16 janvier 2007

Chapitre premier

Alexandre n’a pourtant jamais été cruel, que je me souvienne : tout porte à croire que je me suis trompé au sujet de ce frère ; tout porte à croire que je me suis trompé et que mon frère n’a jamais eu quelque gentille féminité dans la cervelle. Comment a-t-il pu être aussi cruel ? Sa copine… C’est probablement sa faute. C’est assurément pour la faire rire, elle, que mon frère a fouillé dans mes cahiers pendant que j’étais ailleurs. Mais ce frère est moi, d’une certaine façon et, comment a-t-il pu et, comment pouvons-nous nous trahir nous-mêmes ?

Au revenir de mes ailleurs ce matin, quand je suis entré dans ma chambre, Alexandre et sa copine étaient tous deux étendus sur mon lit, occupés à commettre la trahison (qu’ils aient été en train de baiser aurait été moins pire je crois) : ils lisaient mon journal, et riaient de ce que j’avais écrit depuis les toutes petites naïvetés de mon enfance ! Je n’avais pas été brillant, j’aurais dû trouver une meilleure cachette ; j’aurais dû cacher ce journal à un endroit où ils n’auraient jamais pensé regarder mais, cette chambre est trop petite (j’étouffe), il n’y a aucun endroit ici qui soit à l’abri des regards…

Je n’ai pas pleuré. Je n’ai rien dit. J’ai préféré les laisser fouiller dans mes cahiers, de toute façon, j’avais l’idée de brûler tout ça dès qu’Alexandre sortirait de ma chambre, après qu’il ait ri de moi avec sa copine. Je me suis caché dans la salle de bain. J’entendais les rires et les moqueries de mon frère et de sa copine au sujet de la façon dont mes cahiers étaient écrits, la façon que j’ai de parler et de parler sans me méfier, sans jamais douter de l’hypocrisie des autres : j’ai attendu qu’ils finissent de rire.

Alexandre est sorti de ma chambre, le sourire aux lèvres, avec les lèvres de sa copine. Ils allaient s’embrasser ailleurs. Quel bouc émissaire je faisais ou plutôt, quel objet de moquerie je faisais… Je n’ai pas perdu de temps : je suis sorti de ma cachette, j’ai pris tous mes cahiers. J’avais l’idée de les brûler au plus vite mais, à vrai dire, je ne les ai pas brûlés, non, j’ai couru jusqu’au chemin de fer du village et c’est là que j’ai déchiré les pages de mes cahiers, c’est là que les ai lancées tout au loin malgré le vent, dans la neige des champs qui bordaient le chemin de fer : « la neige fondra au printemps, je pense, l’eau mouillera les pages et l’encre s’effacera ».

Le problème, c’est que rien ne vaut l’écriture lorsqu’on a le désir de se métamorphoser en quelque chose de mieux. Le malheur est que chaque jour qui passe sans que mes mains ne puissent prendre l’écriture me semble interminable, comme ces jours où je pleure sans autre raison que la faim, que la famine de mon corps ; comme ces jours où l’amitié n’est pas et où l’amour se fait absent, et que je braille de désir déchirant, tout seul ; et que les pages blanches se déchirent sans raison, et que les nuits s’estompent par trop d’obscurité, et qu’elles souffrent par l’absence de la lumière, et que je déchire les pages que je n’ai pas écrites ! Je n’ai pu m’empêcher de recommencer à écrire dans ce journal que je tiens présentement… Je crains toujours que mon frère recommence lui aussi, je crains toujours que quelqu’un d’autre ne lise mes naïvetés ; j’ai bon espoir, tout de même, que mon frère ne nous trahira pas une deuxième fois.

Mais si, un jour, ce journal parvenait aux mains de quelqu’un d’autre, et si ce quelqu’un parvenait à découvrir ce que mes cahiers contiennent, je ne pardonnerais pas cette fois ; je ne manquerais pas cette fois de tuer cette personne, du moins, je ne manquerais pas de lui ouvrir le ventre jusqu’au cœur.

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