3 septembre 2011

La réminiscence des chiffres

Ça fait du bien d’entendre parler de chiffres. Quand j’allume la télé, ça fait du bien de voir tous ces chiffres à l’écran. On a 14 degrés ce matin, gros soleil. En après-midi, on prévoit un orage. Si vous restez sous la pluie, la température ressentie devrait tomber à 4 degrés sous zéro. Mais si vous restez chez vous, il fera la température que vous aurez décidé qu’il fera.



Aux États-Unis, il fait de 15 à 25. C’est le temps de voyager. 1 000 000 US équivaut à 1 000 246 CA. La bourse a annoncé une baisse de 0,09% pour la confrérie tabac je ne sais pas quoi et puis, 8 morts, 90 blessés. Le toit du bar a explosé. On enquête toujours sur la mort des 8 individus qui se trouvaient sur le toit à 36 heures 22, 54 secondes, de l’an 11, moins le quart.



J’adore les chiffres. Quand je lis un livre, je ne regarde pas les mots. Ce qui m’intéresse, c’est le chiffre en bas à droite. Je saute vite par-dessus les mots pour voir si après la page 8 viendra la 9. À mon avis, tous les livres se ressemblent. Je n’en ai vu aucun encore qui ait inventé de nouveaux chiffres. Tous se suivent, comme d’habitude, et c’est pareil pour les mots conjugués tous pareils qu’à leur habitude. Il n’y a pas de surprise. Je pense que si on aime être surpris, vraiment, il faut se tenir loin des livres.



Il vaut mieux observer la migration des oiseaux qui parfois sont 15, 24, 31 dans le ciel. Ils n’ont pas de suite logique. Ils se regroupent en un paquet et c’est assez fréquent de voir, parmi tous ceux qui ont décidé de migrer, l’un d’eux décider d’abandonner la migration. Leur 29 tombe alors à 28. C’est étonnant, la capacité qu’ils ont de faire reculer les chiffres. Rien à voir avec les pages qui elles se suivent en montant.



Il existe des merveilles que jamais les mots ne pourront égaler. À l’époque où j’étais encore avec Françoise, je n’en avais que pour les mots. Elle disait qu’elle m’aimait. Je lui répondais ce qu’elle voulait entendre. Mais dès que je lui demandais combien elle m’aimait, elle n’avait plus de mots. Avec elle, il n’y avait jamais de chiffres. Je pense que c’est elle qui m’avait coupé des chiffres, carrément.



Quand elle m’a quitté, elle a laissé l’appartement complètement vide. Elle a tout pris, même sa calculatrice. Je l’ai aidé à transporter ses boîtes jusqu’à sa voiture. J’ai fait une série de gestes qui, je pense, prouve que je suis quelqu’un de généreux. Puis je suis retourné chez moi pour m’asseoir par terre, dans le salon.



Je me suis rendu compte que je n’avais plus rien. Pas même une calculatrice. J’ai beaucoup pleuré cette fois-là. Mais ce matin, je m’en suis acheté une nouvelle. Une calculatrice. Et ce soir je réalise que c’est une bonne chose que nous ne soyons plus ensemble. Nous étions 3. Elle, moi et le chien. Dorénavant nous serons deux, moi et le chien. Elle a fait reculer les chiffres. Comme les oiseaux. Elle a abandonné notre migration. Elle s’en est trouvé une autre. Elle ne reviendra plus jamais.



Ce soir enfin je repense aux chiffres que j’avais mis de côté : je me rappelle lui avoir emprunté 200$ la semaine dernière; et encore je lui dois 1500$ pour le frigo que j’ai dans ma cuisine; et 2500$ pour le sous-sol qu’elle a fait rénover, et 300$ pour le chien qu’elle a payé. Piki. Il s’appelle Piki.



- Hé, Piki! Ça fait du bien d’entendre parler de chiffres...

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