29 février 2008

Entre rêve et réalité


Moi, chapitre 1

J’ai peur. Je suis effrayé je veux dire, que tout me fait peur, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tout m’effraie : les arbres, leurs branches; les voitures, leurs roues; les nuages, leurs mousses; les lumières, leurs éclats; les filles, leurs sourires... 

Si quelqu’un pouvait me prouver que cette vie n’est pas un rêve, je cesserais de croire qu’elle en est un. Je n’aurais plus peur. Mais personne ici ne pourrait prouver de telles évidences, diraient-ils, que le réel n’est pas étrange si l’on cesse de croire aux rêves... Et me traiteraient de malade. Me traiteraient d’enfant... Je les entendrais me crier d’en sortir :

- C’est pas un rêve! C’est la vie! Réveille!

J’ai peur. Leurs voix me font peur. Elles sont un peu trop étranges. Et j’ai peur de l’étrangeté. Partout. Tout est étrange. Comme dans les rêves. Tout semble irréel. Tout droit sorti d’un rêve. Et c’est dans les rêves que l’étrangeté resurgit toujours. Un monstre dans le garde-robe! Un sourire qui devient grimace! Un clown violent! Tout est possible... Tout peut arriver dans les rêves...

C’est ce que je redoute : la possibilité d’un cauchemar. Alors je guette. J’observe tout. Du coin de l’oeil. Je ne bouge pas. Dans mon appartement. J’attends. Je tâte le pouls des bibelots qui tardent à s’animer pour me tuer.

Ça doit faire six mois que je ne suis pas sorti de chez moi. Même chez moi, j’ai peur de tout : les fenêtres, leurs rideaux; les chaises, leurs pattes; les planchers, leurs fissures; les murs, leurs couleurs; ma blonde, son sourire...

J’ai peur que les chaises, comme celles de mes rêves, se mettent à me parler. On me traiterait de fou. J’ai peur d’être fou...

***

Rachel, lettre à sa mère

J’ai peur, maman. J’ai tout le temps mal. Mon bras gauche. Tu crois que ça pourrait être une crise cardiaque? Une maladie me guette, maman, je le sais. Quelque chose me guette... Je me sens observée. Guettée par un mauvais oeil.

J’ai encore des pincements. À la poitrine. Ça pince. Le cancer du sein? Je ne veux même plus savoir ce que ça pourrait être. J’ai trop peur de me trouver une maladie mortelle. Subite. Souffrante. Dans les livres. J’ai peur que tout s’éteigne en un instant. La vie. Que ça fasse mal. Que tout meure trop vite...

Et si tu mourais? Ça ferait tellement mal, maman... Ah, encore des pincements! Au coeur... ça pince trop...

***

Moi, chapitre 2 

Quand j’ai peur, je me pince. C’est un truc que j’ai vu à la télé. Quand un personnage croit rêver, il se pince. Ils disent que la douleur réveille ceux qui dorment. Alors je me pince, au cas où j’aurais la chance de me réveiller ailleurs. Ce serait mon retour à la réalité. Un vrai réel où je me réveillerais pour m’apercevoir que, depuis l’âge de cinq ans, je dormais :

- C’est l’heure de se lever! dirait ma mère en tirant les couvertures de mon lit. T’as dormi longtemps, mon bijou! Maintenant, faut que tu t’habilles. La maternelle commence aujourd’hui!

- La maternelle... J’étais sûr d’avoir au moins vingt ans...

- Vingt ans? T’as dû rêver, bijou, habille-toi! Ton père t’attend...

- Papa? Papa! Je me lève! Je descends! Je recommence à vivre, aujourd’hui, à cinq ans! Je savais bien que la réalité était ailleurs! Oh! Maman! Ici, tout a l’air si vrai! Tout est si clair! Je n’aurai plus besoin de mes maudites lunettes!

- Mais non, bijou... T’es en train d’écrire un texte... T’as vingt ans... Tu sais bien que rien n’est réel...

J’exagère. Ma mère ne me dirait pas ça. Non, elle serait plutôt du genre à me traiter de fou :

- Quoi? Le réel est pas réel? La vie, c’est pas un rêve, bijou... Ça y est, t’es viré fou! Je le savais... Voyons donc, écrivain! Je te l’ai toujours dit : arrête d’écrire des histoires de peur! Ça va te rendre fou! De toute façon, j’ai jamais compris pourquoi t’as pas fait humoriste... Tu le sais que ton père t’a toujours encouragé à être humoriste. Tu nous faisais tellement rire quand t’étais petit, bijou! T’en rappelles-tu? T’étais tellement drôle!

***

Rachel, lettre à sa mère

Maman, est-ce que c’est normal, d’avoir toujours mal à la tête? C’est comme ça que commencent les tumeurs au cerveau. J’ai entendu ça à la télé. Un gars parlait de sa chimio. Il a perdu tous ses cheveux. C’est laid, maman... Pourquoi ils nous montrent ça à la télé? Pour nous faire peur? Ça me donne des frissons. Ceux qui souffrent de maladies comme celles-là s’en sortent jamais... C’est rare qu’ils s’en sortent...

***

Moi, chapitre 3

Je ne compte plus les plaques rouges sur mes avant-bras. Ma blonde pense que c’est le salon de bronzage qui m’a donné des rougeurs sur les bras. Ça doit faire six mois que je n’y suis pas allé. Ce n’est pas le soleil qui me rougit la peau. Ce sont mes doigts qui me pincent trop souvent. Quand j’ai peur. 

Ma blonde fait semblant de ne rien voir. Elle ne guette rien. Elle n’a peur de rien. Rien de ce qui l’entoure ne l’effraie. Mais elle me remercierait si, un jour, tout tournait au cauchemar! Nous aurions la preuve que la vie est un rêve et, moi, je l’aurais su bien avant elle! Je la prendrais sous mon aile. Nous pleurerions ensemble. Dans le rêve. Nous serions peut-être heureux...

Pour l’instant, je ne peux rien lui dire. Si je lui avouais avoir peur de tout, je me demande comment elle réagirait :

- J’ai peur, Rachel... La vie est un rêve au bord du cauchemar. Regarde ce qui nous entoure... C’est effrayant...

- Qu’est-ce que tu veux dire?

- Regarde ce qui t’entoure! C’est étrange, non? Tout menace toujours de bouger! De s’effondrer! Comme dans les pires rêves que tu fais la nuit! Tu fais bien des cauchemars, des fois?

- Oui, j’en fais...

- Ils sont comment?

- On me découvre une maladie. Je panique. Je me regarde dans un miroir. Une crise cardiaque et tout s’éteint.

- Et autour de toi? As-tu remarqué combien les choses sont étranges? C’est pareil ici! Regarde, la chaise, c’est la même que dans mes cauchemars! Elle veut me dire quelque chose... Mais je ne veux pas qu’elle me parle! Je ne veux rien entendre. On m’enfermerait si j’entendais des voix... Toi-même, tu me traiterais de fou...

- Je m’en fous de ta chaise! Si je faisais une crise cardiaque, j’en aurais rien à foutre des chaises! T’as vraiment peur d’une chaise?

- J’ai peur de tout! Peur de tout ce que je vois! Peur que ce soit un rêve qui contrôle mon existence! Qu’il fasse tomber le ciel sur ma tête! Peur de devenir fou! Peur d’être schizophrène! Peur d’halluciner! Peur de tuer ceux que je trouve cons! Après tout, je ne contrôle rien! Je ne suis que le rêve de quelqu’un qui me rêve! 

- C’est tout?

- Je pourrais assassiner ma mère... J’ai peur d’être méchant... J’ai peur de l’impossible! Peur de voyager dans le temps! D’avoir de trop grands pouvoirs! Peur de Dieu... Peur que le paradis existe! Le Jugement Dernier! Peur d’avoir été mauvais et qu’on ne m’en est rien dit! Peur d’avoir fait du mal à tant de personnes... Rachel, j’ai peur d’être le Mal et de devoir me suicider...

- Peur de moi?

- Peur que tu ne sois pas réelle, oui... Ce serait terrible, Rachel... Toutes ces années passées avec toi, je les aurais passées avec une illusion!

Une belle illusion du nom de Rachel. C’est ce qu’elle me répondrait. Et qu’on s’en fout de vivre dans un rêve pour autant que le rêve soit beau... Et la vérité, elle? Qu’est-ce que tu fais de la vérité, Rachel?

***

Rachel, lettre à sa mère

Et la douleur, elle? Qu’est-ce que tu fais de la douleur...

Maman, est-ce que tu crois que j’habite avec un fou? Il croit vivre dans un rêve. Il regarde seulement ce qui l’entoure. Sa psychologie face à face avec une chaise qu’il trouve bizarre. Il se fout bien des douleurs à la poitrine, lui. 

Peut-être qu’il en a, lui aussi, des pincements au coeur. Mais il en fait pas un drame. Parfois, j’aimerais être comme lui. Arrêter d’avoir peur des crises cardiaques, des cancers, des tumeurs... Et rester dans l’appartement. Jamais dehors. Arrêter d’avoir peur qu’une voiture me frappe.

Il sort jamais, lui. 

Tu sais quoi, maman? J’ai jeté ses souliers. À la poubelle! Il en a pas besoin... Il va nulle part. Il passe ses journées à écrire. Il en fera pas un drame...

