17 septembre 2011

Lettre à maman no. 5

Écrire ta mort, écrire que tu es morte, merde, c’est comme demander à un aveugle d’écrire une thèse sur la lumière. Tout ce que je connais de la mort, moi, c’est le tombeau et les sandwiches qui viennent avec, et le vin qui vient après, quand je me soûle pour oublier ta mort qui s’est passée trop vite, comme les pétales des pissenlits qui changent subitement leur jaune éclatant en une sorte de touffe de poils blancs qu’on souffle dessus je ne sais pas pourquoi.



Je n’ai pas vu les heures entre ta vie et ta mort. Je n’ai rien vu, ou alors j’ai tout oublié, mais il me semble que rien a existé entre le jaune de tes lèvres et le blanc de tes cheveux qu’on a soufflé dessus au cimetière. Tout s’est éparpillé sur l’herbe que j’ai poussé sur ma tête, mot après mot. J’ai eu beau écrire, jamais les pissenlits que j’ai inventé n'ont ramené celui que tu étais, le vrai jaune, celui-là avec la vraie couleur sur la vraie herbe.



La mort t’a arrachée à la terre alors que je n’étais encore qu’un chien à peine capable d’écrire un mot au fond d’une cage. Et même si aujourd’hui j’écrivais tous les mots du monde au fond de cette satan de cage, jamais tu ne reviendras les lire. Tu es morte, yeux morts, jambes mortes, et même si tu te désenterrerais vivante, tu marcherais aussi croche qu’avant.



Si un jour tu revenais à la vie, tu prendrais de longues marches sur les ponts afin de t’y jeter et mourir encore. Alors je marcherais à tes côtés, prétextant que nous allons prendre un verre, un verre de ce que tu voudras, dans le bar que tu veux, vodka ou porto, rhum n’importe quoi, tant que tu restes là et que tu ne pousses pas ton bassin en dehors des trottoirs pour danser sur les voitures.



Nous irions au bar le plus proche et tu me raconterais à quoi ressemble la mort. Tu dirais que tu aimerais retourner à cet état de néant où le mal ne faisait plus mal. Moi je te répéterais que tu es revenue à la vie et qu’il vaut mieux boire le bar. Tu deviendrais soûle très vite, comme avant, et je te parlerais très vite sans peser les mots qui pourtant pèsent lourds.



Je te dirais qu’après ton suicide, papa est mort, et ça a créé toute une chaîne de morts, les uns à la suite des autres, une sorte d’aura de morbidité autour de moi; ma vie est plus près de la mort que de la vie, je pense, qu’à force d’écrire moi aussi je finirai par entendre le bourdonnement de la fin et je me tuerai, moi aussi, et je te tuerai toi aussi, et nous retournerons là d’où tu viens, dans le néant où le mal ne fait plus mal, et je me logerai mort dans ton ventre mort jusqu’à ce que tu décides d’accoucher de moi. Et alors je pourrai dire que ma naissance et ma mort s’équivalent.

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