28 avril 2008

La petite et le renard



Viens ici, petite naïve.
Non, je ne viendrai pas le roux dans tes poches.
Viens ici, petite rousse, les renards sont gentils.
Non, maman me refuse.
Viens ici, belle petite, jouer les bonbons de ma bouche.
Non, je n’aime pas les moustaches.
Viens ici, dans le foin tranquille.
Non, sous les arbres trop grands j’ai peur.
Viens ici, je te calmerai sans cesse que tu es petite.
Non, j’ai trop grandi dans la saleté.
Viens ici, je te nettoierai sans toucher.
Non, je n’ai pas le souper dans la blouse.
Viens ici, je n’ai pas soupé ma soupe.
Non, maman me refuse les langues.
Viens ici, je ne sortirai pas la langue.
Je n’aime pas la langue.
Je n’ai pas de langue.

25 avril 2008

La cigarette


À chaque bouffée, une offense pour le créateur des miettes que je jette à me dorer la gloire d’une tête dure comme l’acier sous les fumées que je crois créer mes bouffées à chaque orgueil, le fer me remonte la fierté de mes avalés, de mes conservés, du rejet que j’expire l’ennui dans les fentes de mon crâne quand la bouffée manque, à chaque orgueil réduit en poussières s’effrite ma fierté jusqu’à la cendre que je roule le papier blanc, à la salive sur les restes dignes, je recolle mon innocence sèche pour y mettre le feu.

Les quilles


Les enfants sont gentils, bercent leurs mères alignées comme des quilles sur le bois défendu d’un père que la mort libère en un dernier souffle les enfants sont contents, jouent les mères d’un père que la mort évade loin des allées glissantes, dans leurs chaussures trop grandes, les enfants se réjouissent de l’allure d’un lancé en une dernière danse, l’un d’eux s’écrie la joie de la réserve ou de l’abat.

Deux temps


Au lendemain de Noël, l’été s’allonge de jambes allongées sur les jeux que l’on plonge mon géant fils, soulage-toi le dos gercé des lèvres de l’hiver que je recule au lendemain de l’été, Noël se resserre de mes jambes écourtées d’espaces quotidiens sur les jeux que l’on offre mon fils géant, soulage-moi le ventre brûlé d’un feu d’été que j’éteins...

La mort du lecteur


Mains lâches, l’oeil du lecteur se jouait de ma langue, plissait quelques faux baisers pour éparpiller mes fracas sur les continents inconnus des célèbres brodés et des masques tissés que je perce, par la broche d’un seul mot : je me cite moi-même.

17 avril 2008

Pastiche de Vincent Filion


Ce texte n'est pas de moi. C'est un « collègue », étudiant en création littéraire, qui a écrit ce pastiche pour un numéro de la revue Main Blanche.

J'ai tout de même modifié quelques trucs pour que ça fasse plus « moi », dont le titre (anciennement Julie, devenu Le masque julien) et la fréquence des virgules. Il va sans dire que je trouve très bien ce pastiche, si bien que je l'intègre à mon blog sans hésiter. Je m'en crois l'auteur alors, coudonc, j'ai pu besoin d'écrire...? Quel bonheur.

Ceci m'amène à parler de cette tendance que certains auteurs ont trop souvent à vouloir demeurer seuls propriétaires de leurs textes. Je crois que, lorsque nous donnons dans l'écriture, nous donnons aussi à quiconque écrit. Le texte (et le style) d'un auteur n'est la propriété de personne. Il est la propriété de Dieu, seul grand créateur. Lui seul permet à un auteur d'écrire de telle façon, et si cet auteur veut garder ce style pour se glorifier et devenir éminent, eh bien c'est un acte égoïste qui déshonore Dieu. Nous ne sommes que des inventeurs. (Ok le bout sur Dieu c'est subjectif là)

En tout cas, l'écriture doit être un don pour la littérature en général. Si j'écris d'une manière particulière, je suis heureux de voir quelqu'un profiter de mon invention stylistique. Et je n'écris que pour ça : ouvrir de nouvelles pistes pour de nouveaux auteurs. Quitte à demeurer inconnu (on sait ce que la notoriété vaut en littérature...). Je serais donc heureux de voir un autre auteur réussir mieux que moi dans ce style que j'utilise. J'aurais réussi mon travail. 

