27 octobre 2009

Les shoes scrapés




Il aimait les patates pilées et me frapper. C’était son hobby. Un peu comme moi je fais des puzzles. Lui, adorait lorsque je courais autour de lui lorsqu’il tondait la pelouse de la cour. Il avait élaboré un système très particulier : il tondait la pelouse de telle façon que, à n’importe quel moment, il pouvait bifurquer à gauche ou à droite pour me raser le pied, sans jamais que ce geste soit soupçonné d’agression volontaire contre ma petite personne. Les chemins rasés de la pelouse restaient toujours droits et carrés, et cela malgré ma chaussure coincée dans l’hélice de la tondeuse. Mon père n’avait rien à se reprocher. Il disait qu’il était en train de couper tout bonnement la pelouse et que je m’étais mis soudainement le pied sous l’hélice. 

Ce jour-là, la tondeuse de mon père avait décapité mes chaussures de marque 301 : des chaussures que j’avais demandées pendant des années et que j’avais finalement reçues en cadeau pour l’anniversaire de mes huit ans. Et le lendemain de mes huit ans, mon père les décapitaient avec ses hélices mortelles. 

Ce n’était pas tant le risque d’avoir perdu un orteil que je pleurais que la perte réelle de mes 301. Quand ma mère est sortie de la maison pour demander ce qui s’était passé, mon père a bêtement répondu que je m’étais foutu sous sa tondeuse. Et moi, je suppliais ma mère de recoudre mes chaussures, comme si c’était possible. Je me vois encore me diriger vers la poubelle du cabanon, chaussures en main, et jeter le seul cadeau d’anniversaire qui m’avait vraiment plu aux ordures. Je me suis dit que j’étais malchanceux, comme d’habitude, et je n’ai jamais accusé mon père d’être l’auteur de la catastrophe. 

Jusqu’à aujourd’hui. Comme ça, subitement, aussi subitement qu’un enfant qui se fout sous les hélices d’une tondeuse, je me suis mis à lui reprocher la perte de mes 301. Et je me suis mis à vouloir vengeance. J’ai beaucoup lu au sujet de la vengeance, mais aucun livre ne parle de la vengeance qui survient dix-sept ans après l’élément déclencheur. Pourtant, cette vengeance existe et je peux en témoigner. À 25 ans, dix-sept ans après la mort de mes 301, j’ai décidé d’agir. J’ai attendu l’anniversaire de mon père, le 28 juillet 2010, et j’ai couru lui acheter une paire de chaussures, fabriquée par un grand couturier, à 3200$. Vous ne rêvez pas. C’était bien le prix. 

Je lui ai offerte le soir même, sous un emballage ridicule de petits clowns et de ballons colorés. Mon père, comme à chaque anniversaire, faisait un feu dans la cour arrière. Je suis allé le voir en lui tendant le paquet. Il l’a ouvert et, avant même de lire le nom du couturier, il a éclaté en sanglots. J’ai su que le cadeau lui faisait plaisir. Et que cela lui fasse plaisir me faisait très plaisir. Je me suis rappelé ma réaction devant le cadeau de mes huit ans. Elle était sensiblement la même que celle de mon père. Puis, je me suis souvenu de ma déception lorsque mon père avait bousillé cette joie. Une déception que mon père, lui, n’avait jamais vécue. Je ne me suis pas attendri devant la joie de mon père. Il aurait eu beau pleurer toutes les larmes de joie de son corps, je ne l’aurais jamais laissé s’assécher avant qu’il ne ressente la déception de mes huit ans.

Puis il a dit, entre deux sanglots :

- Pardonne-moi si tu savais, je m’en veux j’arrête pas de penser à cette journée-là depuis que c’est arrivé!...

J’ai pris les chaussures à 3200$ dans mes mains. Mon père a mis les mains dessus. J’ai tiré de mon côté, et mon père lui aussi tirait pour les ramener vers lui. J’ai tiré plus fort, mais c’est mon père qui a gagné. Les chaussures lui ont resté dans les mains, alors que moi, j’ai reculé de quelques pas en arrière. 

- Elles sont à moi! qu’il a dit. Je fais ce que je veux avec!

Fin no. 1 : Il les a foutues dans le feu. Et ce soir-là, on est restés assis à discuter devant les 3200$ qui s’envolaient en fumée dans le ciel d’été. Et tout compte fait, je me suis dit : c’est très peu cher payé pour une vengeance qui se termine si bien...

Fin no. 2 : Il les a foutues dans le feu. Il a empêché ma vengeance en se vengeant lui-même des actions qu’il a commises par le passé. Je n’y ai rien compris. Enfin, à tout le moins, ce que j’ai compris c’est qu’il a esquivé ma propre vengeance. Et c’est de cela précisément que je dois me venger.

Fin no. 3 : Il les a foutues dans le feu.

Aucun commentaire: