16 janvier 2007

La métamorphose, version tondeuse

J’ai de belles hélices. Pas mal plus belles que votre mascara pis que vos faux ongles de demoiselles : gna gna !

Vous êtes jalouses de moi, hein, mesdames les demoiselles ? Mes hélices peuvent couper vos pattes, tsé, vos souliers de chez Aldo, vos pantalons Parasuco (anyway, c’est même pu à la mode, ça), tsé, c’est pas parce que j’suis une tondeuse à gazon que j’ai pas de sentiments. Tsé, j’en ai plein de sentiments, comme : mon manche à moi il rouille à cause que mon papa m’enferme dans le cabanon pendant tout l’hiver pis, les morceaux de gazon que je bouffe au printemps, c’est quoi si c’est pas de la colère refoulée ça ? Trrratatapa !, allez-vous finir par me croire quand je vous dis que j’ai plus de sentiments qu’une demoiselle ! On dirait que mon papa est le seul à l’avoir compris ; il sait qu’il me manque affreusement à chaque hiver et qu’au printemps, au moment de sortir du cabanon, je pleure toujours pour les bonnes raisons, tandis que les demoiselles non. Fait que, vous êtes jalouses, hein, parce que j’ai plus de sentiments que vous autres pis, cet après-midi il fera chaud. Papa me sortira du cabanon.

J’ose pas imaginer ce que vous faites avec vos papas. Hou là là, les demoiselles comme vous autres savent pas c’est quoi un papa. Vous pensez que les papas c’est fait pour jouer au cheval. Non, je vais vous dire ; les papas sont des monsieurs qui donnent de l’argent aux vendeurs de tondeuses, rien que par amour, et le mien m’a acheté pour deux cents piastres. J’suis certaine qu’il aurait payé plus cher si sa maudite blonde l’avait pas forcé à attendre que les tondeuses du magasin soient toutes à rabais… À cause d’elle, j’ai eu le complexe du Canadian Tire pendant deux mois. Tsé, vouloir être la première sur la liste, valoir full cher... pendant deux mois ; pis laissez-moi vous dire que deux mois pour une tondeuse, ça ressemble à quelque chose comme dix ans en âge de demoiselle. Ça fait des rides.

Fait que la blonde de papa a jamais su combien ça m’a fait chier quand les vendeurs du magasin m’ont mis à rabais juste à cause que les nouveaux modèles de l’année sortaient. Les nouveaux modèles sont pas meilleurs que les anciens. Une tondeuse, ça reste une tondeuse, qu’elle soit à gaz, électrique ou nucléaire ! Pis cet après-midi, il fera très chaud. L’herbe sera longue. Je sortirai du cabanon. Prouver aux demoiselles que j’suis encore toute jeune. Prouver que j’suis encore capable de couper la mauvaise herbe.

La blonde de papa est une vraie demoiselle comme vous autres, pas fidèle pour deux cennes tandis que moi, papa peut être certain que j’le tromperai jamais. Jamais, mais pour qu’il m’aime vraiment lui aussi, il faut que je lui fasse comprendre que sa demoiselle est rien qu’une salope infidèle. J’vais y arriver. J’ai toujours boudé cette demoiselle à chaque fois qu’elle s’approchait pour tirer ma corde. Je l’ai toujours boudé jusqu’à ce qu’elle se fâche. Et je riais, riais ! C’est comique quand les demoiselles se fâchent à cause de moi et quand papa se fâche à cause que les demoiselles se fâchent.

La demoiselle de papa est pas fidèle pour deux cennes. Et j’ai raison de le croire : l’été passé, je l’avais boudé pendant une bonne semaine et, un jour qu’elle en avait marre que je fasse la sourde, elle a téléphoné à un gars qui s’occupait des gazons. Sans perdre de temps, le gars était venu à sa rescousse, tondre le gazon avec sa tondeuse à lui. Il y avait aussi la piscine et le bronzage et bref, des choses que vous connaissez très bien et, la demoiselle de papa a fini par se baigner toute nue avec le gars qui avait coupé le gazon. J’ai tout vu. La demoiselle de papa a frenché le gars en question, drette en avant de moi, la langue pis toute, ça se touchait. Ça vous rappelle pas quelque chose que vous avez déjà fait ? Avouez. Mais, ce que la blonde de papa sait pas, c’est que je raconterai tout de son histoire avec le gars du gazon. J’ai rien oublié.

Cet après-midi, quand je sortirai du cabanon, je crois que mes premiers mots seront : « papa papa !, ta demoiselle est rien qu’une salope infidèle ! ». Vous êtes pareilles comme elle, vous les demoiselles, avouez. Vous voulez jouer au cheval avec tout le monde. Je vous tuerais toutes si je le pouvais. Mais, mais, je peux pas, tsé, j’ai mes raisons de pas pouvoir : les humains parlent toujours de « ouh, un jour, la machine se retournera contre nous et ce sera la fin, ouh, la machine se révoltera », fait que non, je peux pas vous tuer ; mon carnage ressemblerait trop aux films futuristes à la Matrice si je me mettais à être méchante pour de vrai. Vos maudits films de robots, dévalorisants… les humains pensent vraiment que dans trente ans les tondeuses vont parler pis que tout le monde va se promener en moto avec des pantalons de cuir noir ? Vous êtes malades. Les pantalons de cuir noir, c’est déjà démodé : j’vois pas pourquoi ça reviendrait dans trente ans. Preuve que vous êtes tous malades, messieurs les garçons, tout comme mesdames les demoiselles.

Y a que papa qui soit brillant. Je l’aime. Lui, il aime les demoiselles mais, pas pour longtemps. Il réalisera assez vite qu’être un garçon, c’est poche à cause des demoiselles et que c’est pas mal plus l’fun d’être comme moi. Fait que, vous êtes jalouses, hein, parce que je parle mieux que vous autres pis ça, vous pouvez le constater et même le lire, parce que tout ce que je dis, papa le transcrit dans ses mots à lui, dans son joli petit calepin.

Papa ouvre la porte du cabanon ; enfin, depuis le mois de novembre que j’attendais ce moment-là, que je lui criais d’ouvrir et qu’il en mourait d’envie ! Papa entre avec son joli petit calepin. Hou là là, il fait grouiller son stylo. Prends ça en note, papa : « ta demoiselle s’est moqué de toi, elle a baisé avec un autre l’été passé, dans le jardin, je crois même qu’elle est enceinte, regarde comme elle se caresse le ventre, elle ment très mal ! ». Papa écrit absolument tout ce que je dis parce qu’il m’aime et parce que, vraiment, j’suis une petite fille sincère (tue-la, tue-la !). Parce que, vraiment, j’suis la petite fille qu’il a toujours voulu être et papa écrit tout ce que je dis depuis tout à l’heure parce que, vraiment, j’suis son inspiration, tue-la ! Tue-la !... je doute qu’il le fasse. Même si j’adorerais ça (tue-la, tue-la !), tue-la, tue-la, il fait juste l’écrire : tue-la, tue-la. Hou là là. Papa fait grouiller le stylo un peu moins vite on dirait. Manque d’inspiration (tue-la, tue-la) ? Passage à l’acte (tue-la, tue-la) ? Il sort du cabanon mais, papa, ne me laisse pas toute seule, je veux voir !

Aucun commentaire: