17 septembre 2011

HOT-DOG

Je ne sais plus où j’ai lu cette recette, dans un menu peut-être, ou dans le livre que je lisais l’autre midi, au restaurant, en même temps que je lisais le menu. Il y avait, en tout cas, dans ce livre ou dans ce menu, le mot hot-dog. Ça m’a paru anglais, ça m’a paru trait d’union, chaud et chien, enfin, j’ai demandé à la serveuse un dictionnaire anglais-français afin de ne pas me méprendre quant à la nourriture que j’allais payer. Elle m’a apporté un dictionnaire de 1971 avec des taches de sauce de je ne sais quel type de pizza, je dirais toute garnie, si bien que je ne pourrais vous dire qui sont les auteurs de ce dictionnaire.



J’ai mis beaucoup de temps à chercher le mot hot-dog dans ce dictionnaire. J’ai d’abord cherché dans la section des noms composés, mais cette section n’existait pas dans ce foutu dictionnaire, alors je me suis rabattu sur la lettre G, avant d’aboutir sur le H (qui fort heureusement existait en 1971) où le mot hot-dog se trouvait, oui, trait d’union suivi d’une traduction :

- Chien chaud et pain auquel les gens normaux ajoutent du Ketchup, et ceux pas normaux de la relish, et ceux encore moins normaux du chou. (Dictionnaire plein de sauce, 1971).



À en juger par les photos qu’ils avaient mis sur la quatrième couverture, ceux qui avaient rédigé ce dictionnaire étaient de grands barbus assez spéciaux qui, probablement, mangeaient leur hot-dog avec du chou. À la fin de chaque définition, ils avaient inscrit la date entre parenthèses, comme pour dire excusez-nous, nous sommes en 1971, l’enjeu de notre société n’a pas été celui du vocabulaire mais de la drogue et de tout ce qui vient avec, le sexe et tout ce avec quoi vous pourriez jouer si vous arrêtiez de jouer avec les mots.



J’ai redonné le dictionnaire à la serveuse, et mon menu et mon livre aussi. Mon livre était un roman d’Azimov je pense, rien d’extraordinaire, tout comme son menu qui tombait dans la bêtise tout autant que le dictionnaire. Enfin, je n’ai rien voulu commander. Franchement, j’étais offusqué par la façon dont ces barbus du dictionnaire m’avaient abordé. Vous aussi, vous auriez été offusqués au point de donner à une inconnue un roman d’Azimov. Si un barbu de 1971 vous attaquait en disant que les gens de 2011 sont tous de gros dépressifs du futur. Vous seriez fous de rage, avouez.



Quoi qu’il en soit, j’avais la recette du hot-dog et je me suis dit que j’étais capable, seul, de me faire chauffer un chien dans une tranche de pain. Je n’avais pas besoin d’une serveuse aux souliers roses dont les pantalons éléphants me rappelaient trop les années que je déteste.



Je suis rentré chez moi. J’avais un chien. Ça tombe bien. Il mesurait presque exactement deux fois la taille d’un pain baguette. Il me fallait pour mon hot-dog un pain baguette deux fois plus grand, et c’est pour cette raison que je suis allé voir la boulangère au coin de ma rue. Bourbine elle s’appelle. Elle est grosse comme toutes les boulangères. Elle a un tablier vert auquel elle a ajouté quelques dentelles en forme de chameaux. Elle est spéciale comme ça. Le désert et le sable. Les chameaux et les bosses. Ça ressemble aux biscuits. Chaque fois que je la vois, je suis sûr qu’elle est du genre à mettre de la relish partout, et du chou.



J’ai demandé à Bourbine qu’elle me fasse un pain de la taille de mon chien. Elle m’a dit bonjour. Je ne lui ai pas répondu. Je voulais économiser du temps parce qu’elle met beaucoup de temps à servir ses clients. Il lui manque une jambe à ma boulangère. C’est très long quand elle marche dans la farine.



Bourbine m’a fait mon pain. Elle me l’a emballé dans des draps tachés de sang, les draps où dormait autrefois son enfant qu’elle a perdu un soir d’octobre, elle ne sait pas trop où, après qu’elle lui ait passé le couteau à pain sur le front. J’ai payé mon pain. Trente-cinq sous vingt-deux. C’était son prix à elle. Il aurait fallu que je divise un sou en plusieurs morceaux, mais je n’ai pas été capable. Je lui ai rendu trente-six sous et je lui ai dit de garder la monnaie.



Elle est comme ça. Ma boulangère.



Je suis rentré chez moi avec un pain baguette de la taille idéale pour mon chien. Ridiculominet. C’est le nom de mon chien. J’aurais aimé avoir un chat à la place, mais grand-maman était allergique aux chats. Je n’ai jamais vu grand-maman. Je n’ai jamais vu de chats non plus. J’aurais aimé les voir tous les deux, sur le fauteuil du salon, grand-maman et le miaou du chat. Mais grand-maman est morte et le miaou n’est jamais arrivé. Alors je me suis acheté un chien.



J’ai fait bouillir Ridiculominet dans une marmite que j’utilisais souvent, à une certaine époque, pour faire bouillir des homards; à une époque où j’avais de l’argent pour manger des homards avec une fille à qui je disais souvent que je faisais bouillir des homards alors que c’était faux. Je lui faisais des truites bouillies. Elle adorait que je les fasses bouillir avec la tête. Elle était comme ça. Elle grignotait les yeux avec ses petites dents de lapin.



Je n’ai jamais eu de lapin. J’avais un chien et je l’ai fait bouillir. Il est devenu tout rose. Sa gueule a figé dans la souffrance, c’était joli à voir, tous ses crocs dirigés contre l’air alors que je m’apprêtais à le manger. Avec un couteau, j’ai retiré ses dents. J’ai gratté son palais jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien de dur. J’ai pensé à des mots, que j’aurais pu chercher dans le dictionnaire, mais je n’avais pas de dictionnaire chez moi. J’ai pensé me raser le visage et écrire un dictionnaire. Mais j’avais trop faim pour penser aux mots.



J’ai coupé le pain sur la longueur. J’ai sorti mon chien de la marmite et l’ai mis dedans. J’ai ajouté du Ketchup. J’ai croqué le pain et la cuisse de mon chien. Ça a coulé un peu de sang et j’ai ajouté la relish et le chou que j’avais acheté chez l’épicier.



Mon épicier est un homme avec une cravate. Il me parle comme à quelqu’un qui achète un chou. Il ne se doute pas qu’après lui avoir parlé, je passe à l’animalerie. J’achète des chiens et je les mange chauds dans du pain.



Si j’avais à rédiger un dictionnaire, en 2011, je dirais que le hot-dog crée une dépendance. Il fait grossir, c'est vrai. Il fait acheter de la relish, du chou, mais le plus grave dans tout ça, c'est qu'il fait acheter des chiens.

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