27 juillet 2008

Le Moment de Vérité




Mon café bouillait à 100°C. Je serais prêt à parier que mon café bouillait dans ma tasse. Il ne faisait pas de bulles, mais si on m’avait demandé quelle était la température de mon café, j’aurais dit 100°C. Et j’aurais eu raison. Et j’aurais dit la vérité. 

Mais il n’y a personne qui demande ces choses-là au bon moment. Même si j’avais réussi à mesurer la température de mon café avec pour seul instrument ma langue, il n’y avait personne pour en témoigner. Pas même ma femme n’était témoin de mon exploit : elle était occupée à regarder dans son Atlas. Au lieu de s’intéresser à mon café qui bouillait à 100°C, elle perdait son temps à m’argumenter la géographie :

- Maryse! gueulais-je. Les Alpes, c’est en Italie! Je le sais, j’ai été à Rome! Ostine-moi pas...

- Y a un peu d’Alpes en France! disait-elle. Regarde la carte, là, tu vois ben! 

- C’est pas la France ça c’est l’Allemagne.

- C’est écrit ALPES juste là. Pis ça, c’est la France.

- C’est pas parce que le A du mot ALPES déborde sur la France que les Alpes sont en France! Niaiseuse, tu connais pas ta géo pis c’est vrai...

Nous ignorions où se trouvaient exactement les Alpes. Nous rêvions tous les deux de voir ces montagnes-là un jour, mais nous hésitions toujours à les dire en France, en Italie, en Allemagne, en Autriche... Peut-être aurions-nous réussi enfin à situer cette chaîne de montagnes si on ne nous avait pas interrompu - Maryse! disais-je encore. On sonne à la porte! Vas donc répondre! Et je lui avais dit cela parce qu’on sonna effectivement à la porte. 

J’entendis ma femme ouvrir la porte et je l’entendis saluer l’homme qui avait sonné à ma porte.

- C’est Patrice L’Écuyer! cria-t-elle.

J’entendis le rire de Patrice L’Écuyer et j’entendis le cameraman tousser silencieusement dans le creux de sa manche. Je m’interposai entre ma femme et Patrice avant que ceux-ci s’embrassassent - Ah oui! m’exclamai-je. On a été sélectionnés? 

Ma femme et moi avions été sélectionnés pour participer au Moment de Vérité, une émission animée par Patrice L’Écuyer. Le but de l’émission était simple : les participants avaient deux semaines pour se pratiquer, chez eux, à relever un défi. Le jour de l’enregistrement, sur le plateau de l’émission, lesdits participants devaient relever leur défi devant les milliers de téléspectateurs. S’ils réussissaient, ils se méritaient un prix incroyable.

Ma femme avait assis Patrice dans mon salon et c’est là qu’il nous posa une drôle de question, à savoir - Quelle température croyez-vous qu’il fait dans votre salon, présentement? 

- C’est vrai qu’y fait chaud, répondis-je aussitôt. Je peux ouvrir une fenêtre si vous voulez.

- T’es-tu malade, me dit Maryse. On gèle! Monsieur L’Écuyer doit avoir frette. Je vais monter le chauffage.

- Si tu montes le chauffage, j’ouvre la fenêtre. Maryse, je t’avertis.

- T’as tout le temps chaud. T’es pas normal. Ça doit être que t’es frustré de pas savoir les Alpes sont où...

- Quoi c’est que tu reviens avec tes Alpes? C’est pas moi qui a chaud! C’est Patrice qui a dit qu’y faisait chaud!

- Y a pas dit qu’y faisait chaud, y a demandé quelle température y fait.

- C’est ça, aussi. Quand quelqu’un a chaud, y demande quelle température y fait. Quand quelqu’un a frette, y dit juste qu’y fait frette.

- Parce que tu penses que tu connais Patrice L’Écuyer? Tu serais même pas capable de me dire c’était qui ses invités à L’Union fait la force la semaine passée...

Ma femme passait ses journées devant la télé. Ça ne m’étonna pas du tout qu’elle se souvînt des invités de toutes les émissions de Patrice L’Écuyer. Ce dernier dut nous interrompre encore une fois :

- Du calme, dit-il. Si je vous ai parlé de la température, c’est pour vous préparer à votre défi. Dans deux semaines, vous devrez savoir mesurer la température aussi précisément qu’un thermomètre. Vous devrez donc savoir en tout temps quelle température il fait... 

- C’est ça notre défi? m’étonnai-je. Savoir mesurer la température comme un thermomètre?

- Oui, dit Patrice. Vous avez deux semaines pour apprendre à reconnaître la température ambiante de n’importe quel endroit. Pratiquez-vous dans un spa, un sona, un frigidaire à bière... Dans deux semaines, ce sera le moment de vérité : vous devrez nous dire quelle est la température du lieu dans lequel on vous aura placés.

Deviner la température ambiante d’un lieu donné, à un moment donné, sans thermomètre... Tout un défi. Il ne me restait qu’une seule chose à faire : espérer que Maryse soit choisie pour relever le défi.

- Dans deux semaines, poursuivit Patrice, une seule personne d’entre vous devra relever le défi. Je ne vous dis pas tout de suite qui de vous deux sera l’élu. Vous devrez tous les deux vous pratiquer à devenir des thermomètres humains! Bonne chance!

Patrice ricana et se leva de mon divan. On eut dit qu’il voulut sortir de chez nous avant que ma femme ne lui arrachât son linge. Elle était fan de lui. La gueule grande ouverte, elle le regardait partir. Il passa la porte et on le vit embarquer dans le char de Radio-Canada. 

- Bon, dis-je. Y est parti. Viens-t’en Maryse, on va se pratiquer pour notre défi.

- J’y fais un dernier bye-bye, dit-elle, attends un peu.

- Ferme la porte... on gèle!

- Ah, tu gèles à c’t’heure? 

- Sérieusement Maryse, je pense qu’on est poches pour deviner la température. Tu penses qu’y fait combien toi dehors?... 3°C?

- Peut-être... 2°C... murmura-t-elle.

Il fallut évidemment qu’elle ne fût pas d’accord avec moi. Chaque mot que ma femme prononçait était toujours contraire à ce que j’avançais. Puisque nous ne nous entendions pas sur la température qu’il faisait dehors, nous ouvrîmes la télé et nous checkâmes la température à Météo Média : 0°C. Mais pourtant les flaques d’eau dehors ne sont pas gelées, pensai-je. Décidément, je ne comprenais rien à la façon dont les météorologues mesuraient la température. 

- Est-ce qu’on a un thermomètre dans la maison? demandai-je à ma femme.

- Je pense pas... répondit-elle. 

Elle me regarda de la tête aux pieds. Son visage s’illumina. Elle eut une brillante idée :

- J’y pense, dit-elle, y a un thermomètre dans le frigidaire... 

Plutôt que d’aller acheter un thermomètre, ma femme entreprit de vider le frigidaire pour me mettre dedans. Elle ôta toute la nourriture, toutes les grilles et me somma d’y entrer.

- Vas dans le frigidaire, me dit-elle, pis essaie de deviner combien y fait dedans.

Elle eut de la chance que je ne fusse ni trop gros ni trop grand. J’entrai dans le frigidaire sans trop de difficultés. Elle ferma la porte. La lumière dans le frigidaire s’éteignit. Tout devint noir. Je patientai quelques instants, question de me faire une bonne idée de la température qu’il y faisait, puis quand je fus certain de mon coup :

- Moi je dis qu’y fait 3°C.

Elle ouvrit la porte. Je sortis du frigidaire. Elle s’approcha du thermomètre au fond du frigidaire et me dit que la température était de 2°C. 

- J’ai presque deviné! affirmai-je avec fierté. On continue!

- Y a un thermomètre dans le congélateur à viande au sous-sol! dit-elle avec enthousiasme.

