17 septembre 2011

Les pires heures

Je file parfois de parfaites heures où j’écris des histoires de crayons qui tombent amoureux de leurs bouchons, des histoires de briquets qui, au pôle nord, frissonnent pour d’autres briquets comme je les aimes, des histoires en voulez-vous en voilà. C’est durant ces heures-là que j’ai le plus de plaisir, dans ma vie, dans mon petit appartement, mon petit journal. C’est durant ces heures-là que mon arrogante de tête se ferme la gueule et que je peux écrire par moi-même, avec la queue que j’ai et les tripes, les boyaux, que j’ai et qu’il me faut pour inventer ce que j’aime.



Puis il y a les autres heures. Les pires sont celles où ma tête décide de se mettre de la partie. Celles où elle décide de prendre part à mon écriture. Ce soir, elle a décidé que je n’étais pas assez en forme pour écrire l’histoire d’Utérus l’unique. J’ai eu beau chercher en quoi je n’étais pas en forme, de carré ou de losange : bon d’accord, mes yeux sont à moitié fermés, c’est vrai, et puis je me suis endormi sur le clavier, un peu, pas longtemps, mais j’ai mis du café dans ma vodka et maintenant, je suis en forme d’absolument n’importe quoi, tout prêt à écrire que tout va pour le mieux.



Je pense que ma tête a peur du mot Utérus. Elle en a peur parce qu’elle sait qu’elle ne pourra jamais y entrer. Elle sait que le mot est capable de se dilater à la taille d’un nouveau-né, mais jamais à la taille d’une tête grosse comme la mienne. Je lui ai expliqué pourtant, à ma tête, que j’avais entre les mains un personnage qui aurait pu nous rendre célèbres tous les deux :

- Utérus, c’est un personnage à la recherche d’une femme nommée Uranus, et c’est dans mes mots tout logique que dans le nom d’Uranus il y a la planète et l’anus, tout comme dans Utérus il y a le mot Terre et le sexe.



Ma tête a dit :

- Non. Ton astronomie n’intéresse personne. D’abord, Utérus, c’est pas un nom. C’est une histoire qui tombe à plat. Si tu veux mon avis, tu devrais écrire un court dialogue humoristique, le genre de dialogue comme tu sais si bien le faire et aller te coucher.



- Quoi? j’ai dit quoi. Un dialogue encore? Mais j’en ai écrit un hier. C’est nul. J’en ai marre de jouer sur le quatrième trio...



- Les dialogues ne sont pas le quatrième trio de la littérature. Arrête de dire ça. Les dialogues, c’est drôle.



Ma tête n’est pas folle. Si elle dit que les dialogues ne sont pas le quatrième trio de la littérature, c’est parce que j’ai déjà dit qu’ils l’étaient et elle s’en souvient. Elle se souvient de tout. C’est une vraie chipie rabat-joie terrible que je déteste. Même si mes jambes ne marchent pas toujours droites, si je devais choisir entre me couper une jambe ou la tête, assurément que je choisirais la tête.

- Assurément que je choisirais toi! Vlan!

- Vlan? Je ne m’appelle pas Vlan.

- Boum!

- Tu sais très bien que, quand tu commences à utiliser les onomatopées, c’est l’heure d’aller se coucher...



Je m’étais dit que si j’arrivais à détruire son foutu dialogue auquel elle m’obligeait, je lui ferais ravaler ses homos de nappes tapées et tout le reste, et enfin je pourrais écrire mon histoire d’Utérus l’unique.

- Girafondéconfilastériellement! j’ai dit. Essaie donc d’entrer dans ce mot-là dans ta tête, grosse tête.

- Ce n’est pas drôle...

- Et c’est drôle quand je te frappe sur les murs? Est-ce que c’est drôle quand mes genoux cognent sur ton front, comme ça?



Et je frappais réellement ma tête là où j’ai dit, et je me battais comme je vous dis, contre moi-même, afin de me départir de cette tête, de ses conventions stupides, et j’ai si bien frappé qu’elle s’est éteinte et j’ai pu écrire mon histoire intelligente adorée, celle d’Utérus, mon homme de trente-cinq ans qui court sur les trottoirs à la recherche de la blonde fille aux cheveux blonds qui a deux mois de moins que lui et qui habite cinq mois par année sur une autre planète, et qui court, elle aussi parfois, sur les trottoirs où j’aime me promener nourrir les pigeons. Uranus. Je t’aime.

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