je fais semblant de la monture loufoque et javellise les parasites qui croyaient y survivrent. J’ai dans ma tête beaucoup moins loufoque que ce qu’ils rient de moi et beaucoup moins parasite que ce qu’ils croient. J’ai le concept urgent d’une exagonie sur terre. J'apocalypse mes neurones. Et les vôtres aussi.

*** Épilogue numéro x 1495365468235 ***

Tout le monde fait comme si les ouvrages de tête étaient personnels, mais je ne suis pas unique, je suis groupe ; je ne suis pas alarmé, j’alarme par amour. Je m’alarme depuis mes analyses de tout petit. Ce n’est pas parce que 

(absence partielle) *** supposons l'article « les »...

je suis grand que je suis adepte de paniques. J’ai toujours tout observé. Je vous alarme de choses qui n’existent pas encore parce que les pas encore ont déjà fait mourir aujourd’hui et vous feront mourir demain. Mes neurones ont sauté, et j’ai la cervelle plus émiettée que mille points de suspension qui font la queue devant une majuscule.

Ce soir, les miettes ont formé un pan de ciel pour les étoiles Karma et Khala. Tzara et Allah. Mes miettes ont fait Ghasa et Nasa, Gizeh et Guinée, Nounoune et Sèchiée, enfin elles ont fait une table précise sur laquelle je m’assois chaque soir pour contempler le tableau rhétorique que mon caca a fait, il y a de cela déjà dix-neuf ans. J’étudie patiemment la forme de mes crottes de lapin sur les éléments universels. 

« X1B Sarhan RAP-sul-fite p.x. exagonie sur terre »

C’est le nom de mon cri d’alarme qui me confirme que je dois alerter la population. La nouvelle littérature approche. Je sonnerai autant de fois qu’il le faudra. Mes périples sur terre sont terminés. Désormais, j’écris. Je suis beaucoup trop alarmé pour laisser mes travaux inconnus aux yeux des humains. 

Je gagne la diaxie parallèle de Fer-rail 2 et, considérant tous les mondes parallèlement sautés, je fais un peu de poésie.

Khab scinde l’horloge
exécute le camp scriptural
la frange hirsute me soude un acier
je brise le par-brise interchoc du rouge
et je m’issue du carrelage vitreux 

la diaphyse neurologique
a craqué la dyschronométrie de ma montre
nystagmus Nasa!

Parenthèse diachronique de mon être qui fait parenthèse sur digression : j’observais la paresthésie de nasa quand une navette pour deux m’a éloigné de mon repère. Mais la dune originelle me surveillait depuis la lune.

(fort heureusement, se dit Ghalhän-Spéklinachachéshwanaise (la soupe))

J’ai brisé mes lunettes et ma table précise faite de caca, sur laquelle je m’assoyais pour déblatérer avec moi-même de neuroscience, a fendu en deux. J’ai tenté de retrouver mes verres, car sans eux, la planète entière ne saurait voir clair. Quand tout à coup, Khab m’est apparu : 

Khab : Tu n’as pas besoin de lunettes. Tu as besoin d’une nouvelle pair de yeux!

Khab m’a éduqué. Grâce à lui, je me suis fait pousser une nouvelle paire d’yeux. Le seul problème, c’est que ces nouveaux yeux ne me sont pas poussés au bon endroit. Ils me sont sortis du menton comme deux testicules.


Alors si j’embrasse vos lèvres ce soir, je ne vous embrasse pas...

Je vous observe.
»

Suicidaires

Je pleure chaque fois que je me nettoie. La céramique de la douche m’angoisse. Je n’ai pas d’âme. On m’a fait sans âme. Je suis né sans. Je roule mes orteils dans la boue. Et je trouve drôles les grains de sables qui s’accrochent à la peau sous mes ongles. Je fais la vaisselle sans gant. Je passe l’aspirateur sans aspirateur. Je ne prends plus la peine de déplacer les objets. Je ne suis pas interstellaire. Je ne suis pas immortel. Je sais que je suis en train de mourir. Qu’à chaque seconde un coup de marteau me frappe la tête jusqu’à m’assommer définitivement.

Je ne veux pas contrôler le marteau. Je ne veux pas inventer de clous. La vie est bête, salope et sale. Elle ne fait pas les génies, elle fait les morts et la cervelle du veau pour manger. La vie n’est pas agréable, elle nous plante comme des carottes dont les feuilles seront arrachées dans le jardin. Il n’y a pas de travail, il n’y a que de la patience. Il n’y a que du temps, qui s’écoule et que l’on voit s’écouler jusqu’à ce qu’il déracine les patates.

Il n’y a pas d’avocats. Il y a les juges avec leurs coups de marteau. Mais il n’y a pas de tête. Les têtes qui s’offrent aux marteaux sont déjà mortes. On s’épuise à frapper des patates mortes, alors que tout reste à faire pour ceux qui n’ont pas de grappe.

Je vous déteste et rien ne pousse à vous aimer. Vous êtes cons. Vous méprisez vos amis pour des questions d’amour. Vous voyagez pour oublier l’emprise de votre travail. Chaque fois que vous expirez, c’est pour soulager votre stress. Vous voulez absolument évacuer votre vie. Vous n’en voulez plus.

Vous voulez mourir. Mais vous oubliez qu’il y a des gens qui ont besoin d’aide.

Votre vie sociale au 87 rue Sackville

Vous marchez sur un trottoir. Le temps vous fait penser à l’automne, mais c’est l’été. Vous observez la pointe de vos petites bottes. Elles ne vous plaisent pas. Elles ne sont pas à votre goût. Vous auriez préféré acheter les grises. C’est peut-être la saleté qui vous déplaît. La neige en a blanchi les extrémités. Et vous observez constamment la pointe grise de vos petites bottes qui étaient noires quand vous les avez achetées.

Vous croisez plusieurs voitures stationnées au bord de la route. Chaque fois que vous en croisez une, vous cessez d’observer vos bottes pour jeter un coup d’oeil à votre reflet dans les vitres des voitures. Les vitres teintées vous donnent un teint que vous ne détestez pas. Votre visage semble parfait sur ce trottoir. Vous avez l’air intouchable. Vous portez un sac très lourd et vous vous dites que vous en avez beaucoup sur les épaules. Mais vous continuez d’avoir fière allure.

Vous vous allumez une cigarette. Vous vous dites que vous n’aviez jamais fumé auparavant, mais que cette fois, vous fumez pour une bonne raison. Vous en avez marre de votre visage si beau qui ne sert à personne. Et puis tout compte fait, votre corps est assez bien fait. Vous connaissez plus d’une personne qui aimerait mettre la main dans vos culottes.

Vous frottez nerveusement le bouton à la taille de votre pantalon. Vous glissez une main dans la poche de votre pantalon et touchez quelque chose de bien aiguisé. Vous croisez un inconnu. Il vous viole, ou il vous attaque, peu importe puisque vous avez su prévoir le coup. Vous le poignardez et le laissez gémir sur le trottoir. Et vous vous dites que rien de cela ne s’est réellement produit. Vous avez imaginez cette scène. Mais vous continuez quand même de tâter le canif dans votre poche. Vous vous dites que vous êtes une personne forte.

Mais vous trébuchez sur une brique. Vous dites que la brique est idiote. Vous avez abîmé votre jean. Une vieille dame vous aide à vous relever. Vous lui dites que vous êtes plus jeune qu’elle et que vous n’avez pas besoin d’aide. Vous crachez sur sa main. Vous reprenez votre sac et continuez votre chemin. La vieille dame demande un mouchoir à un vieux monsieur. Elle veut essuyer la main sur laquelle vous avez cracher. Vous ne regrettez pas votre geste, mais vous vous demandez quelle haleine devait avoir ce crachat. Vous aviez mangé du beurre d’arachide ce matin-là. Vous vous dites que les crachats au beurre d’arachide ne doivent pas sentir grand-chose et vous poursuivez votre chemin en vous demandant si ce qui s’est produit s’est réellement passé.

Vous sortez une arme à feu de votre sac. Sans faire exprès, vous appuyez et détruisez tout le contenu de votre sac. Des gens appellent la police. Vous sentez que la police vous poursuit. Vous accélérez le pas. Chaque fois qu’un homme croise votre chemin, vous lui offrez votre arme mais il n’en veut pas. Vous entendez les sirènes de la police. Vous lâchez l’arme. Un homme décide de prendre le pistolet et tire une balle dans votre dos. Vous mourez.

Vous vous dites que ce n’était qu’un rêve. Ni votre corps, ni votre âme n’est mort. Vous poursuivez votre chemin. Un enfant joue dehors. Vous renversez tous ses camions. Vous marchez sur un jeu d’échec et celui-ci se fracasse. Vous bousculez une jeune fille de la maternelle. Son crâne se fend sur un lampadaire. Elle gémit encore derrière vous quand vous poignardez le ventre de sa mère. Vous vous décidez à lâcher le couteau. Vous vous dites que ce trottoir ne vous fait faire que des bêtises, alors vous voulez traversez la rue.

En traversant, une voiture vous évite de justesse. Elle ne vous tue pas, mais elle écrase deux jeunes filles, une vieille dame et un homme dans la quarantaine. Vous vous dites que de toute façon, la vieille dame puait le beurre d’arachide. Vous posez enfin le pied sur l’autre trottoir. À ce moment-là, une voiture vous fait sauter. Votre nez frappe contre le pare-brise et vous faites une petite commotion cérébrale. Vous vous relevez en disant que tout va bien. Vous reprenez votre sac et vous regagnez le trottoir. Vous vous efforcez de marcher droit, même si le sang coule le long de vos tempes.

Vous ne vous regardez plus dans la vitre des voitures. Vous êtes moches, vous le savez. Et vos bottes, vous n’en avez plus rien à foutre. Vous arrivez enfin au 87 rue Sackville. Une amie vous ouvre la porte. Elle vous salue. Vous lui dites que vous avez le corps décédé. Elle vous dit qu’elle comprend et que la route est longue et dure. Elle vous demande si vous avez ce qu’elle veut.

Et vous dites oui. Vous les avez, ses petites bottes grises... Elles sont dans votre sac. Vous les lui donnez. Vous admirez sont regard très heureux. Vous attendez qu’elle enfile ses petite bottes et vous murmurez un petit wow très désintéressé. Au moment de quitter le 87 rue Sackville, vous n’avez qu’un seul regret.

Vous : Elle aussi, j’aurais pu la tuer...

Ma réalité perdue


J’écris de plus en plus. Et plus j’écris, plus je me détache de la réalité. Si bien qu’aujourd’hui, je patauge nerveusement dans mes propres fictions, ne sachant tracer de fine ligne entre le faux et le vrai. 

La réalité que je connaissais autrefois me semble aujourd’hui lointaine, inconnue et intouchable. Elle glisse sur mes joues comme un vent d’automne. Je sais percevoir les effets qu’elle me propose et les sensations que j’aurais pu ressentir si j’étais resté chez elle, mais je l’ai quittée depuis trop longtemps déjà. La réalité demeure à des kilomètres de moi-même. Il y a, entre elle et moi, la montagne de mes mensonges ; le précipice de mes fautes ; et à travers tout ça, le déshonneur de ma culpabilité.

J’ai tenté maintes fois de lancer des chaînes, des crochets, et de fixer le cou de la réalité une fois pour toutes. Mais les monstres que j’ai créés au fil des années sont tous contre moi. Ils s’efforcent de libérer la réalité afin de vivre encore. Comme s’ils ne savaient vivre qu’à condition qu’elle soit morte. Je ne peux pas les blâmer : je ferais de même ; il ne faut pas se le cacher, je serai toujours le premier de mes monstres.

Depuis 7 ans, chaque soir, je pleure la perte de cette réalité. Je caresse les murs sans les toucher. Je bloque la lumière des ampoules avec mes pieds. Parfois, quand je sors dans la rue, je vois de lointains passants. Ils marchent à des kilomètres de moi. Je m’amuse à placer leur tête entre mes doigts. Même si mes mains ne quittent jamais mon visage, j’ai l’impression qu’une partie de leur réalité m’appartient. 

Lorsque je me couche, avant de m’endormir, je repense à l’époque où les fictions n’avaient encore aucune emprise sur moi. À huit ans, ma réalité était claire et ma vision l’était autant. J’allais à l’école et j’avais des problèmes à régler. Aujourd’hui, je me rends compte que je suis l’auteur de mes propres problèmes. Quand bien même j’essaierais de me départir de mes monstres, leur pouvoir sur moi est trop fort. Ils forment à eux seuls un monde que je dois conserver, sans quoi je mourrais. 

Certes, je pourrais abandonner mes monstres, mais je ne pourrais le faire qu’à condition que la réalité me rattrape par la suite. Ce serait un peu comme sauter d’une liane à une autre. Je n’ose rien risquer. Je ne peux pas faire confiance à la réalité. Il y a si longtemps déjà que je l’ai délaissée... Je ne vois pas pourquoi elle accepterait de me reprendre. J’ai été un salaud. Je l’ai malmenée. 

Au fil des ans, j’ai bu tant de bières... J’ai fumé tant de drogues... J’ai pris tant de poids... La réalité ne veut plus de moi. Si seulement elle m’accordait une petite place, je la gâcherais aussitôt. Je la déchirerais par l’énormité de mes vices. Je préfère encore dormir parmi les monstres... Une nuit de plus. Et si, demain matin, la réalité m’approchait et m’invitait solennellement chez elle, je jure que je ferais le ménage dans ma vie. 

Je commencerais d’abord par tuer le premier de mes monstres. Ensuite, je suis sûr, j’aurais de la réalité plein la face.

Le squelette écrivain


J’écrivais à ne plus jamais finir. J’écrivais jusqu’à m’en frémir le squelette. Celui-ci me parlait, sans arrêt ni point, ni temps mort ni silence il me dictait ses craquements osseux comme si j’allais comprendre la blancheur de sa poudre, comme si j’allais le faire renaître en une chair rose et poreuse il me dictait, me dirigeait par les battements de ses rotules et dirigeait mon écriture vers les sensations les plus grelottantes que ma réalité souterraine ait connues ; je m’activais, disparaissais de sous ma peau et longeais le fleuve de mes nerfs ultra nerveux, tout cela pour écrire le son de ses omoplates, de sa hanche ou de son coude je lui disais « squelette! tu me hantes comme une maison hantée! » ; ce à quoi il répondait toujours que je ne l’habitais pas ; ce à quoi je répondais qu’il me hantait de l’intérieur et ce à quoi je rajoutais « qu’en est-il de mes coudes à moi, squelette, qu’en est-il de mes vertèbres que j’aimais?! Je ne peux jamais les voir. Mon intérieur m’est caché. Tu en as fait ton secret et tu me prives de tâter l’état de mes propres os!»

« Tes os sont miens, tu ne peux pas les toucher... », dorénavant qu’il a dit au-travers de ma bouche, ce à quoi j’ai répondu qu’il avait intérêt à ne pas les briser, sans quoi!... « Sans quoi quoi? Si je les brise, c’est moi que je brise. Je n’ai de compte à rendre à personne. »

Je m’activais pour faire frémir mon squelette, j’avais bien envie de lui cogner le crâne mais « Si tu me frappes, c’est toi que tu frappes... » plus il parlait au-travers de ma bouche, plus je me disais qu’il ne devrait pas y avoir accès enfin, je me suis déchiré les lèvres, oui je les ai ouvertes jusqu’à en voir l’os et j’ai troué mes mâchoires afin qu’il parsème mon existence de quelques trous de silence. 

« ... »

J’ai disloqué ma mâchoire, frappé mes genoux contre toutes les tables de l’appartement cogné ma tête contre les moulures arraché mes dents sur toutes les armoires plié mes doigts jusqu’à la mort molle je suis tombé, plus d’une fois, sur mon pauvre dos j’ai saccadé les chocs jusqu’à m’en couper le propre souffle et j’ai dit, squelette dis-moi : « Tu vis encore, vampire?! »

Il m’a dit j’ai la mâchoire disloquée, le fémur brisé le crâne craqué les dents arrachées les phalanges molles les vertèbres saccadées « Mais tu parles encore! » mais je parle encore!... Écris! N’arrête pas d’écrire...

J’ai offert à mon squelette un bol de lait et j’ai dit régale-toi « tu peux bien mourir étouffé par le calcium si tu veux je m’en fous mais laisse-moi arrêter d’écrire, j’ai les phrases qui me secouent le diaphragme, et les mots qui veulent me vomir de la gorge! »

Mon squelette, voyant que je ne pouvais musculairement plus répondre à la demande, est sorti par ma hanche droite et sans faire attention, il m’a troué le ventre, ce à quoi j’ai miraculeusement survécu. 

Il m’a grondé, même si je n’étais devenu qu’une peau flasque étendue sur le sol. Il a dit « Tu fais ce que tu veux de ta peau! Mais la peau n’est rien si tu n’as pas le squelette qui vient avec!... » J’ai grimacé, il a ri, je lui ai dit que mes organes avaient besoin de leurs os parce que je devais aller chez le dentiste demain matin. Il a reculé d’un pas. Je lui ai dit que j’avais besoin de lui pour vivre. Il m’a demandé « pourquoi vivre? ».

