15 juin 2013

Voyage circulaire no.1

Il songe à la voiture qu'il n'a jamais eue. Elle est rouge. Non, bleue. Un aileron, oui ça prend un aileron. Tout ce qui va vite demande un aileron. Un ami l'a invité à venir passer trois jours chez lui. C'est au bord de la mer, en Bretagne, dans ce coin-là. C'est loin. C'est tout un voyage. Ça prend une voiture.

Il met ses bottes. Il sort. Ses bagages sont lourds. Il les dépose près de la voiture. Le coffre arrière est verrouillé. Une ganse de son sac à dos trempe dans une flaque d'eau. Il fouille dans ses poches. Ça ne va pas? Il rentre, salit le plancher du salon avec ses bottes. Il cherche la clé de la voiture dans tous ses manteaux. Saloperie de clé. Il retourne dehors, jette un coup d'oeil sous la voiture. La clé n'y est pas. Il pense à la cabane à outils. Il pense au balai, debout, posé contre une étagère : je vais passer un coup de balai sur le plancher du salon quand je vais rentrer, se dit-il. La dernière fois que j'ai eu la clé en ma possession, c'était au restaurant. L'Éprouvette, c'est ça? J'y vais en autobus. C'est à trente minutes. Je laisse mes bagages sur le pas de la porte. Ça presse.

Durant le trajet, tout est si calme. J'écoute de la musique dans mon iPhone. Serge Gainsbourg. Je change pour Arcade Fire. Ah et puis non. Je sors de l'autobus au terminus. Je cours jusqu'au restaurant. Je suis pressé. Mon ami m'attend pour le dîner et je ne veux pas le décevoir en arrivant en retard. Je demande au serveur de me redonner ma clé. Il est content de me voir. Ça fait longtemps. Je fais semblant d'être content. Je dis que ça fait longtemps. J'écourte le dialogue. Enfin, je sors, sur le trottoir, et j'attends qu'un autobus me ramène chez moi. Je regarde l'heure. Je me demande à quoi bon attendre. Aussi bien courir vers chez moi. Je cours à la même vitesse que l'autobus qui me suit derrière. J'ai l'impression qu'il n'arrivera jamais à me rattraper, à moins que je me fatigue. Je ne me fatigue pas. Il roule pour rien. Je cours pour rien. D'une façon ou d'une autre, tout cela finira par un coin de rue avec un autobus et un piéton qui arrivent en même temps.

Tandis qu'il songe à la voiture qu'il n'a jamais eue et dans laquelle il n'est jamais entré, il se demande à quoi bon se fatiguer. Il choisit finalement de payer son ticket. Il s'assoit dans l'autobus, mais cette fois, plus de musique. Il joue avec la clé dans ses mains. Il pose ce geste curieux de porter l'objet à son nez et de sentir si la clé n'a pas d'odeur. Elle a l'odeur de ses doigts à lui, les doigts du serveur aussi, de l'alcool qui s'y est collé peut-être, des doigts d'une serveuse qui aurait un soir remplacé le serveur au bar et qui, par mégarde, aurait cru cette clé pour la sienne. À la fin du trajet, tout à coup, la clé n'a plus d'odeur.

Il rentre chez lui, reprend ses bagages, ouvre le coffre arrière de la voiture. Il démarre. Ça y est. On y va. Il n'a pas encore bouclé sa ceinture que son téléphone sonne. Il répond d'une main, conduit de l'autre. C'est son ami. Il lui demande s'il n'est pas déjà parti. Oui. Je suis parti. Son ami lui demande s'il ne peut pas faire demi-tour. Quelqu'un de sa famille vient de mourir. On reporte le dîner à la semaine prochaine.

Il éteint son téléphone. Il fait demi-tour. Il range ses bagages dans sa chambre, passe un coup de balai sur le plancher du salon... et se dit qu'il en a eu son voyage.

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