16 janvier 2007

Salaud

…vous ne connaissez rien à l’amour, rien, et vous n’y connaîtrez rien tant et aussi longtemps que vous ne retournerez pas au souvenir, au sentiment de votre haine envers celui qui est votre semblable, dans les premiers contacts de l’étonnement fraternel, dans la baignoire familiale.

« Ce que je déteste les garçons ah, comme ils ne sont que mensonge et cruauté » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; maman faisait couler l’eau de mon bain, elle m’avait déshabillé et c’est ce matin-là que pour la première fois je me suis écrié merde qu’est-ce que j’ai là, cette chose qui me pend entre les jambes, me pend, non, dites-moi que je ne suis pas un garçon eh bien hélas oui, j’avais le sexe masculin, un sexe qui ne me servait pas à grand-chose sinon à ce truc que je n’ai pas tardé de découvrir : « quand, par un va-et-vient, je touche à ce que j’ai là entre les jambes, ça me donne de l’agréable et c’est d’autant plus agréable lorsque j’arrive à une extase à la fin, une fin super jouissante même si après, ça fait un peu mal mais, j’ai découvert le truc pour que les garçons jouissent; je deviendrai riche parce que je suis le seul à avoir découvert le truc, je vendrai ma découverte à tous les garçons du monde » mais, ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que ma découverte n’en était pas une ; tous les garçons avaient découvert le truc de se toucher eux aussi, même que le truc portait déjà le nom de masturbation, quelque chose du genre, du genre de j’étais affreusement fâché de ne pas avoir fait d’argent avec le truc que j’avais découvert.

« J’ai l’impression que les garçons sont tous contre moi et qu’ils font exprès pour que je les déteste » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; si j’avais le malheur de tomber amoureux d’une fille, les garçons s’avançaient vers moi avec des couteaux à la place des doigts et des scies mécaniques vrinn-vrinnn et je préférais abandonner la compétition, les laisser gagner dans la stupidité de leurs manières d’agir, les laisser me trancher la figure et les laisser tuer tout ce qui leur ressemblait, d’homme et de bête, parce que je savais qu’un jour, je les tuerais à mon tour.

« Les filles traitent les garçons de salauds et leur lancent des roches parce qu’elles croient, et avec raison, que les garçons sont incapables d’aimer » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; j’étais tombé amoureux d’une copine qui avait un sale caractère, et je l’avais quittée parce qu’il fallait que je devienne écrivain et parce que l’amour semblait être un hamster inutile qui grugeait mon temps d’écrivain ; elle m’a traité de salaud et s’est résolue à aller voir d’autres garçons pour finalement se rendre compte que les autres étaient encore plus salauds que moi parce qu’ils charmaient les filles dans l’unique but de les baiser, moi je ne baisais jamais (j’avais ma fausse découverte d’enfant) et je continuais dans le factice de mes mensonges en observant les amours super plates des autres, des filles qui me racontaient combien leur amour leur faisait mal : « ah, tu sais pas ce qu’il m’a fait, le salaud, il a profité de moi, et toi, peux-tu m’expliquer quelque chose, j’ai besoin de l’avis d’un garçon, absolument, parce que je n’y comprends rien ».

« Soit les garçons attaquent les jeunes filles dans les rues pour les baiser puis les abandonner, soit ils les charment pour qu’elles acceptent de se faire baiser puis de se faire abandonner » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; je faisais tout pour me déconnecter du monde des garçons parce que trop dangereux, ils attaquaient les filles et je devais me cacher dans un féminisme tout à fait contemporain, je devais devenir foutrement efféminé avec mes manteaux de fourrure, mon cutex et mon maquillage du genre de je veux une peau qui ressemble à celle des filles, douces et gentilles, s’il vous plaît, faites que je ne sois pas un salaud et je restais cloîtré entre les murs d’un sous-sol mal chauffé à tout faire pour ne pas être un salaud : « mieux vaut que je ne parle plus aux filles parce qu’il me reste assurément encore quelque chose de masculin dans la tête, des mensonges, des menteries qui feront mal aux filles que j’aime », et à répéter la phrase qui me rongeait l’esprit, à savoir : « si j’étais une fille, je crois que je m’aimerais beaucoup plus qu’aujourd’hui ».

« Je n’ai aucune pitié pour les garçons parce qu’ils ont tout inventé avant moi et qu’il ne me reste qu’à les haïr » et le malheur était que j’en étais un, tout masculin ; et le malheur était que je tombais amoureux de toutes les filles à force de les aimer en retraite, j’en venais à penser à la castration parce qu’et si j’étais dangereux moi aussi, et si je succombais à l’amour et qu’on me lapidait ?, les garçons me traitaient de lesbienne parce que j’avais le cœur d’une fille qui aime les filles et le cerveau abandonné par le garçon que j’étais ; j’étais plutôt d’accord pour qu’on me traite de lesbienne, seulement : il est étrange de s’apercevoir que les filles préfèrent les salauds aux lesbiennes.

« Je crois que, plutôt que de tomber amoureuses d’autres filles gentilles, les filles gentilles préfèrent tomber amoureuses de garçons qu’elles trouveront salauds, qu’elles lapideront, et qu’elles n’attendent que ça (de les lapider), même si elles disent que non, ainsi je crois que les filles ne sont pour la plupart que des salopes » et le malheur était que j’en étais aussi une, toute féminine ; je m’étais réfugiée dans les beautés féminines et intérieures que j’avais fabriquées et j’apercevais bien de nouvelles choses ; le malheur était que les filles avaient de fausses vérités, et les garçons de sincères mensonges : il ne restait qu’à unir les deux et à se rendre compte qu’il n’y a ni salaud, ni salope, et rien d’autre que l’amour qui est une saloperie rien que bonne à se lancer des roches.

« Certains couples d’amoureux passent leur vie à se lancer des roches chacun leur tour et à s’aimer, s’aimer, s’aimer » et le malheur était que cet amour-là ne servait à rien d’autre que de passer le temps, comme les hirondelles se cherchent et s’accouplent jusqu’à tomber du nid pour passer le temps, et plus le temps passait, plus les hirondelles s’accouplaient tandis que moi je restais seule à aimer toutes les filles et, plus le temps passait, moins j’étais de choses puis, rien qu’un salaud.

« Il y a de triste dans l’amour que les roches rendent aveugles et que les salauds y passent inaperçus » et le malheur était que j’en étais une, un salaud, mais il n’y a enfin qu’une chose de merveilleuse dans l’amour, et une seule, et c’est que je me rappelle ce matin-là où maman faisait couler l’eau de mon bain et où mon frère arrivait pour entrer lui aussi dans la baignoire, nu comme moi, avec son sexe qui pendait lui aussi, ce matin-là où je me regardais dans mon frère comme dans un miroir que je commençais à détester et, comme sur les bords du bain gisaient de jolies roches que maman avait rapportées de voyage, mon frère riait pour se moquer et me disait avec le plus géant des sourires : « lâche ton zizi, sinon je te lance les roches de maman » et je riais, riais, je riais moi aussi et enfin, pour que mon salaud de frère me lance des roches comme ça, il fallait que nous soyons capables d’aimer, et pour que nos rires retentissent autant par l’écho de la salle de bain, il fallait que nous nous aimions.

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