***

Moi, chapitre 4

Ma discussion avec Rachel m’a au moins permis de réaliser une chose : j’ai peur d’être dans un rêve, mais j’ai aussi peur de ce que je pourrais être ou faire. Aussi bien dire que j’ai peur de moi. C’est vrai. On ne sait jamais à quel moment le cerveau va se révolter contre celui qui le porte. Ça, mon psychanalyste dit que c’est de l’angoisse. Car j’ai bien un psychanalyste qui ne sert qu’à mettre des mots sur l’étrangeté que je subis, je me demande ce qu’il dirait si je le traitais de

- Con! Vous aussi vous seriez angoissé, si seulement vous vous rendiez compte que la réalité n’a rien de réel! 

- Écoutez, vous êtes angoissé... Ça ne vous permet pas de me traiter de...

- Con! Vous croyez que je pourrais vous tuer? Vous croyez que ça serait possible? Je veux dire, d’après mon état psychologique, vous devez bien en savoir quelque chose! Dites-le, si je suis un meurtrier en devenir! Dites-le!

- Je ne sais pas, je ne sais rien, vous...

- Quoi? Vous ne savez pas vous défendre?

- Je suis dans un texte dont vous êtes l’auteur! Comment voulez-vous que je me défende, si c’est vous qui me faites parler?

- Ah! Encore ça! Mais qu’est-ce que vous avez tous, aujourd’hui, à faire de stupides retour à la réalité?

Je sortirais de son bureau. Je ne voudrais plus jamais le revoir.

***

Rachel, lettre à sa mère

Son histoire de rêves. Ses théories bidons. Ça me rappelle Pascal. Te souviens-tu, maman? C’est celui qui croyait vivre dans un film. Tout ce qu’il disait, être filmé par tout le monde, c’était drôle. Ça restait comique. Il se prenait pas au sérieux, lui... Ça soulageait presque mes douleurs quand je l’écoutais. Je riais.

Comment veux-tu que j’arrête de penser à à ma douleur si personne me fait rire, maman? Ma poitrine... Mon bras gauche... J’ai l’impression de tourner en rond... Je veux rire, maman! Comme avant... Je riais tellement! Te rappelles-tu? Tout était tellement drôle...


***

Moi, chapitre 5

Je n’ai pas tué mon psy. C’est une bonne chose je crois, que Rachel n’aurait pas trop apprécié que notre amour se résume à des visites derrière la vitre d’une prison. Pour moi, ça n’aurait pas changé grand-chose... Le monde est une prison. On ne peut pas en sortir, je l’ai déjà dit, que les murs de mon appartement sont aussi froids que le béton d’une cellule... 

Mon psy n’a rien voulu entendre. Il n’a pas voulu croire qu’il est prisonnier de son bureau, tout comme le rêve dans lequel nous nous trouvons est une prison. Je l’ai bien engueulé. Je lui ai dit je ne reviendrais plus m’enfermer dans son bureau. Jamais. Je préfère encore les phrases illogiques de ma blonde aux phrases toutes faites de mon psy.

Je devrais peut-être le dire à Rachel. Que c’est fini, pour moi, les psychalystes. Que je ne l’ai pas tué. Elle serait fière de moi :

- T’es sorti de l’appartement! qu’elle me dirait en souriant. Je te crois pas...

- Pourquoi pas? Bien sûr, que je suis sorti. Je me suis habillé. J’ai mis mon manteau. Je suis allé voir mon psy.

- Je te crois pas... Tu me dis pas tout... 

- Mais je te jure! C’était la dernière fois que j’allais le voir.

- Pourtant, t’as peut-être encore besoin de ses conseils...

- Non. Je lui ai dis. Il est con. Tu me suffis. Rachel, tu saurais me prouver, toi, qu’on n’est pas dans un rêve?

Elle me parlerait de ce gars avec qui elle était sortie, lequel croyait vivre dans un film. Elle m’en parlerait en souriant, encore... Son sourire... Il rirait de moi. Je ne pourrais tout de même pas rencontrer un gars que je ne connais pas. La vie n’est pas un film. Elle est un rêve. Il se moquerait de moi :

- Des caméras partout! qu’il me dirait.

- T’exagères... Chacun de nos gestes ne peut pas être filmé! Et de toute façon, même si c’était le cas, qu’est-ce qu’on ferait de la bande vidéo? T’as peur de quoi, Pascal? Qu’on mette la cassette sur rewind? C’est effrayant, regarde! Je marche à l’envers! Je recule!

Je reculerais pour rire de Pascal, mais aussi pour éviter les coups, si l’envie lui prenait de me frapper. Je ridiculiserais ses théories, même si les miennes n’auraient rien de plus valable. Il n’y a personne ici pour nous fournir les preuves de nos avancements...

***

Rachel, lettre à sa mère

J’ai fait un rêve cette nuit, maman. On me découvrait une maladie incurable dans la tête. La maladie ravageait mon cerveau. Des infirmiers paniquaient. Je voulais pas les voir. Je me voyais moi. Je voyais mon cerveau qui s’effaçait, lentement. Je perdais la tête. J’avais perdu une partie de moi.

Mes sentiments m’ont semblé si étranges, que j’ai su que je rêvais. J’ai voulu me réveiller.

Mais j’avais beau me concentrer, je restais endormie. J’étais emprisonnée. Mon corps était une prison. Une cellule. Une cellule morte.

Mon énervement bourdonnait dans mes oreilles. Je pensais souffrir. Je pensais avoir mal. Mais je ressentais rien de tout ça, en réalité, puisque je rêvais. Et ce serait merveilleux, maman, si la vie était un rêve! J’oublierais la douleur! Je flotterais... Je rirais, moi, maman! Si la vie était un rêve, je rirais...

***

Moi, chapitre 6

Je ne crois pas qu’il soit possible que Pascal et moi soyons amis. Après notre rencontre, Pascal est reparti chez lui, continuer son bouquin je crois, qu’il écrit un livre sur des théories bidons d’après lesquelles le destin est un scénario et nous, les comédiens. En tout cas, moi, je n’achèterai pas son livre. 

D’ailleurs, j’aurais dû le traiter de tous les noms. J’ai dû oublier de le faire.

J’ai une profonde envie d’insulter Pascal devant Rachel. Elle verrait que je suis mieux que lui. Aussi, elle saurait que je suis sorti de l’appartement :

- T’es pas sorti de la journée... qu’elle me dirait quand même. J’arrive de l’école et le frigo est vide. T’aurais pu aller à l’épicerie, au lieu d’écrire toute la journée! 

- C’est là que tu te trompes, Rachel! Je suis sorti! Je suis allé voir Pascal!

- Ah, oui... Tu lis les lettres que j’écris à ma mère, maintenant.

- Mais non... C’est toi qui m’en as parlé! Tu me croyais incapable de le rencontrer?

- Et t’es allé le voir comment, Pascal? Sans souliers?

- Qu’est-ce que tu veux dire, sans souliers? C’est étrange ce que tu dis, Rachel. Mes souliers, oui, j’ai mis des souliers. Qu’est-ce qui t’arrive? C’est illogique, ce que tu dis! C’est absurde! Tu me fais peur!

- J’ai jeté tes souliers... 

- Tu les as jetés? À la poubelle!

- Je m’excuse...

- À la poubelle! Je le savais!

- Tu le savais parce que tu lis mes lettres...

- Non! Je ne les lis pas! Mais oui, j’en fais tout un drame!

Il y aurait un bourdonnement dans mon oreille. Ce serait comme si le silence se taillait une place. Pour se faire entendre, il blesserait mes tympans. Je n’entendrais plus ma propre voix :

- J’ai pourtant rencontrer Pascal. Je t’assure! J’avais mes souliers! Tu me traites de fou. Tu me crois fou. J’ai dû retrouvé mes souliers dans les poubelles! Et je suis sorti voir Pascal!

- Ça sert à rien... Pascal habite à Paris. 

- J’ai pris l’avion! Oui, je me souviens. Les nuages... Leurs mousses...

- T’as dû rêver...

J’aurais rêvé... Je rêverais encore. Je paniquerais. Je devrais prendre le téléphone...

***

Rachel, lettre à sa mère

J’ai mal. J’ai peur quand ça me fait mal. J’en ai assez, maman. 

Il lit les lettres que je t’envoie. Il en fait des scénarios. Il écrit. Il croit que la réalité s’écrit dans ses textes. Mais la vie est beaucoup trop douloureuse pour être un rêve! Maman, dis-moi, comment tu fais pour oublier la douleur?

***

Moi, chapitre 7

Rêver. J’ai rêvé. Je rêve encore. Je ne fais que ça. Je panique. Je devrais prendre le téléphone. Le débrancher. Sortir de l’appartement.

Mes souliers. Je devrais chercher mes souliers. Sortir de l’appartement. Courir voir ma mère. Je devrais tout lui dire :

- Maman! Allô... Prête-moi papa.

- Qu’est-ce que t’as, bijou? qu’elle me répondrait.

- Je veux parler à papa ou sinon je me tue! c’est ce que je lui dirais.

- On en a déjà parlé, bijou... C’est pas en te tuant que tu vas rejoindre ton père... C’est pas sûr qu’il est au paradis. Et c’est pas sûr que le paradis est un grand endroit où les morts...

- J’ai mal! Ça me fait mal! Maman! Qu’est-ce que j’ai?!

Je pleurerais avec ma mère. Je sentirais mon coeur ratatiné. Plissé, ridé, vieux. J’aurais vieilli. J’aurais la peau fragile. Soudainement, les plaques rouges sur ma peau me feraient mal.

***

Mère de Rachel, lettre à sa fille

Ma douleur ne m’inquiète pas. 
Je m’inquiète plutôt de tout ce qui m’entoure.

***

Moi, chapitre 8

J’ai pleuré avec ma mère. J’ai senti mon coeur ratatiné. Plissé, ridé, vieux. J’ai vieilli. J’avais la peau fragile. Soudainement, les plaques rouges sur ma peau m’ont fait mal. 

