16 janvier 2007

Mémo de ma vie sur le frigo

Je n'endurerai jamais l'oubli. Quand la mémoire se perd, c'est la cervelle qui perd ses plumes d'oiseau, les ailes et la liberté, et meurt. Quand la cervelle oublie, c'est l'oeil qui renaît sans avis, sans demander l'accord du coeur et du vouloir. Ainsi je dois tout écrire maintenant, de ma naissance à aujourd'hui, surtout, je dois tout décrire, de peur de ne plus me souvenir. Alors voici.

J'ai pris du retard ; il est un peu tard pour écrire ma naissance, la mue et ces choses-là des anges et des bambins, mes bottines aux semelles épaisses dans la glaise du jardin, tout ça s'est déroulé sans mon consentement ainsi, sans que je puisse empêcher le temps d'étrangler le passé, tout s'est évaporé. Il reste que je peux rattraper le temps et la chute de mes cheveux alors voilà, l'asphalte mouillée de mon village et la façon dont les hirondelles s'embrassaient sur les fils ou devant moi et les bestioles au bout de mon nez. Plus facile à peindre qu'à écrire, que tu dis.

Les divans verts, puis bleus, puis pourpres, on en changeait souvent, ils ont tous rapetissé avec le temps, ou est-ce moi qui grandissais, je n'y ai jamais cru. C'est le fleuve qui m'importait, je dois l'écrire aussi, que j'y plongeais souvent la main, interroger les poissons. Je ne dois pas non plus oublier les champs de maïs non loin de là, du genre des films que j'aimais, et ma bicyclette de couleurs vives que j'avais perdue un soir en la rangeant, je suppose que j'aurais dû me douter de ce que le temps pouvait faire, le cabanon l'avait mangée ce soir-là et jamais je ne l'ai retrouvée. Le romanesque de mes histoires me restera, et mes malheurs, mais pas tant que ça, parce qu'il m'arrivait d'en inventer.

L'amour, ça, j'en avais quelques fois avant de m'endormir, mais là aussi j'en inventais juste assez, avec un oreiller, toujours le même. Quelques souvenirs de sentiments que j'ai connus avec deux ou trois filles de là-bas, du temps de mon passé, je m'en voudrais de ne pas décrire les filles aux cheveux bruns, puis blonds, puis noirs, elles en changeait souvent, et leurs yeux d'animal touchant, voilà qui est fait.

Ma mère s'était coincé le doigt dans la portière de l'auto, il avait doublé de volume, ce doigt, de l'enflure à la maison. Je devais avoir huit ans.

Puis, un drame de plus, j'avais chuté dans la neige et ça m'avait valu un séjour à l'hôpital bien mérité, où j'avais bouffé des repas froids. Le goût qu'avaient les repas reste flou, mais que veux-tu que j'y fasse, il y a longtemps de ça, et ma mémoire a pris la mauvaise habitude de toujours effacer quelques parties de souvenir pour me rendre la tâche plus difficile.

Puis, un souvenir de plus, une nuit, je m'étais levé de ma civière d'hôpital pour tourner sur moi-même en vraie girouette que j'étais, mais tout le monde dormait hélas, et personne n'a remarqué que ma santé était bonne. Je devais avoir un corset, le plâtre avait étudié mes formes tristes, et ça aussi je l'avais inventé.

Je crois avoir eu une copine qui me soutenait lors de conversations de têtes, de discussions qui faisaient taire les horloges jusqu'au matin, et nous ne dormions pas. Une partie de moi y demeure encore, en ce temps d'avec elle, mais j'arrive à y croire de moins en moins, et je crois l'avoir inventée comme tout le reste et ma mère au fond, peut-être, que je n'en ai jamais eue, puis aussi ça me revient, l'importance de l'eau d'une piscine d'un turquoise clair méditerranéen comme le ciel d'europe si j'y suis bel et bien allé, le trottoir et le ciment de mon jardin, si jardin il y a eu et, jamais il ne faudra que j'oublie les choses du coeur, le plancher de mon sous-sol où il y avait une odeur d'été froid où il faisait bon de respirer, une odeur unique mais incomparable à celle de chez le voisin de ma jeunesse que j'avais et que je n'ai jamais eu, je pourrais jurer que je ne l'oublierai jamais celui-là, seulement, ma cervelle ne parvient pas à décalquer la chronologie de mes souvenirs et tous m'apparaissent en de contours imprécis.

L'exercice, inutile de raconter, paraît-il, que la ligne est mince entre ma mémoire et mes inventions, et que le tout me paraît tantôt incomplet, tantôt de peu d'importance. Je ne me souviens plus tout à fait des raisons de ce mot, ni du pourquoi je devais coller ce mémo sur le frigo, ah si, peut-être que oui. J'avais à dire que je suis désolé d'avoir usé de ton temps avec mes histoires de passé dont on ne retient que le banal et qui font de moi le minable en toutes nostalgies interminables. Tu n'es pourtant jamais sortie de la tête que j'ai, mais je ne voulais pas que tu effaces tout de ma mémoire sous prétexte que tu y entres. C'est que, demain, si je venais à tout oublier de ma vie, je crois que je ne t'aimerais pas autant qu'aujourd'hui.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Well said.