28 novembre 2007

Géographie maternelle

Il est plus à l’ouest, ce pont que tout le monde connaît, il est réellement là, réellement, il y a des gens dessus dans des voitures. De l’autre côté du fleuve, ce sont les maisons, les familles, les enfants avec le soleil mais de ce côté-ci, c’est l’argent qui existe réellement, réellement il existe cet argent, même si on ne le voit pas toujours.

De ce côté-ci du fleuve, des édifices. Il n’y a que très peu de ciel. Aussi quand le ciel est gris on se demande si c’est du béton, mais c’est du ciel, réellement, le ciel existe. Il existe parce qu’il ne serait rien si ce n’était du vide qu’il y a par-dessus.

Plus haut, c’est Dieu. Lui aussi, il existe, réellement, parce que tu ne serais rien si ce n’était du vide qu’il avait mis par-dessus toi.

Plus loin à l’est, il y a le tunnel qui passe sous l’eau. Les lumières du tunnel sont toujours allumées, parce que sinon on n’y verrait rien, réellement, le tunnel existe réellement parce que si tu y allais, tu te ferais écraser. Et tu n’aimerais pas ça.

Les forêts, elles sont plus au sud. Et au nord aussi. Elles t’entourent, même si tu ne les vois pas. Elles sont réelles. Elles existent, même si c’est dur à croire, tu pourrais être dans la forêt, maintenant, à regarder les branches noires parce qu’il fait sombre. Les forêts ne sont pas bien loin. Elles ne sont pas sur une autre planète. Tu pourrais t’y rendre en voiture, si tu le désirais. Ça te prendrait peut-être trois heures, mais tu y serais avant le lever du soleil.

Juste à côté de ton appartement, c’est le Stade Olympique. Tu le verrais si tu sortais dehors. Il est juste là, même si tu ne le vois pas toujours à cause du brouillard, il existe réellement, parce qu’il y a des gens qui y sont présentement. Et ces gens-là pourraient te téléphoner pour te dire qu’ils y sont.

À trente minutes de métro, c’est la rue Sainte-Catherine. Des gens marchent sur cette rue présentement. La rue existe, réellement. Si tu veux la preuve qu’elle existe, tu n’as qu’à y aller. Ce n’est pas très loin. Ce n’est pas sur une autre planète. Si tu y allais, tu verrais des femmes dans les boutiques, réellement, ces boutiques existent, car il y a des gens qui n’existent que pour ces boutiques.

À quelques pas d’ici, c’est ta chambre. Elle existe, même si tu ne la vois pas parce que tu es dans le salon, elle continue d’exister sans toi. Elle a les mêmes couleurs que lorsque tu l’as vue pour la dernière fois, ce matin. Tu peux aller vérifier. Je t’attendrai. Et lorsque tu reviendras, le salon sera toujours le même. Il n’aura pas cessé d’exister.

Sous cette table, c’est Toulouse. Ton chien. Il existe, même si tu ne le regardes pas, il est bien réellement là. Il est là, parce que tu l’embrassais encore il y a deux minutes. Et tu ne l’as pas entendu s’en aller. Alors, tu peux me faire confiance : il existe encore.

Sur cette chaise, il y a toi. Tu existes, réellement, parce que tu écris ce texte et que ce texte ne serait rien sans toi. Et ce texte existe, réellement, il existe parce que Rachel le lira. Il existe parce qu’elle te dira qu’elle l’a lu, et Rachel existe.

Rachel existe, réellement, parce que tu n’existerais pas sans elle.

Rachel existe, réellement, présentement, même si tu ne la vois pas. Tu ne la vois pas parce qu’elle est partie travailler au Métro. Mais le Métro existe, réellement, c’est une épicerie où il y a plein de gens qui existent. Tu pourrais toi-même y aller, au Métro. Ce n’est pas bien loin. Ce n’est pas sur une autre planète. C’est à quelques coins de rue.

Tu pourrais aller chercher Rachel au Métro et en même temps, faire une promenade avec Toulouse. Ton chien. Il est toujours là, sous la table. Et ensuite, en voiture, vous pourriez tous les trois traverser le pont. Il est plus à l’ouest, ce pont que tout le monde connaît, il est réellement là, réellement, il y a des gens dessus dans des voitures.

Mais ta mère? Ça, je ne sais pas où elle est.

22 novembre 2007

Écrits d'Annecy (+ 1 de Venise)

Je ne suis pas vieux que déjà je revisite mon répertoire de journaux intimes s’ils en sont en voilà un que j’avais écrit en voyage dont je prends l’extrait suivant que j'utilise à titre d'introspection s'il est vrai que l'écriture change avec le temps le voici, l'extrait.

« Annecy, 23 mai 2006

Théo est né, et moi j’ai les Alpes.
Théo, c’est le nouveau-né tout neuf de Geneviève la sœur de Rachel.

Je fume ma cigarette dans une fenêtre sans moustiquaire de l’auberge d’Annecy. On a d’énormes fenêtres dans cette auberge. En fait je n’ai pas le droit de fumer ici, il y a un fumoir plus bas, d’ailleurs on y a rencontré un parisien plus sympathique que les autres. Mais bon j’ai bu du vin.