Et nous descendîmes l’escalier jusqu’au sous-sol. Ma femme me suivait derrière. Nous n’allumâmes pas de lampes. Il n’y avait que la petite lumière sur la petite porte du congélateur qui flashait. Après que ma femme eut vidé le congélateur, j’y mis le pied, puis je m’y couchai comme dans un cercueil. Elle referma la porte du congélateur et attendit ma réponse :

- Pis, demanda-t-elle, combien y fait là-dedans?

Je grelottais. Je me raidis tout le corps. Je me sentis comme un steak qu’on eut voulu congeler. J’avais peur que ma femme ne remontât à la cuisine en me laissant crever de froid. Je répondis au plus vite :

- Y fait -20°C! Chérie, -20°C!

Elle ouvrit la porte du congélateur et j’en sortis paniqué. Je fus presque heureux de la voir. Il s’en fallut de peu pour que je lui sautasse dans les bras, mais je me retins. Je n’avais pas oublié la chicane que nous avions eu au sujet des Alpes. Ça m’avait laissé rancunier. Je ne voulais pas lui démontrer ni amour, ni affection. J’agissais en enfant, oui, si on veut. Je l’avoue. Je boudais.

Ma femme alluma une lampe. Elle dégivra le thermomètre dans le congélateur et prit la température : -20°C.

- Tu l’as eu! cria-t-elle. Ah ben j’ai mon voyage...

- Je m’en viens bon, hein! Sauf que là, on a fait le frigidaire, le congélateur à viande.... Qu’est-ce qui reste d’autre?

Elle remonta l’escalier. Je la suivis. Dans la cuisine, elle s’arrêta devant le four.

- Tu veux pas que j’embarque dans le four, j’espère? demandai-je.

- Ben là, chéri, on se pratique ou on se pratique pas! Notre four est assez gros pour que t’embarques dedans. 

Elle enleva les grilles du four et j’y entrai. Je devais faire attention de ne pas mettre les pieds sur l’élément chauffant. 

- Ok, dit Maryse. Je vais mettre le four à 350°F. Quand le four va être à 350°F, y va sonner. Toi, faut que tu cries Bip! Bip! Bip! en même temps qu’y va sonner.

Le four commença à chauffer. La température atteignit les 200°F. Ma peau se mit à brûler. Je frappais dans la porte du four afin que ma femme l’ouvrît, mais elle n’en fit rien. Je criai Bip! Bip! Bip! espérant qu’elle me fît sortir de là, mais elle bloquait la porte.

- Non, tu peux pas sortir, dit-elle. Le four est pas encore à 350! Je l’ai pas entendu sonner!

- Bip! Bip! Bip! criais-je encore. Laisse-moi sortir! Bip! Bip! Bip! Je t’en supplie! Je brûle!

Ma femme attendit que le four sonnât, puis elle ouvrit enfin la porte. J’en sortis calciné. La fumée remplit la cuisine. Ma peau boursoufflée était incapable de dire s’il faisait chaud ou froid. Elle devint croûtée et, bientôt, les gales sur ma peau me rendirent insensible à la chaleur.

- C’est fini pour moi, le défi... lançai-je à ma femme avant de m’effondrer au sol.

Je ne mourus pas, mais Maryse reconnut qu’elle y était allée un peu fort. Elle voulait impressionner Patrice, disait-elle. Elle avait voulu être mon entraîneure pour que je susse mesurer les températures mieux que quiconque, mais elle m’avait fait cuire comme un jambon.

Le jour de l’enregistrement de l’émission, je me présentai tout de même sur le plateau de tournage. Nous expliquâmes à Patrice ce qui s’était passé. Je ne pouvais pas participer au défi. Bien que j’eusse obtenu de bons résultats lors de mon entraînement, c’était ma femme qui devait relever le défi. Elle se plaça devant Patrice et attendit qu’on lui montrât quelle température mesurer.

- Je suis prête, dit-elle. Emmenez-moi où vous voulez, je vais deviner la température qu’y fait. 

- Voyons d’abord ce que vous remporterez si vous relevez votre défi... dit Patrice. Vous nous avez dit que vous aimeriez voir les Alpes? Eh bien, voici ce que sera votre prix : un séjour pour deux dans les Alpes! 

- Je suis prête à brûler dans un four si y faut, Patrice! Si c’est pour aller voir les Alpes! Emmenez-le votre four!

- Il n’y a pas de four, Maryse. Concentrez-vous. Dites-moi, quelle température il fait... présentement?

- Quoi? Ici? Sur le plateau?... J’en ai aucune idée, Patrice! On s’est pratiqué dans un frigidaire, un congélateur à viande, un four... mais on a pas essayé de deviner la température « normale »...!

Maryse ne répondit rien. Elle échoua. 

- Malheureusement, dit Patrice, les températures « normales » faisaient partie des températures que vous deviez étudier... Désolé, Maryse, vous n’avez pas relevé votre défi. Vous ne gagnerai pas le voyage en Suisse...

- En Suisse? dit-elle. Mais je veux pas aller en Suisse non plus....

- Ben oui, vous venez de dire que vous vouliez voir les Alpes. Meilleure chance la prochaine...

- Les Alpes, interrompis-je, c’est beau, mais vous êtes dans le champ avec votre Suisse. Les Alpes, c’est pas en Suisse.

- Les Alpes sont en Suisse, dit-il.

- Vous connaissez pas votre géo... dis-je. Les Alpes, c’est pas en Suisse!

- C’est pas en Suisse pantoute! ajouta ma femme.

Je regardai ma femme. Elle me sourit. J’avais changé à ses yeux. J’ignore si c’était à cause de ma peau brûlée ou de mes gales noires dans ma face, mais elle me regardait autrement. Elle ne m’achala plus avec son Atlas. Pour la première fois depuis notre mariage, nous étions d’accord sur toute la ligne : les Alpes, c’est pas en Suisse.

10 juillet 2008

Ceryse (le chaos)




- JE PRÉFÈRE LE CHAOS. 

Si j’étais l’auteur de cette phrase-là, j’aurais une tête énorme. J’aurais les cheveux bruns, délavés, avec un toupet arrogant tout carré. Quand je me sentirais timide, le soir sur mon divan devant personne, je me cacherais derrière mon toupet et j’aurais de grands yeux ouverts devant la télé. De grands yeux parfois fermés devant la télé. Parfois ouverts.

Mais cette phrase-là n’est pas de moi. C’est signé Ceryse. Une fille avec une tête énorme et les cheveux bruns délavés et le toupet arrogant tout carré derrière lequel elle se cache lorsqu’elle se sent le soir sur son divan etc. avec de très grands yeux ouverts fermés. Ouverts.

Ceryse dans ma tête. J’essaie souvent de me la décrire. Mais ce n’est pas facile. Je me répète la même description chaque fois, sans cesse, c’est la même description coup sur coup aussi je mélange les mots C’est une fille avec une tête délavée arrogante que je me sens timide derrière elle devant personne la télé et le divan tout carré.

Ceryse La première fois que je l’ai vue, elle n’était qu’un prénom. Facile à décrire. Sur une page, il y avait un texte qui finissait par la phrase que j’ai citée mille fois « JE PRÉFÈRE LE CHAOS » et juste en dessous, c’était écrit Ceryse.

...
JE PRÉFÈRE LE CHAOS.
Ceryse.

À ce moment-là, je savais très bien à quoi Ceryse ressemblait. Elle ressemblait à six lettres collées ensemble. Ensemble dans une petite constellation.

Je suis tombé amoureux du prénom. Je m’imaginais que Ceryse avait de petites joues rouges et des tiges brunes sur la tête et un cerveau dur comme un noyau et je m’imaginais que si je la mangeais, la fille donnerait à mes lèvres la couleur des cerises Un rouge permanent Éclatant Extrêmement vivant Presque mauve Une couleur puissante Presque bleu Presque noir.