J’ai répondu parce que je m’ennuie déjà de vivre comme avant, et la peau flasque que je suis ne sait rien faire et... Il m’a demandé « Et?...» Ce à quoi j’ai répondu évidemment, que bon d’accord, évidemment que je m’ennuie de pouvoir écrire comme avant... 

Il est rentré par le trou de ma hanche d’où il était sorti. Il a bien voulu m’habiter encore, à condition de rénover quelques trucs : « Vraiment, ta hanche droite, t’as vu la grosseur du trou? Faut faire quelque chose. Un troisième bras, ça t’ennuierait ou pas? J’ai un surplus de calcium à dépenser. »

J’ai ri. J’ai grimacé. Je me suis mis à écrire...

« Ha! La vie normale. Et demain matin, le dentiste c’est vrai? Oh merde il faut que je me refasse une beauté... »

Vin rouge fraise


Je jette la queue. Je mange une autre fraise. Je mange des fraises. Le soleil sur moi est d’un velours extrême. Je m’empiffre. Le jus coule. Le jus glisse. Un jus rouge qui tache mon col blanc. J’avale. Je m’essuie sur mes manches. La laine de mon pull brun est chaude comme la paille d’un nid d’oiseau. J’ai envie d’y poser ma tête. Le vent dans les arbres fait pleuvoir de la rosée. Je croque encore. L’intérieur de cette fraise est blanc. Elle n’est pas mûre. Je grimace. J’ai encore faim. J’en prends une autre. Celle-ci est presque brune. Elle goûte d’abord la terre sèche. Son intérieur est rouge vin. Je sape. Je lèche mes lèvres jusqu’au menton. J’ai l’air d’un clown. 

Regarde-toi... Tu as l’air d’un clown. Ça a coulé sur ton col... Le vin rouge, ce n’est pas facile à faire partir! Tu as gâché ta chemise. Celle que tu avais reçue pour ton anniversaire. Tu semblais si content de ton cadeau... Souviens-toi!

Je jette la queue et je souris. Je me souviens. Je m’assois par terre. Je me moque bien des adultes qui disent que je suis mal élevé. Je m’empiffre à même le champ de fraises. Je ruine mes pantalons. J’essaie d’attraper les abeilles avec mes mains. 

Ça ne se fait pas, s’asseoir par terre dans un restaurant... Et tu ne devrais pas essayer d’attraper la jupe des serveuses avec tes mains. Ta copine ne serait pas contente si elle te voyait... 

Le soleil rougit mes joues. Je me couche sur le dos. J’observe les étoiles qu’il n’y a pas. Je me demande où elles sont passées. Il n’y a que le grand bleu et le brouillard blanc de l’horizon. Je crache en l’air. Des gouttes de pluie sorties de nulle part éclaboussent gentiment le bout de mon nez. Je souris encore. Je ne me souviens pas d’un jour aussi heureux.

Relève-toi. Reviens à table. Il n’y a rien de drôle à contempler le plafond. Tu ne fais que te cracher au visage. Les gens te trouvent étrange. Tu devrais prendre une gorgée d’eau, ça te ferait du bien...

Je me fous des responsables qui me disent que ce champ n’est pas encore prêt pour la cueillette. Je ne vois déjà plus mes parents. Je suis seul envers le ciel. La dernière fraise, dans ma main, se presse de bonheur.

Tu devrais revenir... La serveuse te demande ce que tu fais couché par terre. Elle demande si elle devrait appeler l’ambulance. Reviens donc. Il ne reste plus de vin, mais il reste une fraise dans ton assiette...

Je n’écoute plus ceux qui me disent de revenir sur terre. Je suis si près de la terre que je l’entends trembler. Je ne suis pas dans les nuages. Je suis nostalgique...

Excusez-le! Il est alcoolique...

23 mars 2010

Les charlottes





Dans un couple, l’un des deux se lève toujours avant l’autre. De nous deux, c’était Charlotte qui se réveillait la première. Elle prenait son café vers 7h15, après quoi elle passait près d’une heure devant le grand miroir de la chambre pour se maquiller, se regarder, se coiffer et s’habiller. Enfin, vers 8h30, elle réveillait notre fille Judith. Elle la maquillait devant ce même miroir, la coiffait, la regardait et l’habillait. Finalement, vers 9h, Charlotte partait travailler et Judith partait pour l’école. Toutes deux faisaient tout cela dans la plus grande discrétion pour ne pas me réveiller.

Je ne me levais jamais avant 10h. Avant d’ouvrir les yeux, je criais « bonne journée ma chérie!... ». Et j’attendais sa réponse pendant une dizaine secondes... C’était ma façon à moi de m’assurer qu’elle n’était plus là. Comme il n’y avait jamais de réponse, je bondissais immédiatement hors du lit et je commençais à faire le ménage de la chambre.

Mais ce matin-là, quand je suis sorti du lit, Charlotte était toujours là. Debout, elle se tenait dos au miroir de la chambre. Pourtant, comme à l’habitude, je lui avais souhaité une bonne journée et comme à l’habitude, elle n’avait rien répondu. Elle me regardait d’un air étrange, comme si elle me reprochait, toutes ces années, d’avoir attendu qu’elle soit partie travailler pour sortir du lit. J’avoue que la gaieté avec laquelle j’avais bondi ce matin-là aurait pu laisser croire que l’absence de ma copine m’était agréable... Et j’avoue que mon énergie aurait pu prouver que je m’étais réveillé depuis longtemps... Mais je jure que je n’ai jamais fait semblant de dormir et que je n’ai jamais attendu que Charlotte quitte la maison pour ouvrir l’oeil. À partir de là, je conviens que mon comportement peut paraître étrange, mais ce qui est plus étrange encore, c’est la présence de ma femme dos au miroir, un lundi matin à 10h23. 

- Passe une bonne journée...! Ma chérie? 

Je m’étais assis au bout du lit. Je la regardais. Elle me fixait. Je suis allé poser mes mains sur ses épaules. Je lui ai dit que j’avais énormément de ménage à faire aujourd’hui, et que c’était pour cette raison que j’avais bondi du lit si rapidement... Et que si j’avais eu l’air si joyeux, c’était parce que son visage avait été la première chose que j’avais vu à mon réveil. 

Elle a avancé lentement jusqu’au placard comme si elle ne me voyait pas. Elle a pris une robe mauve qu’elle avait depuis longtemps mais qu’elle ne portait jamais. Elle l’a enfilée et, en un pivot, elle s’est retournée face au miroir. Elle a paradé en direction du miroir. De ce miroir est sortie une autre charlotte, identique à celle qui s’observait dans la glace, mais de quelques centimètres plus petite. 

Je ne pouvais pas y croire. J’ai cru que je dormais. Ma vision s’est mise à onduler. Mais je jure que j’ai pincé mon avant-bras plusieurs fois avant de réagir. 

- Charlotte! T’as une autre toi! Devant toi! Tu t’es clonée! 

Ni l’une ni l’autre ne répondait à mes exclamations. Elles marchaient l’une contre l’autre. Je crois qu’elles ne se voyaient pas. Elles étaient des robots. Ou plutôt (mais c’est pareil), des illusions. Elles étaient programmées pour sortir d’un miroir, se tenir dos au miroir, s’avancer jusqu’au placard, en sortir un vêtement et l’enfiler. C’était tout ce qu’elles savaient faire. 

La deuxième charlotte a enfilé un veston noir à paillettes. J’ai tenté de l’empêcher de pivoter en direction du miroir, mais sa force était plus robuste que celle d’un éléphant.

- Écoute-moi Charlotte! Il faut que t’arrêtes de te regarder dans le miroir! Sinon d’autres Charlottes vont sortir!

Mes paroles n’ont servi à rien. Elle a pivoté et s’est mise à parader comme l’autre. Une troisième charlotte est sortie. Celle-ci s’est déshabillée. Tandis qu’elle se dirigeait vers le placard, je me suis jeté sur elle. Je l’ai soulevée dans mes bras pour la lancer sur le lit. Une fois étendue, elle a enfin fermé les yeux et cessé de bouger. Tout portait à croire qu’elle était morte. Mais je voulais m’en assurer. Alors je l’ai relevée. J’ai posé son dos contre la tête du lit et elle s’est mise à revivre. Je l’ai étendue à nouveau, et j’ai pu l’embrassée sans qu’elle ne fasse rien. Elle n’a eu aucune réaction. J’ai compris que les illusions naissaient à la verticale et mouraient dès qu’on les mettait à l’horizontale. Je me suis alors senti doublement vivant. Et de sentir mon corps aussi vivant m’a donné envie de partager.

Je jure qu’à ce moment-là, la troisième charlotte était pour moi identique à la première. Quand je lui ai fait l’amour, je jure que je n’avais aucune pensée nécrophile. Seulement le désir normal que n’importe qui aurait en retirant les sous-vêtements d’une femme ou d’une femme-robot. 