On a mis notre vin, acheté au Monoprix du Courier (un centre d’achats), dans une bouteille d’eau Vitrel.

Nous avons eu quantité de problèmes pour venir ici à l’auberge, les autobus ne passent plus après 20h00, alors on a pris le taxi. Rachel avait mal au dos de toute façon, parce qu’on avait marché dans la ville pendant une bonne heure avec nos sacs à dos.

La ville est magnifique, surtout avec les Alpes, l’architecture me fait penser à l’Italie, mais peut-être que je suis fou aussi.

Il y a des rues pour piétons alors on se prend pour rois ou presque, disons des rois qui font attention. Ici à l’auberge il n’y a que les criquets, et Rachel qui oublie périodiquement de gober ses pilules anti-menstruation.

Je sape mon vin à même le goulot, comme toujours rêvé, et je crois que je pourrais être plus obèse si je n’étais pas moi-même. Tout ça parce qu’hier, Rachel disait que je faisais pitié en boule dans mon lit, peut-être sont-ce mes hanches qui me trompent, oh à qui la faute!

« Annecy, 24 mai 2006

On a tenté le petit déjeuner ce matin. C’est qu’il est tôt qu’on a le sommeil dans la peau; on ne se lève pas toujours à l’heure. Dans la salle à manger, on a tranché notre pain, bu du jus d’orange froid et du café tiède dans un bol. Rachel voulait dormir davantage, elle disait être fatiguée.

On s’est renseignés au Camping Annecy et on est remontés à la chambre 17. La clé est faite avec des trous, style braille, et les lits sont simples et séparés. À notre réveil, il faut dire qu’une énorme bête, un insecte volant, faisait la sieste du côté du mur de Rachel. Ça n’a pas semblé l’importuner, parce qu’elle s’est recouchée après le déjeuner. Moi je veillais à ce que l’insecte de cinq centimètres ne se mette pas à voler partout.

À 10h00, nous avons quitté, sur la route du Semnoz jusqu’au centre-ville. Une fois nos sacs à dos dans la bagagerie de l’hôtel au centre-ville, on a visité et magasiné pour un réveille-matin portatif. Au Courier, on a été au Fnac, mais le service était pénible. J’attendais de payer mon réveille-matin et Rachel s’amusait avec un CD de Rasmus, le groupe. Finalement on a acheté le réveille-matin et aussitôt sortis on l’a essayé. On a mis la pile carrée. Il avait fallu acheter une pile carrée pour le faire fonctionner mais en fait il ne fonctionnait pas. Il ne fonctionnait pas à pile, mais par fil, le putain de réveille à 15 euros. On a été le rapporter, le monsieur a accepté de me rembourser et chez Sony, plus loin, tout était deux fois plus cher. On nous a conseillé le magasin « L’Heure locale » et hop, c’est vrai, on en a eu un pour 18 euros, hyper léger.

Après on est allés voir la chambre d’hôtel, chambre 103, très jolie. Un lit double, un bureau où j’écris maintenant, craqué brun, une douche impeccable. Je dois m’être lavé pendant au moins quinze minutes ce qui est très long.

Ensuite, nous sommes allés photographier une foule de trucs. Beau soleil, des gens pas effrayants. J’ai fait un tour de carrousel, question de faire action avec les photos, je suis monté sur un cochonnet à la langue sortie, vous verrez d’après les photos que Rachel a prises.

Rachel voulait que je la prenne en photo sur un petit pont, mais au moment de la prendre, un groupe d’éloignés psychologiques, disons-le pour être mesquins, ont abordé Rachel pour je ne savais quoi. Je suis allé la rejoindre et, je vous le dis comme je l’ai compris, ce groupe voulait des objets de peu de valeur pour une collection de voyage.

Rachel a donné un vieux billet de métro et moi, ne cherchez pas, j’ai donné la pile carrée, elle tout de même neuve, en leur disant qu’elle fonctionnait.

Ça a été ensuite le souper tant attendu, je dis ça parce qu’on avait remarqué le restaurant depuis le midi. J’ai mangé ce fameux plat de pâtes spaghetti au saumon vraiment trop salé. Et Rachel a choisi la pizza Parma, celle au jambon fumé. Seulement nous ne savions pas que du jambon fumé, c’est du bacon. Alors, les gros morceaux de jambons étendus sur le fromage comme des carcasses de poitrines mortes ou encore de la couenne d’animal tenace, on ne les a pas toutes bouffées.

N’allez pas croire que mon but est de faire un flash-back, mais tout ça, le repas et tout, me rappelle l’avion et le repas que nous avons eu. Nous aurions pris du vin si nous avions su comment. La nourriture était tiède, des penines à la sauce, et des fèves que je n’ai pas mangées. Le gars, lui, celui à côté de nous, a tout mangé je crois.

