3 septembre 2011

Ces gens qui, incapables de passer une soirée seuls avec eux-mêmes, téléphonent et proposent à peu près n'importe quoi

Pourtant j’ai toujours dit que je détestais ces gens qui, incapables de passer une soirée seuls avec eux-mêmes, me téléphonaient et me proposaient à peu près n’importe quoi, sans importance, pour vu qu’ils quittent leur misérable personne et trouvent dans quelqu’un d’autre la compagnie dont ils ont besoin pour ne pas s’effondrer en miettes sur un comptoir, une cuisine, un condo grassement payé par leur petit papa qui ce soir n’est pas là en train de faire à manger sur le comptoir de la cuisine du condo.



Je ne comprenais pas pourquoi elle m’appelait encore, cette fille. Gadarine. Elle s’appelle comme ça. Elle m’appelait parce que son petit ami l’avait laissé seule en ce vendredi, en ce samedi, je ne suis pas sûr du jour mais ce qui est sûr, c’est que le week-end ne peut pas se vivre sans personne. C’était inconcevable. Alors elle m’invitait à n’importe quoi, à faire de la bicyclette sur un circuit de Formule 1, ou du ski sur l’autoroute Jean Lesage, n’importe quoi pour vu qu’elle ait l’opportunité de quitter la personne horrible qu’elle était.



Je ne suis pas au-dessus de tout ça. Depuis que ma petite amie m’a quitté, moi aussi j’ai du mal à passer des soirées agréablement normales en ma propre compagnie. Dès que je suis seul, il faut que je boive. C’est une béquille que j’ai un problème on dira, ça ne va pas, zut fuck, la solitude est telle le soir qu’il est impossible de l’affronter sans que j’aie une bière dans le corps. Il faut bien un liquide pour se remplir de quelque chose et avoir l’impression que nous sommes plein de quelqu’un. Non? Ce n’est pas vrai? Certains soirs, je bois tellement que, le lendemain, j’ai honte de m’en ouvrir une autre. Mais je n’ai pas d’autre choix. C’est la vie qui a décidé que je devais boire. C’est la vie qui a décidé que je devrais vivre seul.



Hier soir, j’étais seul et j’avais décidé de ne pas boire. Il fallait absolument que tout soit propre dans l’appartement, c’était maladif. Quand j’ai aperçu l’assiette sale dans le lavabo, je suis devenu colérique. Je me suis lancé tous les verres que mon ancienne petite amie m’aurait lancés si elle avait été là. Je me suis traité de sale, salaud, sale nigaud n’importe quoi, et à la simple vue de ma douche qui, absolument constamment, pourrait être plus propre qu’elle ne l’est, j’ai pleuré. Seul dans mon coin de toilette j’ai pleuré la merde que j’ai faite, le pipi que j’ai débordé et toutes les raisons pour lesquelles elle m’a laissé seul.



Ce matin, j’ai abandonné le ménage. Ça ne me servait à rien de faire le ménage comme un défoncé si, au bout du compte, c’était pour finir sur la céramique entre le mur et la cuvette. J’avais cru que vivre dans un environnement propre me rendrait moi-même propre, mais non. Je n’arrive à rien. Plus je nettoie mon appartement pour me sentir propre, plus je me sens sale. C’est comme si la crasse du monde s’aimantait à ma peau. Le vide de tous ceux qui ne sont pas avec moi m’a bouché la gorge de poussières. Je me frappe à coups de balai. Ça ne sert à rien, je sais. Je suis seul.



Encore ce soir, j’ai téléphoné à Gadarine pour lui proposer une balade en bicyclette sur l’autoroute de son choix. Elle a dit non. Son petit ami est revenu. Elle n’a plus rien à foutre de moi maintenant. Maintenant c’est moi le con seul, c’est moi qui éjacule sur les chaussettes que mon ancienne petite amie a oubliées chez moi, et c’est moi qui se mouche dans les mouchoirs où n’importe qui s’est mouché. N’importe qui, pour vu que ce n’importe qui soit quelqu’un d’autre que moi.



Je suis en manque d’autres. Terriblement en manque de ces n’importe qui qui hantent ma vie par la possibilité qu’ils soient là mais n’y sont pas. Ce soir je téléphonerai à mon ancienne petite amie. Elle ne répondra pas, comme d’habitude et je lui laisserai un autre message où je ne conjuguerai pas mes verbes comme il faut, honteux, et où je me traiterai de sale. Je lancerai dans ce message toutes les insultes qu’elle n’a pas osé me lancer. Je mentirai en disant que je vis très bien la séparation, que je suis maintenant tout à fait indépendant et que je suis très, très bien tout seul. J’ajouterai que, si elle en a envie, on peut se voir pour une dernière baise.



Je sais d’avance qu’elle refusera. Je me détesterai autant qu’elle me déteste et, pour lui expliquer sa haine envers moi comme je m’explique la mienne envers moi, je lui répéterai encore que je déteste ces gens qui sont incapables de passer une soirée seuls avec eux-mêmes et qui téléphonent aux autres pour leur proposer à peu près n’importe quoi. Sans importance. Pour vu qu’ils quittent leur misérable personne.

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