16 décembre 2009

Les amoureux touchés





tu t’es emprisonnée derrière une lignée
de vampires assoiffés du sang qui coule derrière tes joues
derrière tes pleurs

tu t’éloignes un peu chaque jour
de tes perfections rêvées enfant


Je me suis emprisonnée derrière une lignée de vampires assoiffés du sang qui coule derrière mes joues, derrière mes pleurs.

J’ai un sentiment en-dedans.

dans la dépouille fumante de ton rêve d’enfant
un dessin d’amour te fait dire pourquoi
couverte de découvertes

Les restes de mes rêves fument devant moi. Des amours inutiles qui ne hissent pas les ambitions. Des amours qui ne me rendent pas plus grande. Des amours couverts. Des raccourcis aux découvertes dans lesquelles je veux piler.

la lassitude des matins
éparpille le doute

comme un papillon
qui ferait de ses ailes
un fouet d’ennui

Je ne sais pas. L’ennui du matin, du midi et du soir pousse mes envols vers la nuit. Je sors et ris. M’amuse et vis. Ce que cherche l’amour, peut-être le lieu où rien n’est tranquille.

Les étincelles amoureuses




mes mots ne te touchent pas
ne t’ont jamais touché
là où j’aurais aimé qu’ils te touchent

ils me font penser à moi
prisonnier d’où nous sommes nés
là où les fleurs verdissaient sur ta bouche

*

dans le bar de mes saloperies
des stupeurs et des arthrites
je t’ai crié langoureuse

tes mots âcres comme des céleris
des bâtons de dynamite
ont frôlé mes étincelles amoureuses

j’ai caché mes sentiments asthmatiques
et mon sourire de plasticine
sous le craquement d’une phalange

« une étoile m’a dit tout ira mal »

tes doigts élastiques
ont avalé toutes les pluies fines
j’ai tâté quelques flocons en échange

« je ne crois pas aux étoiles »

*

je n’ai jamais vu mes mots
te rendre pâle

je n’ai jamais entendu tes mots
s’effriter à la lueur des miens





comme une gousse d’ail

*

j’ai trempé un mot ou deux
dans le sang d’un poignard

je t'ai touché

mais mal

7 décembre 2009

Simple éditorial



Je me demande, à certains instants, si mes instants sont réels ou s’ils sont absents. Mais pour sûr ils sont réels, puisque je les vis, puisque j’écris. Pour sûr ils sont vrais, puisque je suis vrai. Mais toutes ces choses autour de moi n’ont rien de vrai. Ils sont de plastique, de caoutchouc et d’acier. Il faut à l’être humain un certain ressentiment assez puissant pour reconnaître une structure d’acier vivante et réelle. Il faut à l’humain une folie intérieur assez puissante pour dire de tel ordinateur qu’il est bon, qu’il vaut la peine d’être acheté et, aimé. 

Notre réel est-il réel? Je ne sais pas le vôtre, mais le mien n’a pas grand-chose de réel. Quelques horloges, des cigarettes, des verres, des amours, des passe-temps, des hobbies, du travail et des miettes. Mais on ramasse toujours les miettes et on les jette. Et on fait pareil avec le reste. On ramasse et on jette. Est-il réel l’objet que l’on jette? Ou s’il est oublié? Je crois qu’il est oublié. L'autre n'a plus rien d’humain du moment où le regard de l'humain fixe vers ailleurs.

Un objet qui n’a plus aucun regard humain de posé sur lui n’est plus réel. Il n’est pas même objet. Il devient « idée d’objet ». Et l’idée de nos objets est souvent bien belle, bien parfaite dans nos cervelles, mais en réalité, elle peut être pollution ou catastrophe.

Il en va de même lorsqu’on jette l’amour. Cet amour ne peut perdurer sans notre regard, notre fixation. Il devient alors l’idée d’un amour ancien, maintenant révolu. Et les souvenirs du passé, où vont-ils? Ils se transforment. Ils se jettent, eux aussi, dans le plus creux de notre conscience. On en ressent parfois les émotions. Mais la plupart du temps, on reste indifférents aux choses qui sont mortes.

Ça, c'est une réalité.

Pizza?




les jeunes mangent beaucoup de pizzas
les vieux mangent beaucoup de fruits de mer
tout le monde mange de la pizza aux fruits de mer

la pizza est très populaire auprès des jeunes
les fruits de mer sont très populaires auprès des vieux
la pizza aux fruits de mer rejoint tous les âges
les pizzerias près de la mer sont riches

certaines personnes sont allergiques aux fruits de mer
ces personnes n’entrent pas dans les pizzeria près de la mer

les pizzerias près de la mer sont vides
alors tout le monde est allergique aux fruits de mer

Les gais sont fous




1. Les hétéros intellos dominent le monde

2. Les gais sont différents
a. les gais ne sont pas comme les hétéros

3. Les fous sont différents
a. les fous ne sont pas comme les intellos

4. Les gais sont fous.

Froid-mercure



Froid-mercure
les espèces sans cesse disparaissent
comme la glace et l’effroi me font
sans cesse m’effrayer

des toundras se mollifient
avec l’âge de la terre

une image de la seconde
un clip-pendule
un mot-valise d’écrivain hypocrite

au retour de la glace
au front de la pensée

les pensées sans cesse apparaissent
comme la glace et l’angoisse me font
sans cesse penser

je revendique le droit à la stupidité
maître des années 2020

Toi con
futur génie

ton avenir est garanti
ne te réveille pas

Les gants anti-peur




Les gants de mon père étaient faits pour souder. Pas pour attraper les thons. Ils étaient en cuir, dans le cabanon. Je les ai portés, et c’était comme si mes mains avaient été enduites d’une couche épaisse et caoutchouteuse d’anti-peur. Les gants de mon père me protégeaient contre les bobos et les piqûres et le poil des grosses bêtes à dents. J’ai anéanti la peur et je me suis mis à toucher à tout.

Des coins de bois, des bords de tôles, des fissures au jardin et des tomates que j’écrasais, des brins d’herbe que j’arrachais, des épaules que je tapais et des cordes à linge que je tirais et, et des clous dans lesquels je plongeais la main je ne sentais plus rien. Comme si j’avais été indemnisé par l’âge de mon père et le vécu de ses mains.

- T’aimes qui toi?

François me demandait ça quand je savais qu’il pensait toujours que j’avais peur de toucher aux choses que j’avais peur de toucher. Il avait ri, genre, dix fois de moi. J’avais peur de toucher aux hydrangées parce qu’il y avait des thons qui jouaient dedans. Et j’ai dit que j’allais toucher aux hydrangées et que j’allais me venger. 

Je me souviens j’ai croisé mes gros doigts de cuir et je les ai décroisés, et j’ai attrapé un thon. Le regard de François s’est ouvert et j’ai enfermé le thon dans ma paume robuste. Je sentais le thon faire son son et j’ai couru parce qu’il vibrait dans ma main. J’ai couru jusqu’au carré de sable, j’ai fait un trou et j’ai enterré le thon. Mais le thon en ressortait toujours comme je le recouvrais de sable. Et il se débattait pour ressortir et je tapais du sable sur lui. Je riais beaucoup parce que je n’avais pas peur. Je riais presque jusqu’aux larmes, et François avait un sourire qu’on aurait dit qu’il ne riait pas de moi. 

Mes petits doigts ne remplissaient pas tout le cuir jusqu’au bout des doigts du gant quand je tapais le sable. Mais le thon était mort enterré vivant quand même. J’ai demandé à François : 

- Tu en veux un autre thon mort? 

Il m’a juste demandé j’aime qui. Et je suis retourné aux hydrangées. Il y avait trois thons. J’en ai pris un dans une main, un autre dans l’autre main et le troisième, je lui ai dit tu vas être le dessert. C’était presque devenu naturel pour moi de voler les thons pour les faire mourir. J’amenais tous les thons dans le carré et je les enterrais vivant. Ils étaient gros, énormes. Dégueulasses et horribles. Bien bon pour eux. Méchants et très bruyants. 

Mon père est sorti. Il est venu voir le carré de sable mais il n’a rien demandé de ce que je faisais parce qu’il devait partir travailler. Et il m’a enlever mes gants de cuir épais. J’ai crié. J’ai hurlé de peur... Et François a fait semblant de rire de moi. 

Pour la onzième fois.

26 novembre 2009

Réinvention presque posthume




J’ai tout écrit. Il n’y a plus rien à écrire. J’ai tout fait. Je suis mort 45 fois depuis ma naissance. Et je n’ai même pas 45 ans. Je suis mort en moyenne deux fois par année. J’ai peint ce qu’il y avait à peindre. J’ai aimé celles que j’ai aimées. J’ai bu ce qu’il y avait à boire. J’ai fumé. Beaucoup. J’ai ri une fois par jour, au moins. Des jours que je riais 45 fois, mais je ne comptais pas. 

J’ai vendu, j’ai acheté. J’ai reçu de l’argent. Je me suis soûler au milieu des gens. Même si aucun de ces gens n’était dans le même appartement que moi. J’ai dansé. J’ai crié. J’ai encore dansé. J’ai réveillé des voisins. J’ai fait brûler des épouvantails. J’ai fait exploser des bouts de plastique. J’ai poussé des filles. Des gars mon pété la gueule. Je suis retourné chez moi avec mon sang et mon ivresse. J’ai été joyeux.

J’ai espéré l’amour. Une fois. Je l’ai eu six fois. Et je l’ai fait cent fois. Mille fois, si on compte les fois où je l’ai fait tout seul. Je suis sorti tard. Je ne suis jamais rentré. J’ai parlé au travers de mon chapeau. Du mien et de celui des autres. 

J’ai enterré vivants des thons dans un carré de sable. J’ai vomi après avoir été malade, après avoir mangé une saucisse et après avoir bu du whisky. J’ai bu tout ce qui a existé, sauf la bouteille qui traîne encore dans ma bibliothèque. J’ai lu des livres mauvais. J’ai lu des livres trop longs. J’ai lu des contes pour enfant. J’ai lu des blagues qui ne m’ont pas fait rire. J’ai lu les livres que j’avais écrits mentalement. Et j’ai mentalement su qu’il ne fallait pas que je les publie. 

J’ai héberger des artistes. J’ai écouté chanter des filles qui ne savaient pas chanter. Pendant 27 ans, j’ai enduré tout ce qu’il y avait à endurer. J’ai donné des piastres à des clochards sur Sainte-Cath. J’ai vu une fille pleine de sida se piquer à l’héroïne. J’ai observé attentivement un paranoïaque faire une crise cardiaque. J’ai travaillé avec le public. J’ai travaillé dans la construction. Je me suis efforcé. Je me suis fatigué. Je me suis relaxé. Et j'ai recommencé.

J’ai promené mon chien 400 fois. J’ai fait l’épicerie 250 fois. J’ai fumé 4000 cigarettes. J’ai bu 650 bières. J’ai fait 2500 redressements assis et 300 push-ups. J’ai mangé 67 spaghettis sauce à la viande et 23 fondues chinoises. J’ai fait ce qu’il y avait à faire.

J’ai donné 60$ à la guignolée, 300$ à opération enfant-soleil, 3400$ à hydro-québec et 8000$ à l’impôt. J’ai fait partie d’un syndicat, d’un groupe d’artiste, d’une manifestation, d'un groupe de touristes, d’une gang de junks, d’un trip à trois, d’un comité littéraire.

J’ai fait des études. J’ai vu l’université. J’ai eu des amis. On a bu de la bière dans des verres à café pendant les cours. On a bu du vin autour des tables rondes. Je me suis pris pour un autre. J’ai cru que j’étais un artiste. J’ai signé des autographes. Je me suis trouvé beau. Je me suis trouvé laid. J’ai mis du varsol sur mes boutons. Je me suis rasé la barbe. J'ai eu la barbe longue. Je me suis rasé encore et j'ai eu la barbe longue. Je me suis photographié nu. Je me suis filmé nu. 

J’ai fait des vidéos cocasses. J’ai composé de la musique. J’ai joué Erik Satie au piano. J’ai imité plusieurs artistes. J’ai adoré Miro. J’ai voulu me retrouver dans la peau d’un autre. J’ai voulu me suicider. J’ai pleuré dans les bras d’une fille. J’en ai aimé une autre. J’ai été infidèle. J’ai voulu vivre. J’ai pris le bateau, le train, l’avion et l’auto. J’ai tondu la pelouse. Je me suis fait tondre le pied par mon père. 

J’ai détesté mes parents. J’ai détesté le travail, la cuisine et l'alcool. J’ai détesté les adultes. Puis j’ai aimé mes parents. J’ai aimé travailler, cuisiner et prendre un coup. Je suis devenu adulte.

J’ai tout fait ce qu’il y avait à faire. À partir de maintenant, tout ne fait que se répéter. Plus rien n’est à faire. J'ai chié 14 000 fois, pissé 52 000 fois. Le soleil, je l'ai vu se lever 1300 fois et je l'ai vu se coucher au moins autant de fois que j'ai pu pisser. La lune, je l'ai vue pleine 40 fois. Une fois de plus, une fois de moins. J'en ai assez vu. 

J'ai subi les pires insultes. Je me suis fait battre. J'ai battu les plus faibles. J'ai insulté les plus forts. J'ai battu ce qu'il y avait à battre. J'ai vécu les pires échecs. J'ai vécu les meilleurs échecs. J'ai vécu ce qu'il y avait à vivre. J'en ai assez, maintenant.

J'ai écrit tout ce que j'avais fait. J'ai dit que j'avais fait tout ce qu'il y avait à faire. J'ai demandé la mort. J'ai demandé autre chose. J'ai espéré avoir le goût de continuer et de refaire ce que j'avais fait. Puis, j'ai continué et j'ai refait. 

Et j'ai réinventé.

25 novembre 2009

Casquette plombée sur le crâne (ce matin j'ai une)


[ce matin
j'ai une casquette plombée sur le crâne]
(Renaud)

le plomb ne s’en est pas tout à fait défait
il demeure sur ma casquette
quelques épidermes plombées et sur mon crâne
quelques feuilles d’os.

rien ne se fragilise
le ciel cesse ses vertiges

le soleil durcit
aspiré par le noir
il ne m’accable plus que par l’idée
lointaine et nébuleuse
d’un univers plus grand que mon cerveau

ma casquette est d’un plomb volant
sur lequel a poussé des ailes
trop lourdes pour l’envol

je reste au sol
ancré comme les bateaux 
qui ne volent pas

mais protégé du soleil
et de mes propres flammes sèches
je glace mes travaux
cons

Comment écrire l'épopée du boeuf bourguignon en une seule étape facile



J’ai envie d’écrire, de parler de quelque chose de sérieux, quelque chose de logique, de cohérent et de droit un truc avec beaucoup de verbes, et d’adverbes, et de chiffres aussi. Un texte avec des statistiques sur la grippe ou sur la mort ou sur les naissances très nombreuses et les voyages aussi, et le nombre impressionnant de bagages à l’aéroport. Je veux un truc sur les femmes qui s’emmerdent dans les bureaux d’agences de voyage et je veux une relation amoureuse entre un nègre et une scandinave. Je veux une histoire vraisemblable qui ne tombe dans aucun cliché, mais je veux des voitures, du sexe, des blagues et des fusils. Je veux un truc travaillé, retravaillé et peaufiné. Un brin intellectuel, mais pas trop. Je veux de la philosophie, mais surtout de l’introspection, comme dans les auto-fictions.

Je veux écrire une histoire dont le début mettrait en scène une femme dans une cuisine. Pas trop d’animaux, seulement un chat. Un chat et une femme dans la cuisine. Je veux qu’elle fasse un ragoût ou un boeuf bourguignon, quelque chose du genre, et que ce soit super sérieux la façon dont elle mélange les légumes et la viande de sa marmite. Je veux que ça commence comme ça. 

Je veux expliquer ce à quoi pense la femme, et ce à quoi elle pense, je veux que ce soit ce à quoi pense une mère de famille super normale qui attend son mari. Et le chat, lui, je veux qu’il soit comme un bibelot mais qu’il ait un pouvoir symbolique. Tous les thèmes visités par mon histoire tournent autour de lui. C’est un super-chat. 

Je veux un élément déclencheur qui soit cohérent avec le début. Je veux que le lecteur se dise « j’y crois pas, vraiment, cela arrive? C’est possible que cela arrive, mais je ne m’attendais pas à ce que cela arrive! » Il y aurait un assez grand effet de surprise et la marmite de la vieille se renverserait sur le plancher de la cuisine, et le chat recevrait plusieurs gouttes de boeuf. 

Je veux écrire longtemps. Une longue histoire. L’intrigue doit être extrêmement longue. Il doit y avoir de grands questionnements : « Qui a bien pu nettoyer le boeuf bourguignon que la femme a renversé sur le plancher de la cuisine? » Et des indices : « Le chat adore le boeuf bourguignon. » Je veux de longues descriptions qui donnent un sens aux jugements de la femme dans la cuisine : « Elle est vieille, elle fait attention au gras, elle a les pieds palmés et des boucles d’oreille en forme de losange. »

Je veux que le lecteur soit étonné de la suite des événements. Je veux du suspens, des énigmes et des événements fantastiques. La vieille doit quitter sa cuisine pour prendre l’avion. Mais elle ne connaît rien, ni aux douanes ni aux hôtesses. Je veux qu’elle se trouve un mec sympa et musclé qui mange une patate frite. Je veux qu’elle l’embrasse, qu’elle le parfume et qu’elle le transforme. Je veux qu’il devienne elle et qu’ils se définissent tous les deux comme des âmes soeurs. Je veux une rupture, grave et émotive, et je veux que ce soit mon dénouement. 

Je veux écrire un texte bien écrit. De jolis mots assez longs qui disent ce qu’ils ont à dire mais qui n’en disent pas trop long. Je veux des blagues au sujet des hommes musclés et au sujet des femmes dans les cuisines, mais je ne veux ni clichés ni kitsch. Je veux que mon texte soit sincère, vrai et authentique. Et les gens ne sauront plus comment définir mon genre. Je veux qu’ils hésitent entre l’auto-fiction, l’essai, le roman traditionnel, la poésie et la biographie ; et je veux qu’ils décident finalement d’inventer spécialement un nouveau genre en mon nom.

Je veux que mon texte soit publié, je veux en vendre beaucoup et recevoir beaucoup d’argent. Je veux être reconnu dans la rue et je veux que mes lecteurs me parlent directement. Il faut qu’ils me parlent précisément de la fin de mon récit. Et je veux que la fin soit grave, rigolote et surprenante. Je veux un départ avec beaucoup de bagages, un retour à la cuisine initiale et un retour aux origines. Je veux que le chat se mette à parler, mais discrètement. Une sorte de langage qu’il faut s’amuser à décoder. Je veux écrire tout ça, et je veux l’écrire en une seule soirée. Je ne veux pas m’attarder trop longtemps aux lieux communs, mais je veux transgresser les tabous. Je veux que la vieille boive, et qu’elle boive beaucoup. Je veux que tout le monde prenne de la drogue et que les jeunes fassent l’amour sans cesse. Je veux qu’il y ait de la musique des années 70 sur tout ça, et que les enfants soient autistes mais attachants. 

Je veux, à la toute fin, un dernier dessin. Pas trop abstrait, mais très contemporain. Un truc qui ne s’inspire de rien sauf de l’histoire. Une femme qui renverse une marmite et une avion dans le ciel. Des traits de crayons très gras, et un chat gris presque rayé. Rien de commun. Je veux une finale explosive toute en rires pour que les lecteurs veulent la relire. 

Je veux l’écrire, et je veux en être l’auteur. Je veux que le bouquin soit aussi épais qu’une bible et que les enfants aient horreur de le lire. Je veux récolter des prix prestigieux en littérature, et avoir une page wikipédia juste à moi.

Je ne veux rien de trop compliqué, juste une histoire logique et belle. Je veux que le texte soit utile et bien expliqué, comme un mode d’emploi, étape par étape. Je veux que le texte serve à tout le monde et qu’il contredise les préjugés du gouvernement. Je veux que ce soit poétique, mais vivant. Je veux une ambiance réelle, où l’on pourrait sentir l’odeur du lilas, du président américain et des gamins qui baissent leurs culottes.

Si tu pouvais m’écrire tout ce que je devrais écrire. Si tu pouvais le faire avant demain matin, ce serait génial... 