Son intérieur était beaucoup plus maigre, et beaucoup plus osseux que celui de la première. Et je tiens à dire que c’est à cette étroitesse que je pensais pendant l’acte sexuel, à cela et à rien d’autre, jusqu’à ce que mon plaisir finisse enfin et que l’impression de baiser une morte me frappe. Je me suis retiré des draps plus vite que ma main n’avait glissé sous sa culotte et je me suis précipité dans la cuisine. Quand j’y suis arrivé, la première charlotte se tenait devant une bouilloire d’où sortait d’autres charlottes pas plus grandes qu’un petit doigt. Ces charlottes aux robes mauves avaient parfois d’énormes têtes, parfois d’énormes pieds, comme si elles avaient été déformées par le reflet inexact de la bouilloire. 

Devant la cuisinière, la deuxième charlotte tenait une cuillère du bout des doigts. Elle s’y observait et, comme des insectes, d’autres charlottes en sortaient encore. Elles longeaient le manche de la cuillère jusqu’au vide et s’écrasaient par terre. Plusieurs en mouraient, mais d’autres survivaient à la chute, extrêmement petites, vêtues du même veston noir à paillettes que portait la deuxième. 

Je n’ai eu aucun mal à écraser les charlottes-insectes. Mais il restait toujours ces deux grandes que je ne savais pas où mettre. Je les menaçais avec le plus gros couteau de ma cuisine, mais cela n’y faisait rien. Elles continuaient de se multiplier, et plus elles se dédoublaient, plus j’en écrasais. La céramique de la cuisine était recouverte du sang des charlottes que ma semelle stoppait. 

J’ai fait glisser la lame de mon couteau sur le poignet de la première charlotte, ce qui m’a permis de prendre la bouilloire. La deuxième était plus coriace. Les traits du couteau ne lui faisaient rien. J’ai dû lui crever un oeil. Enfin, j’ai pu prendre toutes les casseroles, tous les verres et tous les ustensiles. J’ai cassé tous les miroirs et j’ai caché tous les objets réfléchissants de la maison dans la chambre de ma fille. Elle était à l’école et je me suis dit que j’aurais amplement le temps de faire un ménage avant qu’elle n’en revienne.

Les deux charlottes cherchaient les miroirs que j’avais brisés. Elles sortaient de leurs poches d’autres insectes aux allures de ma copine. Celles-ci rampaient par terre, microscopiques. Je me suis dit que les charlottes rapetissaient au fur et à mesure qu’elles se multipliaient dans les reflets. J’ai longtemps cherché la quatrième charlotte, me disant qu’elle devait être par sa grandeur beaucoup plus imposante que les petites qui sortaient du soutien-gorge de ma première et de ma deuxième.

Je n’ai trouvé aucune quatrième, ni cinquième, ni sixième charlotte. Il semble que le reflet des objets ait précipité la petitesse des charlottes qui longeaient les moulures de mon plancher. Je suis retourné à la première de toutes et je l’ai accusée d’être la cause de tout ce malheur. Je devais la tuer. Elle était une erreur du miroir. Un bogue. Je me sentais comme un anti-virus. J’avais payé très cher un système d’alarme pour la maison, mais celui-ci ne fonctionnait que si un intrus tentait d’y entrer, pas si un intrus y apparaissait sans ouvrir les portes. 

Je l’ai étendue par terre. Elle a fermé les yeux. C’était un cas de légitime défense. La première charlotte avait été une sorte d’intrus et je me suis introduit en elle pour me défendre à sa manière. Je jure que, si je lui ai fait l’amour, c’était parce que j’étais heureux d’avoir réglé le problème. Je croyais bêtement qu’en enfonçant ma vie dans son utérus d’acier, elle s’en retournait par les morceaux brisés du miroir. Mais je ne savais pas qu’elle ne ferait que mourir et que je devrais me débarrasser de son corps. 

J’ai caché le cadavre dans la chambre de ma fille. Je me sentais épié. Partout, aux coins des plafonds, il y avait des nids de charlottes. Il y avait plein de petites filles avec tantôt de grosses têtes qui ouvraient la bouche mais qui ne parlaient pas, tantôt d’énormes pieds qui dansaient mais qui ne marchaient pas. Je me suis dit que tout finirait par se savoir et que ma fille piquerait une colère si elle apprenait que le cadavre de ses mères avait contaminé son plancher. C’est pour cette raison que j’ai javellisé les murs. C’est aussi pour cette raison que j’ai forcé pour introduire la bouteille d’eau de Javel vide entre les jambes de la deuxième charlotte étendue par terre... 

J’ai tenté de les nettoyer, de les purifier, mais elles étaient déjà vides. Elles n’avaient rien en dedans. Je n’ai rien tué. Oui j’ai visité, oui j’ai javellisé le vide... Mais c’était comme faire éclater une bombe dans l’espace. Quelques flammèches sans bruit. 

Une autre charlotte est soudainement entrée par la porte. J’ignore pourquoi elle avait les clés de la maison. Ça n’a pas pris de temps : je l’ai étendue au sol. Je guettais le coin des murs comme je baissais mon slip. On m’espionnait toujours. Les mini-charlottes fourmillaient dans leurs nids malgré l’odeur de l’eau de javel. J’ignore ce qu’elles faisaient. Je crois qu’elles tissaient quelque chose, un veston, ou une robe qu’aurait portée la quatrième charlotte ; celle-là qui suffoquait justement sous mes paumes comme un réel poisson.

Je lui ai fait l’amour sans grand plaisir, puis je l’ai laissée dans la chambre de ma fille avec les autres. Je cherchais un moyen de me débarrasser de tous ces cadavres quand ma fille est rentrée de l’école. Elle m’a surpris à poil. Elle a vu ses mamans nues. Je me suis senti humilié. D’autant plus humilié lorsque Judith m’a accusé du meurtre de sa vraie mère. J’ai tenté de la rassurer :

- Elles ne sont pas mortes... Elles sont étendues. C’est comme ça qu’on tue les robots. Prends-en une et relève-la. Si c’est ta vraie mère, elle va revivre... Sinon, aide-moi à trouver la cinquième...

Ma fille pesait sur tous les ventres, soufflait dans toutes les bouches et prenait n’importe quoi dans ses bras. Pourtant, les charlottes qu’elle étreignait amoureusement n’étaient que des robots inutiles.

Puis, on a sonné à la porte. Un coup. Puis quatre coup. Puis un autre coup. Puis un dernier coup. Judith a reconnu la mélodie et s’est précipitée en criant maman. Moi, j’avais le couteau bien serré dans ma paume. J’étais près à tuer pour défendre ma maison et ma famille.

La nouvelle charlotte que ma fille avait fait entrer était de la bonne grandeur. Contrairement à celles que j’avais baisées, celle-ci savait s’exprimer. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas cru à son sourire. Il ressemblait drôlement aux sourires qu’auraient eu mes robots si ceux-ci m’avaient souri. Je n’ai pas pris de chance. Je ne pouvais pas mettre la vie de mon enfant en danger. 

J’ai sorti le couteau. Je l’ai étendue dans le lit de la chambre. Je l’ai laissé saigner. J’ai senti ses yeux se fermer. Je l’ai déshabillée. Et sous la mort, je suis monté sur elle. Je ne l’ai pas tuée : elle est morte parce qu’elle a été étendue. Et son coeur a arrêté de battre parce que ma fille n’arrêtait pas de pousser des cris de peurs.

Après un moment, Judith a cessé de crier. Elle est restée plantée devant ses parents comme une poupée muette. Il faut dire que cette charlotte-là était différente des autres. Je lui ai fait l’amour plusieurs fois. Sa mort me faisait oublier les événements bizarres de la journée. Je dirais même qu’elle m’a fait oublier l’existence de ma propre fille. Pour la première fois depuis des années, j’ai pu m’endormir tranquillement, sans culpabilité et sans aucune angoisse.

*

Le lendemain matin, vers 10h, j’ai souhaité bonne journée à Charlotte. Elle ne m’a pas répondu. Je me suis dépêché de sortir du lit parce que je savais qu’il y avait beaucoup de ménage à faire. Aussitôt levé, je me suis rassis au pied de mon lit. Ma fille se tenait devant moi et me fixait avec de grands yeux cernés. 

