15 juin 2013

JE BOIS

J'adore boire et réfléchir. Je fais les deux en même temps. C'est un loisir crasseux, diras-tu, mais c'est comme ça. Ça me fait sentir bien. Boire et m'expliquer à moi-même. Il me faut ma dose des deux et je la prends à tous les jours. Je cours et je fais du ski pour compenser. Mais j'ai du mal, le soir, à rester à jeun. L'alcool contrôle un peu ma vie. C'est comme ça. Aux chiens, ça prend la laisse. Aux hommes, ça prend autre chose. Y en a que c'est le crack. Y en a que c'est faire l'amour avec tout le monde. Moi, c'est de m'expliquer en buvant. Je n'en bois jamais au point de tomber ivre mort sur le plancher parce que j'adore dormir sur un matelas. Mais ça pourrait arriver.

Je me défends de cette dépendance en me disant que d'autres boivent passivement devant la télé. C'est pire. Moi au moins j'écris. L'état d'ivresse est précieux, ne vas pas le gaspiller. Il faut l'utiliser pour faire quelque chose. Il ne faut pas être ivre sans rien dire, ce serait comme jeter le pain avant qu'ils soit vert. Dans l'ivresse se cache une chose qu'on appelle l'imagination sincère et, même si elle peut s'apparenter au mensonge ou à la folie, ou à la paranoïa, il faut l'exprimer à tout coup, quitte à se rendre ridicule ou détestable aux yeux des autres. Surtout, il ne faut pas avoir honte le lendemain de se remémorer les mots que le sommeil a voulu nous faire oublier par souci de corriger les choses. Ces mots qu'on a écrits quand on avait bu, si on les a oubliés, ce n'est pas qu'ils étaient mal. C'est qu'ils étaient juste un peu trop vrais.

Je replonge. Je dis que l'alcool est mon prisme par lequel je me divise, me scinde en plusieurs personnages. Cette drogue douce a ceci de bon qu'elle garde le cerveau de s'épancher trop loin. Je m'étonne parfois d'être ivre depuis trois jours et de savoir encore écrire avec toute ma tête des choses que les gens trouvent intelligentes, et de savoir jouer mieux que les autres les jeux d'intelligence qu'ils ont inventés.

« Même ivre, je suis plus intelligent que les imbéciles », dirait un prétentieux.

C'est prétentieux, mais voilà l'affaire, il n'a pas tort : le cerveau est si bien fait que, même amorphe ou intoxiqué, il roule quand même et nous fait voyager plus loin que les pays d'à jeun.

Je reviens à l'alcool. J'y reviens toujours. Parce que ça t'intéresse, c'est vrai, les tabous intéressent tout le monde. J'utilise l'alcool comme un outil et un mode de vie. Comme si la vie était une serrure et le vin une clé qui m'offre l'intérieur du salon. Le salon, c'est moi. Et j'y imagine ce que je veux. Oh juge-moi. Autant les gens qui boivent te répugnent peut-être, autant ceux qui ne boivent pas me dégoûtent par leur regard extérieur porté sur les autres, leurs yeux caustiques comme s'ils détenaient la formule de comment être.

« S'ouvrir par l'alcool. »

L'alcool, c'est mal. Arrêtez avec ça. Il n'est rien de mal. Tant qu'il ne blesse personne, il n'est rien de mal. Il transforme la vision, c'est vrai. Ça empêche de conduire, c'est aussi vrai. Mais si on roule à vélo, qu'est-ce que vous allez nous faire chier? Y a des gens qui s'ouvrent les veines, se suicident, agissent sans réfléchir. Et si on boit, si on réfléchit sans agir. Qu'est-ce que vous venez nous reprocher de réfléchir sans agir?

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