On avait mal à la tête et c’était très long si je me souviens bien, un écran télé projetait notre position dans l’océan, et le moment le plus trillant pour moi a été mon escapade aux toilettes. J’ignore comment ils font pour absorber si vite tout le pipi d’une cuvette, j’ignore aussi où va l’urine, dans le ciel évaporée ou dans les verres de jus d’orange pour les collations dans l’avion, oh suffit le cynisme de toute façon, le vol a bien été. Tout s’est bien passé hormis quelques difficultés à se déplier les jambes ont avait l’air de chaises pliantes indépliables, si ça se dit.

Présentement, Rachel et moi sommes en pleine écriture sur le bureau brun chocolat brisé, si ça vous intéresse. Je ne vous situerai pas davantage, puisqu’il faut bien garder le suspens de l’histoire s’il y en a, et l’imaginaire des espaces.

Parlant d’espace, la chaise sur laquelle j’ai les fesses ressemble drôlement à celle du tableau de Van Gogh, la chambre à Arles, à cause du treillis, mais je m’éloigne direz-vous, vous qui ne connaissez rien à l’art.

Ce soir je dormirai facilement, les chambres voisines ont l’air tranquilles. Rachel dormira, enroulée comme dans un saucisson. Elle dit que non, mais j’ai les preuves, les photos, comme quoi elle dort réellement comme un saucisson de draps.

Demain, le camping, je me vêtirai de ma casquette décousue, mon chapeau d’ailleurs, de soleil attrapé dans les Alpes et je bâtirai (le mot est fort) cette tente aux piquets de labyrinthe, peut-être, et on verra pour la bouffe, un pique-nique sur l’herbe ou presque, entre parenthèses.

« Annecy, 26 mai 2006

Le jour c’est la canicule, les champs secs de pédoncules, la soif de sueur sur tout ce qui articule.

Une cigarette de tabac sec à la bouche je recule, avec mon chapeau si j’en ai, le soir tout s’écroule, y compris l’air et les degrés, les filles s’habillent têtes, pieds, plus rien à regarder.

Il faut dénicher la chaleur là où on peut, dans la moiteur des draperies, bon sang que le sol nous gèle.

Je rêve moins la nuit que le jour, Rachel parfois s’endort, parfois prend des marches à la recherche du sommeil perdu : « Le sommeil ne se regagne pas une fois perdu », c’est comme l’amour, à la moindre hésitation – le doute – tout s’égare, c’est perdu, vos bras et vos mains ne servent plus.

On cherche ailleurs alors, on ne trouve pas mieux. Ne quittez pas l’abri, vous serez dépossédés de tout, à ce qu’on dit. Moi j’irais bien avec elle ou elle, pour voir, pour sentir ce qu’elles étaient puis déguerpir comme un con que je ne suis pas, simplement pour ne pas être moi pour un instant, être le con bien heureux dans un monde de joies et de plaisirs.

À deux on peut faire plus de deux univers, je n’en doute pas, mais à moi seul je me sais capable d’en faire des dizaines, voire des centaines si je m’y mets. Vous n’avez pas idée. C’est moi qui les ai.

« Annecy, 27 mai 2006

Nous partons pour Venise, d’abord à Chambéry. Rachel récite quelques mots d’italien à l’aide de son petit dictionnaire.

Nous avons défait la tente en un temps record, bu deux cafés à l’épicerie-bar du camping.

Les paysages défilent à côté de nous, Rachel dit que parfois ce n’est pas plus joli que le Québec et que ce n’est guère impressionnant mais moi, les champs et les perspectives je trouve qu’ils ne se ressemblent jamais. Chaque ligne évoque un univers et chaque couleur vient ouvrir une petite porte dans le cerveau, autrement dit personne ne voit la même chose.

Moi je vois de la crème glacée fondue à Annecy, et de la menthe aussi, mais je ne mangerais pas. Manger du paysage, ça ne se fait pas. D’ailleurs ce doit être pour ça qu’ils ont fait les champs et les montagnes aussi gros, pour ne pas que les voyageurs ébahis les bouffent d’un seul coup. Il n’en resterait plus pour les autres, vous voyez.

Si la planète toute entière était grosse comme une olive, ça ferait longtemps que les voyageurs l’auraient avalée, noyau y compris. Parce que chez les gens, tout est histoire de territoire, même chez les animaux c’est pareil. En faisant le tour du monde, peut-être qu’on a l’impression de s’approprier les territoires de Dieu. Je sais pas.

« Venise, 28 mai 2006

Les réservations sont faites. Rachel, dans un escalier circulaire, elle écrit elle aussi. Gros goulot de vin à portée de la main, mais ce n’est pas la cuite, ce n’est que l’au revoir du Venise que nous ne connaîtrons plus. Un salon plutôt champêtre, venisien ou venisois, comme dirait Rachel. Un dernier hommage à la vie de Venise, Vivaldi, et mes déchiquetages de jeans, ce n’est rien, ma maman ne me reconnaîtra plus. Je suis enseveli par les pays, cousu de membre en membre avec une sorte de fil du temps, celui des espaces recousus par les trains, vous savez, quand ces trains relient les champs verts par leurs aciers, leurs aciers, leurs pères à eux; mon père à moi il soudait, mais de là à souder des champs ça non, ce serait comme bouffer du paysage et ça ne se fait pas, je l’ai dit. »