À cette heure-là, elle devait être à l’école. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait debout, dos au mur où le grand miroir ne se trouvait plus. Elle n’a rien répondu. Elle avait l’air fâché, ou traumatisé, ou effrayé. J’ai cru qu’elle allait me reprocher de ne pas avoir nettoyé sa chambre ou qu’elle allait me rendre coupable de quelque chose. Elle a simplement continuer de bouder. Elle a marché jusqu’au placard et a sorti la vieille blouse fripée de sa mère. Elle l’a serré contre son coeur et a pivoté en direction du mur. Je me suis mis à rire, très fier d’avoir brisé les miroirs de la maison et d’avoir enfin compris que son air n’avait rien d’humain : cette judith n’était qu’un robot qui tentait de reproduire le même scénario que la veille.

Elle aussi devait avoir compris quelque chose : sans miroir, elle était dans l’incapacité de se dédoubler. Elle s’est elle-même laissée choir par terre. Elle a fermé les yeux pour s’offrir à moi. Avec ce nouveau petit robot inoffensif, j’ai eu un réel plaisir. Je n’ai pas eu à me battre. Je l’ai rejoint au sol et j’ai déposé son petit corps mou sur le mien. Elle s’est mise à bondir par petits coups. Comme une morte sur le dos d’un cheval vivant.



17 mars 2010

Une mort de la littérature


Je me demande comment les astres peuvent ovuler et comment les piastres peuvent pulluler ; comment la milice peut encore attaquer et la police craquer. Quand on voit de ces choses, de ce qui se passe, de ce qui se vit sous le flou de l’ozone, je me demande pourquoi un humain ne se résilie pas à être un crétin qui ne lit pas.

Je me demande pourquoi on s’efforce pour un écrit si le code morse lui survit. Quand on voit de ces choses, de ce qui se prose, je comprends que les fous rient jaune. Ils rient du flamboyant des artistes et de l’argent des tristes.

C’est drôle. Comme les poutres d’acier fondent vite. Au pôle. Comme les loutres moribondes nous limitent. Il nous faudrait plus de cash. Plus d’incendies. Plus de morts fructueuses. Faudrait y mettre la hache. Carburer à la folie. Gruger les pierres précieuses. 

Je me demande pourquoi la peur s’immisce et pourquoi les pollueurs s’en crissent ; et pourquoi nos coeurs sont lisses si la rancoeur est un vice. Pourquoi continuer d’écrire de jolis textes en espérant, s’il est impossible de créer des circuits complexes chez le mourant...

S’il faut mourir et disparaître. 
Je ne veux pas écrire, je veux être.
Je ne veux guider nulle part.
Je veux dire ce que je veux dire.

C’est qui le con qui va lire Balzac en 4510?

La douche froide



*

Jaüst avait quatorze ans et n’avait pas de manteau. Il ne portait qu’un coton ouaté avec un capuchon sur sa tête. Quoiqu’à bien y penser, son capuchon n’était plus sur sa tête lorsque nous avons commencé à courir. Feber, lui, avait dix-sept ans et portait un manteau qui n’était pas le sien. Il l’avait attrapé à la hâte en sortant du chalet. C’était un manteau beaucoup trop grand pour lui. Enfin, Bonnie avait douze ans et ne portait qu’une petite blouse blanche. 

Avant de me sauver du chalet, j’avais attrapé un foulard multicolore qui pendait sur le dossier d’une chaise. Je l’ai enroulé autour du cou de Bonnie pendant que nous courions. J’avais quatorze ans.

Jaüst a été le premier à s’essouffler. Il était le plus gras d’entre nous. Il faisait énormément de bruit avec sa gorge. On aurait dit un cochon de lait sur le point de mourir. J’ai crié à Feber de s’arrêter. J’ai regardé tout autour. Tout était noir, sauf ma montre digitale Indigo qui indiquait 23:33. Elle avait un écran vert fluorescent qui me rendait très cool et qui s’allumait lorsque j’appuyais à droite. 

Bonnie tentait de nous convaincre de retourner au chalet, mais nous avions trop la trouille de se faire tuer par le père de Bonnie. Il était fou d’avoir tué sa femme sous mes yeux. 

Mes yeux se sont habitués à la noirceur et j’ai pu voir toute la neige dans laquelle nos pieds s’enfonçaient ainsi que tous les troncs d’arbres sur lesquels Jaüst s’était frappé la tête. La route déneigée se trouvait probablement à trois kilomètres d’où nous étions, et le bruit des voitures qui n’y passaient jamais le samedi la rendait impossible à localiser. J’ai essayé de mémoriser les étoiles, mais Bonnie était si paniquée que j’en ai perdu le compte.

Feber : Preuche!... Tu sais où on est?

Preuche : J’ai perdu le compte, mais la route devrait être à gauche... 

Jaüst : Il doit bien y avoir une boussole dans ta montre Indigo. Cherche comme il faut.

Je connaissais très bien ma montre. Elle avait le pouvoir de scintiller dans le noir, de jouer la mélodie de Frère Jacques et de chronométrer, mais elle n’avait pas de boussole. Bonnie était bien la seule à affirmer savoir où aller. Mais personne n’acceptait de la suivre car nous savions qu’elle voulait nous entraîner vers le chalet de son père.

Jaüst : T’as pas ton cellulaire?

Feber : Non, il est dans ma poche de manteau... Dans la chambre au chalet.

Feber a proposé de faire du jogging. Il croyait que de bouger nous réchaufferait. Jaüst n’était pas d’accord. Il préférait se coller sur les autres comme un pingouin. Alors nous avons fait comme ça : une demie-heure de course, et une demie-heure de pingouins. Chaque fois que la demie-heure-pingouins était terminée, Jaüst argumentait :

Jaüst : Mais on n’a nulle part où aller!

Feber : Tu préfères peut-être dormir et mourir sur place?

En fait, Feber voulait survivre jusqu’au lendemain matin parce qu’il croyait que du moment que je verrais le soleil se lever, je saurais où aller. Je lui avais dit que la route était au sud et que le soleil se levait toujours au sud. Dans sa tête, nous n’avions qu’à suivre le soleil pour être sauvés.

Jaüst a décidé de suivre. Nous avons couru une demie-heure, puis nous nous sommes arrêtés près d’un lac enneigé. Plus personne n’avait la force de marcher. Même Feber avait les yeux fermés. Avant de m’endormir, j’ai cherché d’autres fonctions à ma montre Indigo. Je n’ai jamais trouvé la boussole, mais j’ai trouvé la fonction température : -10.

*

Quand Bonnie s’est réveillée, ma montre Indigo indiquait 5:45 et -16. Bonnie était enveloppée par nos six bras. Je ne sais pas si c’est elle qui s’était taillé une place serrée sous nos manches ou si c’est nous qui voulions se rapprocher d’elle, mais en voyant qu’elle n’était pas morte, j’ai remercié le ciel de ne pas l’avoir emportée.

Bonnie : J’ai dormi combien de temps...

Preuche : Douze minutes quarante-six secondes... Quarante-sept... 

Jaüst : Le soleil veut se lever. Il se lève de l’autre côté du lac... Ça veut dire que la route est de l’autre côté du lac?!

Bonnie s’est levée sans connaissance. Elle a marché, évanouie, dans une direction qu’elle croyait être celle du chalet. Je l’ai suivie, mais je courais deux fois moins rapidement qu’elle ne marchait. Il me semble que plusieurs minutes ont passé avant que je ne parvienne à la rejoindre. J’ai attrapé sa main. Elle se tenait devant un énorme bassin blanc. C’était une baignoire apparue de nulle part. De manière un peu machinale, Bonnie a activé le robinet de gauche, sans trop savoir ce qui se passerait. Relié à ce robinet, il y avait un pommeau de douche duquel est sorti un jet d’eau chaude.

Jaüst a crié que Feber était gelé, mais personne ne l’a entendu.

Jaüst : Feber est gelé! Son manteau a disparu!

C’est vrai, il avait aussi dit que son manteau avait disparu. Mais personne ne l’avait entendu. Bonnie a posé un pied dans la baignoire. Je me suis jeté sur elle juste à temps. Je l’ai repoussée dans la neige. Son manteau n’a pas eu le temps de se faire mouiller.

Preuche : T’es folle! La douche peut s’arrêter n’importe quand!... Mais depuis quand tu portes le manteau de Feber toi? 

Jaüst a traîné Feber jusqu’à la douche. Je n’ai rien vu de la scène, mais quand je me suis retourné vers la baignoire, Feber, torse nu, était déjà sous le jet d’eau. Une fois sous l’eau, ses yeux ont commencé à dégeler. Ils se sont ouverts, mais ils avaient l’air de souffrir, comme si l’eau les ébouillantaient. Alors Jaüst a répandu une couche de neige dans la baignoire pour que le corps reste tiède. Quelques minutes plus tard, Feber semblait rétabli. Il repoussait Jaüst chaque fois qu’il arrivait avec de la nouvelle neige. 

Feber : T’essaies vraiment de me congeler avec ta neige le gros...