Mais j’ai vu Ceryse. Une fois. J’ai vu sa tête énorme et ses cheveux délavés.

***

- C’est du sarcasme!

Si ces mots étaient les miens, je serais une fille avec des cicatrices sur les bras et de très courts cheveux et le teint pâle, comme une morte, avec d’assez grandes dents et j’aurais des vêtements noirs comme mes yeux fermés, mes yeux noirs parfois ouverts.

Mais ces mots ne sont pas de moi. C’est Dominique. Une fille avec des cicatrices sur les bras parce qu’elle est borderline et de très courts cheveux et le teint pâle de grandes dents mortes j’aurais des vêtements ouverts fermés ouverts. Fermés Ouverts.

C’était Jeudi la fin des cours. Les étudiants allaient souper au restaurant sur une rue Crémazie et Dominique m’a demandé si je venais avec elle. Elle m’a dit qu’elle resterait à mes côtés tout le temps pour m’embrasser comme une amoureuse parce que je suis son homme Je n’ai pas répondu je crois qu’elle a fait comme si j’avais dit quelque chose mais - C’est du sarcasme! dit Dominique.

Les maisons se sont assombries de ciel turquoise et la chemise de Dominique s’allumait en d’étranges morceaux de lunes sur les trottoirs vers le restaurant, comme sur un voilier, et j’ai eu mal au cœur parce que je voyais des femmes sérieuses qui passaient par là dans mon intimité et ça m’a fait mal.

C’était Jeudi les étudiants se sont assis à une table dans le restaurant et j’ai voulu les suivre mais les places manquaient, mais la chaise à côté de Rachel était vide, mais la chaise a bougé et ça m’a fait tomber sur la chaise À côté de Rachel faisait froid. L’air que je grelottais 

Une Française en face de moi parlait l’étrange
La Française a demandé qui prendra la bière 
Et elle s’est tournée vers moi et elle m’a dit : 

- Tu veux une bière?

C’était peut-être que du sarcasme que je n’ai pas répondu à la bière « On va prendre un pichet alors, dit Dominique. Si lui aussi il en veut, il va nous le dire... Y en aura assez pour trois... » et la Française et Dominique ont commandé le pichet ensemble, mais j’étais un peu avec elles parce que j’avais droit le pichet Si moi aussi j’en veux, je leur dis.

La serveuse a pris les commandes des étudiants buvaient la table et Rachel m’a regardé J’ai senti qu’elle était contente de me voir Comme si elle avait gardé une place pour moi À côté d’elle a souri.

- Ça va le réchauffer de boire un peu de bière, dit Rachel. Tu vas en prendre. Il va y avoir de la bière pour toi. Tu comprends? Il y en aura assez pour vous trois. » Rachel m’a regardé avec deux petits yeux gentils qui ont cligné comme des portes ouvertes, fermées. Ouvertes.

Des gens ont mis la musique au plafond. La musique a résonné partout dans le toit et dans le restaurant comme si des pieds tapaient sur mon coeur J’essayais d’écouter ce que les gens disaient mais je trouvais, que la musique était toujours trop forte.

***

- Le pichet de bière. Boréale blonde. C’est pour vous trois?

Si c’était moi qui avais dit ces mots-là, je serais une serveuse avec un tablier noir en beau petit tissu rugueux. J’aurais un pichet dans la main droite et j’essaierais de ne rien échapper. J’aurais un crayon dans la main gauche, et le crayon gigoterait comme un vers entre mes doigts, puis je raidirais ma main et le crayon deviendrait raide comme un bâton. Mes yeux ne quitteraient jamais le bâton. Mes yeux ouverts, toujours ouverts, le bâton, mes yeux. Mes yeux ouverts.

Mais ce n’est pas moi qui aie dit ces mots-là, c’est la serveuse avec le tablier noir en etc. qu’elle fait tout pour ne rien échapper le pichet, le crayon mou comme un vers gigotait dur comme du fer entre ses doigts raidis devenus etc. mes yeux ouverts ouverts.