Ça brûlait. J’ai regardé mes bras. Je ne voyais que deux bras dans le vide. J’ai oublié de guetter les chaises et les bibelots de l’appartement. J’entendais vaguement ma mère. Quelqu’un, c’était peut-être moi, me disait que les chaises ne sortent pas des rêves parce que leurs pattes réelles ont le pouvoir d’écraser les orteils :

- Je vais mourir, maman! Je vais mourir! Comme papa! Les bras me tombent! Rachel avait raison : ça commence par un pincement, et c’est la crise cardiaque! Ça pince! Mes deux bras chauffent! Mais c’est quoi, maman, la différence entre le rêve et la réalité?!

- La douleur.



13 février 2008

L'Oiseau de Plomb

Il était une fois un Oiseau de Plomb.

Il était, cette fois, un Oiseau tout fait de plomb; Oiseau qu’on avait cru mort à la naissance tellement il était raide; Oiseau qu’on disait appartenir aux autres mondes; car son bec était gris et froid, ses ailes, dures et lourdes, on craignit que son poids ne brisât les branches du Sorbier dans lequel il naquit.

Il était, cette fois-là, un grand Sorbier qui fut le seul arbre à donner des fruits dans le Pays. Tous les Oiseaux vinrent tenter d’y vivre : car les sorbes y poussaient en si grand nombre, tous eussent voulu leur part de nourriture. 

Pour s’y nourrir, il fallait cependant que les gourmandes Grives acceptassent qu’on touchât aux branches du Sorbier : elles seules décidaient de la répartition des sorbes; elles seules désignaient qui, de tous les Oiseaux, pouvait s’en approcher.

Il était donc, cette fois-là, un Oiseau de Plomb dont la mère fut jugée pour avoir mis au monde un tel être monstrueux.

***

Dans les branches du grand Sorbier vivaient ces gourmandes Grives qui, dégoûtées par l’Oiseau de Plomb qui venait de naître, condamnèrent la mère à mourir de faim :

- Nous vous refusons les fruits du Sorbier! affirmèrent les Grives devant la mère. Ne tentez plus d’y poser le bec, car si vous l’osez, vous finirez votre vie comme les Pigeons des villes! Pauvre et battue!

Quant au sort de l’Oiseau de Plomb, il fallut que le Merle Noir, maître de tous les arbres, donnât le châtiment :

- Il me fait beaucoup de peine de condamner cet être, dit le Merle Noir, mais il ne peut en être autrement, car le Sorbier ne peut qu’abriter les Oiseaux, et cet Oiseau de Plomb – cette machine! – n’en est pas un! 

Les Grives acclamèrent leur maître, puis elles demandèrent la permission de jeter l’Oiseau de Plomb hors du Sorbier. C’est alors qu’on entendit protester la mère :

- Vous ne pouvez pas rejeter ainsi un enfant! cria la mère. Son corps trop lourd lui donne peine à voler! Comment fera-t-il donc pour survivre? 

- Il marchera! répondit le Merle Noir, rieur. Madame, je vous l’assure : j’ai à cœur la survie de tous les Oiseaux… Mais celui-ci n’est rien d’autre qu’une vulgaire boîte de conserve! Mettez-y donc les fruits de l’arbre, et faites-en provisions, afin que vous ne mourriez pas de faim!

Toutes les Grives du grand Sorbier se mirent à rire. Toutes se moquèrent de l’Oiseau de Plomb, jusqu’à ce qu’on l’entendît répondre au Merle Noir d’une voix faible et grave :

- Comment une boîte de conserve pourrait-elle naître vide… Je le demande... Monsieur le Merle Noir...

- Oh! s’exclamèrent les Grives. Il parle! Il sait parler!

La mère accourut voir son fils et, le couvrant de ses grandes ailes molles, elle fit remarquer :

- Bien sûr qu’il parlera! Donnons-lui donc la chance de nous prouver qu’il n’est pas différent de nous! Monsieur le Merle Noir! Mesdames les Grives! 

- D’accord, répondit le Merle Noir, nous vous laisserons la vie sauve, vous et votre Oiseau de Plomb… Si toutefois il sait prouver qu’il est un Oiseau! Pour cela, il faut qu’il sache chanter!

- Chanter? demanda la mère. Mais n’est-ce pas les pères qui apprennent à chanter aux Oiseaux? Mon fils n’aura jamais connu que sa mère!

- Et puis, il sait bien parler! rétorqua le Merle Noir. Faites-le chanter!

L’Oiseau de Plomb s’étira le cou vers l’avant, arrondit la gorge, tenta d’en sortir quelques notes, mais ce ne fut pas concluant. On n’entendit que le grincement des rouages de son ventre :

- Cela n’est pas un chant! dirent les Grives en riant. Ce n’est que la musique d’un marteau qui frappe un clou!

- Une scie sur une plaque de tôle! ajouta le Merle Noir, tout aussi moqueur.

Car l’Oiseau de plomb fut bien le seul à ne pas savoir chanter, on n’accepta pas qu’il ne fût pas fait de vraies plumes lisses et vivantes. Sa mère n’eut plus le droit de se nourrir aux fruits de l’arbre, et l’Oiseau de Plomb fut condamné à quitter le grand Sorbier.

***

Quatre Grives accrochèrent l’Oiseau de Plomb sous leurs pattes et le descendirent au pied du Sorbier. Arrivée au sol, l’une de ces Grives leva l’aile et dévoila, sous ses plumes, une lettre que la mère avait écrite à son fils. Elle la fit lire à l’Oiseau de Plomb, avant de la déchiqueter secrètement, à coups de bec, afin que les autres ne s’aperçussent de rien : 

« Mon pauvre fils, disait la lettre, ne meurs pas. Bats-toi pour ta survie. Trouve nourriture. Et si, un jour, tu réussissais à faire entendre ce chant qui te manque, n’hésite pas à revenir vivre dans le grand Sorbier. »

De là, l’orphelin mit un pied devant l’autre et partit à la recherche d’une mélodie qu’il saurait chanter.

***

L’Oiseau de Plomb, ne sachant voler, dut donc marcher pour traverser les champs. Il y rencontra plusieurs insectes, dont une Cigale qui savait bien chanter :

- Pardon, Madame la Cigale, dit-il, pourriez-vous me prêter votre chant? Je suis aujourd’hui orphelin, car je ne sais sortir de mon ventre que fragments et grincements!

- Je ne peux vous aider, Monsieur l’Oiseau, répondit-elle. Le chant ne se prête pas : il se forme!

- Faut-il donc que je vous mange, pour avoir votre mélodie dans la gorge?

- Ah, ça non! s’écria la Cigale, effrayée. Il vous faut trouver votre propre chant! Ne vous avisez pas de me dévorer : si vous chantiez comme les cigales, on vous traiterait de copieur!

La Cigale quitta les lieux au plus vite, de peur que l’Oiseau de Plomb ne l’avalât. Il est vrai que l’Oiseau, lui qui n’avait rien mangé depuis la naissance, cherchait aussi à se nourrir. Mais, le soleil ayant frappé toute la journée sur ses ailes de plomb, jamais il n’aurait eu la force de s’attaquer à l’insecte.

Les couleurs vives des champs s’assombrirent en un coup de vent. Le soir vint rapidement. Le corps de l’Oiseau, lui, devint presque noir. Blottit entre deux herbes, lourd et fatigué, il pensa à s’endormir : 

- Je dormirai, et si demain je ne suis pas mort de faim, je repartirai trouver la mélodie que je cherche.

***

Le lendemain matin, l’Oiseau de Plomb prit un grand chemin de terre chaude. Il y marcha toute la journée. L’estomac toujours plus vide, il parvint à une maison de campagne :

- Là, dans cette maison de campagne, pensa-t-il, peut-être y aura-t-il quelqu’un qui puisse m’offrir une mélodie!

Tout près de la maison, l’Oiseau de Plomb entendit une musique fort agréable. Un instrument jouait la partition d’une complexe symphonie. L’Oiseau ne put s’empêcher de grimper se percher, à la corniche d’une fenêtre, voir quelle pouvait bien être cette créature, sans doute magnifique, qui chantait de la sorte.

Il vit, à l’intérieur de la maison, une Dame devant un lutrin noir. Assise sur un tabouret, la Dame tenait, au bout de ses lèvres, une flûte dont elle jouait parfaitement :

- Quelle jolie musique! s’écria l’Oiseau de Plomb.

- Quelle horrible voix d’Oiseau! répondit la Dame en sursautant. Comment pouvez-vous, mon cher Oiseau, avoir d’aussi laides manières?

La Dame cessa de jouer de l’instrument pour écouter ce que l’Oiseau avait à dire :

- Excusez-moi, Dame, mais je cherche moi aussi une musique qui soit la mienne! Une Cigale m’a dit hier que le chant ne s’apprenait pas, mais qu’il se formait toutefois! Pourriez-vous m’aider à le former?

La Dame tendit la flûte à l’Oiseau de Plomb. Ce dernier la saisit de son bec, mais ne sut quoi en faire :

- Il faut y souffler un bon coup! dit la Dame. Je vous écoute, cher Oiseau!

La Dame se tint droite, sans un geste ni regard, elle attendit qu’on jouât de sa flûte. L’Oiseau de Plomb suivit les conseils de la Dame. Il souffla dans l’instrument jusqu’à ce qu’un son semblât en sortir. Enchanté du résultat, il se mit à souffler si fort que la flûte éclata dans son bec :

- Ah! Ma flûte! hurla la Dame en colère. Mais ce n’est pas un souffle que vous avez, c’est une pompe à air! 