Je t’aime 
xxx

24 novembre 2009

Phrases courtes




1. On se souvient davantage des phrases courtes que des phrases longues
     1.1. Les citations les plus lues sont souvent de courtes phrases
     1.2. Il n’y a aucune phrase longue qui soit devenue célèbre

2. On oublie souvent les phrases qui sont longues, mais rarement les phrases qui sont courtes
     2.1. Il est plus facile de mémoriser peu de choses que de mémoriser beaucoup de choses

3. T’as oublié que notre anniversaire de mariage était le 30 novembre est une phrase longue
     3.1. Elle contient 10,5 mots et 1 chiffre

4. Je m’excuse est une phrase courte
     4.1. Elle contient 2,5 mots

5. Va chier est une phrase un peu plus courte que je t’aime
     5.1. Elle contient 2 mots

6. Les insultes sont donc plus difficiles à oublier que les excuses et les dates d’anniversaire

23 novembre 2009

La manifestation

j’ai crayonné les pancartes suivi les contours préparé la manifestation pétrifié le silence sculpté le bruit préparé les jeux de minuit molletonné le parquet fais des trous pour tes talons préparé le plancher supprimé mes cris collé des dos de cuillères sous mes orteils préparé l’ébat fumé le dernier ouf, et avec beaucoup de mascara, préparé l’exclusivité émondée de ta tête

tes cheveux entre mes majeurs 
pour que tu n’aimes que moi

c’est un petit joli jeu

mais la cause et la manifestation
sont des jeux dont je me calice quand je t’aime

18 novembre 2009

Comment se casser la tête pour n'importe quoi en six étapes faciles

1. N’importe qui peut dire des choses intelligentes ;
2. N’importe quoi peut faire dire à n’importe qui des choses intelligentes ;
3. Les choses intelligentes font dire n’importe quoi à n’importe qui ;
4. Ce qui n’est pas intelligent suscite davantage de discours intelligents que les choses intelligentes ;

1. N’importe qui peut dire des choses intelligentes ;
   1.1. N’importe qui n’est pas intelligent ;
      1.1.1. Celui qui n’est pas intelligent n’est pas intelligent ;
   1.2. Et pourtant, n’importe qui peut dire des choses intelligentes ;

2. N’importe quoi peut faire dire à n’importe qui des choses intelligentes ;
   2.1. N’importe quoi n’est pas intelligent ; 
      2.1.1. Ce qui n’est pas intelligent n’est pas intelligent ;
   2.2. Et pourtant, n’importe quoi peut faire dire à n’importe qui des choses intelligentes ;
   2.3. Donc, ce qui n’est pas intelligent peut faire dire à celui qui n’est pas intelligent des choses intelligentes ;

3. Les choses intelligentes font dire n’importe quoi à n’importe qui ;
   3.1. Les choses intelligentes font dire ce qui n’est pas intelligent à celui qui n’est pas intelligent ;
      3.1.1. L’art est une chose intelligente ;
         3.1.2. L’art fait dire ce qui n’est pas intelligent à celui qui n’est pas intelligent (par exemple : celui qui n’est pas intelligent dit que l’art est une chose stupide)

4. Ce qui n’est pas intelligent engendre davantage de discours intelligents que les choses intelligentes ;
   4.1. Ce qui n’est pas intelligent peut faire dire à celui qui n’est pas intelligent des choses intelligentes ;
   4.2. Les choses intelligentes font dire ce qui n’est pas intelligent à celui qui n’est pas intelligent ;

5. Celui qui veut dire des choses intelligentes doit d’abord s’attarder à ce qui n’est pas intelligent ;
   5.1. La bêtise précède et provoque donc le discours intelligent ;

6. Tout ce qui est intelligent vient de ce qui était con ;
   6.1. Tout ce qui est con deviendra intelligent.

16 novembre 2009

Les morts compliquées



Mon chien est mort hier. Ma mère est morte deux jours avant. Et mon père, deux mois avant. Donc, ma mère est morte deux jours avant hier. Elle est morte il y a trois jours. Elle est morte deux jours avant que mon chien meure. Et mon père, il est mort deux mois avant. Deux mois avant que ma mère meure. Donc, il est mort deux mois avant deux jours avant hier. Il est mort deux mois avant aujourd’hui, plus hier, plus deux jours, les deux jours étant ceux où ma mère est morte. Il est mort deux mois et deux jours avant le jour où mon chien est mort, voilà. Ce qui fait, en bout de ligne, deux mois et trois jours. Je peux dire avec fierté que mon père est mort il y a de cela deux mois et trois jours. Et aucun mathématicien ne pourrait me reprendre. À moins qu’un mathématicien ait inventé une nouvelle façon de calculer la mort. C’est toujours possible. Aujourd’hui, la science n’a plus de limites. Et qui plus est, la mort n’a jamais eu de limites.

Mon frère, lui, il est mort deux jours avant mon père. Il est mort il y a de cela deux jours et deux mois et trois jours. Deux plus trois, ça fait cinq. Donc, mon frère est mort il y a de cela deux mois et cinq jours. Mais ma soeur, Béatrice, elle est morte un jour avant que ma mère apprenne la mort de mon père. Et ma mère a appris la mort de mon père un mois avant la mort (de mon père). Et mon père est mort un 31 mars. Donc, elle l’a appris le 31 février, mais il n’y a pas de 31 février. En plus, c’était une année bissextile. Donc, elle a appris la mort de son mari un mois moins deux jours avant sa mort. Ainsi, Béatrice est morte un 28 février.

Et plus je tente de découvrir qui est mort quand, plus je me dis que je n’y comprends rien. C’est donc dire que vous pouvez mourir à n’importe quel moment : deux mois avant l’autres, trois jours et un mois avant un tel ; quatre années et un mois et cinq jours avant un tel autre ; il n’y aura pas même un imbécile pour suivre votre mort, de la date où vous aurez trépassé jusqu’à votre enterrement. 

Vos morts sont trop compliquées.

Dyslexic dialog



C’est une grippe. Ce n’est pas une grappe, ma chérie. On ne dit pas grappe lorsqu’on veut parler d’une grippe, allons. Ce ne sont pas les grippes de raisins qui font le bon vin. Ce sont les grappes. Les mots ne s’échangent pas comme ça. Dit-on groupe lorsqu’on veut parler d’une grippe? Non. Alors on ne dit pas grappe pour grippe. 

Oui, bien sûr, lorsqu’on veut parler d’une grappe de raisins, on peut effectivement parler d’un groupe de raisins... C’est pareil... mais la croupe, ça c’est différent. Si on veut parler d’un groupe, il faut dire la troupe. Une troupe de fruits, c’est possible, à conditions que les fruits bougent pour émigrer vers un autre lieu... Et une trappe, ça, c’est un piège pour les animaux. Rien à voir. Et un trip, ça c’est pour les adultes et ça n’a encore moins rien à voir...

On peut dire une tripe, oui, en parlant des intestins des animaux, mais on ne peut pas dire un trip en parlant de l’instinct des animaux. Les animaux n’ont pas de trip. Ils ne fument pas, ne boivent pas. Tu sais, c’est comme dans ton jeu : les animaux ne consomment que du foin, de l’avoine et de la semoule. Pense aux zèbres. Tu sais, c’est la même chose : on ne dit pas les zèbres de Provence, mais bien les herbes de Provence. On ne dit pas grappe, mais grippe. 

Et la grimpe? Ça n’existe pas. La grippe grimpe, oui, parfois, on peut dire qu’elle grimpe, qu’elle augmente en intensité, qu’elle est plus forte... Mais non, non elle n’est pas plus porte pour autant! Les portes, c’est pour les maisons! C’est par là que tu entres en revenant de l’école. Tu n’entres pas par les fortes, si? Par les forteresses, peut-être, si seulement tu habitais un château, mais tu n’es pas une princesse. 

Non, tu ne peux pas dire gâteau lorsqu’on parle de château. Je sais que les deux ont un chapeau, mais as-tu remarqué que le chapeau n’avait pas de chapeau? Oui, je sais que je porte souvent un chapeau lorsque tu reçois un gâteau, mais c’est un chapeau de fête. Ça n’a rien à voir. Non, ce n’est pas un chapeau de tête. Je sais qu’on le porte sur la tête, mais c’est parce que dans nos têtes, c’est la fête. 

Quoi? La bête? Non, la bête c’est autre chose... C’est ton père, la bête. Oui, une bête c’est poilu et ça n’a pas de tête. T’as remarqué, ton père c’est le seul à ne pas porter le chapeau à ta fête. Ah, l’arête? Non, ça ce sont les poissons, rien à voir... Ça t’entre dans la gorge et ça t’étouffe et... tu avales et tu tousses et tu veux vomir et... la boisson? La boisson aussi, parfois, oui t’as raison. C’est pareil. T’as raison. 

Ta maison? Non ta maison elle va bien. Elle tousse pas ta maison elle est en parfaite santé. Je sais papa fume, mais oui il empeste. Mais c’est pas la peste. Non t’as pas la peste! La peste, c’est grand, c’est large... Toi tu es toute petite, t’as pas la peste allez, arrête... Non, pas arête! J’ai pas dis que t’étais un poisson! J’ai dit arrête! Non, tu peux continuer! Pas le poisson! J’ai pas dit que t’étais un poison, j’ai pas dit arête! 

Paraître? Mais d’où tu sors ça? Paraître, c’est avoir peur de ce qu’on dit. C’est être beau sans avoir rien à dire. Oui, on a quelque chose à dire ma chérie! Nous deux, on paraît pas. On paraît pas! On paraîtra jamais! On est! On naît? Si tu veux, ma belle, oui, haha! On naît! Ma chérie! On naît!

Je t’aime ma belle chérie...

L'Animateur et le Sage

Animateur : Selon vous, Monsieur, quel est le sens de la vie?

Sage : Lorsqu’on tente de faire parler un sage, mieux vaut se réduire à peu de mots alors...

Animateur : Selon quel, sens vie?

Sage : Pour, l’important répandre sourires...

Animateur : Et l’argent fait bonheur?

Sage : Non - mourir dignement.

Animateur : Que vous animateurs?

Sage : Quoi?

Animateur : Que vous animateurs?!

Sage : C’est quoi cette question? Vous ne savez pas formuler une question?

Animateur : Mais c’est vous qui avez dit lorsqu’on tente de faire parler un sage... et qui d’autre que moi vous fait parler ici???

Sage : Posez.

Animateur : Que pensez-vous des animateurs...?

Sage : Il est surtout amateur.

Animateur : Non, animateur.

Sage : Non.

Animateur : Oui.

Sage : Oui.

Animateur : C’est quoi votre problème? Je vous pose une question et vous jouez au miroir. Bon... Prochaine question : le travail?

Sage : Quoi le travail?

Animateur : C’est bien?

Sage : C’est bien.

Animateur : Et l’amour?

Sage : L’amour, c’est bien.

Animateur : Non je voulais dire... L’amour, est-ce que c’est mauvais?

Sage : Non...

Animateur : Donc, si j’aime mon travail, je suis le bien et le mal! Les deux! Je comprends!

Sage : Non.

Animateur : Oui, j’aime mon travail.

Sage : Non, vous ne comprenez pas. Vous ne savez pas poser les questions.

Animateur : Poser des questions, c’est mon travail, Monsieur!

Sage : C’est justement la raison pour laquelle vous ne devriez pas aimer votre travail...

Comment écrire dans la baignoire sans mouiller les mots




D’abord on se mouille au complet. On se lave. Puis on s’essuie les mains. Et les avant-bras aussi, parce que l’eau ça fait des gouttes. Et les gouttes, ça coule. Puis on prend un carnet, un journal ou un paquet de feuilles bref, n’importe quoi qui contient du papier. Et on écrit là-dessus. C’est comme ça qu’on fait pour écrire dans la baignoire sans mouiller les mots. 

Maintenant si vous voulez fumer une cigarette, il faut déposer vos papiers par terre (et non dans la baignoire) pour allumer la cigarette avec vos deux mains. Ensuite, il faut prendre le cendrier, parce que si vous jetez la cendre dans la baignoire, ça ne sert à rien de prendre un bain. Vous n’allez pas en ressortir très propre. 

Je vous conseille de déposer votre cigarette dans le cendrier après chaque bouffée et de ne pas reprendre vos papiers avant d’avoir vos deux mains libres. C’est souvent en écrivant avec une cigarette et un crayon à la main qu’on mouille les mots. Vous devez donc déposer vos papiers chaque fois que vous prenez une bouffée, et déposer la cigarette chaque fois que vous voulez écrire un mot. 

Maintenant, si vous voulez boire une gorgée de vin, c’est la même histoire. Sinon, vous risquez d’échapper tantôt la cigarette, tantôt le papier. Mieux vaut être prudent et manipuler une seule chose à la fois. 

Toutefois, après avoir écrit quelques pages (ou quelques mots, pour ceux qui fument et boivent), l’eau de la baignoire sera devenue tiède. Il faudra y ajouter un peu d’eau chaude. Pour cela, vous vous mouillerez probablement les mains (et les avant-bras). Je vous conseille de vous essuyer de nouveau, même si ce n’est que pour prendre une gorgée : vos mains devenues chaudes réchaufferaient votre verre de vin en plus de le mouiller (et si c’est un bain moussant, il risque d’y avoir quelques nuages de mousses dans votre coupe). Même chose si vous tentez de fumer les doigts mouillés : l’eau ramollira votre cigarette et vous ne voudrez plus y poser les lèvres. 

Il faut donc s’essuyer les mains, jusqu’aux avant-bras, toujours avant chaque opération. C’est la seule façon de ne pas mouiller les mots. C’est la seule façon d’écrire, et la seule façon d’avoir la certitude que ce que vous écrivez pourra être relu dix ans plus tard. Vos impressions, vos peurs... Et votre honte, par exemple. Il est important de la préserver dans ces écrits. 

Vous avez honte d’écrire dans la baignoire. Vous aimerez peut-être relire votre honte dans dix ans. Et aussi, vous aimerez peut-être relire la honte de votre ventre, de vos jambes. Vous avez honte d’être là. C’est bon à savoir. Vous avez honte de votre corps, de votre fatigue qui vous rend imbéciles et qui vous fait rigoler pour tout et pour rien. Vous avez honte de boire, honte d’avoir du plaisir, honte de vos amis qui ont trop de plaisirs. Honte de votre sexe. Vous observez votre sexe et vous vous demandez à quoi il sert exactement. Parfois, vous avez honte de l’utiliser. Mais souvent, vous avez honte de ne pas l’utiliser. 

Vous avez honte de fumer, honte de vos dépendances, psychologiques ou affectives. Vous avez honte de ne pas être parfaits, de n’avoir jamais publié ce qu’il y a dans vos papiers et de n’être connus de personne. Vous avez honte de ne pas avoir d’amis, ou honte de ne pas être capable de les garder.

Vous avez honte d’écrire que vous avez honte d’écrire. Vous avez honte de ce que vous devenez, de ce que vous êtes devenus. Honte de ce que vous êtes.

Vous buvez trop vous fumez trop vous écrivez trop vous aimez trop. Vous êtes trop intenses. Mais il est important que vos réflexions personnelles soient conservées. Même si ce que vous écrivez dans ces papiers étranges ne valent rien, tant et aussi longtemps que vous n’aurez plus honte de dire...

Maintenant, si vous manquez de vin ou de cigarettes, il faut sortir de la baignoire, s’enrouler une serviette autour du corps, courir s’ouvrir une autre bouteille et retourner à la baignoire. Si toutefois vous manquez d’espace pour écrire, eh bien il faut sortir de la baignoire et s’essuyer le corps au complet, s’habiller et écouter dans le salon une musique que vous aimez particulièrement.

Maintenant, si vous sortez de la baignoire parce qu’on sonne à la porte, il faut encore une fois sortir de la baignoire et s’enrouler une serviette autour de la taille. Mais avant d’aller répondre, il faut concevoir la possibilité que cette personne puisse à tout moment venir lire ce que vous écriviez. Cela dit, si vous avez honte de ce que vous écrivez, il faut dans ce cas détruire vos papiers en les jetant dans la baignoire. L’eau diluera l’encre et les pages deviendront illisibles. 

C’est la seule solution.

Ainsi je dis toujours : lorsque vous sortez de la baignoire, jetez toujours vos écrits dans l’eau qui se vide par le tuyau. Enfin, assurez-vous toujours de mouiller les mots qui n’ont pas été mouillés par erreur, afin que personne ne les lisent un jour...

11 novembre 2009

Ma blonde

Ma blonde ne m’appelle jamais. J’ai raison, c’est vrai, chaque fois que le téléphone sonne, ce n’est jamais elle. J’ai toujours eu raison d’ailleurs. J’ai raison depuis le début. Mais il ne faut pas m’en vouloir non plus. Je l’appelle au moins deux fois par jour, et même si elle trouve cela insuffisant, je ne suis pas à blâmer. Je n’aime pas appeler les gens. J’aime qu’on me téléphone. J’aime répondre au téléphone. Elle répond toujours quelque chose du genre « oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield ». J’ignore même s’il y a réellement une institut psychiatrique à Valleyfield. Mais rien que de le dire, ça m’amuse.

Ce soir, le téléphone n’a pas sonné une seule fois. Elle doit se demander ce que je fabrique. Elle doit attendre mon appel. Mais je préfère laisser le combiné sur la charge. Je déteste lorsque la pile du téléphone est à plat. Je lui ai déjà dit : on s’en fout de la pile de ton téléphone résidentiel. Si elle est à plat, je vais t’appeler sur ton cellulaire. Mais pour elle, on dirait, c’est une manie de recharger les téléphones. Il faut que toutes les piles soient toujours pleines. Sinon elle a l’impression de manquer un appel.

J’attends son appel depuis cet après-midi. Je me demande ce qu’elle fabrique. Probablement qu’elle attend mon appel depuis cet après-midi. Mais je ne veux pas l’appeler. Depuis samedi passé, il y a un froid entre nous... Voici ce qui s’est passé : j’attendais son appel, et elle m’a appelé. J’ai répondu : elle a dit oui allô ici l’institut et j’ai dit oui allô ici l’institut. Et déjà que je doutais de l’existence d’une institut psychiatrique à Valleyfield, je me suis dit qu’il était fort improbable qu’il y en ait deux. Alors j’ai dit « non, tu n’es pas l’institut, c’est moi l’institut! Y en a pas deux comme moi! »

Je lui ai dit que c’était très prétentieux de dire qu’il n’y en avait pas deux comme elle. Et moi, toujours très humble, je lui ai raccroché la ligne au nez. Et j’ai attendu son appel. J’ai espéré qu’elle me rappelle, mais le téléphone n’a jamais sonné. Alors je me suis demandé ce qu’elle fabriquait. En fait, elle était en train de jouer aux cartes sur son ordinateur. Je l’ai appris bien plus tard. Et quand je l’ai appris, je lui ai dit que c’est con de jouer aux cartes sur l’ordinateur.

Mais elle a beau dire que telle ou telle chose est inutile, pour moi, il existe certaines choses qui me font vivre inutilement. Comme jouer aux cartes sur l’ordinateur. Je peux y passer des heures. En solitaire. Et quand je gagne, même s’il n’y a pas de récompenses, j’ai la récompense d’avoir gagné. 

J’écris depuis tout à l’heure et je trouve qu’elle tarde à m’appeler. Elle est supposée venir chez moi ce soir et pour elle, j’ai préparé tout un dîner. Un boeuf bourguignon. Je déteste les dîners. J’ignore pourquoi elle tient tant à préparer les dîners. Je ne mange rien de toute façon. Je n’ose pas répondre au téléphone car je ne veux pas qu’elle m’invite à dîner, voilà. Je suis sûr qu’elle a préparé tout un dîner pour moi. Et je déteste manger. Je veux discuter, voilà. Je suis supposé aller chez elle ce soir et je sais qu’elle me forcera à tout manger ce qu’elle a préparé. Un boeuf bourguignon. Mais j’en n’ai pas envie. Et j’ai beau espérer, je sais qu’elle ne viendra pas. Elle déteste les dîners. Le téléphone vient tout juste de ne pas sonner :

- Oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield.
- Comment? Non, c’est moi l’institut! 
- Prétentieux...
- Qu’est-ce que tu fais? Tu viens oui ou merde?
- Merde!
- Quoi merde?
- J’ai pas dit merde, j’ai dit tu viens oui ou merde?!
- Non, toi tu viens!
- Merde!

Et j’ai raccroché. Cette fille me faisait penser comme une fille. Je répète sans le vouloir tout ce que j’entends. Et parfois, c’est moi que j’entends. Et quand je me parle, je parle souvent au téléphone qui ne sonne pas. Je lui parle directement : 

- Tu sonnes?
- J’ai sonné chez toi...
- À ma porte?! 
- Pas à ta porte... ce que je foutrais dehors? J’ai sonné à moi-même...
- Eh bah arrête de sonner à toi-même et sonne à ma porte! J’attends quelqu’un!

Et j’ai raccroché. Je sais très bien que je me parle à travers le téléphone et qu’il n’y a personne au bout du fil. Mais ça m’aide à mieux me parler. Quand j’ai un objet sur l’oreille, j’ai l’impression d’être écouté.

Tout à l’heure, le téléphone a sonné. Et c’était vrai. C’était elle. Elle me demandait si je venais. J’ai dit toi tu viens. Elle a dit tu veux que je vienne, mais tu viens j’ai dit non je ne veux pas venir, mais que tu viennes, je le veux elle a dit tu ne veux pas venir et j’ai dit je ne veux pas venir mais je veux que tu veuilles venir et elle a dit tu veux que je veuilles venir et si je venais, tu me voudrais ou tu voudrais seulement que je viennes plus encore? J’ai dit viens. Je t’attends. Et j’ai raccroché.

Et le téléphone a sonné derechef : 

- Oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield!
- C’est moi l’institut! Y en a pas deux!
- Il n’y en a qu’une, en effet...

Et j’ai raccroché. Et j’ai espéré que ma blonde me rappelle pour m’assurer que c’était elle qui venait et qu’elle viendrait manger mon boeuf bourguignon et qu’elle m’assure que ce n’est pas moi qui vais chez elle car je n’ai aucune envie de sortir d’ici je préfère jouer aux cartes parce que l’extérieur moi ça me fait peur et je préfère l’intérieur qui est le mien et si elle veut qu’on s’aime, elle devra apprendre à laisser son foutu jeu de cartes et laisser son boeuf bourguignon de côté. Je ne suis pas un boeuf bourguignon. Je ne suis pas une paire de vallets. Et plus elle s’obstine à rester chez elle, plus je la déteste. 

Moi, j’adore sortir. Je sors toujours. Je vais à l’épicerie, je vais voir ma famille, je sors dans les bars. Elle, jamais. Et j’en ai marre de toujours rester enfermé chez elle sous prétexte qu’elle a peur de l’extérieur.

Le dernière fois que le téléphone a sonné, il ne sonnait pas au téléphone. Il sonnait à ma porte. Juste avant que je commence à écrire, ça a sonné à la porte, et c’était mon téléphone :

- Oui allô, je représente l’institut psychiatrique de Valleyfield...
- Depuis quand les téléphones sonnent aux portes? que j’ai dit.

Et quand je suis rentré, j’ai commencé à écrire. Et j’écris pour dire clairement que j’attends l’appel de ma blonde. Et l’institut psychiatrique de Valleyfield attend aussi l’appel de ma blonde. Et je dis soit elle est sur son chemin, soit elle joue aux cartes sur l’ordinateur. Mais ce qui est sûr, c’est que ma blonde va venir. Et ce qui est encore plus sûr, c’est qu’elle existe. Sinon, les types de l’institut auraient eu raison depuis le début. Et je déteste les gens qui ont raison depuis le début.

1 novembre 2009

Halloween : Le conférencier qui ne pouvait plus ouvrir la bouche

J’ai le SIDA. Mais bon, ça ce n’est pas très nouveau... Je l’ai depuis l’âge de 23 ans. Depuis cinq ans, je fais des conférences dans les écoles secondaires. J’explique aux jeunes le fonctionnement du SIDA, et pourquoi il ne faut pas avoir peur du SIDA, et pourquoi le SIDA ne s’attrape pas en s’embrassant, et pourquoi le SIDA ne s’attrape pas en serrant la main d’un séropositif... 

Mais hier matin, j’ai perdu la voix. J’étais muet comme un sac de chips dans lequel personne ne pige dedans. Muet comme un comptoir de cuisine à trois heures du matin. Muet comme un haut-parleur éteint. Vous aurez compris. Muet comme une barbe rasée. 

Mais ça ne m’inquiètait pas. Il m’arrive souvent de perdre la voix. Surtout lorsque j’ai trop fumé la veille ou que j’ai trop bu d’alcool. Quand ça m’arrive, le matin, sitôt que mes yeux sont ouverts, je teste ma voix par un bâillement exagérément fort : hâââille... Si aucun son ne sort, je souris. Je souris parce que ça économise sur le café : les matins où je me rends compte que ma voix manque, pas besoin de café. Le stress de passer une journée sans voix est suffisant pour me tenir éveillé. Puis je grimace. Je grimace parce que je devrai appeler le directeur de telle ou telle école pour lui annoncer mon absence à la conférence de l’après-midi...

Sauf que hier matin, mon teste du bâillement s’est déroulé assez bizarrement. Ma bouche a carrément refusé de s’ouvrir. Elle restait fermée, et cela malgré toutes mes tentatives de l’ouvrir : j’ai eu beau me prendre la mâchoire, pousser avec ma langue, cracher toute la salive de mon corps, rien à faire. Je suis sorti de ma chambre. Je suis allé me faire un bol de céréales, mais impossible de le manger : mes lèvres ne voulaient pas s’ouvrir.

J’ai tout de suite eu peur de mourir de faim. Réflexe normal. J’ai versé quelques gouttes de lait dans ma narine droite et j’ai pu avaler. Après trente minutes environ, j’avais douloureusement avalé la totalité de mes céréales. Puis, l’estomac plein, j’ai pu penser à une solution pour remédier à la situation. 

Je ne pouvais pas parler ; je ne pouvais pas manger ; je ne pouvais pas même embrasser. J’ai pensé à ma petite amie : « Qu’est-ce qu’elle va dire de moi?! J’ai perdu l’usage de la parole! Pire encore, je ne sais même plus comment manger! » En tout cas, je savais encore penser. Et je sais toujours penser, puisque j’écris ce à quoi je pense. Quoi qu’il en soit, je devais absolument trouver un moyen d’ouvrir mes lèvres. Pour pouvoir embrasser ma petite amie, d’une part bien sûr, mais aussi pour être efficace lors de la conférence que je donnais le lendemain après-midi. 

Ma première idée a été de me commander une pizza de chez Pépé et Roni. D’habitude, je suis incapable de résister à leurs pizzas. Mais hier, j’ai pu regardé ma pointe pendant plus d’une heure sans jamais en avaler un seul morceau. J’ai commencé à paniquer. Et chaque fois que le téléphone sonnait, je faisais comme si c’était une question de mort. Je me convainquais qu’il fallait absolument que je réponde : « Réponds, allez réponds et parle! C’est ta soeur qui se meurt! C’est ta tante qui enfante! C’est ton frère qui se fait traire! » J’avais beau me convaincre de tous les moyens, je répondais oui, mais je ne pouvais rien dire. Ma gueule restait inerte. Mes lèvres, soudées comme une poutre d’acier qui soutient les murs d’une cuisine.

J’ai pensé appelé le directeur de l’école secondaire dans laquelle je devais faire une conférence le lendemain. J’ai commencé à composer le numéro, puis les chiffres ont manqué. 514-542-4... J’ai dû retourner à mon carnet d’adresses. D’habitude, je me souviens assez bien des numéros de téléphone, même ceux les moins utiles... J’ai cherché le numéro de téléphone, puis, une fois que je l’ai eu trouvé, je suis allé à la cuisine me faire un bol de céréales parce que j’avais oublié de manger mon traditionnel bol de céréales du matin. J’ai versé le lait sur les Froot Loops. J’ai pris la cuillère, mais mes lèvres ont refusé de s’ouvrir. J’ai eu la brillante idée de verser le lait, goutte par goutte, dans ma narine gauche. Finalement, au bout d’une heure, j’avais avalé tout le bol. 

Mais je devais absolument trouver un moyen d’ouvrir mes lèvres. Alors j’ai pris un couteau, et j’ai tenté de me frayer un chemin entre mes deux lèvres comme si c’était là un pain à trancher. J’ai scié pendant une bonne minute avant qu’enfin le sang se mette à couler. J’ai dû arrêter de scier pour commencer à essuyer le sang sur le plancher de la cuisine. Une fois le sang essuyé, j’ai recommencé à scier. En pointant la pointe du couteau directement entre mes deux lèvres, j’ai pu entrer la lame. Puis, j’ai fait bouger le couteau vigoureusement pour créer un espace convenable entre mes deux lèvres. Enfin, j’ai réussi à créer un petit trou entre mes deux lèvres soudées par lequel je pouvais souffler. Mais lorsque j’expirais, il y avait beaucoup plus de sang que d’air qui sortait. J’étais un véritable gicleur dans la cuisine. Un gicleur incapable de parler.

Puis, je me suis arrêté de gicler pour me demander ce que je faisais. Je ne me souvenais plus tout à fait des raisons du sang et des lèvres en morceaux. J’ai pensé : « Il faut que j’appelle le directeur pour la conférence de demain! » De toute façon, c’était pas l’envie de parler de SIDA après toute mon histoire. Et le téléphone a sonné. Et ma petite amie à qui j’ai giclé encore du sang sur le téléphone. J’ai voulu dire arrête d’appeler mais elle appelle toujours. J’ai dit mon bol de céréales. J’ai dit j’ai oublié mon bol à la cuisine. J’ai cherché le bol et je me suis rendu compte que j’avais oublié de manger mon bol de céréales de la tradition de chaque matin. J’ai versé les céréales et le tout petit peu de sang. Et j’ai voulu mangé par les narines mais par le trou des lèvres, j’ai tout versé. J’ai eu l’estomac rempli pour régler mon problème de lèvres.

J’ai pensé à la conférence de demain. Mais j’ai oublié d’appeler le directeur. Et j’ai oublié d’appeler ma petite amie qui se demandait ce que je faisais, mais je n’ai pas pensé. Et j’ai oublié son numéro, même si je cherche dans mon carnet je ne trouve pas et de toute façon, je crois que je ne parle plus à ma petite amie avec qui je ne faisais jamais l’amour. Mais je savais une chose, c’est que même si je perdais un peu la mémoire et ma voix, et mes lèvres et mon appétit, je savais marcher jusqu’à l’école secondaire gagner un peu d’argent pour me payer de la nourriture et des fleurs pour la petite amie que j’avais perdue. 

Cet après-midi, je suis allé à la conférence, pour donner ma conférence au sujet de mon sujet de conférence qui est le SIDA. J’allais commencer en disant pourquoi il ne faut pas avoir peur du SIDA, et pourquoi le SIDA ne s’attrape pas en s’embrassant. Et j’ai goûté le goût du sang sur mes lèvres. Mon sang plein de SIDA. J’ai eu peur du SIDA. Je n’ai pas voulu m’embrasser. Et je n’ai pas voulu m’avaler. Je me suis craché sur toute la classe et le directeur furieux plein de SIDA rouge sur le nez. J’ai perdu mon emploi et je ne suis plus conférencier. Ma santé s’en va et ma mémoire a dégringolé depuis tout à l’heure.

Et je crois que plus j’avance. Plus je crois que je perds.


27 octobre 2009

Teinte cigarette breuvage






« Si vous jetez une cigarette allumée dans un verre d'eau, l'eau se colore et sa couleur ressemble à celle de la bière. Plus vous en jetez, plus l'eau se teinte. Ainsi, à la deuxième cigarette, vous avez une bière rousse et à la troisième, un verre de Ricard. Et ainsi de suite jusqu'au verre de Coca-Cola. Prenez garde toutefois de ne jamais boire la substance obtenue, et de vider le verre dans les toilettes lorsque la consistance s'apparente à celle de la mélasse. »

William Drouin
4 août 2009
Paris.


L'Homme Révolté

Quelques mots



Me remontent à la tête quelques mots que j’avais écrits lorsque j’avais écrit quelques mots et que j’avais dix-sept ans : j’avais écrit ces quelques mots qui désignaient quelques autres mots, et ces autres mots dont je vous parle, avaient beaucoup plus de sens que ces quelques mots que j’écris lorsque je tente de me remémorer les quelques mots que j’avais écrits ce jour-là. Le jour de mes dix-sept ans. J’écrivais quelques mots, sur une simple feuille, quand Najia est arrivée derrière mon épaule pour lire ces quelques mots qui parlaient d’elle. Ces mots la décrivaient en quelques mots, trois ou quatre, pas plus, la laissant paraître beaucoup plus belle que tous les quelques mots du monde. À vrai dire, elle était beaucoup plus jolie que les quelques mots que j’avais écrits. C’est pourquoi j’avais effacé sur-le-champ les quelques mots écrits, pour en écrire d’autres. Un groupe de mots bien différents qui semblaient décrire mieux les quelques mots nécessaires pour décrire la beauté de Najia. Trois ou quatre mots, pas plus. Et j’avais effacé encore ces quelques mots, peu satisfait du résultat de mes mots, pour en récrire d’autres dont je n’étais pas plus satisfait. Finalement, j’ai gardé une page blanche. 

