26 septembre 2011

Le mauve

Je ne sais pas si c’est clair quand je parle, dîtes-le-moi si non, quand je dis qu’il y a du mauve. Ce n’est pas le genre de mauve bleu. C’est le genre de mauve noire. Le lilas. La lavande. Le noir qui se retrouve parfois dans le mauve après les incendies. La suie. Ça n’a rien de clair.

Je n’ai ni couleur ni pinceau pour vous expliquer. La vie ce que c’est, c’est un mot et puis un autre, parfois le même mot à la suite de le même mot, et puis ça tombe et retombe dans constamment comme un adverbe mal placé les mêmes troubles, dépendances et autres synonymes que vous savez écrire mieux que moi.

Les mots sont trop peu pour écrire. Il faudrait en inventer d’autres pour recréer l’exact moment que j’ai eu ce jour-là où le ciel était mauve. Ce n’était pas un jour. C’était nulle part. C’était ma tête où tout était mauve, comme toutes ces choses qui ne sont pas mauves. Rien n’était mauve, mais tout l’était, parce que je n’avais pas d’autres mots que celui-là mauve qui me traversait la tête. Il me criait de lui inventer un frère mais je n’en trouvais pas.
- Bleu? que je lui ai proposé.
- Bleu n’est pas mon frère.

C’était un ciel. Ce n’était pas un ciel. C’était un nuage sur un nuage, sur un nuage, sur un nuage, et le soleil très brillant mais pas brillant du tout parce que derrière un nuage sous un nuage nous un nuage, sous un nuage. Il n’y avait pas de soleil mais il y en avait un. Et puis il y en avait autant qu’il y avait d’étoiles dans l’univers, mais il n’y avait pas d’étoiles.

J’en ai marre de parler du ciel. J’en ai marre du mauve inexplicable. J’aimerais parler d’autre chose de plus clair. Mais je ne peux pas. Du moment qu’on commence à parler d’une chose, absolument il faut finir ce qu’on a commencé, placé les adverbes comme il se faut et ne jamais ajouter de pronoms là où il ne faut pas.

Même si j’inventais un homme dans la quarantaine, même si je lui inventais une vie, une maison, des cheveux et une copine, il perdrait ses cheveux du moment que je lui mettrais une tuque sur la tête, et perdrait sa maison dès que j’y mettrais le feu, et sa copine, il la perdrait de toute façon. Tout tombe à néant. Ça ne sert à rien. Ce que je veux, c’est décrire un ciel mauve qui n’est pas mauve. C’est un ciel que je ne pourrais décrire exactement qu’à la condition de pouvoir le décrire sans mots. Le ciel était. Ne cherchez pas. Il n’était pas blanc.

De la même façon, pour que mon homme dans la quarantaine puisse garder ses cheveux, je n’ai qu’à taire la possibilité qu’il ait porté une tuque. Et pour qu’il soit âgé de l’âge que je veux (qui n’est ni quarante ni quarante et demie), je n’ai qu’à taire la quarantaine. Cet homme est. Un point c’est tout. Voilà. Il est comme je le vois. Et si je veux qu’il soit mort, je n’ai qu’à dire cet homme.

Dès que le verbe être disparaîtra, vous comprendrez que l’homme est mort.

1. Quand je dirai que le ciel était, vous comprendrez que je parle du ciel vivant.
2. Quand je dirai que le ciel, vous comprendrez de quel mauve exactement je voulais parler.

Le ciel. Le ciel. Le même mot suivit de le même mot. Dès que je dis « je tue » je tue. Inutile d’écrire. Les mots s’expliquent mieux dans le silence que dans l’explication. L’imagination est la grande reine de toutes nos pleures. Votre imagination est. La mienne l’est aussi. Les mots ne sont porteurs de rien. Tout comme l’intelligence n’est rien vis-à-vis du silence. Le silence domine absolument tout, absolument. Il est roi dans sa terre de bêtise.

Et l’intelligence, l’intelligence...

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