Maladroitement, l’Oiseau de Plomb rassembla les pièces brisées de la flûte en un petit tas :

- Si j’en recollais les morceaux, Dame, auriez-vous l’amabilité de me donner quelques bouts de pain? demanda l’Oiseau. Toute cette musique m’a fait oublier de vous dire que je suis affamé!

- Rêvez toujours, Oiseau de malheur! Je ne veux plus vous voir chez moi!

Et la Dame n’osa pousser l’Oiseau de Plomb de sa corniche qu’à grands coups de lutrin, de peur que le corps de l’animal ne lui transmît sa maladresse si elle y mettait la main. 

Sous le poids du lutrin, l’Oiseau de Plomb chuta hors de la maison. Il se sentit alors trop faible pour se relever. 

Les couleurs de la maison de campagne s’assombrirent sous un nuage. Le soir vint aussi rapidement. L’Oiseau de Plomb prit froid. Il pensa à s’endormir :

- Je dormirai, dit-il, et si demain je ne suis pas mort de faim, je repartirai trouver la mélodie que je cherche…

***

Le lendemain matin, l’Oiseau de Plomb n’eut pas la force de se ressaisir. Le manque de nourriture l’avait gravement affligé et, ne voyant nulle part où trouver quelque musique à s’approprier, il songea à ne plus bouger. Il eut pour sa mort cette dernière parole destinée à sa mère :

- Je n’ai pas su trouver ce chant qui m’est propre; je n’ai pas su non plus devenir l’Oiseau que tu aurais souhaité que je sois : j’ai mis tant d’effort à chercher la musique que j’en ai oublié de me nourrir! Oh! Maman! Comme tu ne dois pas être fière de ton fils à présent!

***

Dans le grand Sorbier, la mère de l’Oiseau de Plomb n’entendit pas son fils mourrant. Elle n’avait plus la force d’entendre.

Aucune Grive n’accorda de fruits à la mère. Aussi, on la priva d’eau. Malgré le châtiment, la mère s’entêtait à vivre encore.

***

L’Oiseau de Plomb entendit alors une voix gémir :

- Ah! Ça ne cessera donc jamais! Ces Oiseaux qui se plaignent de tout et de rien! « Je meurs de faim! Je meurs de faim! » Ces Oiseaux sont de vraies Pies...

L’Oiseau de Plomb chercha d’où provenait cette voix criarde. Il aperçut, perchée sur le toit de la maison de campagne, la fine silhouette d’un Oiseau :

- Je ne suis donc pas seul! dit l’Oiseau de Plomb, pris d’une vive joie. Qui êtes-vous, Mademoiselle? Je vous vois très mal d’ici: seriez-vous là-haut une Hirondelle; une Tourterelle; une Colombe?

- Non, répondit la voix. Je ne suis rien de tout cela... 

- Seriez-vous une Poule; une Cigogne; une Oie?

- Non, répéta-t-elle. Je ne suis rien de tout cela!

- Une Pintade; une Bernache; une Dinde Sauvage?

- Non! dit-elle encore. Cessez de chercher, Monsieur, cela ne sert à rien! Je suis une Girouette!

- Une Girouette? Auriez-vous par hasard un chant? demanda l’Oiseau de Plomb.

- Non, répondit-elle. Je n’ai pas de chant, Monsieur... Je suis une Girouette de Cuivre!

L’Oiseau de Plomb redevint soudainement très faible. Il s’écroula sous son poids et demanda qu’on l’aidât :

- Je me sens si faible, Mademoiselle... Auriez-vous, sous vos plumes, quelque chose qui puisse me remettre sur pied?

- Un cheval vous a-t-il frappé? demanda-t-elle.

- Non! Je ne crois pas... répondit l’Oiseau.

- Un aigle vous a-t-il griffé?

- Non! Je ne crois pas... 

- Alors, pourquoi vous sentez-vous si faible?

- Car je meurs de faim! cria l’Oiseau.

- Ah! Encore cela! Mais qui êtes-vous donc?

- Je suis l’Oiseau de Plomb! On m’a rejeté du grand Sorbier, sans provisions, car je ne savais chanter; j’ai tant cherché ce chant qui me manquait que j’en ai oublié de me nourrir! 

La Girouette de Cuivre se mit à rire du haut de son toit :

- Vous êtes donc un Oiseau de Plomb! Vous n’allez pas mourir de faim, Monsieur! Le plomb peut se dresser; le plomb peut se plier; mais jamais il ne peut mourir de faim! 

- Oh! Vraiment? Vous me l’apprenez, Mademoiselle!

L’Oiseau de Plomb se dressa sur ses deux pattes. Il se plia le corps puis, avec l’élan de sa queue, déploya ses grandes ailes. Il s’envola, pour la toute première fois; il volait, et le poids de son plomb ne l’affaiblissait guère. Il se sentit alors léger comme une plume, une vraie. Au vol, il monta voir la Girouette de Cuivre :

- Grâce à vous, Girouette, je n’ai plus peur de mourir de faim! remarqua-t-il. Je n’ai plus peur! Comment pourrais-je vous remercier?

La Girouette de Cuivre n’ouvrit pas le bec. Son humeur changea sous de grands coups de vent. Elle se mit à tourner sur elle-même en de violentes rotations :

- Venez avec moi! ajouta l’Oiseau de Plomb. Nous volerons jusqu’au grand Sorbier! Et nous débarrasserons l’arbre de ces gourmandes Grives! Et nous ferons la loi sur ce vilain Merle Noir! 

Les rotations de la Girouette de Cuivre cessèrent. Au loin, on vit descendre une brume sur les champs :

- Ne voyez-vous pas, dit la Girouette, qu’il m’est impossible de bouger autrement que par ces incessants tournoiements? La Dame de cette maison m’a fixée aux bardeaux de son toit. Je ne peux vous suivre si vous partez...

Il se mit à pleuvoir sur le Pays. La pluie s’abattit sur la Girouette de Cuivre. L’eau rongea quelques-unes de ses plumes verdâtres. Ses ailes rouillées s’effritèrent un peu plus :

- Encore cette pluie... soupira la Girouette. Mes pauvres ailes rouilleront beaucoup cette nuit : qui sait s’il me restera des plumes demain... Partez d’ici, Oiseau de Plomb, partez! Vous devez fuir l’orage!

L’Oiseau de Plomb refusa de partir. Il se plia le corps puis, d’un bond, monta sur le dos de la Girouette :

- Qu’est-ce que vous faites?! s’écria-t-elle.

L’Oiseau de Plomb ouvrit ses ailes et fit de celles-ci deux larges parapluies au-dessus de la Girouette :

- Je vous protège de la pluie! dit-il.

- Mais cela ne se fait pas! répondit-elle aussitôt. Une Girouette doit affronter seule les orages! Que dirait la Dame si elle me voyait ainsi, en dessous de vous? Oh, non! Elle me traiterait d’inutile et m’enfermerait à la grange!

L’Oiseau de Plomb ne descendit pas de la Girouette. Il l’enveloppa de ses ailes et ne dit plus un mot.

***

La pluie se fit de plus en plus forte sur le Pays. Le vent souffla tout aussi fort. La Girouette de Cuivre se mit à pivoter sur elle-même. L’Oiseau de Plomb dut suivre aussi les rotations.

Or, ces vents qui soulevaient les champs firent vibrer les ailes de l’Oiseau de Plomb. Ses plumes raides laissèrent ainsi glisser les courants de la tempête par de longs filets d’air sur le dos de la Girouette. Cela provoqua un doux sifflement qui retentit soudain; sifflement qui descendit à la maison de campagne, jusqu’aux oreilles de la Dame : 

- Ma flûte! pensa la Dame. C’est bien ma flûte que j’entends siffler du haut de mon toit! Oh! Mais jamais je n’ai su jouer d’aussi belle façon!

Sur le cuivre et le plomb, les vents jouèrent mieux que toute symphonie. La Girouette, en pivotant, fit grincer ses tiges de cuivre en un rythme qui servit à battre la mesure. Les notes s’accentuèrent, puis le sifflement de l’Oiseau de Plomb devint mélodie.

Cette mélodie résonna jusqu’aux champs, si bien que la Cigale l’entendit elle aussi, étonnée de ce chant particulier :

- Quel chant magnifique! pensa la Cigale. Moi-même, je ne saurais chanter d’aussi belle façon!

Du vent, encore, se faufilait tel un Serpent sous le ventre de l’Oiseau de Plomb; Serpent qui se coula sur les lignes des plumes et du cou; Serpent qui créa, pour l’Oiseau, un chant splendide.

Dans le grand Sorbier, la mère, sur son nid de mort, vit ces champs au-dessus desquels flottait le chant de l’Oiseau de Plomb :

- Mon fils est un Oiseau, dit la mère; il est un Oiseau qui sait chanter...

11 février 2008

Le corps de l'Angoisse

***

Il était une fois l’Angoisse.

Il était, cette fois, une Angoisse qui n’avait pas de claire apparence; apparence qui n’existait que par la petite vapeur qui en émanait parfois, de cette angoisse, on ne voyait qu’une légère brume tantôt chaude, tantôt froide pour le reste, sa transparence échappait à tous ceux qui tentaient de l’approcher.

Il était, cette fois-là, chez cette Angoisse, un désir de trouver une apparence qui voudrait bien l’accueillir. Car l’Angoisse n’était alors pas plus remarquable qu’un nuage de poussières, elle voulut qu’on l’acceptât dans un corps visible.

***

Il était donc, cette fois, une Angoisse qui partit à la recherche d’un corps qu’elle pourrait s’approprier. Elle vit de grandes forêts, dans lesquelles poussaient beaucoup de végétaux : des milliers d’arbres, d’arbustes et de fleurs.