Najia s’est penchée sur moi pour me dire quelques mots. Et ces quelques mots, je serais incapable de les transcrire, car ils me paraissent plus beaux que tous les quelques mots que je pourrais écrire. Ils ont été quelques mots chuchotés, secrètement, depuis sa bouche jusqu’à mon front. Au moment où elle a dit ces quelques mots, j’ai tenté de les écrire. J’ai écrit quelques mots qui ce sont perdus sur la page. Elle m’a embrassé. Et moi, j’ai chiffonné la page sur laquelle j’étais en train d’écrire quelques mots. L’amour d’une vie. Peut-être. De toute façon, ces quelques mots demeureront toujours introuvables, car la page qui contenait ces mots, nous avons fait l’amour dessus.


L'Homme Révolté

Le jeu du dictionnaire : je roule les dés!




Je roule les dés.

Et je débute en disant d’emblée que j’ai débuché plusieurs débuts mais que ces débuts dénichés n’étaient pas assez décadents pour être décrits dans ce débris de décalages que je fais déborder au-delà de mes dérives ; non je ne débloque pas, j’ai décidé de dévier de mon débit et de me débarrasser du défaut par lequel je me dédouble et me dégoûte. Je me dégoûte. À force de déblatérer debout comme un débile qui se débat contre son propre dédoublement, j’en suis venu à me détester et à déclarer mon propre décès. J’ai beau me dédier les plus belles débauches, les déboires que je décris ici me déplairont toujours, et cela, peu importe les démons qui se déchaînent en un seul de mes déluges. J’écris en déluges, mais je ne fais que déplacer ma propre dépouille, et plus je la déplace, plus je déblaie, comme en décembre. Et plus je déblaie, plus je découvre les détails de ma dépouille. Et plus je découvre, plus je détruis. À force de me démolir, il ne reste de moi qu’une détresse qui déboule le long de mes dessous. Jamais je ne déboucherai vers ailleurs, jamais je ne décollerai vers la détente délicate. Je me dévoue pour le désordre. Et ce que j’en déduis, c’est que je devrais déguerpir avant que vous me le demandiez. Mais je n’ai jamais voulu déranger... seulement dépasser mon propre dégoût de moi-même.


Tzara Rose

Les shoes scrapés




Il aimait les patates pilées et me frapper. C’était son hobby. Un peu comme moi je fais des puzzles. Lui, adorait lorsque je courais autour de lui lorsqu’il tondait la pelouse de la cour. Il avait élaboré un système très particulier : il tondait la pelouse de telle façon que, à n’importe quel moment, il pouvait bifurquer à gauche ou à droite pour me raser le pied, sans jamais que ce geste soit soupçonné d’agression volontaire contre ma petite personne. Les chemins rasés de la pelouse restaient toujours droits et carrés, et cela malgré ma chaussure coincée dans l’hélice de la tondeuse. Mon père n’avait rien à se reprocher. Il disait qu’il était en train de couper tout bonnement la pelouse et que je m’étais mis soudainement le pied sous l’hélice. 

Ce jour-là, la tondeuse de mon père avait décapité mes chaussures de marque 301 : des chaussures que j’avais demandées pendant des années et que j’avais finalement reçues en cadeau pour l’anniversaire de mes huit ans. Et le lendemain de mes huit ans, mon père les décapitaient avec ses hélices mortelles. 

Ce n’était pas tant le risque d’avoir perdu un orteil que je pleurais que la perte réelle de mes 301. Quand ma mère est sortie de la maison pour demander ce qui s’était passé, mon père a bêtement répondu que je m’étais foutu sous sa tondeuse. Et moi, je suppliais ma mère de recoudre mes chaussures, comme si c’était possible. Je me vois encore me diriger vers la poubelle du cabanon, chaussures en main, et jeter le seul cadeau d’anniversaire qui m’avait vraiment plu aux ordures. Je me suis dit que j’étais malchanceux, comme d’habitude, et je n’ai jamais accusé mon père d’être l’auteur de la catastrophe. 

Jusqu’à aujourd’hui. Comme ça, subitement, aussi subitement qu’un enfant qui se fout sous les hélices d’une tondeuse, je me suis mis à lui reprocher la perte de mes 301. Et je me suis mis à vouloir vengeance. J’ai beaucoup lu au sujet de la vengeance, mais aucun livre ne parle de la vengeance qui survient dix-sept ans après l’élément déclencheur. Pourtant, cette vengeance existe et je peux en témoigner. À 25 ans, dix-sept ans après la mort de mes 301, j’ai décidé d’agir. J’ai attendu l’anniversaire de mon père, le 28 juillet 2010, et j’ai couru lui acheter une paire de chaussures, fabriquée par un grand couturier, à 3200$. Vous ne rêvez pas. C’était bien le prix. 

Je lui ai offerte le soir même, sous un emballage ridicule de petits clowns et de ballons colorés. Mon père, comme à chaque anniversaire, faisait un feu dans la cour arrière. Je suis allé le voir en lui tendant le paquet. Il l’a ouvert et, avant même de lire le nom du couturier, il a éclaté en sanglots. J’ai su que le cadeau lui faisait plaisir. Et que cela lui fasse plaisir me faisait très plaisir. Je me suis rappelé ma réaction devant le cadeau de mes huit ans. Elle était sensiblement la même que celle de mon père. Puis, je me suis souvenu de ma déception lorsque mon père avait bousillé cette joie. Une déception que mon père, lui, n’avait jamais vécue. Je ne me suis pas attendri devant la joie de mon père. Il aurait eu beau pleurer toutes les larmes de joie de son corps, je ne l’aurais jamais laissé s’assécher avant qu’il ne ressente la déception de mes huit ans.

Puis il a dit, entre deux sanglots :

- Pardonne-moi si tu savais, je m’en veux j’arrête pas de penser à cette journée-là depuis que c’est arrivé!...

J’ai pris les chaussures à 3200$ dans mes mains. Mon père a mis les mains dessus. J’ai tiré de mon côté, et mon père lui aussi tirait pour les ramener vers lui. J’ai tiré plus fort, mais c’est mon père qui a gagné. Les chaussures lui ont resté dans les mains, alors que moi, j’ai reculé de quelques pas en arrière. 

- Elles sont à moi! qu’il a dit. Je fais ce que je veux avec!

Fin no. 1 : Il les a foutues dans le feu. Et ce soir-là, on est restés assis à discuter devant les 3200$ qui s’envolaient en fumée dans le ciel d’été. Et tout compte fait, je me suis dit : c’est très peu cher payé pour une vengeance qui se termine si bien...

Fin no. 2 : Il les a foutues dans le feu. Il a empêché ma vengeance en se vengeant lui-même des actions qu’il a commises par le passé. Je n’y ai rien compris. Enfin, à tout le moins, ce que j’ai compris c’est qu’il a esquivé ma propre vengeance. Et c’est de cela précisément que je dois me venger.

Fin no. 3 : Il les a foutues dans le feu.

26 octobre 2009

Cagoule pour Émilie

Émilie

Tu as des yeux de congé, des perles roses.
Une cessation de souffrance dans un body contre lequel j'aime grelotter.

Émilie

Ton poil me chatouille, arrête de me faire rire, j'ai morvé sur ton pantalon. Bon ça y est tu me chicanes encore. Émilie y a vraiment pas moyen d'essayer de te faire plaisir faut toujours que tu te choques.Respire un peu par le nez. C'est pas si terrible tes narines. Sont pas grosses comme la chienne à Jacques.

J'ai morvé sur ton pantalon. Mais c'était pas un Adidas. Je vois pas pourquoi tu deviendrais folle. T'as jamais eu de Adidas. Pis t'as jamais été sportive. T'as certainement pas commencé aujourd'hui. J'ai pas vu de running shoe spécial sur le tapis de la porte d'entrée en rentrant. J'ai pas vu d'espadrille de course. J'ai pas vu de sabot de cheval. En tout cas j'ai pas vu tout ce qui pourrait servir à faire un mouvement de pied semblable à celui d'une course à pied. Faut pas virer fou. Moi je dis que tu devrais arrêter ça, les Adidas pis la course à pied pis te recycler dans la vente de cosmétique Émilie. C'est plus ton genre de te regarder dans les miroirs. Tu t'amuserais toute la journée pis ça permettrait aux femmes de tâter des bâtons de rouge à lèvre. Pis moi je suis pour les femmes qui tâtent les bâtons de rouge à lèvre. À condition que les bâtons soient dans leur sacoche. Sinon ça fait un peu bizarre pis j'aime pas ça les affaire bizarres. Moi, faut que ça reste normal. Des cheveux normal, des yeux normal, rien de fucké. Comme ta mini-jupe Émilie est un peu trop fucké, moi je la modifierais un peu... je lui ajouterais un peu de fleurs parce que franchement, cinq fleurs sur une jupe, ça fait dur, ça en prend au moins dix. J'ai été dans les magasins et j'ai fait la moyenne : la moyenne c'est neuf fleurs par jupe. Pis j'ai arrondi à dix. Comme dans les mathématiques. J'ai suivi mes cours ça paraît. En tout cas, j'ai suivi le cours où ils arrondissaient... C'était le seul cours utile parce que c'est super utile d'arrondir, ça va plus vite. Si un TGV était capable d'arrondir, je suis sûr qu'il irait beaucoup, beaucoup, beaucoup exposant dix plus vite. C'est grave. C'est très grave la vitesse. Moi, la course à pied, ça me fait peur. Je me dis que si on se mettait à courser, ça pourrait devenir une vie de fou. Tu imagines, tous les coureurs dans les magasins. Je pourrais même pas m'acheter ma tuque en paix. Je me suis acheté une super belle tuque. Elle couvre bien le visage. Le gars au magasin me disait que c'était une cagoule. Mais les trous des yeux m'arrivent dans les narines. J'ai dit non c'est une tuque avec des trous de narines. Et curieusement aussi, dans ma tuque, y a un trou pour que mon menton respire...

Depuis que j'ai ma tuque, je cours plus vite. Ça doit être à cause des trous de ventilation. Comme sur les chars. J'ai couru deux arrêts stop en trente secondes. Ça, c'est pas mal plus vite qu'une fille en talons hauts. Mais c'est normal parce que, dans les talons hauts, y a pas de trous pour les mentons...


Tzara Rose




Jésus

1. Jésus aime les hommes.
2. Jésus marche sur l’eau.
3. Jésus n’a jamais rien dit contre l’art.

Jésus est un adepte du patinage artistique.

L'estomac de Farèh Sazbandès

- Hey Rinko! Tu te ramènes ou je te fous une taloche! Rinko! Qu’est-ce tu fous Rink! Rink!

