3 septembre 2011

Le chumain expérimental

Je remaniais les fluctufs dans les éprouvettes du laboratoire X à la recette d’une potion, à savoir quoi qu’il fallait inventer, élixir de mort ou d’amour; je versais fluc sur fluc, les éprouvettes les unes dans les autres en y ajoutant parci et monie du laurier, des drogues comme Ritalin, Prozac, et virus et maladies comme feuilles de fleurs. Une fois mes formules écrites, je les donnais à boire à un chien qu’une famille m’avait vendu parce soit disant il vomissait toujours sur leur tapis. J’avais accepté d’acheter ce chien parce que je m’étais dit, à l’époque, qu’il ferait un parfait chien expérimental qui boirait tous mes essais afin que j’en note les effets, puis qui les vomirait afin qu’aussitôt je puisse lui en administrer d’autres.



Un soir d’avril ou juin, enfin, mon carnet n’est pas clair sur la date que le chien a bu sans vomir l’éprouvette no. 3502 ou 3504 que je lui avais versée sur la langue et qu’après l’avoir bue, il est devenu complètement amoureux de moi. Il tapait ses oreilles sur les murs qu’on aurait dit qu’il allait tout défoncer, et s’ébrouait sur moi jusqu’à je pense qu’il m’a griffé la fesse, la gorge, l’omoplate et partout là où un chien peut vouloir s’accrocher à un humain pour lui démontrer de l’affection violente.



J’ai dû me retourner contre lui, le traitant de sale cabot, je le menaçais d’une fiole qui s’était cassée sur le sol et sale cabot, je disais, ne t’aventure pas de t’avancer encore au niveau de ma fesse, de mes hanches, sinon ça sera le coup de fiole sur ta gueule. Il était si amoureux de moi que, je vous jure, il galopait cheval, courait guépard, gambadait gazelle rayures zèbres comme tigres et devenait absolument tout animal et tout volubile pour moi. Il m’appelait son chumain, créature divine d’entre le chien et l’animal, comme si dans sa tête s’était créé le symbole égyptien de mon corps humain surmonté d’une tête de chien qu’il s’était inventée.



J’ai dû le tuer de mon coup de fiole, oui, et je dois toutes mes condoléances pour la famille de cet animal grâce à qui, tout de même, j’ai pu inscrire dans le temple de la science la recette exacte de l’élixir de l’amour, cet élixir que j’avais créé et qui avait fait de ce chien un amoureux de moi.



Le lendemain de ce malencontreux meurtre, j’ai reçu la visite de chercheurs qui, au nom de l’état, ont étudié les lieux de mon assassinat. Ils m’ont demandé enfin quelle était la recette de cet élixir qui avait causé troubles chez l’animal comme chez le chumain. Et j’ai dit laurier, j’ai dit orge, j’ai dit autre chose aussi mais ce salaud de scientifique n’avait qu’une question dans la bouche :

- Bon, alors, l’élixir que vous avez inventé, c’en est un d’amour ou de mort?

- D’amour! que je lui ai répondu.

- Je vois la carcasse d’un chien. Je vois son sang sur vos vêtements. Mais l’amour je ne le vois pas. Je pense que c’est un beau poison que vous nous avez inventé là.



Je me suis énervé, et défendu encore, fiole à la main, je répétais que non, vous ne comprenez pas, c’est comme la mort est venue avec l’amour et vous n’avez rien vu de la furie d’amour de ce chien sur moi avant qu’il meure, griffes sur mes parties intimes et sur tout ce que j’avais qui ressemblait de près ou de loin à une éprouvette!



Les chercheurs n’ont pas voulu m’entendre. Ils ont fermé mon laboratoire, au nom de la science disent-ils, que maintenant ils m’empêcheront d’y retourner ne serait-ce que pour mettre du jus d’orange dans un pamplemousse. Je n’ai plus accès au laboratoire que j’avais moi-même instigué il y a dix ans, et si j’ai le malheur d’y remettre les pieds, je sais qu’ils m’accueilleront avec menottes et gilets par balles.



C’est pour cette raison que j’ai décidé de travailler chez moi. Ça ils me laissent faire. Ils me laissent même acheter le journal au kiosque près de chez moi. Je fouille là-dedans les annonces qu’il y a cette dame de soixante ans qui aimerait se débarrasser de son chien parce qu’après la mort de son mari, elle est devenue trop veuve pour nourrir son cobaye à poils. Il y a ma voisine, aussi, qui m’a proposé de garder son instrument vivant pendant les vacances. Il existe encore beaucoup de gens qui ne se soucient pas de qui je suis.



Je ne perds pas espoir de me refaire une réputation dans le monde scientifique, pour peu que je conserve la formule de l’élixir bien cachée ici, dans mon carnet, ici dans mon appartement il ne me manque que le chien pour qu’enfin je puisse prouver que n’importe qui, n’importe quoi, peut me demander en mariage et qu’ainsi je devienne riche d’avoir apporté à la science et à l’amour un avancement techno-sentimental.



Dans le pire des cas, si la voisine et les vieilles dames ne suffisent pas, j’irai à l’animalerie. J’irai là-bas me dénicher un bébé chien que j’éduquerai comme un fils et, quand il aura l’âge d’être amoureusement actif, je lui ferai bouillir mon potage d’élixir. Je ne lui en dirai rien. Un midi, je me vêtirai de ma combinaison spatiale et je serai prêt à subir son amour violent de griffes. Je me ferai prendre de la façon que mon fils voudra me prendre et, dans toute cette bataille scientifique, si c’est moi qui meure le premier, j’aurai au moins prouvé que mon élixir existe et qu’il n’y a pas d’amour sans mort.

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