En ce temps-là, les arbres poussaient si vite que la hauteur d’un Chêne doublait en une seule journée;

En ce temps-là, les arbustes poussaient si vite qu’un Framboisier fournissait, en une seule journée, plus de framboises qu’il n’en fallait pour nourrir tous les oiseaux du monde;

En ce temps-là, les fleurs poussaient si vite qu’en une seule journée, on pouvait voir une Tulipe naître, s’épanouir et flétrir avant le coucher du soleil;



L’Angoisse s’arrêta au milieu de la Forêt. Elle y trouva un grand Sapin et lui dit :

- Bonjour, Monsieur le Sapin, je suis l’Angoisse!

Le Sapin étira ses branches, car il pouvait bien se mouvoir tout en croissant, il regarda de tous les côtés, mais ne vit pas d’où provenaient les sons qu’il entendait.

L’Angoisse poursuivit :

- Ne cherchez surtout pas à me voir, vous n’y verrez rien, Monsieur le Sapin, car je n’ai ni corps ni apparence! Je suis l’Angoisse!

Le Sapin cessa de chercher la provenance de la voix.

Il répondit à l’Angoisse :

- Que me voulez-vous? J’ai beaucoup à faire! Je dois m’étirer du matin au soir, croître, et doubler ma hauteur avant la nuit!

- Je vous parle, dit l’Angoisse, car je cherche à prendre corps. Les chênes n’ont-ils pas de beaux troncs gris? Les framboisiers, de beaux fruits rouges? Et les tulipes, de beaux pétales tout aussi colorés? Moi, qu’ai-je, sinon ma pauvre transparence? J’aimerais tant qu’un corps me définisse, et qu’on sache qui je suis par un simple coup d’œil! Enfin, Monsieur le Sapin, n’y a-t-il pas, entre vos branches, une petite place pour une toute petite Angoisse?

Le Sapin, songeur, hésita :

- Pourquoi vous cherchez-vous une place parmi les végétaux? Pourquoi vouloir mon apparence, et non celle d’un autre?

- Ah, parce que si vous me laissiez votre apparence, expliqua l’Angoisse, j’aurais le bonheur d’entendre chanter les oiseaux qui viendraient se percher près du vert de vos épines! Ils chanteraient : « Voici l’Angoisse! Bonjour, Madame l’Angoisse! Comme vous êtes belle, aujourd’hui! Vos branches et vos épines ont l’air en pleine forme! » Et cela vaudrait pour moi bien plus cher que toutes les reconnaissances du monde!

- Et si j’acceptais que vous me preniez le corps, continua le Sapin, en quoi me seriez-vous utile?

- Bien sûr, je rendrais en échange votre vie beaucoup plus facile. Je ferais en sorte que tous les végétaux mettent plus de temps à croître. Ainsi, vous vivrez beaucoup plus longtemps!

- Êtes-vous réellement capable de telles choses?

- Je le suis!

Et le Sapin accepta que l’Angoisse prît maison chez lui.

Tous les végétaux virent alors leur croissance ralentir.

***

Des années passèrent. Dans la sève du Sapin, l’Angoisse se dédoubla. Et ces doubles se dédoublèrent à leur tour. On vit de plus en plus d’angoisses, partout dans le tronc et les branches du grand Sapin.

Un hiver où le froid avait fait tombé les dernières feuilles des arbres, un homme vint dans la Forêt, une hache à la main. Il coupa un arbre.

D’autres hommes vinrent raser la Forêt.

Il ne resta plus que le grand Sapin :

- Madame l’Angoisse! dit le Sapin. N’aviez-vous pas prévu cela? Des hommes viennent en grand nombre prendre la Forêt! Il ne reste des chênes que des bouts de troncs! Je vous demande, Madame, de nous rendre notre vitesse de croissance, sinon nous perdrons le combat que nous livrent les hommes!

L’Angoisse n’eut aucun remords :

- Je ne peux rien vous rendre, Monsieur le Sapin! Vous avez accepté ma présence... Depuis, je me suis dédoublée. Vous abritez aujourd’hui plusieurs angoisses que je ne peux contrôler. Elles nagent dans votre sève comme volent les mouches!

- Mais, Madame, ces hommes me couperont aussi le tronc! Vous vous retrouverez sans abri!

- Croyez-vous? demanda l’Angoisse, inquiète.

- Je le crois! répondit le Sapin.

L’Angoisse fut bien embêtée. Elle voulut se départir du Sapin et lui rendre sa vitesse de croissance pour échapper au mal des hommes, mais elle dut poser une condition :

- Je vous quitterai, vous et tous les végétaux dont vous êtes roi; je partirai à la recherche d’une nouvelle apparence, cette fois chez les animaux. Si ceux-ci veulent bien de moi, et seulement s’ils m’offrent un corps, je viendrai reprendre les angoisses qui grouillent en vous. Telle est ma condition.

L’Angoisse et le Sapin conclurent donc un marché ce jour-là.

***

Le lendemain, l’Angoisse partit à la recherche d’un animal qui voudrait qu’elle lui prît le corps. Elle vit de larges savanes, dans lesquelles vivaient plusieurs animaux : des milliers de crocodiles, d’éléphants et de lions.



En ce temps-là, les crocodiles étaient si nombreux qu’aucun Homme ne pouvait s’aventurer dans les marécages;

En ce temps-là, les éléphants étaient si nombreux qu’aucune Gazelle n’avait de place pour courir;

En ce temps-là, les girafes étaient si nombreuses qu’aucun Oiseau ne pouvait voler sans heurter les longs cous de celles-ci.



L’Angoisse trouva, au milieu de la Savane, un Lion :

- Bonjour, Monsieur le Lion, je suis l’Angoisse!

Le Lion lâcha la peau d’une proie qu’il était à déchiqueter et tenta de trouver d’où provenait la voix qui lui parlait.

L’Angoisse reprit la parole aussitôt :

- Ne cherchez surtout pas à me voir, vous n’y verrez rien, Monsieur le Lion, car je n’ai ni corps ni apparence! Je suis l’Angoisse!

Et le Lion cessa de chercher la provenance de la voix.

Il répondit à l’Angoisse :

- Mais que me voulez-vous? J’ai beaucoup à faire! Je dois courir dans la brousse et chasser les gazelles pour nourrir ma famille, et voilà que vous m’empêchez de faire mon travail!

- Je vous parle, dit l’Angoisse, car je cherche une apparence qui voudrait bien de ma présence. Les crocodiles n’ont-ils pas de grandes queues magnifiques? Les éléphants, de grandes oreilles étonnantes? Et les girafes, de grands cous tachetés? Moi, qu’ai-je, sinon mon invisible dimension? Enfin, Monsieur le Lion, n’y a-t-il pas sous votre crinière une petite place pour une toute petite Angoisse?

Le Lion fut surpris de l’attention qu’on lui portait :

- Pourquoi vous cherchez-vous une place chez les animaux? Et pourquoi vouloir prendre un corps qui soit le mien?

- Ah, répondit l’Angoisse, si vous me laissiez vous prendre, j’aurais le bonheur d’entendre les oiseaux qui volent autour de vous! Ils chanteraient : « C’est l’Angoisse! Bonjour, Madame l’Angoisse! Comme vous avez une grande crinière aujourd’hui, vos poils ont l’air en pleine forme! » Et cela vaudrait pour moi bien plus cher que toutes les reconnaissances du monde!

- Et, en quoi me seriez-vous utile?

- Je rendrais votre vie beaucoup plus facile, Monsieur le Lion! Je ferais en sorte que vous n’ayez plus à chasser pour vous nourrir!

- Êtes-vous réellement capable de telles choses?

- Je le suis!

Le Lion accepta de prêter son corps à l’Angoisse.

Par conséquent, le Lion devint extrêmement fatigué, si bien qu’il dût rester à l’ombre toute la journée.

Son petit Lionceau l’appela :

- Papa! Que fais-tu? Ne vas-tu pas chasser quelques gazelles pour nous nourrir, mes frères et moi? Nous commençons à avoir faim!

- Ton père ne se sent pas très bien aujourd’hui, répondit le Lion, bâillant de fatigue. Demande donc à ta mère d’aller chasser à ma place!

Et la Lionne, mère du Lionceau, alla chasser. Elle rapporta la carcasse d’une gazelle pour que toute la famille mangeât à sa faim.

On donna d’abord la carcasse au Lion fatigué, qui fut le premier à manger.

L’Angoisse parla au Lion depuis l’intérieur du corps animal :

- Voyez-vous, Monsieur le Lion, comme je vous aide? Certes, je vous épuise, mais grâce à moi, vous n’avez plus à chasser! Votre Lionne fait tout le travail pour vous! Il ne vous reste plus qu’à déguster les parties les plus tendres de cette Gazelle!

Pour cela, le Lion dut remercier l’Angoisse.

***

Des années passèrent. Dans la crinière du Lion, l’Angoisse se multiplia. On vit de plus en plus d’angoisses, partout dans les crocs et les pattes de l’animal.

Un jour, vinrent quelques hommes dans la Savane.

Ces hommes tuèrent plusieurs crocodiles pour faire de leur peau différents objets;
Ces hommes prirent l’ivoire de plusieurs éléphants qui restèrent sans défense;
Ces hommes mirent en cage plusieurs girafes qu’ils emmenèrent dans des zoos;

Le Lion ne put rien faire pour sauver les animaux de la Savane. Il cria à l’Angoisse :

- Sortez de mon corps, Madame l’Angoisse! La Savane demande mon aide, mais votre présence me rend paresseux! Partez d’ici, afin que je puisse rétablir l’ordre! Partez d’ici, et redonnez-moi ma force, afin que je puisse redevenir roi de la Savane!