Parce que de toute façon, moi-même, souvent, je suis « pogné » avec mon propre style, ne sachant plus comment le faire aboutir. D'autres savent parfois mieux que moi comment l'utiliser. Anyway... Avis aux pasticheurs... Vous n'êtes pas des pasticheurs, vous êtes vous-mêmes...

p.s. si vous devenez riches en vous inspirant de ce que j'écris, écrivez-moi une lettre de remerciements quand vous aurez 40 ans (je vais l'accrocher sur un babillard et si vous signez la lettre, ben je vais la vendre tsé...)





 


Le masque julien 
(à la manière de William Drouin)


Découpe-moi un masque Julie et n’oublie pas les trous pour les yeux que je t’observe ajouter les paillettes et les plumes à la colle chaude de tes trous percés pour attacher cette corde avec une boucle Julie, sur ce masque que tu perces les trous d’un crayon mais attention de ne pas m’écrire sur les yeux, attention de ne pas traverser la grille carmin du papier rouge avec mon visage en dessous qui te regarde les yeux fermés en chantant Julie, descend de sur le divan, qu’on ne t’entende plus crier les écouteurs sur tes oreilles hurler que les cousins sont encore venus jouer pour te dire que les filles lancent mal le ballon sur leurs jambes en culottes jusqu’à ce que les garçons ne changent les règles, parce que ça ne compte pas Julie, les règles n’ont jamais compté que depuis le bassin que tu fais pivoter la folie de ta maman pour ce qu’elle ne t’a jamais rien expliqué de ta vie de petite importée de ton pays de guerres et de mamans qui font les enfants avec des fusils pour tirer sur d’autres enfants avec les fusils vrais Julie ;

Ferme tes yeux pour ne pas les crever mais attention de ne pas me risquer quand tu dessines le contour pour ton masque sinon tes yeux se mettent à parler sous la pression, attention de ne pas jouer les ciseaux à manche rouge hypocrites de juin qui arrive et Julie que tu es belle quand tu souris, July-June qui s’appartient en propre comme toutes les petites filles qui demandent des pieds de lotus pour leur anniversaire de cinq ans, comme toutes les petites filles qui interrogent les prunelles en pressant bien fort les pouces sur les paupières en criant de parler et parle ! Masque julien ! Parle !

Découpe-moi Julie les poupées muettes que tu peux caresser leurs cheveux de laines mais elles ne parleront jamais des secrets qui blessent Julie, mais pourquoi ne leur fais-tu pas de nouvelles robes avec les chiffons à déchirer en lambeaux ; pourquoi tes ficelles n’entrent-elles pas dans les trous pour me tenir le masque d’un sourire en place, Julie.

Vincent Filion.

16 avril 2008

L'oeil du témoin



Une fille entra dans un restaurant, accompagnée de ses parents. Le serveur prépara une table. Il les fit assoir et demanda si les ustensiles convenaient. Capricieuse, la fille demanda qu’on changeât sa fourchette. Sa mère, ayant tout prévu, sortit de son sac à main la fourchette préférée de sa fille :

- Ça ira, dit la mère. Les ustensiles conviennent.

Le serveur alla chercher de l’eau. Il en versa dans chaque verre, puis demanda si l’on était prêt à commander :

- Pas encore, dit le père. 

La fille prit le menu. Elle fit son choix. Elle attendit qu’on vînt de nouveau prendre sa commande. Le serveur accourut aussitôt :

- Pour Mademoiselle?

- Un sandwich au jambon, répondit la fille. Coupé en petits morceaux. Et un gâteau au chocolat aussi.

- Et pour Monsieur, ce sera quoi?

Le père n’a pas faim. 
La mère non plus. 
Les parents sont venus ici pour les toilettes.

Le serveur hausse les épaules. Une seule commande. Il note tout cela dans un carnet. Sandwich jambon et gâteau chocolat. 

Les parents se lèvent. Ils s’en vont aux toilettes. Quand le serveur vient servir le sandwich au jambon, les parents ne sont toujours pas revenus à table.

La fille sourit en voyant l’assiette qu’on lui apporte.

Elle prend une première bouchée de son sandwich et, comme une miette de pain va pour tomber de ses lèvres, elle camoufle sa bouche derrière ses jolis petits doigts dont les extrémités, très roses, frôlent ses narines en les obstruant presque ; quiconque la verrait alors saurait deviner qu’elle hume ainsi discrètement l’odeur de ses doigts pour s’assurer qu’il n’y ait rien d’étrange dans le parfum naturel de sa main, rien de désagréable dans le parfum collant de ce qu’elle a touché auparavant : cette compote de pommes, entre autres, avait ce matin-là finement parfumé ses ongles qui, récemment polis et soignés par une manucure à laquelle avait été ajouté, en guise de décoration, à la base de chaque ongle, un autocollant en forme de pétales de fleurs, reluisent à présent comme l’intérieur des coquillages.