La Française a posé un verre près de moi - Le pichet de bière. Boréale blonde, dit la serveuse. C’est pour vous trois? » et elle a fait couler la bière dans mon verre et les bulles ont chatouillé mon palais et ça a piqué mais ça a réchauffé. C’était comme Rachel avait dit Ça va le réchauffer de boire un peu de bière.

La serveuse est restée près de la table pour demander ce que les étudiants allaient manger et Dominique a fait son choix, et Sandrine a fait son choix, et Émilie, et Guillaume, et la Française, à tour de rôle et Marie, et Gabriel, et Louis, et Rachel ont tous choisi ce qu’ils voulaient manger mais je ne voulais pas déranger.

- C’est ton tour, dit Rachel. » C’était mon tour de commander alors j’ai lu la première ligne du menu et la serveuse m’a enlevé le menu et, j’ai attendu et, elle m’a apporté un potage. J’ai presque pleuré parce que je ne voulais pas de potage mais je n’ai pas pleuré.

- Tu veux pas de potage? dit Rachel. Mais c’est ce que t’as commandé...

J’ai essayé de respirer et j’ai souffert dans la gorge.

***

- Tu peux me donner ton potage.

Si ces mots-là étaient sortis de ma bouche, j’aurais de minces cheveux blonds et un coton ouaté bleu à capuchon. J’aurais de petits doigts croches comme ceux des écrivains et des ongles rongés jusqu’à la peau aussi, j’aurais des yeux de lâches à moitié fermés, moitié ouverts. Fermés. Ouverts.

Mais c’est de la bouche de Gabriel que les mots sont sortis, un garçon aux cheveux blonds coton capuchon etc. croches des écrivains rongés à la peau aussi lâches à moitié fermés ouverts fermés. Ouverts à moitié. 

Gabriel avait faim - Tu peux me donner ton potage, dit-il » alors il a pris mon potage et la cuillère aussi, et je n’avais touché à rien et il a mangé, puis Rachel a jeté un coup d’oeil autour de nous et elle a dit « C’est calme ce soir » et la Française a répondu « JE PRÉFÈRE LE CHAOS ». 

Rachel a ri. La Française avait une tête énorme et j’ai remarqué ses cheveux délavés Son toupet arrogant tout carré! qu’elle se cachait derrière parce qu’elle était timide le soir mais il n’y avait pas de divan. Aussi il n’y avait pas de télé Aussi il n’y en avait pas non plus.

- Tu préfères le chaos, dit Rachel à la Française. Comme dans ton texte. J’ai bien aimé ton texte. Et lui aussi, il l’a aimé. Il l’a lu plusieurs fois. N’est-ce pas que tu l’aimes le texte de Ceryse? Réponds! Sois pas gêné... Tu parles pas beaucoup aujourd’hui... Excusez-le... Il a pas la langue dans sa poche d’habitude.

J’ai mis mes mains dans mes poches et je n’ai rien senti Ma langue n’était pas là et je ne sais pas où est ma langue mais elle n’est pas là.

- Bizarre, dit Ceryse, j’ai voulu lui offrir une bière et il n’a jamais répondu. Mais voilà, le pichet est là, servez-vous... Y a pas de gêne...

J’étais gêné que Rachel me posait la question de je ne voulais rien dire sur le texte de la Française qui était Ceryse Ceryse 

Un corps était tombé sur Ceryse. Une tête énorme française cheveux délavés. Le corps était tombé juste à côté de Rachel. Sur la Française. Le corps de Ceryse était tombé et je me suis dit qu’il était peut-être que mal tombé.

***

- Est-ce que vous fumez la mari?

Si j’étais celui qui a dit ça, j’aurais de longs cheveux noirs très lisses parfois attachés en une queue de cheval et des dents de cheval. Je porterais une jupe verte douce comme l’herbe dans l’ombre, une jupe que j’enlèverais pour enfiler mon pyjama mauve avec des chiens blancs dessus et je me préparerais un sandwich au jambon à neuf heures le soir et le mangerais parfois fermé, parfois ouvert. 