Jaüst a pleuré parce que les manches mouillées de son coton ouaté étaient devenues dures comme de la glace et moi j’ai commencé à avoir peur. Bonnie, elle, avait presque le goût de sourire. 

Bonnie : De toute façon, ça servait à rien de courir comme des pingouins...

Feber : Tu dis ça parce que ça t’arrange d’avoir mon manteau sur le dos...

Bonnie : C’est même pas le tien!

Ces deux-là se disputaient. Jaüst a enlevé son coton ouaté. Il a marché jusqu’à moi et me l’a offert. Il a dit qu’il n’en aurait plus besoin une fois sous la douche. Feber s’est levé et a sorti sa tête du jet d’eau comme un monstre. Il a ordonné à Bonnie qu’elle fasse la même chose.

Bonnie : Non! C’est Preuche qui devrait me donner ses vêtements! Je sais où aller! 

Nous avions décidé que l’un de nous recevrait les vêtements de tous les autres. Feber disait qu’une personne bien habillée en valait mieux que quatre gelées. Je n’aurais jamais eu le courage de prendre les vêtements des autres, mais puisque Feber voulait décider...

Feber : Bonnie, tout ce qu’elle veut, s’est retourner au chalet alors si on la laisse filer, son père va la tuer comme il a fait avec sa mère… 

Bonnie : Je suis sûre que Preuche ment! Mon père aurait jamais tué ma mère! C’est Preuche qui a tout inventé!

Feber : … et puis Jaüst est trop gras, il court aussi vite qu’un porcelet. Je miserais pas sur lui. Et moi, je suis déjà sous la douche. Alors il reste Preuche. On n’a pas le choix. C’est lui qui doit nous sauver.

J’étais l’élu par défaut. Bonnie a fait une crise, mais personne ne l’a écoutée. Pas même moi. 

Feber : Jaüst... enlève-lui son manteau et son foulard et pousse-la sous la douche...

Jaüst a obéi. Je me suis retrouvé seul devant une pile de vêtements. Je me suis habillé du mieux que j’ai pu. Je portais déjà une combinaison d’hiver en laine de mérinos, puis une autre combinaison en molleton. À cela, j’ai ajouté le coton ouaté de Jaüst, le manteau large et le foulard que Bonnie portait. Ma mère aurait été fière de moi. Elle qui m’obligeait toujours à m’habiller chaudement pour aller courir. Là, j’étais plus qu’au chaud. 

Je suis parti en direction du lac gelé. Je l’ai traversé et puis j’ai eu la frousse. Plus j’avançais dans les bois, plus les branches craquaient. Et plus les branches craquaient, plus je croyais voir des loups et des pièges à ours. Pour désamorcer les pièges, j’utilisais une vieille pelle que j’avais trouvé dans un fossé. Je ne suis jamais tombé sur aucun piège, mais si ça avait été le cas, ma pelle l’aurais désamorcé avant même que j’y mette le pied. Je me trouvais très courageux de faire tout ça. Je me suis dit que le secours pouvait attendre. Je me suis assis sous un arbre et j’ai pensé : j’ai traversé le lac mieux que Bambi, et puis j’ai échappé aux ours, ce que Boucle D’or n’aurait pas fait. Je dois déjà être très célèbre à l’heure qu’il est. J’ai regardé ma montre Indigo : 9:24. 

Ça devait bien faire une heure que j’étais assis là, sous le sapin à rien faire. Mes amis ne me voyaient plus depuis longtemps et rien ne m’empêchait d’inventer une histoire pour retourner héroïquement auprès d’eux. 

Je me suis dit que je leur dirais que j’avais vu un loup et que je l’avais battu à coups de pelle. J’ai pris la pelle et je suis retourné sur mes pas. J’ai commencé à courir sur le lac comme si j’étais pourchassé. 

Feber : Hé, c’est quoi là-bas?!

Jaüst : Une silhouette...?

Bonnie : C’est quelqu’un! C’est du secours! 

Ils se sont mis à crier et à faire de grands gestes en ma direction. J’ai cru qu’ils seraient heureux de me voir. À un tel point que, quand je suis arrivé à la baignoire, je croyais qu’ils allaient tous me serrer dans leurs bras.

Feber : Viens ici que je te frappe! Qu’est-ce que tu fous là, idiot?! Il est où le secours?!

Preuche : Le... Oui! C’est, ouf... Dramatique... Un loup voulait... me bouffer alors... j’ai couru jusqu’ici et... ah j’ai pas eu le choix les amis... Je l’ai tué sans faire exprès, avec ma pelle et... je me retrouve un peu seul et... Je peux venir sous la douche avec vous?

Jaüst : Il sait courir, mais... mais il est con?

Bonnie : Je vous l’avais dit! Vous auriez dû me donner les vêtements à moi!

Bonnie est sortie de la douche. Elle a voulu m’arracher mes vêtements de sur le dos. Mon réflexe, en voyant une fille toute nue courir après moi, a été de m’enfuir. Elle m’a poursuivi jusqu’à très loin. Jusqu’à trop loin. Elle a eu froid et elle s’est arrêtée. Elle a tenté de revenir à la douche mais elle a été frappé d’hypothermie. J’hésitais entre lui rendre secours ou l’achever, parce que j’avais toujours peur que les femmes excitées arrachent mes vêtements. J’ai paniqué. Je me suis dit qu’elle était fille de tueur et j’ai préféré la laisser mourir de froid. 

Mes deux autres copains me criaient des insultes. J’ai brandi ma pelle et je leur ai dit que j’avais une idée. Je leur ai dit qu’il devait bien y avoir un réservoir d’eau chaude sous cette douche. Et ce réservoir devait bien être alimenté par quelque chose. J’ai commencé à creuser. Le tuyau du robinet menait effectivement à un réservoir sous la douche, et de ce réservoir sortait un boyau très chaud. La neige fondait sous ma pelle. Jaüst a cessé de m’insulter. Il m’a dit de continuer de creuser.

Je dégageais le boyau. Je me suis rendu compte que celui-ci était disposé de façon plutôt circulaire, car plus je pelletais, plus je tournais en rond autour de la baignoire. Feber me jetait de l’eau tiède à la figure chaque fois que je passais devant lui et une fois, ça m’a fait sursauter. J’ai percé le boyau avec la pelle. L’eau chaude a éclaboussé ma pelle et mon visage. 

Leur pommeau de douche a perdu de l’eau. Le jet est devenu trop mince pour deux personnes. Feber a voulu gardé l’eau pour lui, alors il a poussé Jaüst dans la neige et l’a repoussé chaque fois qu’il tentait de remonter dans la baignoire. À un moment, ma pelle a creusé les fesses de Jaüst. J’ai su qu’il était mort. J’ai sursauté et j’ai percé le boyau une deuxième fois. 

Feber tremblait de froid sous le petit jet. J’ai bien essayé de le secourir, mais chaque fois que je m’approchais de lui, il ne faisait que me frapper. À un moment, j’ai senti que mon nez s’était cassé alors j’ai couru chercher de l’aide. J’ai retraversé le lac et j’ai dépassé le petit bois. Je ne suis tombé sur aucun piège, mais je suis tombé sur un homme qui skiait. Je me suis relevé. Il s’appelait Baptiste. Il avait vingt-quatre ans et portait une combinaison de neige. 

Preuche : Il faut que vous m’aidiez! J’ai un ami, là-bas, qui m’a cassé le nez et je crois que c’est grave! Je sens pas mon nez! 

Heureusement, mon nez n’était pas cassé. Mais il était un peu gelé, ce qui est tout de même très grave. Alors Baptiste m’a reconduit chez lui et nous avons pris un café avec ses parents. 

Baptiste : C’est une Indigo que tu as là? 

Preuche : Oui... Et j’ai la fonction chronomètre... J’ai traversé le lac en 06:11! C’est mon meilleur temps!

Baptiste : Tu connais la fonction boussole? 

Preuche : Non. Je connais le coin. Mais j’ai des amis pour qui ça serait utile…

Baptiste : Tu traverses souvent le lac?

Preuche : Oui. Je me pratique tous les samedis.

Il m’a montré où se trouvait la fonction boussole. Ses parents se sont levés de table et sont montés à l’étage du dessus. J’ai bu mon café. J’ai eu l’impression que cette fois, je pourrais le faire en 6 minutes. J’ai eu besoin d’aller aux toilettes. J’ai monté l’escalier. J’ai croisé les parents de Baptiste et je suis redescendu aussitôt. 

Preuche : Baptiste! J’ai vu ton père en train de poignarder ta mère! Il faut que je sorte d’ici! Vite!

Je suis sorti si vite de chez lui que j’ai oublié mon foulard multicolore. Moi, j’avais toujours une mission. Feber comptait encore sur moi. S’il n’avait pas été mort à mon retour, il aurait été fier de me voir revenir avec la fonction boussole. C’est pour vous dire, cette fois-là, j’ai été plus rapide qu’un chevreuil. J’ai traversé le lac en 05:49.

Asthmatisme


Il faisait beaucoup d’asthme alors je lui ai dit bois beaucoup d’eau. Il m’a dit je bois beaucoup d’eau. Je lui ai dit est-ce que je t’ai dit que je lui ai dit bois beaucoup d’eau? Il m’a dit qu’il lui avait déjà dit que je lui avais beaucoup dit. Je lui ai demandé s’il faisait de l’asthme. Il m’a dit oui. Je lui ai dit de boire de l’eau. Il m’a dit que je ne lui avais jamais dit mais qu’il buvait beaucoup de bières. Je lui ai dit que la bière était pareille que l’eau, mais que la mémoire de l’eau n’était pas la mémoire de la bière. Il m’a dit quoi. J’ai dit la bière. Il a dit quelle bière? 

J’ai dit celle-là. Il a repris sa bière. Je lui ai dit de boire de l’eau. Il a pris une gorgée de bière et j’ai dit de l’eau. Il m’a apporté un verre d’eau, je l’ai pris mais le lui ai tendu aussitôt. Il m’a offert sa bière et je l’ai bue aussitôt. Je lui ai demandé s’il faisait de l’asthme. Il m’a dit qu’il m’avait déjà dit oui. Je lui ai dit que je lui avais déjà dit de boire son verre d’eau. 

Il m’a demandé si je faisais de l’asthme. Je lui ai dit que je buvais beaucoup d’eau. J’ai pris son verre d’eau et je l’ai bu aussitôt. Il m’a dit qu’il avait la gorge sèche. Je lui ai dit est-ce que je t’ai déjà dit que je lui ai dit qu’il avait la gorge sèche? Il m’a dit qu’il lui avait déjà dit que son verre était vide. Je lui ai servi un verre d’eau mais il ne l’a pas bu. 

J’ai fait semblant d’avoir la gorge sèche. Il m’a offert un verre d’eau. J’ai fait semblant de tousser. Il m’a offert une bière. J’ai fait semblant de mourir et il m’a demandé si je faisais de l’asthme. J’ai dit de l’eau. Il a bu un verre d’eau. Il m’a demandé est-ce que je t’ai déjà dit qu’il buvait de la bière? Je lui ai dit qu’il m’en avait déjà parlé. Il a mis ses deux pieds sur ma gorge et il a crié que je faisais de l’asthme. 

Tout le monde a bu un verre d’eau. À ma santé.

11 mars 2010

Le passeur d'aspirateur





J’ai passé l’aspirateur. Mais il devait y avoir quelque chose de bloqué dans le tuyau de l’aspirateur pour que j’y entre ma langue. J’ai dû tousser. Je fais de l’asthme. Je veux dire, normalement, je n’entre jamais ma langue dans aucun boyau, mais celui-là, en cette occasion spéciale-là, je n’ai pas pu faire autrement. J’ai mis la langue dans le boyau de mon aspirateur. 

Ça a d’abord tiré très fort. J’ai cru que le palais me détachait. Et j’ai cru mon nez entrer lui aussi. Et j’ai senti mon front se faufiler dans le tube. Et j’ai senti le boyau de l’aspirateur aspirer tout mon être. J’ai voulu débrancher l’appareil, mais j’étais emprisonné à l’intérieur d’une armure de poussières. Je ne pouvais pas sortir mes bras du réservoir de l’aspirateur. Je me suis mis à crier à l’aide. Une poussière m’a parlé : 

- Arrête de crier! T’as déjà entendu une poussière crier?!

- Je ne suis pas une poussière! lui ai-je dit. Je suis un être humain! 

- Un être quoi?...?!

- Vous savez... Le gros truc qui nettoie la poussière!

- Le boyau de l’aspirateur?

- Non! Celui qui le tient!

Les poussières ont cessé de rire. Elles percevaient ma présence comme un véritable problème. Leur ton est devenu dramatique : 

- Si tu es là, qui va ramasser la poussière?! Notre population est en pleine décroissance, il nous faut plus de poussière!

- Comment? ai-je demandé. 

- Depuis quelques temps, on ne reçoit pratiquement plus aucune poussière dans le réservoir...

C’est vrai. Ces derniers temps, je passais beaucoup moins l’aspirateur. Je passais le balai. C’était beaucoup plus économique. Je ne gaspillais pas d’électricité et je jetais aux poubelles les poussières inutiles que je trouvais derrière mes meubles. Je ne me rendais pas compte de la souffrance des poussières. Je ne me rendais pas compte qu’elles ne demandaient qu’à rejoindre les leurs.

Nous avons pensé à une solution pour me sortir de là. 

- Allô, m’a dit Fabiola. Je me présente : poussière numéro 23 362. J’ai une faiblesse pour le poulet et pour tout ce qui est bien cuit. Je me colle facilement sur les fours et sur les barbecues dans les garages. Depuis que tu passes le balai au lieu de l’aspirateur, je n’ai plus d’amies. Mais j’ai cru entendre que tu faisais de l’asthme...

- Atchou! Oui, allergie à la poussière...

Fabiola est entré dans mon nez. Toutes les poussières ont suivi. Elles sont toutes entrées dans mon nez dans le but de me faire éternuer. Leur plan a fonctionné, j’ai éternué si fort que le réservoir de l’aspirateur a explosé. 

J’ai pu me relevé dans un nuage de poussières. Voyant tout le dégât, mon réflexe a été de prendre le balai. J’ai voulu jeter toute cette poussière aux poubelles, mais je me suis rappelé les paroles de Fabiola et des autres poussières. Elles disaient qu’elles avaient besoin de plus d’amies dans le réservoir de l’aspirateur. Elles disaient qu’elles préféraient que j’utilise l’aspirateur. 

Après mûre réflexion, j’ai décidé de prendre le balai. Et je l’ai saisi de main ferme. J’ai jeté toutes les poussières à la poubelle. J’avais, dans le regard, une sorte de joie dominatrice.

Sang d'encre (Mémoire no. 1666)



Je n’ai jamais lâché les barreaux de l’échafaudage. Je me suis hissé jusqu’au troisième étage. Une fois sur le madrier, j’ai tracé une ligne droite sur le mur de l’immeuble. J’ai soulevé une poutre d’acier et je l’ai ancrée dans la brique. J’ai pris d’autres mesures. J’ai ancré une autre poutre, puis une autre. Je suis redescendu. J’ai rangé mes outils. J’ai quitté le chantier. J’ai tourné à gauche. J’ai pris la 15 sud. Je suis sorti de ma voiture. J’ai ouvert le coffre-arrière. J’ai sorti un trousseau de clés de ma boîte à lunch. J’ai fermé la portière. J’ai salué ma voisine. J’ai enlevé mon pantalon. Je me suis regardé nu dans le miroir. J’ai ouvert les robinets. J’ai passé ma main sous l’eau chaude. Je me suis rincé les cheveux. J’ai laissé le jet d’eau caresser mon front. J’ai crier à mon chien de venir me rejoindre. J’ai regardé ses griffes sur mes genoux. Je suis retourné à la salle de bain. J’ai savonné les poils de mon chien.


J’ai frotté l'assiette. Je l’ai rincée pour qu’il n’y ait plus de mousse. J’ai pris une autre assiette. Je l’ai frottée mais je ne l’ai pas rincée. Je me suis dit que j’avais assez rincé pour aujourd’hui. J’ai balancé l’assiette par dessus les autres assiettes. J’ai pris d’autres assiettes. Je les ai ajoutées à la pile sans même les frotter. J’ai pris un couteau. Je l’ai regardé longtemps. J’ai glissé la lame sur la paume de ma main. J’ai tracé une croix sur la paume de ma main. 


Mon patron m’a téléphoné. J’ai déposé le stylo sur la table et je lui ai dit que je n’oublierais pas demain.


J’ai repris le stylo. J’ai couru jusqu’à ma chambre. J’ai pris mon carnet. J’ai couru jusqu’au salon. Ma jambe s’est accrochée sur le coin du divan-lit. J’ai déposé le stylo sur la table.


Ça n’arrêtait pas de saigner. J’ai collé deux diachylons sur la paume de ma main. Les diachylons en forme de croix se décollaient chaque fois que je fermais le poing.


J’ai rincé le couteau. Je me suis dit que j’avais assez rincé pour aujourd’hui. Je me suis dit que je m’étais déjà dit la même chose auparavant. Je ne savais plus si c’était la veille ou la journée même, mais je savais que je me l’étais dit. J’ai pris un stylo. J’ai couru jusqu’à ma chambre et j’ai pris mon carnet. J’ai noté qu’il ne fallait pas oublier.