Elle presse une première fois cette bouchée entre ses molaires, et quiconque verrait les petites dents carrées de cette fille remarquerait d’abord et avant tout l’ampleur de ses gencives qui, anormalement épaisses, transforment chaque sourire en une explosion de rouge éclatant, du menton jusqu’aux joues remarquablement lavées de toute rougeur ; les joues de cette fille ressemblent à celles d’une poupée dont le plastique sentirait d’abord le caoutchouc, puis sentirait la salive des enfants aux lèvres mouillées qui embrassent trop facilement les joues des poupées, le front des poupées, toutes ces surfasses lisses et douces dont les odeurs initiales disparaissent bientôt sous une viscosité desséchée d’où émane cette senteur humaine du baiser, de la bouche et de l’intimité, que quiconque voudrait inhaler jusqu’à s’en endommager les narines, jusqu’à s’en détruire les cavités pour qu’ensuite cette senteur s’étende au fond de la gorge et rejoigne les papilles, jusqu’au goût, c’est bien cela, pour qu’une fois pour toutes quiconque puisse goûter ce qu’il voudrait respirer de l’haleine inconnue : en réalité, il voudrait lécher la peau délicate, et que se mélangent les humidités sur tous les corps.

Elle mastique lentement cette bouchée et, comme elle broie le morceau de son sandwich, son nez sautille au hasard, par sursauts incontrôlés, comme les tics des anxieux ou plutôt, comme un nu sans serviette sorti tout droit de la douche ; c’est un nez minuscule dont la forme inspire la possibilité d’un rapprochement, car c’est toujours ainsi, lorsque quiconque voit ce nez, quiconque ressent partout l’odeur d’une proximité charnelle ainsi que le profond désir de décrire cette fille en ses moindres détails, espérant qu’un jour il puisse la saisir en entier, qu’un jour il puisse saisir l’hallucination olfactive qui s’est créée en lui la première fois qu’il a vu ce nez : cette fille sent la peau sèche et belle qui appréhende la sueur ; la peau fragile qu’on a envie de faire transpirer.

Elle fait glisser, dans sa bouche, le jambon de sa bouchée sous son palais, ce qui réduit considérablement le déploiement de sa mâchoire qui se repose en de mouvements qui ne se font plus de haut en bas mais de gauche à droite, comme une eau calme, tout cela faisant bouger ses joues tout près desquelles des mèches blondes sont tombées, gentiment, et ces quelques cheveux sont aussi transparents qu’un mince ruban de dentelle qu’on aurait envie de replacer derrière les oreilles, en un mouvement circulaire de la main, comme si toute main était celle de cette fille, ou celle d’une poupée, encore une fois, une poupée prête à répandre sur son corps toutes les odeurs de quiconque la prendrait, de quiconque l’embrasserait sans avertissement, férocement pour le plaisir de rouler les corps dans les saveurs de l’environnement, y compris celles de la saleté des rues.

Elle ouvre la bouche pour une première fois depuis le début de sa mastication, faisant légèrement frapper sa langue contre l’intérieur de ses dents, tout cela dans le but de loger cette bouchée devenue molle et mouillée au seuil du couloir de sa gorge ; elle conserve encore cette bouchée un instant, le temps de jeter un bref coup d’oeil à quiconque l’observerait et la décrirait sans cesse dans un carnet, à quiconque la désirerait jusqu’au fantasme de vouloir avaler la bouchée qu’elle a mouillée, à quiconque l’observe, elle et cette façon qu’elle a d’attacher ses cheveux vers l’arrière en une queue de cheval nouée par un élastique de tissu épais dont la couleur et les motifs rappellent ceux d’une enfance décousue, de chats et de billes mauves, une coiffure sous laquelle le front féminin se dégage, un front très court au centre duquel les néons de l’endroit éclairent violemment la peau et forment ce petit rond blanc qui s’éteint au fur et à mesure que quiconque regarde plus bas que le front, que quiconque descend vers les sourcils de la fille : le halo s’assombrit alors en un subtil dégradé, jusqu’à l’arcade sourcilière, avant de disparaître complètement sur ces deux bandes de poils châtains, deux épais sourcils qu’elle n’épile jamais et quant aux cils, il est possible que ce soit ceux d’une enfant, tout comme ces yeux d’ailleurs, beaucoup trop ronds pour qu’on puisse les dire à pleine maturité.

Elle termine sa bouchée et comme elle est sur le point d’avaler, ses lèvres pointent vers l’avant en un petit bec tendre et délicat, adoptant les courbes d’un baiser destiné à quiconque se veut le témoin de ces lèvres spectaculaires au-dessus desquelles un insaisissable duvet se dessine, subrepticement, pour quiconque observe consciencieusement, pour quiconque s’amuse à relier ces minuscules poils blondinets qui tantôt se cachent dans la pénombre des narines, tantôt se dévoilent et s’affirment comme le scintillement de l’eau sur les épis de maïs, cela dit, quiconque verrait ce duvet n’y ferait pas davantage attention, le menton de cette fille étant beaucoup trop particulier pour que quiconque ait envie de regarder ailleurs : c’est un menton au milieu duquel une entaille horizontale marque la fin de la lèvre inférieure ; une cicatrice naturelle qui donne relief à tout le menton, mais qui s’estompe, lorsqu’elle rit, en une simple ride floue et légère, comme une blessure dont la guérison a demandé du temps, ou plutôt, comme une blessure guérie que quiconque aurait envie de caresser encore et encore, par de maladroits massages incessants et irritables pour cette inconnue qui ignore quiconque l’observe, quiconque meurt d’envie de la prendre dans tous ses détails, quiconque rêve d’approcher ce menton et d’y poser les lèvres dans le simple but de goûter ce jour où la langue de cette fille avait atteint le pli du menton.

Elle avale enfin cette bouchée en fermant les yeux, comme s’il n’y avait plus rien à voir, elle ingurgite et pour quiconque l’observait, le rideau se ferme sur le visage de l’inconnue, obligeant quiconque à regarder plus bas, à se contenter de ce cou qu’un collier de perles de plastique illumine, un collier qui, dans quelques années, sera peut-être enfoui dans les plis de la chair lorsqu’elle penchera la tête sur ses seins pour s’assurer qu’aucune miette de pain ne soit tombée dans ces endroits difficiles d’accès ; à se contenter de ces épaules frileuses qui, peut-être, seront recouvertes d’une veste noire où les poils d’un chat blanc se mêleront à la laine, en un impossible mélange des genres, comme si deux animaux aussi différents pouvaient à l’occasion profiter d’une rencontre subite sur une veste noire qui se terminera comme une jupe très courte sur les jambes de cette femme et ces cuisses qui seront deux amas de graisse tendre sur lesquels elle essuiera ses mains de femme, minces et invitantes comme la caresse familière d’une soeur, ces mains qui sentiront toujours l’intimité à plein nez, la facilité et l’innocence ; ces jointures qui pueront toujours la proximité impossible d’une inconnue fragile et muette que quiconque avait envie de déshabiller sur une chaise, que quiconque était mort d’envie de voir nue, de la tête aux pieds mouillés qui transpireront encore la sueur du moment ; ces pieds inondés de sueur que quiconque est passionné par la moindre élévation du plus petit orteil de cette fille peut imaginer, ces orteils entre chacun desquels l’odeur explosera encore en une insoutenable envie, lorsque le pied se soulèvera tout à coup, comme par orgasme, ou au contraire, lorsqu’il se soulèvera dans l’atroce douleur causée par l’abstinence de quiconque ne peut s’approcher de cette jeune fille, quiconque ne peut rien faire qu’observer, quiconque doit avaler le désir qu’il a de faire l’amour à cette petite et de l’agresser sauvagement... quiconque doit absolument aller se rafraichir les idées aux toilettes... cesser d’écrire.

En sortant des toilettes, les parents croisèrent le serveur sur leur chemin. Ce dernier alla s’asperger le visage d’eau fraiche. La tête dans le lavabo, il ferma les yeux.

Avec la fourchette de plastique, la mère prit un petit morceau du sandwich au jambon. Elle tint le morceau devant les lèvres de son enfant en lui demandant d’ouvrir la bouche.

Ce fut pour la jeune fille une deuxième bouchée qu’elle mastiqua un bon moment. 

Puis elle avala.

10 avril 2008

La Chaise

C’est ma chaise que tu entends
Que tu vois je veux dire

Que c’est ma chaise que tu n’entends pas mes angles cloués d’être neufs dans la miniature de mes poutres croisées de se tapir derrière ma peau qui se craque par ce que l’angoisse n’invente rien ne sert de la froncer derrière l’écorce d’une suprise me sursaute, de mes sourcils scandalisés à chaque assaut d’irréel qui me surgit le pincement des marges au centre d’une table engluée par les mains collantes d’un passé devant moi me sursaute, de ce rêve qui s’étend sans que ça ne trace aucune parenthèse pour personne ne m’a vu, sur cette chaise personne!

