15 juin 2013

Le lieutenant a dit non

Le lieutenant nous obligeait à porter un casque fleuri camouflé de couleurs et de taches de fausse terre et d'herbes, tu sais, en plastique comme les fleurs des pots dans ta cuisine et le verre vin de vin sur ton comptoir ça ira à plus tard parce que c'est l'armée et qu'on ne rigole plus enfin, un casque. J'ai toujours eu de grandes oreilles et, déjà que mes cheveux rasés les faisaient ressortir comme deux éventails (je n'ai pas le droit de parler de mes cheveux parce que tous les soldats ont la même coupe et ils sont tristes de les avoir aussi ras), le casque, de la façon qu'il était rond comme ma tête, on dirait qu'il me faisait des oreilles pointues et j'ai demandé au lieutenant si c'était possible de me battre sans casque dans les pays hostiles. C'est déjà nul d'aller à la guerre. S'il faut mourir avec un casque qui nous fait des oreilles qu'on n'aime pas, c'est encore plus nul.

Le lieutenant a dit non.

Je lui ai demandé pourquoi, et pourquoi il répond aussi court, je veux dire, moi, ma question était longue et d'ordinaire, quand je parle, je dis beaucoup de mots avant de m'arrêter (ça m'arrive de terminer une phrase et d'avoir cru qu'elle était finie mais d'ajouter une parenthèse parce que je n'ai pas fini). J'ai trouvé le lieutenant qu'il était un homme de peu de mots. Franchement, j'ai dit LIEUTENANT mes oreilles elles sont grandes, on les voit d'à travers mon casque, je pense qu'elles méritent un peu de mots à entendre, dis-moi pourquoi je ne peux pas combattre les forces ennemies sans casque et je te dirai l'histoire de comment je suis arrivé ici (parce que cette histoire est super intéressante, je ne me suis pas trouvé dans les forces de l'armée canadienne pour rien, il y avait des gens qui m'ont sonné à la porte et l'école n'a jamais été mon intérêt, alors mon père avait choisi de m'expédier dans les pays des bombes et ce qu'on entend on nouvelle, tout ça, c'est super intéressant; il avait dit vas-y et ne reviens jamais, ne m'écris pas à moins que ce soit une question de vie ou de mort).

Le lieutenant a dit mon nom.

Je m'appelle Sunxnavic oui je sais c'est bizarre, mais ça, c'était l'idée de mon père de m'appeler d'un nom qui n'existe pas ailleurs parce qu'il était persuadé que je serais le seul au monde, et là il est déçu parce que je suis, dans l'armée, un parmi beaucoup d'autres. Et il a dit que mon casque allait sur mes fesses (c'est faux, il a dit que mon casque allait sur ma tête, mais ça arrivait souvent que je le mettais souvent sur mes fesses et je me suis trompé en racontant l'histoire).

Sunxnavic! Quel nom de merde! Mettez votre casque sur votre tête!

Le lieutenant est un homme qu'il faut respecter ce qu'il dit. Au premier camp d'entraînement, je ne portais pas le casque. Il a voulu me forcer à le mettre et je pense que je lui ai mordu l'oreille. Je lui en ai arraché un bout de lobe pour qu'il comprenne que MOI LIEUTENANT JE NE PORTE PAS DE CASQUE mais il est devenu vert, nerveux, comme piqué d'une tarentule, et je pense que je n'aurais pas dû forcer la main. Papa disait que l'armée réussirait à me guérir de mes tics nerveux et de ma manie de toujours vouloir garder ma tête à l'air libre.

On a enveloppé la tête du lieutenant dans un chiffon et dans une civière il est parti voir l'infirmière. Elle a dit le mot coma et j'ai écrit à papa que j'avais mordu le lieutenant et que c'était peut-être une question de vie ou de mort. Il ne m'a jamais répondu. J'ai attendu sa lettre. Je pense qu'il m'a écrit mais qu'il ne connaît pas l'adresse de la prison de laquelle de dedans que je suis. Je pense qu'il m'a écrit, mais aussi, une petite voix me dit qu'il est peut-être mort, lui aussi (la voix est toute petite; je n'entends plus les grandes voix depuis que maman m'a fait voir le docteur Yuing et puis, les médicaments, ça doit bien faire trois ans que je n'en prends plus, parce que j'avais mordu papa la fois qu'il m'avait dit « oui tu iras dans les forces de l'armée canadienne ») et c'est possible que, même si je n'ai jamais atteint les pays bombardés, peut-être, peut-être que j'en ai déjà tués deux.

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