15 juin 2013

Le nom de mon frère

J’ai oublié le nom de mon frère. Parfois, je cherche son nom et je passe des heures à ne pas m’en souvenir. Je lui trouve d’autres noms qui ne sont pas le sien, mais ce n’est pas comme si j’étais prêtre et que je pouvais le rebaptiser comme ça, sans l’eau bénite et les croustilles du corps du prophète. J’ai prié une fois dans toute ma vie, rien qu’une, parce que je voulais écrire. J’avais prié que les mots ne me laissent pas tomber et que ça ne s’arrêtera jamais.

Maintenant si mon frère est mort ou disparu, qu’il soit bien là où il est, en-dessous de moi ou par-dessus ma tête, dans les nids de fourmis ou sur le toit de ma maison six pieds sous le ciel, je fais gaffe de ne pas marcher dessus et que mes prières ne le frôlent pas trop. D’où qu’il soit, j’ai peur de le voir en face. Voir la mort en face. Papa disait qu’il faut toujours avoir peur de la mort et que c’est ça qui nous pousse à vouloir vivre. Si je voyais le visage mort de mon frère, je pense que je voudrais le rejoindre, parce que c’est beau quand les fruits d’un arbre tombent en même temps. C’est beau quand les aigrettes blanches soyeuses des pissenlits s’envolent comme des parachutes, toutes en même temps, et qu’il n’y en a pas une qui reste accrocher au hameau de la tige après le coup de vent. C’est beau de partir en même que ceux qu’on aime, quand la mort a soufflé son vent et que ceux qui restent décident de ne pas rester, parce que ça ne vaut pas la peine, parce que je veux partir moi aussi...

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