15 juin 2013

Je me suis mis à courir dernièrement

Je me suis mis à courir dernièrement. Quand je passe sous un viaduc, j'ai peur qu'il s'effondre et de mourir. Ce n'est pas comme y passer en voiture. En voiture, on y reste dessous qu'une fraction de seconde. À pieds, c'est comme passer un tunnel. On y entre en pensant à la mort et on a le temps de s'imaginer en train de mourir avant que d'en ressortir.

En passant sous ce viaduc, j'ai pensé à mon roman et je me suis dit que je ferais mieux de rester chez moi. C'est vrai. La meilleure façon que j'ai d'écrire, c'est d'abord de ne pas mourir sous un viaduc. Le béton semblait s'effriter au-dessus de ma tête. J'ai pensé à ceux qui l'avaient coulé et je me suis dit que peut-être ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Sur un pan du mur de béton, il y avait des initiales et une date, R.C. 1923. J'ai eu peur. J'ai accéléré mon pas de course et j'en suis sorti sain et sauf de ce tunnel infernal. J'ai continué de courir en me demandant si vraiment il n'y avait plus de danger. Une bombe peut tomber n'importe quand. J'ai entendu un bruit et je me suis dit ça y est. Et puis non. Pas encore. Un crissement de pneu, peut-être. J'ai levé la tête au ciel et j'ai vu une avion. Je me suis dit : on dit UN avion, et puis après je me suis dit on s'en fout, je vais peut-être mourir. Les avions ont une drôle de forme qui s'apparente à celle des bombes. J'ai eu peur pour ma vie. Je courais, mais je n'avais pas peur pour ma santé. J'avais peur pour ma vie.

Je croisais des mendiants, parfois, qui me disaient de ralentir. Je n'avais pas de porte-monnaie. Je n'avais pas à craindre qu'ils me vident les poches mais ils m'arrêtaient quand même. Je m'essoufflais à les entendre me dire de ne pas m'essouffler. Ils trimballaient un grand carton qui disait « nous sommes trop laids pour se prostituer ». Je n'en pensais rien. Je courais. La fumée des voitures, les usines, ce que tu voudras, tout ça m'intoxiquait à la gorge. J'aurais fumé deux paquets que ça aurait fait pareil. Mais je courais. Je me faisais bonne conscience de ne pas être encore mort. J'évitais les vieillards et tout l'équipement qui leur servait à se déplacer. Ils stationnaient leurs fauteuils électriques et me laissaient passer mon chemin. À la sortie des salons de coiffure, les vieilles me voyaient venir de loin. Elles me dévisageaient en se disant « mais qu'est-ce qu'il fait là ce taré à courir sur le trottoir ». Pareil pour les dames qui marchaient devant moi. Je les rattrapais et, du moment que je les dépassais, elles étaient toutes effrayés que je leur pique leur sac à main. Elle le tenait fermement, comme violées, et moi je passais en les évitant comme j'évite un trou d'eau.

Il y avait sur ma route de grands trous que le sel et l'hiver avait creusés et remplis d'eau. Je les évitais, comme un joueur de hockey devant son adversaire, je levais les bras comme du bâton après avoir marqué un but. C'est comme ça. Je courais. Et je faisais semblant de m'amuser. Et puis je suis revenu chez moi. C'était prévu. Ce n'était pas innocent de ma part. Je n'étais pas parti dans le but de ne jamais revenir. J'ai reconnu ma rue, j'ai tourné le coin. Je me suis mis à marcher. Je suis rentré chez moi. Je me suis observé dans le miroir. J'ai tâté mon ventre. Bon. Il reste du gras. J'étais à bout de souffle et passablement en sueurs. Je n'étais pas mort. C'était une bonne chose. Mais j'aurais mieux fait de rester chez moi. J'ai croisé tant de choses qui m'ont donné la frousse, tant de gens que j'aurais préféré voir morts. Ici, il n'y a que moi. Et si je dois mourir, c'est moi qui déciderai de quelle façon je le ferai.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

J'adore,
cela rend justice à ce que les anxieux de ce monde peuvent vivre à chaque instant