Mais, tout comme pour le grand Sapin, l’Angoisse expliqua au Lion la complexité de la situation :

- Je ne peux pas vous quitter si facilement! Il me faut trouver un corps dans lequel je serai tolérée. Plusieurs angoisses se trouvent déjà dans les forêts du monde. D’autres ont maintenant pris d’assaut les animaux des savanes. Je ne peux pas m’amuser à contaminer tous les êtres du monde!

Le Lion comprit que toute faute ne revenait pas à l’Angoisse :

- Je comprends votre malheur, Madame, mais ne voyez-vous pas ces hommes qui font partout ravage dans les forêts et les savanes? Ne seraient-ils pas pour vous un habitat possible?

L’Angoisse songea à prendre le corps des hommes. En effet, il devait bien avoir dans la tête des hommes suffisamment de troubles pour accueillir une toute petite Angoisse :

- D’accord, Monsieur le Lion, dit l’Angoisse. J’accepte de vous rendre votre liberté, puisque je vous nuis. Aussi je vous rendrai votre force : vous règnerez à nouveau sur tous les animaux et pourrez rétablir l’ordre dans la Savane.

Puis, l’Angoisse posa la même condition qu’elle avait posée chez les végétaux :

- Il faut pour cela que je trouve ailleurs un refuge convenable. Si les hommes m’acceptent et me tolèrent, je viendrai reprendre les angoisses qui dérangent les animaux et les végétaux. Telle est ma condition.

L’Angoisse et le Lion conclurent, ce jour-là, un marché.

***

Le lendemain, l’Angoisse partit rencontrer les hommes. Près des villages, l’Angoisse croisa plus d’un Homme : des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.



En ce temps-là, les femmes étaient si peu nombreuses que les hommes se les arrachaient par amour;

En ce temps-là, les enfants étaient si peu nombreux que les hommes mouraient au combat pour leur assurer la vie;

En ce temps-là, les hommes étaient si peu nombreux qu’aucune Femme n’était mariée, de même qu’aucun Enfant ne vivait jusqu’à l’âge adulte.



L’Angoisse vit, à la campagne, un Berger. Elle l’appela :

- Bonjour, Monsieur le Berger, je suis…

- Quelle est cette voix que j’entends?! s’écria le Berger. Je ne vois pourtant personne!

Paniqué, le Berger laissa filer le mouton qu’il tentait de ramener au troupeau et se mit à trembler.

L’Angoisse tenta de le rassurer aussitôt :

- Ne cherchez surtout pas à me voir, vous n’y verrez rien, Monsieur le Berger, car je n’ai ni corps ni…

- Vous n’avez pas de corps! s’exclama le Berger. Mais c’est impossible!

Le Berger ne cessa pas d’interrompre l’Angoisse. Elle ne put s’expliquer davantage.

Le Berger courut jusqu’à sa maison voir la Femme qu’il aimait :

- Que se passe-t-il? demanda la Femme au Berger.

- J’ai entendu une voix, répondit le Berger, une voix!

- Une voix? Dans les champs, une voix qui venait de nulle part?

- Oui, c’est bien cela! Mais, à bien y penser, je crois savoir de quelle voix il s’agit! Cette voix venait du ciel! C’est Dieu qui m’a parlé! C’est Dieu! insista le Berger.

L’Angoisse abandonna, car le Berger vit toujours en elle ce qu’il eut envie voir : Dieu.

Le Berger visita plusieurs villages. Il raconta son histoire et persuada tous ses proches de ce qu’il avait entendu. Cela prouva bien l’existence de Dieu, mais jamais ce jour-là l’Angoisse ne parvint à prendre un corps humain.

**

L’Angoisse ne put rester plus longtemps à la campagne. Elle se rendit dans une ville, où elle aperçut un Artiste qui peignait une grande toile. Elle l’appela :

- Bonjour, Monsieur l’Artiste, je suis…

- Quelle est cette voix que j’entends?! s’écria l’Artiste. Suis-je devenu fou?!

L’Artiste laissa tomber le pinceau qu’il tenait et se mit à avoir peur.

L’Angoisse tenta de le rassurer :

- Ne cherchez surtout pas à me voir, vous n’y verrez rien, Monsieur l’Artiste, car je n’ai ni corps ni…

- Vous n’avez pas de corps! C’est bien ce que je croyais! Je suis fou! Serait-ce l’Angoisse qui me prend? Je la sens! Il me faut la peindre! Ou alors il faut m’enfermer!

L’Artiste redouta l’Angoisse, mais ne lui accorda aucun mot.

Il peignit ce qu’il crut être l’Angoisse. La peinture donna bien une apparence à l’Angoisse, mais il fut impossible que celle-ci habitât dans une toile.

Cela ne régla rien, car jamais ce jour-là l’Angoisse ne parvint à prendre un corps humain.

***

L’Angoisse jugea bon de s’éloigner des hommes. Car ceux-ci avaient peur d’elle, ils refusaient de l’entendre, et c’est bien pour cela que se mêlèrent mélancolie, détresse et dépression dans l’Angoisse :

- Ces hommes ont peur de moi! se dit-elle. Ils refusent de m’entendre et me prennent tantôt pour Dieu, tantôt pour l’objet d’art! Ah, ces hommes me négligent et ne m’aiment pas!

Elle pensa :

- Jamais aucun Homme n’acceptera donc mon existence? Je ne peux pas, non plus, forcer les choses : la première tête humaine dans laquelle j’entrerais se suiciderait sur-le-champ! C’est peine perdue, car tous ces hommes jureraient mon corps dans un grand tourment!

L’Angoisse s’éleva dans les airs en un grand tourbillon. Elle passa au-dessus d’une grande Mer.

Personne ne vit l’Angoisse crier à la Mer :

- Madame la Mer! Voudriez-vous de moi?

La Mer ne répondit pas.

Personne ne vit l’Angoisse crier encore :

- Madame la Mer! Je me sens si seule! Avalez-moi, je vous en prie… Si je vous prenais le corps, je mourrais en vous, mais cela m’est bien égal, puisqu’il m’est impossible de vivre dans un corps, aussi bien mourir dans le vôtre!

La Mer ne répondit pas.

Personne ne vit l’Angoisse crier une dernière fois :

- Je n’ai fait sur la terre que le malheur! Les forêts ont été détruites par ma faute! Aussi les animaux sont-ils morts par ma faute! Car je ne mérite pas de vivre, voici maintenant mon suicide! Je vous en prie, Madame la Mer, laissez-moi mourir! Je ne sais nager! Et je ne sais respirer sous l’eau!

Cette fois, une voix parvint jusqu’à l’Angoisse :

- Bonjour, Madame, je suis l’Aveugle!

L’Angoisse, sur le point de se jeter à l’eau, s’étonna de la réponse :

- Un Aveugle? demanda-t-elle. Mais je ne vous vois pas. Êtes-vous sur la plage? Sur un quai? Ou alors sur l’eau? Là-bas? Sur ce voilier? Dites-moi où vous êtes, que je me fasse voir!

- Je suis sur ce voilier, répondit l’Aveugle, mais ne cherchez surtout pas à vous faire voir, Madame, car je ne vois ni corps ni apparence! Je suis l’Aveugle!

L’Angoisse rasa la mer jusqu’au voilier. Elle y vit cet Homme aux yeux blessés sous une voile. Jamais les paupières de l’Aveugle ne bougèrent :

- J’ai cru vous entendre crier que vous ne saviez pas nager, dit-il. Étiez-vous en train de vous noyer, Madame?

- Je l’étais… répondit-elle. J’ai demandé à la Mer qu’elle me prenne, car je ne sais où aller… Mais elle ne m’a pas répondu.

- Pourquoi ne viendriez-vous pas sur mon bateau? demanda l’Aveugle. Il me semble y avoir suffisamment de place pour deux!

- Ah, si vous n’étiez pas aveugle, Monsieur, vous ne proposeriez pas une telle chose! Ma voix vous ferait trembler de peur!

- Je vous imagine pourtant très belle, Madame! avoua-t-il.

- Êtes-vous certain d’une telle chose?

- Je le suis!

L’Angoisse monta à bord du voilier. Elle parvint même à s’étendre tout près de l’Aveugle :

- Puis-je venir vivre avec vous? supplia l’Angoisse. Cela me rendrait si heureuse! Sur votre voilier, j’entendrais les oiseaux chanter : « Comme vous êtes belle, ce matin, Madame! Ces cheveux vous vont à ravir! Et ces yeux, comme cela est charmant! Et ces bras, ces jambes, vous m’avez l’air en pleine forme! »

L’Angoisse avait retrouvé l’espoir de prendre corps. Cet aveugle lui parlait. Mais elle voulut comprendre les raisons de sa solitude sur la Mer :

- Que cherchez-vous, Monsieur, sur la Mer? N’avez-vous pas d’amis sur la terre?

- Je cherche à m’éloigner de la terre, dit l’Aveugle. Avez-vous vu la terre, comme elle n’est plus ce qu’elle était? Ah, je ne souhaite qu’une chose, Madame, et c’est que les hommes soient punis pour tout ce le mal qu’ils ont fait! Avez-vous vu ces forêts, comme elles meurent? Avez-vous vu ces chênes dont il ne reste que le tronc? Avez-vous vu ces savanes, sèches et désertes? Avez-vous ces éléphants, que les hommes attaquent pour en prendre l’ivoire? J’ai tout vu cela, moi, Madame! Et c’est bien pour cela que je me suis arraché les yeux!

Voyant les raisons de la cécité de l’Homme, l’Angoisse ne put s’empêcher de se sentir coupable :

- Tout cela est ma faute… dit-elle. Si vous m’acceptiez sur votre bateau, je saurais vous donner quelque chose en retour, Monsieur! Ne craignez rien!

- Mais je ne veux rien! rétorqua-t-il. J’ai tout ce dont j’ai besoin, ici! C’est ailleurs, sur la terre, que les choses sont désastreuses! Je vous le dis, Madame : ne donnez jamais rien à un Homme! Il saura prendre ce que vous lui offrez pour tout bousiller!

L’Angoisse s’avança près de lui et n’eut alors qu’une question :

- Avez-vous peur de l’Angoisse, Monsieur?

L’Aveugle tarda à répondre. Il se mit à pleurer. Des larmes coulèrent depuis les cicatrices de ses yeux :

- J’ai souvent peur, Madame, admit l’Aveugle : peur de m’échouer sur la terre, peur des vagues que je ne vois pas à l’horizon... Mais si vous restiez avec moi, je crois qu’en votre compagnie, je ne craindrais rien, ni de l’eau ni de la terre…

Ces mots furent les derniers de l’Homme.

L’Angoisse pénétra doucement le corps de l’Aveugle.

En peu de temps, l’ordre fut rétabli sur la terre;
Et l’on vit partout naître des Femmes angoissées, touchées par une grande dépression;
Et l’on vit partout naître des Enfants angoissés, malades dès la naissance;
Et l’on vit partout naître des Hommes angoissés, étouffés par le sentiment;

Enfin, l’Angoisse avait trouvé corps chez l’Homme.

Et l’on ne vit plus un seul Homme, sur la terre, qui ne se présentât pas comme une Angoisse sur deux pattes.

On ne vit que cette Angoisse, sur la Mer, qui dirigea toujours le voilier pour qu’il ne fît jamais naufrage.

On ne vit que cette Angoisse, sur la Mer, qui évita les vagues les plus hautes afin que le bateau ne devînt jamais épave…


4 février 2008

Carnet de domicile no. 3

3 février 2008

« S’il y a une idéologie qui anime les gens de mon époque, c’est la santé de l’environnement. Je dis santé car c’est bien de cela qu’il s’agit. En fait, je ne vois rien d’autre dans ces causes environnementales qu’une crainte vis-à-vis la santé de l’homme; souci qui va de paire avec tous ces mouvements anti-cancer, cette quête de l’antioxydant, du remède miracle.

Qu’on parle de la santé de la planète ou de la santé de l’homme, les deux sont d’une même nature car, lorsqu’on pense à la pollution, ce n’est pas tant l’effet de serre qui nous préoccupe mais plutôt, c’est l’image de ce poumon étouffé par la fumée de la cigarette qui nous vient en tête, consciemment ou non, c’est en réalité une peur de la maladie qui nous habite, rien d’autre.

J’irais même plus loin en disant du souci de l’environnement qu’il est une peur de mourir. C’est la peur de la fin : fin de l’homme, fin de la santé, fin de la jeunesse. C’est bien cela. L’idée d’une jeunesse, fraîche et en pleine forme, est aussi à la base de cet engouement environnemental. Et de ne pas accepter que toute jeunesse doive se terminer, que toute santé ne puisse pas être rétablie (et ce, malgré tous les remèdes miracles que quelques hommes avares tentent de nous vendre), est un problème bien plus grave que celui de l’environnement.

Je ne dis pas être «contre » la protection de l’environnement, au contraire, j’ai un amour fou pour les beautés de la nature et la sincérité des animaux. Mais à quoi cela peut-il servir de vouloir contrer les volontés des plus puissants? C’est se débattre inutilement.

Cela peut paraître étrange, mais je suis de cet avis que la planète réglera elle-même ses problèmes. C’est l’homme qui est en danger, menacé par une révolte naturelle. Et comment faire pour le sauver? Cela revient à poser la question : « Comment aurions-nous pu faire pour éviter Hitler? » À la seule différence qu’Hitler était un seul homme, ici, tout le monde participe à la dégradation de la planète.

Le fait est que l’homme, de tout temps, n’a jamais su faire quoi que ce soit pour échapper aux fléaux qui se dessinaient devant lui. Il n’a échappé à aucun malheur que la planète avait prévu pour lui.

Maintenant, l’état de l’environnement est le résultat des actions de millions d’êtres humains. Comment pourrions-nous pénaliser autant de fautifs? Impossible. Et de toute façon, pourquoi l’homme saurait-il régler un problème qu’il a lui-même provoqué? C’est comme demander à un meurtrier de se punir lui-même! La chose n’est pas envisageable. Il revient à la planète, ou à Dieu, de punir l’homme.

Je n’ai toutefois pas dit qu’il fallait se laisser mourir, ni même que la mort approchait. Je dis seulement qu’il y a de ces problèmes qui ne demandent pas de solution. Pourquoi faudrait-il que tout problème ait sa solution? Ce serait utopique de croire cela.

De là, je n’appelle pas « problème » l’état de l’environnement. Je l’appelle « état », tout simplement. On ne peut rien régler, certes, mais être dans un état implique l’acceptation. Il faut accepter cet état dans lequel nous nous trouvons, cesser de paniquer, d’angoisser, et surtout, il faut faire le deuil de ce qu’a été la planète. Non, cette planète ne sera plus la même. Plusieurs changements surviendront. Et puis?

Il faut cesser d’avoir peur, et accepter, car l’acceptation implique nécessairement l’adaptation. Et l’adaptation, si elle était menée adéquatement, n’entraînerait pas la fin de l’homme. Au contraire, elle entraînerait une renaissance extrêmement positive.

Et pour ceux qui ont pour ambition de crier encore à la survie de l’environnement avec des pancartes de manifestants, je dis : bon, continuez… vous avez d’étranges ambitions, c’est vrai, mais les miennes ne sont pas moins étranges que les vôtres… »

Carnet de domicile no.2

23 novembre 2007

« La médiocrité de l’art (à toute époque donnée) vient du fait qu’on fait souvent subir à l’art le même traitement que l’on fait subir à l’homme. Le problème, c’est qu’on prend pour acquis que l’homme doit évoluer (s’améliorer). Ainsi, on ne prend plus l’art comme une entité propre, mais comme un « être humain » qu’on s’est approprié et qu’on dit faire progresser. Cet être doit évidemment être parfait. Il doit pour cela être original, et donner le meilleur de la vision de l’homme.

C’est absurde. L’être humain court à sa perte : l’art vit seul, et celui qui tente de lui donner une trajectoire évolutive devrait être enfermé à l’asile (ce qui arrive assez fréquemment…). »

31 janvier 2008

« Vu un vidéo entrevue avec Michel Tournier. Très brillant homme, un peu complexe, qui dit que tout grand écrivain doit avoir aimé lire pendant son enfance. Je ne suis pas d’accord. Et je suis bien le seul à ne pas l’être… mais j’entends bien prouver que la lecture ne mène pas à la création. Un enfant qui aime lire des histoires (car ce sont bien les histoires qu’aiment lire les enfants, et non la qualité syntaxique ou artistique d’une œuvre) ne fera pas un bon écrivain : il fera un bon conteur. Et c’est toute la différence.

Ce ne sont pas les histoires que j’affectionnent, quand je lis (d’ailleurs je déteste assez souvent toutes les histoires qu’écrivent les auteurs contemporains), c’est le langage, l’acte de parole et la langue française qui me passionnent. Je ne me lasserai jamais de ces théories du français, des définitions des mots, etc.

Je ne crois pas qu’il revienne au rôle d’écrivain d’écrire des histoires. Là, les conteurs se lèvent. Laissons donc les conteurs raconter les histoires, car pourquoi appeler « auteur » ou « écrivain » un artiste qui travaille de la même manière que les conteurs ?

Les conteurs revendiquent justement une reconnaissance du milieu artistique, et je crois qu’ils la méritent. L’écrivain doit se concentrer ailleurs que dans l’histoire. C’est à lui que revient le rôle de créer de nouvelles syntaxes, de nouveaux rapports entre écriture et réalité, ou plutôt, entre désécriture et déréalisation. Car c’est bien cela, il faut écrire ce qui ne s’écrit pas ; dire ce qui ne se dit pas (formellement). C’est par la littérature que doit se définir le réel.

L’histoire racontée importe peu dans de tels cas. L’écriture est un lieu de création. Le conte en est un de divertissement. Un ménage s’impose…

[…]

Je peuplais les allées de peupliers par mes pas qui me plaisaient peu, peuple lié que je voyais plié par la peur d’être pelé par qui le peut; je palpais les derniers plis de mes plaies avant de me piler les pas…

Je devais écrire ça dans un atelier de poésie, car nous avions trois minutes pour écrire quelque chose à partir du mot peuplier.

Quelle ne fut pas ma surprise, d’entendre après avoir lu mon texte, un « wow » provenant du fond de la classe. C’est flatteur, surtout venant d’un homme! Ensuite, le prof a repris la parole et nous a lu ce qu’avait fait un poète (plus ou moins célèbre dont je ne me souviens pas le nom) avec un mot comme peuplier. Exactement comme j’avais eu l’idée de le faire, le poète jouait avec les mots, mais il le faisait d’une manière tellement moins habile! »

Les Cent pas

Un pas et puis deux et puis, une cigarette c’est que cet homme marche en fumant qu’il a le tabac de poussière dans les affres, si une telle gorge peut être aussi creuse, affres que je dis si le crâne peut se creuser au moment de fumer le papier sec, j’écris sur ce qui tarde à brûler par le briquet de ma paume, que s’allume ce papier sec sur lequel je tarde à me coucher les mots du « je ne veux pas dormir maman », les pas s’accumulent dans la chambre comme je fume encore cette merde qui m’extermine mais je ne suis pas cet homme qui marche en fumant, je ne peux pas l’être! Ce n’est pas moi! Je n’ai jamais eu d’aussi longues jambes et ce n’est pas aujourd’hui qu’il m’en poussera de pareilles!