Mais celle qui a dit ça s’appelle Émilie, une fille aux cheveux noirs lisses parfois une queue de cheval etc. cheval qui porte une jupe verte comme l’herbe dans son pyjama avec des chiens au jambon fermé. Ouvert. Fermé.

J’ai voulu sortir de table et quitter le restaurant parce que j’étais gêné mais je ne savais pas le chemin pour retourner chez moi alors je suis resté mais j’ai serré mes mains très fort - Est-ce que vous fumez la mari? dit Émilie » Rachel m’a souri et elle a dit des mots et ensuite elle m’a chuchoté « le cannabis ». 

Émilie a dit qu’elle ne pouvait pas se passer de la drogue et tous les autres ont répondu alors il ne restait plus que moi à fixer du regard en attendant que je réponde quelque chose.

- Il en a fumé une fois, dit Rachel, mais ça l’a fait paniquer. Ça lui a fait halluciner des robots.

Ils ont ri et c’était parce qu’ils trouvaient que Rachel avait dit quelque chose de drôle, mais Rachel répétait pourtant que ce n’était pas drôle et je ne riais pas. 

Rachel a aimé que je ne rie pas
Parce qu’elle m’a souri
Rachel a aimé que je ne rie pas parce qu’elle m’a souri

Et je ne riais pas Je suis parti faire tomber ma chaise que les pas couraient sur mon coeur tambouriner jusqu’au plafond comme une drogue pas drôle Ça n’allait pas Ça n’allait pas bien J’ai couru jusqu’au dehors m’apostropher les tourbillons tournaient comme des voitures Une voiture a eu trop de lumière et je suis devenu aveugle parce que j’ai fermé les yeux J’ai dû fermer les yeux fermés. Fermer. Fermer.

Ceryse était tombée dans le corps de la Française que ça m’a rendu paniqué comme dans l’époque des drogues Je ne fume pas le cannabis et je n’aime pas Ceryse de lui avoir vu le visage arracher les murs et les fenêtres avec l’horizon s’éclater Une autre voiture m’a étourdi et je suis tombé sur mon corps et je me suis dit que j’étais peut-être que mal tombé.

***

- Viens. On va parler.

Si ces mots-là étaient de moi, j’aurais les mains tendres comme la guimauve. J’aurais des cheveux gaufrés de blonds. Ma tête ferait un cercle avec les constellations et je regarderais les étoiles me dessiner la paix et je ne voudrais plus fermer les yeux. Mes yeux resteraient ouverts. Toute la nuit. Ouverts.

Mais ces mots-là viennent de Rachel. Une fille aux mains tendres comme la guimauve etc. de gaufres que la tête avec les étoiles dessinent la paix que ses yeux restent ouverts toute la nuit, ouverts Ouverts.

Rachel s’est penchée au-dessus de moi les yeux ouverts et les chats et J’ai reconnu Rachel. Les voitures ont ralenti presque stationnées et j’ai vu que je ne respirais plus J’ai vu que je mourais Mais je ne suis pas mort Aussi je ne suis pas mort du tout Je ne suis pas mort du tout parce que j’écris.

Les lumières du soir sont tombées sur les lampadaires et J’ai entendu - Viens William, dit Rachel. On va parler. » des mots qui tapaient du pied dans mon plafond J’ai respiré et Rachel m’a pris par la main jusqu’au petit parc et les morceaux de lunes se sont rassemblés autour d’elle.

Il n’y avait plus de bruit que le bruit de sa voix douce et calme - Pourquoi tu parles pas? » Elle m’a demandé pourquoi je ne parlais pas mais je lui ai souri Ces mots-là ont été les miens

- Je préfère le calme.




8 juillet 2008

L'obèse dans l'avion


Et si, pour perdre du poids, il ne fallait pas tant «courir», mais plutôt «parcourir une distance»?