17 septembre 2011

Le cri de l'eau

Dans les douches, vous avez l’eau, le savon, et vous avez ces humains, en train de se laver, séparés par des cloisons. Parfois, l’un d’eux passe de l’autre côté de la cloison pour demander à son voisin de quoi il a l’air. Mais la vapeur de l’eau a créé ce nuage si épais que personne ne peut y voir personne. Vous êtes le seul à voir la tête qu’ils font quand ils échappent un savon par terre, quand ils sortent tous de leur jet d’eau, la tête gonflée de mousse, et courent le chercher. Dès que leurs mains s’en approchent, vous faites glisser le savon un peu plus loin avec votre pied. Ça vous fait rire, de les voir ramper jusqu’à ce qu’ils prennent froid. Ils retournent alors sous leur jet d’eau chaude, comme des lâches, et celui qui a perdu son savon attend qu’un voisin lui prête le sien. Mais vos humains ne prêtent rien. Quand ils auront fini de se laver, ils retourneront au dortoir avec leur savon. Ils iront hurler sous leurs draps, dans leurs cauchemars respectifs, sans se soucier de celui qu’ils ont abandonné.



Dans le dortoir, vos humains crient, se grattent, se mouchent, pleurent et transpirent une odeur intolérable. Aussi, les plus jeunes ont toujours les doigts collants, de salive ou d’autre chose, et ils répandent leur mucus partout dans les draps. Je ne parlerai pas des schizophrènes. Ce sont les pires. Ils peuvent vous arracher les doigts pendant que vous dormez. C’est justement le problème des lits superposés : vous ne savez pas quel danger se trame au-dessus de vous. Et quand vous prenez le lit du haut, vous êtes pris avec le vertige. Enfin, certains finissent par dormir, à moitié vivants, à moitié morts, avec leurs yeux qui frétillent dans le cauchemar. Leur bouche s’ouvre. Ils essaient de crier qu’ils sont en train de mourir, mais le sommeil est une peur muette. Vous ne pouvez rien pour eux. Vous regardez leurs orteils se tordre de douleur et puis c’est tout. Vous attendez qu’ils se réveillent, qu’ils s’habillent et retournent à la douche. Et c’est là que vous les attendez.



De tous les humains qui existent, il a fallu que vous tombiez sur ceux-là. Des lâches qui ne tiennent pas debout. Vos humains tremblent dans l’eau comme s’ils en avaient peur. Vous en avez même un qui prie, à genoux, pour que son corps se lave tout seul ou pour que vous lui redonniez le savon qu’il a perdu. Vous vous foutez bien de ses prières. Vous ne pensez qu’à le faire taire en lui coupant la gorge, là tout de suite. Vous pourriez le faire. Mais vous ne faites rien. Au fond, vous n’êtes peut-être qu’un lâche, vous aussi.



Vous avez cet autre humain qui, lui, essaie de se laver sans se mouiller les cheveux. Vous décidez de l’appeler Péruk. Vous vous dites que ce nom africain lui convient parfaitement, et que vous me couperiez la gorge si j’osais le nommer autrement. Vous ne tenez plus en place depuis que j’ai dit que vous étiez peut-être lâche. Vous sortez une bouteille de jus d’orange de votre sac et, maintenant, vous la versez sur les cheveux de Péruk. Le jus ricoche sur son crâne, sur le vôtre aussi, sur les murs et vous riez. Ceux qui priaient ne prient plus. Ils se roulent dans l’eau sucrée et sortent leurs langues sur celles des autres. Ils s’abreuvent à même les pieds de Péruk.



Péruk semble être le seul à qui le jeu ne plaît pas. Il secoue la tête en criant. Vous le secouez à votre tour, pour le faire taire, mais ça ne fait que le tordre dans tous les sens. Il marche sur les autres, qui eux se mettent à crier aussi. Vous avez beau verser du jus d’orange, le sucre ne calme plus personne. Vous n’avez plus le choix. Vous coupez l’eau froide. Leurs cris s’ébouillantent. Leurs cris se transforment en un sifflement qui, peu à peu, devient silence.



Vous retrouvez votre calme. Plus rien ne bouge, sauf sur les murs, les coulisses oranges du jus que vous avez versé partout. Désormais, vous n’avez plus d’humains. Il n’y a que vous. Seul et sale. Vous réglez les robinets. Vous vous déshabiller. Vous prenez un savon et vous écoutez le bruit de l’eau tiède sur votre nuque. Vous l’écoutez jusqu’à ce que le sommeil fasse glisser le savon de vos mains.



Le savon glisse par terre. Vous rampez pour le rattraper. Vous rampez jusqu’au couloir. Vous rampez jusqu’au dortoir. Vous fouillez sous les draps, partout, et vous vous faites croire, à moitié vivant, à moitié mort, que vous retrouverez ce savon. Parce que vous, vous n’êtes pas un lâche.

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