Rinko Sazbandès est mort. C’est un fait. On n’y peut rien. Tu peux y réfléchir pendant une décennie, ce sera une belle décennie perdue à réfléchir sur le fait qu’on y peut rien. C’est un fait. Rinko Sazbandès est mort. C’est un cycle bien connu. Ce qui survient vient un temps, ce qui perdure dure un peu... mais ce qui reste ne reste jamais. Oublie les morts. Le temps s’égoutte drôlement. Les livres d’histoire n’écriront rien à propos de Sazbandès. Pourtant, il t’a sauvé la vie en 92. Mais les livres n’en diront rien. Il a tué pour la liberté de son frère. Mais il sera surtout reconnu pour avoir été tué en échange de la liberté de son frère.

« Tué par MarcÈio Albanze. Un grand meurtrier. Un meurtrier notable, extraordinairement intelligent, un génie! Un grand statège! Le nouveau Clyde Barrow quoi! »

- C’est pas Rinko ça. Rinko! Qu’est-ce tu fous Rink montre-toi...

Tu cherches ton frère. Normal que tu aies peine à le reconnaître. Mais tu l’as déjà croisé. C’est lui, tout cramé, défiguré par la bombe. Regarde, dans le squelette, dans les orbites, à l’endroit où se trouvait ses yeux. Si tu regardes bien comme il faut, les miettes de ses pupilles. Les cendres de ses iris. Un peu de bleu.

- Rinko! (de la rage)

Tu peux venger ton frère en tuant Albanze, ou tu peux t’asseoir et pleurer la mort de ton frère. Si j’étais toi, je tuerais Albanze, parce que si tu ne le fais pas, il deviendra un meurtrier super célèbre et tout le monde l’aimera.

- Bonjour Madame, puis-je rencontrer Monsieur Marcìo Albanze s’il vous plaît? J’ai quelque chose à lui proposer...

Tu t’y prends de la mauvaise façon, à mon avis. Tu aurais dû attendre Albanze à la sortie de la banque plutôt que de demander à le rencontrer dans son bureau. On ne sait pas quel flingue il peut garder dans son tiroir.

- Ta gueule Estomago... Holà Marcìo! Cómo va? La salud es buene?

Albanze est impressionné par ton espagnol. Il se demande pourquoi tu ne parles plus français. Avec un peu de chance, il pourrait croire que depuis la mort de ton frère, tu es un des leurs. Mais faut pas le prendre pour un con. Il a déjà ouvert le tiroir.

- Correa caer! Tienen sobre mi!

Tu sors une bouteille d’alcool. Tu lui en offres. C’est quoi? Tequila? Donne-m’en un peu. Allez, fais couler. Non, n’en donne pas à lui. Garde ça pour toi et moi. Dans un coin, tranquille, on pourrait boire ça ensemble. En français.

- Hey, won’t you share it, Farhè?

Non, don’t share that Farhè! Tu m’en donnes à moi! Allez, Farhè, tu verses tout ça dans ta gorge à toi! Et je m’occupe du reste! Pense à moi! Pense à ton estomac! J’ai bien envie de m’étourdir un peu! De toute façon, t’as vu le mec? Il sort d’un film des années 90. Laisse-le faire. Allez, donne-moi ça. Oui, c’est ça, bois-en. Voilà. Comme un grand garçon. Peux pas dire que fait pas de bien! Hé le con d’Albanze! Tu sais quoi? T’existes pas! J’ai pas envie de dire que t’existes alors toute cette histoire c’est de la merde. Alors excuse-nous, mais Farhè et moi, on va aller s’amuser avec la bouteille dans le parking en bas.

Non mais c’est vrai. Écoute-moi bien, Farhè, j’ai créé ce personnage de toute pièce. Pour m’amuser un peu. Mais je ne savais pas que tu avais une bouteille de Tequila sur toi. Ça change tout! Écoute : ton frère n’est pas mort. J’ai inventé sa mort. Elle est écrite, mais elle n’est pas réelle pas du tout elle est rien tu sais tout va bien! Tu m’entends?! Ton frère il est pas mort il est super vivant pleine forme pif paf et ça sert à rien de tuer cet homme! Si je t’ai dit de le faire tantôt, ouais c’est vrai je t’ai suggéré de le faire, mais c’était juste pour m’amuser un peu parce qu’on s’ennuie parfois tu connais ça, l’ennui tu connais ça... hein Farhè que tu connais ça! Farhè? Redonne un peu de tequila! Farhè! Tu te ramènes ou je te fous une taloche! Farèh! Qu’est-ce tu fous Far! Far! Quoi il t’a tiré? C’était un coup de flingue ça? Hé merde! T’aurais pas pu mourir avec la bouteille dans la gueule, toi? ah...



Tzara Rose

Amourdinateur




J’aimerais vous dire que ses yeux étaient de la couleur de mon clavier. Que ses mots m’éclairaient comme un écran d’ordi. Que sa face ressemblait à un b ou à un o. Que son doigt était exactement aussi large que la spacebar de mon clavier. Que ses cheveux avaient de jolis dégradés, comme le fond de mon écran, et que son toupet coupait carré. J’aurais aimé vous dire qu’il s’allumait, qu'il s’éteignait, et qu’il se redémarrait par lui-même. Qu'il ne se transportait pas facilement dans une petite mallette rembourrée noire. Qu’il se donnait du jus lorsqu’il n’avait plus d’énergie. J’aurais voulu vous dire que je surfais avec lui. Que je visitais des sites étranges. Que je me masturbais devant lui et qu’il me chantait des chansons sur lesquelles je dansais. 

J’aurais aimé vous dire qu’il donnait toujours l’heure juste. Qu’il me filmait et m’enregistrait. Qu’il publiait, sur Internet, mes textes et mes photos parce qu’il aimait ce que j’écrivais et la façon dont je posais. J’aurais adoré vous expliquer de quelle façon il oubliait si rapidement tout ce que je foutais à la corbeille... Sa manie de tout surligner, de tout crier en majuscule... J’aurais aimé vous parler de la façon qu'il avait de faire boguer mon univers lorsqu’il boguait...

Mais il est mort. Ça fait un an aujourd’hui. Rien ne sert d'en parler. Il s’appelait Drustan et je ne regrette qu’une chose : m’être attachée à un être humain...


Tzara Rose

Les fous et les petits fours




Les fous se foutent bien d’être fous. Ils se foutent bien des autres fous et même, ils se foutent bien d’avoir l’air fou et cela, même s’ils foutent parfois des tapes aux foufounes des folles. Mais les fous ne fourrent pas ces folles, non ils préfèrent fourrer les petits fours fourrés que les folles leur font. Les fous ne bafouent pas leur folie : ils fondent pour ces petits fours et font de leurs foulards des fouets qui fouettent, de leurs phalanges jusqu’au plafond, la fourche des petits fours. Les fous les plus fougueux d’entre eux frémissent pour les fossettes de ces petits fours et, sous les fougères, ils fouillent entre les foufounes du petit four fourré. C’est là, en fin de compte, un vrai fouillis auquel même le four le plus fumant reste parfaitement fermé!



Tzara Rose

21 octobre 2009

Les singes




1. Les singes sont des êtres altruistes
a. Les singes aiment manger les poux de leurs semblables
b. Les humains ne mangent jamais les poux de leurs semblables

2. Les singes mangent santé
a. Les singes mangent beaucoup de bananes.
b. Les humains mangent beaucoup de frites.


3. L’important, c’est de faire attention aux autres et à soi mêmes.
a. Les singes font attention à eux-mêmes car ils mangent santé.
b. Les singes font attention aux autres car ils mangent leurs poux.

4. Les singes sont parfaits.


Tzara Rose

Ceci est le 301ème texte du blog





J’ai su que ceci était le trois-cent-et-unième texte du blog Plus écrivain que mort, alors je me suis dit, je vais écrire quelque chose de très correct, très sensé, vous savez, je me suis efforcée d’écrire quelque chose de valable. Alors voilà ma valeur.


Démonstration 1.

1. J’ai les fesses rondes. 
2. Un pénis, c’est droit.
3. Un pénis ne pourra jamais entrer là.

Démonstration 2.

1. J’ai la chatte plus ou moins droite.
2. Il a le pénis plus ou moins droit.
3. Qui donc pourrait entrer là?

Démonstration 3.

1. J’ai la bouche ronde.
2. Mes fesses sont rondes.
3. Pourtant, elles ne peuvent y entrer.
4. Je ne pourrai jamais dire que « du cul, j’en mange ».


Tzara Rose











De grands mots

J’ai reçu un coup de fil de mon orfèvre spécialiste
Il m’a demandé comment se portait mes factotums
J’ai dit bof, tout va
Mes factos, comme je les appelle
Me préparent un pemmican
Avec lequel je devrais tombé amoureux

Lorsque j’ai vu ce qu’il me préparaient

J’ai dit oh : c’est quoi ça, merde, du racahout?
Rien de fameux!
On dirait un accident puerpéral!
Je veux du sécable, moi!

J’ai fait le youpala
Entre la cuisine et le salon
Je les surveillais.

Ils m’ont répondu :
« On comprend rien quand tu parles. »

Digression romanesque no. Ah, les filles

- Non! C’est rien de drôle! Je suis tombé c’est tout... Mais arrêtez! Y a rien de drôle!

Des fois, y a des trucs pas drôles. D’autres fois, les trucs pas drôles paraissent drôles, dépend de comment vous les racontez. Cette fois-là, c’était Julien, le baquet de la classe. Alors ça, c’était drôle. Qu’il soit baquet, ça a toujours été drôle. Mais qu’il tombe dans les escaliers à la fin des classes, c’était magique. Quand on l’a vu commencer à débouler l’escalier, on a eu le sourire. Mais quand on l’a vu finir de débouler, on a eu une sorte de fin de sourire. Jusqu’à ce qu’il dise les premiers mots qui prouvaient qu’il était en vie. Alors là on a pu rire.

- Non! C’est rien de drôle! Il faut que je les monte et que je les descende... Mais pas en déboulant...

Alors il a remonté les escaliers, malgré la quantité incroyable d’élèves qui les descendaient pour se rendre aux casiers. Alors qu’il essayait de remonter, un groupe de trois lui est rentré dedans. Paf. Ils lui ont pilé dessus. Et le baquet s’est retrouvé écrasé en plein milieu de l’escalier par laquelle tous descendait. Et de voir sa gueule en sang, ça c’était marrant.

- Non!... C’est...

Alors il s’est relevé, le tenace. Il voulait absolument remonter les escaliers, même s’il se faisait marcher dessus. Finalement, il s’est rendu tout en haut, puis il s’est mis à redescendre les escaliers. La foule d’élèves l’a bousculé. Il a encore perdu pied et il s’est retrouvé sur le cul. Et ça, pour nous, c’était drôle.

- C’est rien de drôle! Je peux pas m’en aller d’ici avant d’avoir monté les escaliers trois fois...!

Alors il a essayé de remonter les escaliers. Mais il y avait les élèves du groupe d’éducation physique qui descendait avec beaucoup de rage. Ils l’ont ramassé. Et sa mâchoire, plaquée contre la rampe de l’escalier, c’était tordant.

- Mmph...!

Il a fini par redescendre, puis à remonter une troisième fois. Rendu tout en haut de l’escalier, il a osé barrer le chemin à Roxanne, la plus belle fille de troisième. Elle lui a demandé ce qu’il foutait là, tout en sueur. Il lui a dit qu’il devait descendre puis remonté les escaliers trois fois, sans quoi il ne pourrait pas sortir de l’école. Elle n’a pas trop compris alors il lui a expliqué :

- Ma mère vient me chercher mais... elle m’a dit que pour maigrir, il fallait que je remonte au moins trois fois tous les escaliers que je prends... Mais c’est vraiment, c’est quelque chose!..

Et Roxanne l’a embrassé sur la bouche. C’est bête. Nous on se marrait bien, mais bon. Elle a décidé, comme ça : des fois, y a des trucs pas drôles...

Digression romanesque no. 3




Je suis devenu un être odieux et j’ai honte de moi. Je ne suis plus capable de reconnaître l’orange. La couleur. La couleur sonne à mes yeux comme une étrangeté sans cohérence. Un symbole sans signifiant, une opacité insignifiante. L’orange est une couleur sans sens. Lorsque j’étais enfant, je me souviens, l’orange me rappelait les plaisirs d’automne, les après-midis dans les carrés de sable et mes jouets préférés. Maintenant, plus rien. Je vois une chemise orange et la seule sensation que j’éprouve, c’est l’incompréhension. Je me demande pourquoi cette couleur existe et je continue d’écrire. Comme une pauvre machine dépourvue de sensibilité et de nostalgie. 

Orange. Je me concentre. Mais rien. Orange, et j’ai beau redire la couleur, rien ne se crée dans mon esprit. Orange, orange, les feuilles des arbres sont oranges, ma poupée a une robe orange, les murs sont oranges, les tulipes oranges, les frigos oranges, non. Les oranges sont orange. Ça, oui, ça va. 

Les oranges oranges. Leur couleur me rappelle un goût particulier... Celui des oranges. Rien de bien nostalgique. J’essaie, du mieux que je peux, d’accorder la couleur aux souvenirs qui lui reviennent, mais les souvenirs associés à la couleur orange se sont effacés depuis longtemps. 

La devanture des maisons! Je me dis : c’est ça! Le soleil se couchait, et sur le bord de la route, les maisons blanches étaient devenues oranges! Le soleil étaient chaud, pâle mais chaud, et rougissait le toit des maisons. Voilà. Mais dès lors que je regarde la robe orange de ma poupée : rien. Ce n’est pas ça. Quelque chose manque! Une valeur que j’attribuais à la couleur orange s’est évaporée quelque part. Il faut absolument que je repasse, mentalement, tous les objets oranges que j’ai croisés au courant de ma vie, et que je découvre l’objet qui m’a fait perdre toute sensation vis-à-vis de la couleur. 

Tu prenais la pose et ta robe flottait. Orange.
faut faire une belle photo, arrête de niaiser!

Nous nous tenions devant la façade de la maison. Orange.
le coucher de soleil ça fait un super bon éclairage!

Non, rien à faire. La couleur orange, je l’ai perdue.

Digression romanesque no. 2



- C’est con ce que tu fais ressaisis-toi franchement, t’es quoi là, tu fais quoi là, t’es absurde mon pauvre c’est complètement ridicule non mais, ça rime à rien ce que tu dis, ce que tu fais, t’es carrément inutile je veux dire, c’est inutile ce que tu dis, ça ne veut rien dire, prends sur toi un peu, allez, et sors quelque chose d’intéressant de ta bouche merde, parle pour une fois, pour une fois, non mais avoue, avoue que c’est assez rare que tu sors quelque chose d’intéressant de ta gueule, hein, et je te dis pas ça pour t’humilier, je te dis simplement ça pour que tu te ressaisisses et que tu fasses quelqu’un de toi, non mais trouve ta voix, enfin, il est temps que tu fasses quelque chose de toi-même et que tu prouves au reste du monde que t’existes, d’accord je dis pas que j’ai prouvé que j’existais moi-même, mais je te demande juste d’abord de te relever de par terre et de marcher sur tes deux jambes, pour commencer va, allez un petit effort, et suffit ensuite de dire quelques mots cohérents les uns à la suite des autres et hop, on a une phrase, allez, sans blague, c’est pas sérieux ton truc, tu parles jamais, et moi je te dis fais quelque chose de ta vie, de ton vivant je veux dire, prouve aux autres que t’es là, dans le monde, allez, interfère avec les autres c’est tout ce que je te dis de faire moi, le reste je m’en balance, mais putain essaie de prouver que t’es un homme, essaie d’avoir des fréquentations je sais pas moi, essaie de te trouver une copine, essaie de gagner de l’argent, d’avoir un emploi, un statut social quoi!

Ouais, bon, j’écris...

- Tu m’étonnes. Et alors? Moi aussi, j’écris, j’ai des tas de journaux intimes et des tas de gens savent écrire, faut pas se leurrer hein, t’as l’air du type qui s’assoit sur ses lauriers et qui attend que tout lui tombe du ciel eh bah c’est pas comme ça mon chéri, faut s’activer, prends-moi par exemple, je suis partie de loin pour en venir au poste que j’occupe présentement et tu sais, dans la vie, faut jamais s’asseoir, faut jamais espérer que tout nous tombe du ciel car y a rien de moins certain que ton avenir et ton avenir, faut que tu le prennes dans tes mains et que tu le sentes, ton avenir il faut que tu le pétrisses, que tu le fabriques toi-même, prends-moi par exemple, je suis partie de rien tu vois, n’empêche, aujourd’hui j’ai deux enfants heureux et en parfaite santé et c’est ce dont je suis le plus fière, tu sais, que mes enfants soient heureux, c’est ce qui compte le plus pour une mère!

Ouais, bon, c’est pas que tu m’emmerdes là mais j’essaie d’écrire maman...


Digression romanesque no. 1




J’écris et je pense à mes petits enfants qui seront très bien élevés, cheveux blonds, yeux bleus, très avares de sucre et de fast-food et très bien habillés à la mode des années deux mil cent et je me dis, ouais, bon, j’écris et je pense à mes petits enfants qui liront ce que j’ai écrit dans les années deux mille et qui diront c’est quoi cette merde et je dirai ouais bon, j’écris et je pense, à mes petits enfants qui seront très bien élevés qui n’oseront pas me dire qu’ils ne comprennent pas ce que grand-papa écrivait lorsqu’il était jeune et je rirai un bon coup, je serai super vieux tsé peut-être mort alors qu’est-ce que j’aurai à perdre de crier comme un malade ce qu’il me reste de vie bon, ouais, je dirai bon ouais, hum je toussoterai hum et je dirai ouais bon, j’écris, que je pense à mes petits enfants qui me liront et qui resteront un peu pantois devant ce que leur grand-père a écrit et puis qui diront c’est de la merde ouais bon, c’est de la merde ce truc qu’ils diront c’est de la merde ce que tu nous fait lire papa pourquoi tu veux qu’on lise ça et le père dira ouais bon, c’est votre devoir de français les enfants, faut lire le texte de grand-papa, allez, courage et ouais bon, j’écris et je pense à mes petits-enfants qui me liront parce que c’est un « devoir » de me lire et tout à coup ouais bon, j’écris mais je me dis bof, fuck that.

L'amour du mourant





Je ne veux pas dire que je ne l’aime pas, je veux seulement dire qu’elle est différente de moi et que les différences ne me plaisent pas particulièrement. J’ai beaucoup plus de facilité à aimer ceux qui aiment ce que j’aime, que ceux qui aiment ce que je déteste. Et puisque elle, elle m’aime et que moi je me déteste, je dis seulement qu’elle fait partie du groupe de personnes qui aiment ce que je déteste. Je n’aime pas me faire aimer, voilà tout. Disons que j’aime ceux qui s’aiment, bien plus que je n’aime ceux qui m’aiment. Je comprends très parfaitement ce que ressentent les gens qui s’aiment, puisque je les aime moi aussi. Ainsi, sur cette ressemblance, il est beaucoup plus facile de bâtir quelque chose. 

Je ne veux donc pas dire que je ne l’aime pas, je veux seulement dire qu’elle m’aime et que je ne m’aime pas, et qu’il est difficile pour moi d’aimer celles qui aiment ce que je déteste. Il m’est donc difficile de l’aimer, mais ce n’est pas impossible que je puisse l’aimer. D’ailleurs, si je ne l’aimais pas, pourquoi est-ce que j’essaierais d’autant prouver que je ne la déteste pas? D’accord, c’est vrai que j’essaierais tout autant de prouver que je l’aime si je ne l’aimais pas, ne serait-ce que pour faire croire que je l’aime. Mais en essayant de prouver cela, je dévoilerais toute ma tactique. Et si je voulais réellement préserver le secret de mon non-amour envers elle, il ne serait pas dans mon intérêt de dévoiler les stratégies que j’utilise afin de conserver le secret. Il est donc évident que je ne l’aime pas pas, ou à tout le moins, que je ne la déteste pas. Je ne tiens pas à dire que je l’aime, mais je ne tiens pas non plus à dire que je la déteste. 

Je ne veux pas dire qu’elle m’est indifférente, non, je ne suis pas indifférent à elle, puisque j’écris à son sujet. Et pour qu’un auteur puisse écrire, il lui faut d’abord un sujet qu’il puisse considérer comme étant intéressant. Je la trouve donc intéressante. Assez intéressante, en tout cas, pour qu’elle me fasse écrire. Et puisque lorsque j’écris, je réfléchis, c’est donc dire qu’elle me fait réfléchir. Je dirais même qu’elle me fait penser (puisque le verbe réfléchir équivaut sensiblement au verbe penser) et que, puisque celui qui pense existe nécessairement, elle me fait exister. Et puisqu’exister, c’est vivre, j’irais même jusqu’à dire qu’elle me fait vivre. Je ne peux rien prouver de plus à son sujet. Il me semble que c’est déjà beaucoup.

Il est donc impossible que je puisse dire que je ne l’aime pas. Elle me fait vivre. Elle est la seule responsable de ma survie. Seulement, si moi, c’était la mort qui m’intéressait... Si seulement je voulais mourir, elle continuerait tout de même à me faire vivre. Et elle y prendrait probablement plaisir. Elle aime, elle adore se voir comme ma raison de vivre... Mais voilà le problème. Si elle aime que je vive, et que moi je n’aime pas vivre, la différence est trop grande. Je ne peux l’aimer si elle aime une chose que je déteste autant : vivre.

Je ne veux pas dire que je ne l’aime pas. Je veux seulement dire que je suis incapable d’aimer une personne qui aime me faire vivre alors que je souhaite mourir.