17 septembre 2011

Les mamans noires

Maman était noire, sinistre, comme d’habitude, yeux fermés et linges à vaisselle hissés hauts et clairs comme les drapeaux d’un pays d’où elle prétendait venir mais dont personne ne se souvenait. La Cage, qu’elle disait, c’est mon pays. Papa disait que la cage, c’était lui qui l’avait fabriquée. Moi je disais que c'était la cage d'où j'écrivais que vous ne devriez pas accorder trop d’attention à ce que maman dit. Votre attention est plus précieuse que votre mère. De nos jours, ceux qui sont capables de demeurer attentifs à un texte comme celui-là durant plus d’une minute sont rares. Je les compte sur les doigts d’une main. Vos yeux sont ailleurs, je ne sais pas où; sur les fesses d’autres peut-être, et je comprends cela, car moi aussi j’aurais aimé avoir des fesses à la place des yeux, rien que par curiosité, pour voir quel genre de pantalon j’aurais pu porter pour me protéger du soleil.



Plusieurs d’entre vous ont cessé de lire dès que j’ai dit que maman était noire. Ceux qui sont restés à lire sont probablement les enfants d’une maman noire, eux aussi, sans nécessairement être les enfants de ma maman à moi (ce qui supposerait que je suis leur frère). D’autres sont peut-être restés par simple curiosité, à savoir ce que j’entends par maman noire.



Pour ceux-là, je dirais qu’une maman noire est une femme d’où vous auriez aimé ne jamais naître. Si vous pensiez que cela avait quelque lien que ce soit avec l’Afrique, vous pouvez cesser votre lecture. Le reste ne vous intéressera pas. Je ne parlerai pas de races. Je ne parlerai pas de continents. Je parlerai seulement des yeux d’un enfant vis-à-vis celui de sa mère.



Ceux qui ont une maman noire sinistre comme la mienne sont désormais les seuls à me lire. Les autres sont partis par manque d’attention ou de curiosité. Vous qui me lisez encore espérez sans doute que je vous parle plus en profondeur de cette mère que j’avais et qui ressemble à la vôtre. Je le ferais, assurément, si elle n’était pas noire. Mais puisque le noir est une absence de couleur, il est impossible pour moi de dire que son nez était mauve, ou que ses joues étaient mauves, ou que ses oreilles l’étaient aussi. Si je le disais, je ne ferais qu’inventer. Et je me suis juré que je cesserais d’inventer. Je ne veux plus faire d’histoires.



Les histoires vous captivent, je sais, et c’est à cause de mes histoires que vous me lisez, et c’est parce que vous me lisez que je vous déteste, et c’est parce que je vous déteste que je ne veux plus faire d’histoires.



Maman caressait la cage comme si c’était là son pays. J’y suis entré à genoux. Dans la cage, j'ai écris des histoires, petites ou grandes; je ne parlerai ni des dimensions de mes histoires, ni des dimensions de ma cage, ni de celles de maman noire, car c’est là tout mon sinistre : plus je vous parle, plus vous lisez, et plus vous lisez, moins j’écris, et moins j’écris, plus je vous hais.

Aucun commentaire: