17 janvier 2007

La ballade trompeuse des Cendrés

Grosse soirée. De la bière. Le rock’n’roll me rend visite, le salaud; il est super bien habillé, genre gentleman, pour une fois. Une seconde, je pense que le rock’n’roll est « mieux que moi, je lui foutrais un coup de manche de guitare électrique dans ses beaux habits, mais, pas le temps : mon pierluc a soif… moi aussi, je vais prendre une bière moi aussi ».

Le rock’n’roll vient déglingué, d’habitude. Là, ça doit être une occasion spéciale. J’ai pas le temps de demander à pierluc quelle genre d’occasion c’est : il est occupé à danser avec ses cheveux. Ça sent le vent qui tourne. Ça vire en drame. Les cris de la foule dans le salon style années cinquante, les bouteilles de coke vides. Le rouge et le noir sur les murs. J’étais sûr, pourtant, que les murs étaient beiges.

Ça vire en ballade. Leonard Cohen. C’est sa faute. On se met à sacrer après le chanteur parce qu’il nous hypnotise avec sa morphine de voix. Jamais là au bon moment, lui. D’habitude, on l’aime, ce chanteur-là.

Tout le monde voit un oiseau passé par la fenêtre de l’appartement. On se met à sacrer après l’oiseau parce que c'est un rossignol. D’habitude, on les aime, les rossignols, mais là : « change-moi ça, tu vas tuer l’image qu’on essaie de se donner, là, avec nos jeans pis nos bracelets ».

Je patine super vite. Tout le monde remarque que j’ai pas de patins. Ça me gêne. Je me cache derrière la musique de The Strokes. J’empêche les murs de fondre jusqu’au plancher. Faudrait pas. J’ai pas envie de marcher sur un plancher collant demain matin. Les pieds pleins de sucre. Si vous renversez quelque chose, buvez-le. Avec une paille. La poussière avec.

***

Le lendemain, j’aurais besoin d’une échelle pour descendre du lit. Il doit y avoir un fond de bouteille de bière qui s’est pas évaporé pendant la nuit parce que j’ai le corps décédé. J’ai encore un peu l’ivresse de la veille.

Cernes de café sur la table de la cuisine. Je m’organise pour que les cernes de café dessinent un autoportrait original. J’avais raison. Mes murs sont beiges.

Je finis mon jeu de cernes. Devant le miroir, j’ai des cernes en dessous des yeux. Je ris. Je pense à une antithèse : cernes du café qui me speed… cernes de ma fatigue… Je suis crampé raide.

J’écris un courriel à une revue littéraire. Je fais mon « pas charmant du tout ». Ça va comme suit : « Messieurs les décideurs de ce qui vaut la peine ou pas, messieurs, vous devriez vous compter chanceux; vous me faites penser à mon père avec vos airs distanciateurs (ouais, là, j’ai inventé un mot sans faire exprès) et froids comme le frigo de chez moi mais, bon, c’est personnel tout ça, la raison de mon courriel est que faites donc en sorte que je sois publié dans votre Poubelle parce que j'ai du génie ». Les représentants de la Poubelle ne répondent pas. Je pleure de grosses larmes humiliantes pendant trois jours.

***

Trois jours après, je reçois une réponse de la Poubelle en question. Ça dit que mon absurdité leur plait. Même qu’ils aiment mon extraordinaire absurdité. Étant donné que j’ai rarement vu pire insulte que celle-là, je leur réponds que c’est pas absurde du tout et que je m’en fiche pas mal que les Poubelles me publient ou pas, au fond, c’est nuisible, au fond, plus qu’autre chose.

À moitié mort, je leur écris que « allez vous faire foutre, têtes de réverbères vandalisés! Qu’est-ce que vous faites de mes intentions? Ce que vous êtes incroyables! En tout cas! Vous avez tous des têtes de flocons mouillés! Je vous plains! ». Mes insultes leur paraissent enfantines. Ils rient de moi.

Je dessine sur une feuille blanche un personnage très maigre, traits noirs, avec un couteau rouge dans la gorge. Juste au-dessus, j’écris « maman ».

Les éditeurs de la Poubelle veulent me mettre dans leur dossier réservé aux textes absurdes. Je sacre. J’appelle maman. Je sacre. D’habitude, j’aime ça l’absurde, Ionesco et les autres, c’est marrant d’habitude, mais là, je sais pas ce que j’ai : je suis fâché comme c’est pas possible.

***

Le lendemain, je me ressaisis. J’arrête d’harceler la Poubelle en question (que je ne nommerai pas (des plans pour que vous leur écriviez « s’il vous plaît publiez-moi »)). J'arrête de la supplier pour qu’elle me qualifie de non absurde. J’arrête. Ça cesse, et déjà les bons côtés de la cessation se font sentir, tsé, déjà mon cendrier de verre crasseux a l’air « plus beau » depuis que les Poubelles sont disparues du décor.

Je me tiens mieux. Je fume une cigarette. Dans mon cendrier de verre.

cadavres des volutes autrefois blanchies dans les airs,
cadavres enfouis, cachés sous le verre,
dans les pourtours de mon cendrier de verre,

la brume s’est enlisée, non, incrustée dessous,
on croit à ma langue sale, sale,
sale! tout autant qu’à celles de mes sœurs!

débris de mes empoisonnements volontaires,
débris de la transparence de mon père,
(transparence, comme celle des fantômes)
dans les restes de mon cendrier de verre,

les croûtes se sont entassées, non, agglomérées en cercle,
on croirait à des soudures collantes,
(ah, vous savez pas, la soudure c’est collant, pour vrai, la tige qu’on utilise pour souder, ça colle quand on la laisse trop longtemps, en tout cas… mon père était soudeur)
collantes! autour de mes doigts prochains!
(mes enfants, non? Vous saisissez pas? C’est dur, je sais… trop?)

cendres de mes entrailles, non, pas de mes entrailles,
de ma gorge éraflée,
non, pas éraflée, usée, non, non, ça va pas,
ça va pas
du tout,
c’est mauvais, c’est pas du tout ça, attendez, ça vient :

cendres qui m’enterrent et non le contraire,
cendres du temps qui se perd,
dans les cercles de mon cendrier de verre,
(je répète… c’est trop, non? Ça rime trop)

non, du temps qui meurt,
le temps ne se perd pas, il meurt,
enfin on s’en fout, il passe, merde, admettons :

aspiration sans inspiration haha non ça c’est moche,
dernière bouffée,
(oui, la bouffée de Baudelaire enfin vous connaissez pas)

bouffée en chambre pour le pauvre pitoyable que je suis!
et que je fume!
(là je dis le pronom « je », c’est comme nouveau dans le texte… vous êtes sensés applaudir… mais vous avez pas saisi, je suppose, c’est comme un inside entre moi et moi)

et la finale :

par le ventre de ma mère,
fœtus que je suis!

(tsé? Non mais, c’est qu’au fond le narrateur était dans le ventre de sa mère, et c’est elle qui fumait. Il fumait par l’entremise d’elle! C’est pas assez punché par exemple… En plus, ça fait contemporain tiré par les cheveux, du genre des vieilles histoires renouvelées avec la mode de la cigarette…)

et la finale :
(finale numéro deux, parce que j’ai eu une autre idée)

sur le comptoir de la cuisine,
ce cendrier à côté des couteaux de la cuisine,
parce que mon amour a la forme d’un couteau super tranchant, si je l’abandonne dans un coin du comptoir, vas savoir quelle gaffe tu pourrais faire avec!

(non, non ça va pas du tout c’est pas ça, ok, c’est trop tard de toute façon, j’avais juste envie de pluguer cette phrase-là parce que j’y avais pensé toute la nuit et que je la trouvais bonne… l’affaire du couteau)

Ouais je sais. Je sais qu’ils préfèrent mes histoires enfantines et crues comme du poisson cru, je sais qu’ils les trouvent drôles, mais c’était simplement pour dire que depuis, depuis que les Poubelles sont sorties du décor, tout va pour le mieux. Il n'y a plus personne pour rire de ce que j'écris, plus personne pour me traiter d'absurde.

J'appelle pierluc : « J’ai les idées en place. Les choses banales me semblent belles, pierluc, comme avant, au fond, j’ai fini de m’égarer. J’étais pas si loin que ça. Pas si perdu que ça ». Il me répond qu'il est occupé à danser avec ses cheveux sur Leonard Cohen. Je comprends rien : « Je croyais qu'on aimait pas Leonard Cohen à cause de son look? ». Il me répond qu'à la fête de l'autre soir on blaguait et qu'au fond il y avait rien de vrai dans ce qu'on disait.

Je me rappelle la fête. Pierluc m'avait dit qu'il aimait pas mes textes parce que j'étais pas son genre. Les murs se recollent. J’appelle maman : « Ton fils va mieux, maman, je vais mieux, et mes histoires de suicide, t’inquiète pas avec ça : c’était pas vrai, je blaguais, comme d’habitude. C’était pour te faire peur. Tu sais, comme d’habitude, ce que je dis est absurde. Et y a pas beaucoup de vérité dans les absurdités ».

Là, je crois que je suis prêt pour écrire un nouveau truc, du genre génial, et je l’enverrai à toutes les Poubelles de montréal et cette fois, peut-être, je serai publié.

Si je suis pas publié, je pleure pas. Promis.

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