Un pas et puis deux et puis, je respire, pour la tendre lenteur de mes amis qui tardent encore à venir, tout tarde! Tout tarde! Rien ne se passe, rien ne va! Tout reste!

Il ne se passe absolument rien j’ai eu beau fumer toutes les cendres des cendriers, le temps se fait sans moi que je dis un pas et puis deux et puis, rien, les amis les enfants, n’arriveront jamais si je ne suis pas moi, je ne suis pas cet homme qui me consume, je ne suis pas le temps, je ne suis ni l’espace ni les autres et ces autres qui me disent tout à coup que tout va si vite et tout déboule de grosses roches molles qui m’étouffent en un paquet soudain!

Un soudain paquet de gens m’arrive avec un pas et puis deux et puis, trois enfin, ce trois que j’attendais mais sitôt le trois, le quatre, le cinq s’il faut que mes amis soient six et les nombres se succèdent un peu trop à mon goût que tout va trop vite! Tout va trop vite! Pendant tout ce temps où je ne voyais rien aller, tout se passait sans moi!

Tout se passe encore et c’est perdu d’avance si tout se passe et si je n’y passe jamais, en rien, laissez-moi faire ce deuxième pas encore, un pas et puis deux et puis, un ; car tout se passe, je n’y passerai jamais tant que j’aurai cette fumée devant les yeux qui me pique tout ce que j’ai eu du passé et d’un pas et puis deux, et puis un, pas et puis deux, et puis un.

Gros

« Ne voyez-vous pas que la terre tourne sans voler, et que les astres s’arrêtent sans tomber ? » Je me regardais au profond de moi-même et bon sang que je me connais, que je m’aime et me savoure et bon sang que mon sang est bon lorsque je le répands de beautés comme des diamants sur tes petites joues glacées, sœur de mon être, dis-moi que nous sommes deux, et que je ne suis pas le seul à me déshabiller ici, nu comme un ver timide devant son propre corps, dis-moi que la mer reflète autre chose qu’elle-même et ce foutu soleil qui ne me ressemble pas, dis-moi que se déshabillent aussi les nuages pour se montrer le poil chaud et que je me regarde comme je suis beau et ne sais pas écrire que je vais mal, très mal et c’est gravement ce que je constate que je suis gros, aujourd’hui je suis gros, c’est un constat grave, c’est que je défie même la perspective : si on me photographiait derrière une chaise, on aurait beau me mettre à des kilomètres de la chaise, tout au fond de la photo, à l’arrière-plan, que je serais quand même plus énorme que cette foutue chaise.

La sourde

L’hiver de ton odeur sur l’époque glaciaire que nous vivions ensemble le secret de ce que nous disions avec les mains qui faisaient du langage l’amour sous la neige du bout de ton nez muet, coulant dans le silence de nos froids c’était l’hiver du village, et les rues jouaient à se mettre au passé de ce que nous connaissions de l’hiver, les soirs glacés par le jeu de notre enfance, la sœur que tu avais plus jolie que tu ne l’étais, muette à me parler dans le parfum de la neige, roses jaunes qui me donnaient un dernier souffle à te comprendre le langage débile que nous inventions sans la langue, muets par la volonté des cloches d’une église que nous n’entendions pas si Dieu ressentait chaque petit blé qui ne parvenait pas à pousser, la tête me faisait penser Verchères les flocons dans le crâne avec quelques manques d’intelligence nous ne discutions pas de la surdité, nous la faisions et si quelques champs pouvaient être vécus par les élans du langage, parfois, nous prenions le paysage entre nos doigts et tu faisais des arbres des mots que tu nouais facilement mieux que moi, la surdité te connaissait et l’affaire des mains avait été pour toi une manière de naissance, petite sourde que je t’apprivoisais les cordes de ta voix rauque pour un dernier je t’aime sur les branchages de tes ongles devenus femmes, tes ongles écorchais les ficelles du paysage je dois le dire, que ta façon d’expliquer les images creusait des fossés entre nous et le réel, ce réel qui n’était vrai que par les mouvements décousus de nos bras au-dessus de la blancheur que nous avions nos paumes sur les avant-bras que j’avais si cela signifiait quelque chose, un mot à te parler de l’hiver de ton odeur sur l’époque glaciaire que tu n’y comprenais rien, ni des mots ni des voix que je dessinais sur les flocons des airs tu n’entendais rien, des parfums qui m’étaient venus à dos de musique tu n’entendais rien mais que tu riais, par la laine de tes chandails tu riais de cauchemars frais, coupable d’être née sous cet hiver parfumé de tremblements qui te hantaient le poil des bras en de grinçants frissons tu t’excitais, pour le mensonge d’avec quelqu’un d’autre tu me trompais, tu t’excitais le manque de sincérité avec cet autre qui n’entendait rien de tes hanches qui ne voulaient rien dire et je criais que les hanches ne veulent rien dire! Que ce ne sont pas les hanches qui font les mots! Que ce sont les doigts!

Que ce sont les doigts mais tu n’utilisais plus ta fragilité que pour caresser le bassin de sa chair rouge à lui, transportée dans ton lit d’épaves mouillées, le soir s’allumait de lumières éclatées pour le jour que tu repoussais et que tu poussais le jour, que tu poussais encore les hanches et t’excitais tout le corps malgré moi; soudain mes draps vides s’animaient de formes signifiantes qui me parlaient par les signes d’une nostalgie et tu ne parlais plus, sourde de mon enfance tu ne me parlais plus, tu te taisais les mains tandis que les draps m’effrayaient, comme les grains du plancher se détachaient du sol pour se multiplier devant mes yeux, ces taches de couleurs sur les draps n’étaient plus que les symboles d’un langage tout à fait différent de nos danses digitales que tu n’y comprends rien lorsque je te parle de ce réel qui me parle d’angoisse, de ces formes qui dansent à la manière de tes doigts d’autrefois qui prenaient d’assaut le paysage pour le raconter : maintenant ce sont les paysages qui s’animent pour me parler de l’étrangeté des lignes que je ne peux expliquer que par la destruction de ma syntaxe!

Fille sourde, que je te voulais encore, enfin que tu fixes encore ce paysage et que tu le noues une fois pour toutes non je ne suis pas sourd, parfum de glace que je t’entends mentir et fondre douce par le dégel des champs de blé non je ne suis pas sourd, j’ai bien entendu le froid cesser sous la chaleur de tes hanches ce soir-là du froid qui nous a quitté le malheur que j’aimais tant l’odeur qui me rappelait cette époque glaciaire de notre langage réconfortant avant que tes hanches ne viennent tout gâcher par leur chaleur féline et je ne suis pas sourd, j’ai bien entendu les cris de chattes qui m’ont éloigné et je ne suis pas sourd, je me suis bien entendu te dire que depuis le déhanchement de tes excitations, les branches des arbres sont toutes devenues des doigts qui me parlent d’un réel en crise et me paniquent l’angoisse non je ne suis pas sourd, mais j’ai prié, que ce blé d’hiver échappe ce qu’il pousse par quelques figures syntaxiques sous mes yeux les tiges des mots écorchés par les ongles que tu n’as plus pour moi, ce blé qui parvient à se faire un mot de ce que je ne veux pas voir et non, je ne suis pas sourd, mais j’ai prié, chaque jour le son des cloches, que le froid me rende aveugle…

Ma chaise

C’est ma chaise que tu entends, que tu vois je veux dire, que je suis à me perdre les yeux dans une marmite toute boisée de l’écho de mes angoisses tuméfiées de toi, sur une chaise que tu n’entends pas le bois portraité de mes angles fatigués de se tapir derrière les vapeurs blanches de ma peau que je voulais blanche et peau que je te voulais blanchir quelques épineux dans une vapeur juste derrière, paupières dont je ne suis jamais certain qu’elles existent derrière l’écorce, la surprise de mes sourcils scandalisés par le fier que mon frère m’appelait toujours de noms moqueurs avec cette fille que j’étais, moqueur avec elle nous riions des autres jusqu’aux handicapés s’il fallait que ma mère lise l’aveu de mes galeries que j’avais juré que c’était vrai, que j’ai jeté ces poèmes au chemin de mon fer pour ce qu’il m’avait désastré le corporel s’il faut que ce train que je suis suivi par ce fer que mon père faisait mal de vivre à deux, appartement qui ne sombre jamais que la nuit est salope, hypocrite de souvenirs qui en ressortent pour me faire perdre le peu de contrôle que j’ai sur ce train que je vais mal en cette nuit mes vieux meurtris par la folie que je t’aime, il y a dans cette soirée une erreur de plancher je vous le jure, que je disais la vérité, que ces planches deviennent autres, autrement réelles si les vapeurs de mon visage se décollent de mon front et raffalent le plancher flottant sur les eaux de ma mer, je donnais du large au catamaran de mon mal de cœur solitaire que je suis une île dont les algues sont aussi sèches que le bout de tes pieds pour le sexe, rien à dire sinon ce qui a été dit, que je vous jure que certaines de ces planches de bois qui ne m’appartient pas ne m’appartiennent pas je disais, bien des choses que je disais sans que cela ne fasse bâtir aucune parenthèse pour personne ne m’a entendu, sur cette chaise personne, ne m’entend sur cette chaise que tu entends, c’est ma chaise que tu entends, que tu n’entends pas je veux dire, que tu ne l’entends pas.