C’est ma chaise que tu ne vois pas le dessin que je dessinais
Que j’écrivais je veux dire

Que c’est ma chaise que je dessinais en écrivant à plat sur l’étrange à ce qu’elle m’épatait l’épanchement de me pincer pour évader la matinée d’une autre mère figée à la surdité de fouiller la poussière humide comme l’enfance de celui qui l’a pleurée sur cette chaise sautait, de ses noeuds que j’ai jetés au chemin de mon fer par ce qu’elle faisait mal de vivre à deux appartements rayés d’une même veine lors de cette nuit d’il y a dans ce plancher une erreur de planches que je jurais pour me déconstruire de ma mère sur cette chaise sautait, dont le visage se décolle et rafale la crise du présent mal traité pour la langue!

Ce qui a été dit sur cette chaise qui ne se dit pas
Ce qui a été écrit sur cette chaise qui ne s’écrit pas


Ces planches de bois 
qui ne m’appartient pas 
ne m’appartiennent plus

3 avril 2008

Les jours chanceux


Quand ma copine et moi avons aménagé ici, nous nous séparions les corvées de vaisselle. Un jour c’était elle, l’autre jour c’était moi. Parfois, on la faisait ensemble. Les jours chanceux. 

On se tenait par la main devant l’évier. L’eau coulait comme une petite passion. Fluide et mince. Puis elle lâchait ma main pour essuyer ce que je lui donnais. Je lâchais la sienne pour récurer ce qu’il restait. Ma brosse. Mon chiffon. Mon amour.

On se lançait de la mousse. Comme dans les films. Je riais. Je lui disais : 

- J’ai jamais vu un film qu’ils se lançaient de la mousse mais je suis sûr que ça existe! Un film qu’ils font ça avec John Travolta!

C’était magique. J’étais de ces gamins qui prennent les bulles de savons pour de la poudre de rêves. Ma copine m’appelait son Petit Rêve. C’était un mot d’amour qui s’est évaporé un certain jour. Je ne me souviens plus quand. 

Comme quand l’eau se vide dans l’évier. Il ne reste que des saletés qui se ramassent là où elles peuvent.

***

Il faut bien que des choses changent. Je lui disais. Les choses changent.

- Sinon on reste bloqués au niveau un dans Mario Bros... Avec les petites tortues-poules pas menaçantes niaiseuses! Faut passer au niveau château! Avec le dragon qui crache du feu à la fin. Et le mur de brique qui s’effondre! Rendu là, là c’est du sérieux!

Quand ça devient dramatique, c’est parce qu’on est devenus meilleurs. C’est ce que je disais. La naïveté pis les bébelles, c’est pour les niveau un.

***

Depuis un an, c’est moi qui fait la vaisselle. Chaque jour, je plonge les mains dans l’eau de vaisselle sale pendant que ma copine joue au Nintendo. Pas que ça me dérange : l’université où je vais a été en grève pendant un mois. C’est la moindre des choses que j’utilise mon temps libre et mes vacances pour faire des affaires plates. Comme la vaisselle.

Je dis plates. Mais c’est amusant. Quand on fait parler les armoires. Quand les fourchettes sont des armes de diable. Quand les cuillères sont de petits sous-marins...

***

Aujourd’hui.

Je suis rendu un pro de la vaisselle.

Ce soir, ma copine s’est couchée de bonne heure. Quand je suis arrivé de travailler, elle dormait déjà. J’ai fait couler l’eau de l’évier tranquillement. J’ai frotté les assiettes comme si je flattais de la porcelaine. 

Je ne faisais aucun bruit. Je déposais les casseroles propres dans les armoires avec la délicatesse d’un chat. Je refermais les portes d’armoires tout en douceur. Lentement. Comme un schizophrène sous médication.

J’entendais des voix. La mienne. Qui me disait de me taire. Faut pas réveiller Rachel. Ma copine. Elle dort.

Demain, elle va se lever. Elle va se demander : 

- Mais qui est-ce que c’est qui a-t-il donc bien pu faire la vaisselle pendant mon sommeil?! 

Elle va s’étonner. Ça sera drôle. Moi, dans mon lit, j’aurai le sourire d’un chat qui ronronne. Je crois qu’à ce moment-là, j’aurai des frissons bizarres. Entre deux. Je vais m’envelopper un peu plus dans mes couvertures. Je vais penser.

- Bon sang. Je suis plutôt au tiède dans mes couvertures. Si on m’enlevait mon petit drap, je crois que ça serait suffisant pour me congeler...