J’ai lu qu’il ne fallait pas oublier. Dans mon carnet, c’était écrit que je n’étais pas rentré au travail ni aujourd’hui, ni la veille. J’ai téléphoné à mon patron. Je lui ai dit que je n’oublierais pas demain. J’ai jeté les diachylons à la poubelle et j’ai tracé une nouvelle croix dans ma main. 


J’ai déposé le stylo sur la table. J'ai rincé mon couteau. J'ai vu mon sang noir. J'ai retiré l'encre de ma main en grattant avec le couteau. J'ai rincé mon couteau. Mais sans faire exprès, j'ai aussi rincé mon stylo. Il n'a plus écrit.


J'ai couru jusqu'à ma chambre. J'ai pris un nouveau stylo. J'ai cherché mon carnet mais je n'ai pas trouvé. Ma jambe s'est accrochée. 


J'ai déposé le stylo sur la table. C’est à ce moment-là que mon patron m’a téléphoné :


- T’es pas rentré hier, t’’es pas rentré aujourd’hui...


- Je suis occupé! Je vous rappelle plus tard!


J’ai eu du sang qui a coulé du combiné ou de ma jambe. Je ne me souviens plus. J’ai couru jusqu’à ma chambre. J’ai pris un diachylon. Je me suis dit qu’il faudrait plutôt deux diachylons. Puis je me suis dit qu’il faudrait d’abord rincer. J’ai rincé ma main. J’ai dû crier dans le téléphone.


- Qu’est-ce qui se passe?!


- Je vais vous laisser maintenant! Je suis occupé!


J’ai rincé ma main et j’ai pris soin de me souvenir de ne plus jamais la rincer. J’ai clairement écrit dans mon carnet : ne te rince plus la main William. Je me suis dit qui parle? Je me suis dit William et mon patron a répondu au même moment : 


- Michel. Tu oublies toujours mon nom...


Je lui ai dit que je n’oublierais pas demain. J’ai fait une croix dans ma main. Du sang a coulé sur mon pantalon. Je l’ai enlevé. Je me suis regardé longtemps dans le miroir. Je me suis rincé les cheveux. En rinçant mes cheveux, je me suis rincé les mains. Je suis sorti de la douche aussitôt. J’ai couru jusqu’au divan-lit. Je me suis dit qu’il fallait dormir. J’ai crié à mon chien de venir me rejoindre. Il m’a griffé les genoux. Je l’ai flatté. Des gouttes d’encre ou de sang ont taché son toupet. Je suis retourné à la salle de bain. 


Je me suis rincé les mains en lui rinçant le poil. Je me suis dit que j’en avais assez. J’ai couru trouver mon carnet. Je l’ai cherché longtemps. J’ai pris le stylo qui se trouvait déjà dans ma main. J’ai réécris ma vie, en commençant par l’échafaudage d’où je ne suis jamais tombé. Je me suis supplié d’arrêter de parler. Je me suis demandé d’arrêter d’écrire. Je me suis demandé qui parle?


Et c’est là que j’ai répondu Michel. Et c’est là que je me suis fait une croix...

9 mars 2010

Salade de fruits

Pol : Je suis devenu Bouddhiste hier soir.

Six : Comment te sens-tu?!

Pol : Athée.

Six : Athée? Depuis quand?

Pol : Ma naissance.

Six : Bouddha a manqué son coup?

Pol : Je ne sais pas. C’est entré, je l’ai senti et c’est sorti.

Six : Mais ta philosophie?

Pol : Un peu de tout. Une salade de fruits.

Six : Et le melon d’eau?

Pol : Des préjugés.

Six : Juteux mais vides mais... la moquerie?

Pol : Les kiwis! Le semblant d’amis!

Six : Haha! Fraise!

Pol : Les filles. Ça se cueille!

Six : Et le malheur des filles...?

Pol : Les raisins. Ceux qui ont des pépins...

Six : La déception?

Pol : Ceux qui sont secs!

Six : Petit et mou?

Pol : Une banane plantain?

Six : Les avocats?

Pol : Les oranges sanguines, elles sont chères et on leur suce le sang.

Six : Mais les fraises?

Pol : Ce sont les enfants qui les sucent.

Six : Les pédophiles?

Pol : Poivron, concombre, tomates, les fruits que les vieux nous font avaler...

Six : Le cantaloup!

Pol : La pomme d’Adam. Celle que les hommes ont.

Six : Les zom zon...?

Pol : Caramboles!

Six : Étoiles que les femmes n’ont plus parce que volées par les scientifiques!

Pol : Cybole?

Six : Un sacre.

Pol : Piquante?

Six : L’ananas, femelle?

Pol : Non.

Six : Le piment piquant, mais femelle.

Pol : Noix de coco!

Six : Une tête brune poilue, la tête d’un singe qu’on fracasse avec un clou et un marteau... Les primates martyrisés!

Pol : Presque.

Six : L’intelligence artificielle!

Pol : Pomélo!

Six : Le nom d’un robot!

Pol : Goyave!

Six : Le nom d’un peintre robot.

Pol : Alejandro.

Six : Le nom de ton frère en espagnol.

Pol : Ève.

Six : La pomme qu’elle a perdu et que personne ne veut retrouver?

Pol : La pomme grenade!

Six : Et la couleur de ses cheveux?

Pol : Carotte.

Six : Non!

Pol : Châtaigne?

Six : Et la chérie d’Adam?

Pol : La chérimole.

Six : ...Euhm... Groseille?

Pol : Si j’en avais un dans ma main, je serais borgne...!

Six : Cyclope!

Pol : Un pop sicle?

Six : Non, un monstre à l’oeil unique. Kiwano?

Pol : Un écrivain japonais sans kimono.

Six : Pepino.

Pol : Le nom de mon chien?

Pol : Ramboutan. Le nom du tien?

Six : Rataplan?

Pol : Faute.

Six : Pepino?

Pol : ...Bettacarde!!!

Six : Ah! toujours celle-là... Bon t’as gagné...

8 mars 2010

François et Mirandole : Le bouquet

François : Joyeux anniversaire ma jolie! Voilà un gros bouquet...!

Mirandole : C’est ma fête?

François : Non... Je parle à ma table! Un peu plus à droite le bouquet, chérie?

Mirandole : Ça lui fait quel âge?

François : Trois ans. Plus à droite encore? Mais ça ne sera pas centré...

Mirandole : Elle ne les fait pas...

François : C’est parce que j’en prends bien soin! Tu ne préfères pas que le vase soit centré?

Mirandole : Elle a l’air d’au moins dix ans! Non je ne préfère pas centré. Mais elle n’était pas une antiquité quand tu l’as achetée?

François : ...Non, elle était neuve. C’est toi qui l’abîmes toujours avec ton trousseau de clés. Le bouquet paraît plus symétrique lorsqu’il est centré, non?

Mirandole : Mes clés n’abîment rien, je ne les bouge jamais... Moi, je placerais plutôt le vase dans un coin de la table. C’est plus joli.

François : Dans un coin de la table? Si tu le dis, chérie... Mais c’est très dangereux. Mirandole pourrait le renverser et...

Mirandole : Tu le mets où, toi, ton trousseau de clés quand tu reviens de travailler?

François : Sur le divan? Mais non, ça ne va pas là!

Mirandole : Dis-moi la vérité...

François : Bon, d’accord, sur le divan...

Mirandole : Sur le divan? Mon divan le mien? Moi qui croyais que c’était le chat qui l’abîmait...!

François : Le chat y monte toujours. Il veut toujours jouer et il fait tout tomber...

Mirandole : Mais c’est en jouant avec ton trousseau qu’il déchire mon divan!

François : On va l’essayer, d’accord?

Mirandole : D’accord, si tu veux... J’ai mis ton trousseau sur le divan. Mais le chat ne vient pas.

François : Si ça tombe, ça ne sera pas de ma faute...!

Mirandole : Ça sera la faute du chat mais... Tu fais quoi avec ton vase? Pourquoi tu le mets sur mon divan?!

François : Ma table a dit qu’elle voulait le bouquet sur le divan. Toi, qu’est-ce que tu fais avec mes clés?!

Mirandole : Je fais un test. Tu ne m’écoutais pas?! Ha! Attends une seconde!... Peux-tu répéter chéri?

François : ? Mon chéri?... Je t’ai dit de lâcher mon trousseau.

Mirandole : Tu veux que je le laisse tomber par terre?

François : Oui, redonne-le!

Mirandole : Mais François sera en colère...

François : ? Mais t’es fou!

Mirandole : Oops, le vase...

François : Mon bouquet! Tu l’as fait tomber par exprès!

Mirandole : Mais non, c’est mon divan qui m’a dit de le faire...