8 juin 2011

Théorie des cordes

À jouer de la guitare électrique imaginaire devant un miroir, mes cordes se sont usées. Mes rides sont devenus plis, et plis sont devenus cordes, et cordes fissures. Mes poignets n’ont même plus la force d’atteindre le manche de ma guitare. Je fais semblant de jouer la partition. Mon corps répond, mais mon cerveau ne répond rien. Je l’ai trop sali de fausse musique. Trop sali d’inventions, à une époque où je me croyais musicien.

À taper le drum, aussi; mes baguettes en forme de doigts, sur les tables et les comptoirs, n’ont plus d’ongles, plus de doigts. Je me suis usé à force de vouloir créer. Et ce que j’ai créé, quand j’y pense, se résume à ma voix seule qui dit qu’elle se souvient d’une mélodie que j’avais créée un soir d’alcool.

Je me souviens de cette mélodie. Je ne sais plus la jouer, mais je m’en souviens. Elle commençait par le hihat ou le snare, ou le do, le fa bémol ou le mi. Peu importe, tout se mêle. Déjà, le soir a avalé le peu de lumière. Je n’y vois déjà rien, et n’y pense plus et m’en fout. 

J’ouvre des bières. Je fais semblant de m’amuser à écouter le son que fait le bouchon quand je le tourne. Je pense que je pourrais inventer une sonate en « pchhht » mineur. Je pourrais le faire, vraiment, si j’y croyais. Mais je n’y crois pas. Cette sonate, je l’ai déjà faite, au moins cent fois. Ce n’est même plus une sonate. C’est n’est qu’une vieille blague que je fais chaque fois que je suis soûl. Je fais semblant qu’elle est drôle. Mais elle ne me fait plus rire. Elle me fait réfléchir plutôt. Quand je l’entends, je me dis que, sans lui, la musique ne va nulle part.

Lui. Je l’aime. Lui. Il m’évite. Je ne sais pas pourquoi. Il s’évade toujours. Il cherche quelque chose, ailleurs. Il cherche une fille, je me dis, une fille qui l’a appelé à sortir. Une fille que je connais peut-être. Elle a peut-être toujours essayé de briser ma musique. Elle chante par-dessus moi, par-dessus lui. Elle éventre sa voix et je n’ai rien pour égaler sa tête, sexy, qui se secoue dans une foule. 

Il est sorti avec cette fille-là. Elle s’appelle Miah. Ou Mao. Je le connais. Il joue toujours avec les filles qui ont des noms de chats. Il est drôle. Il me fait rire. S’il était là, je suis sûr que je serais capable de rire la blague de la sonate. 

Il s’amuse sur Miah. Il danse avec Mao. Il roule sur leur chair, sur les fesses et il entre dans de nouvelles têtes. Il est un petit tas de cordes vibrantes. Il aime se chatouiller sur elles. Mais je sais que le matin, quand je dors, il revient toujours à moi. Je le sais. Même si je dors, je le vois osciller, souvent, sur mon oreiller. Je l’embrasse. J’arrive à le toucher. Du bout des lèvres. Je le caresse. J’entre dans lui. 

Quand lui entre dans moi, je fais exprès de le serrer trop fort. Je lui fais mal pour qu’il se souvienne qu’il m’appartient. Je casse ses cordes et ses tendons. Il saigne. Ses neurones se tordent. Ses cellules éclatent. Il crie mais, de toute façon, je sais qu’il se régénérera. C’est mon cerveau. Je le connais. Il est habitué d’être maltraité.

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Je me lève et reprends le piano. J’essaie de créer une nouvelle mélodie. Je répète les mêmes chansons que j’ai apprises à l’école, mais aucune composition ne naît. Pour créer, j’ai besoin de lui. Lui qui dort encore. Lui qui est zombie. Comme moi. Nous sommes tous les deux zombies, dans un même rêve, où une fille qui s’appellerait peut-être Miah danse. Je ne l’ai jamais vue, elle, mais lui, il en rêve. Il l’a sentie cette nuit. Il a frôlé sur elle. Il s’est imprégné de son parfum. Et les parfums se sont frôlés sur moi.

Mon cerveau dort. Je lui demande de se lever. Il ne répond pas. Il est amoché. S’il avait des yeux, il aurait des cernes. Il rêve à cette fille qui habite je ne sais pas où et qu’il appelle Miah. Je peux la sentir, moi aussi, et ça m’inquiète. J’ai peur qu’il me laisse pour elle. Je la vois danser avec moi, même si je ne l’ai jamais vue de mes yeux. Elle est brune. Elle est claire. Sa peau est comme neige et son maquillage comme terre. Chaude et froide. J’ai envie de l’embrasser même si elle n’est pas là. 

Je m’énerve. Je crie à mon cerveau de se réveiller, tout de suite, sinon, encore une fois, je tomberai amoureux d’une fille qui n’existe pas. J’en serai amoureux et j’embrasserai les trottoirs et les planchers en espérant qu’elle y ait mis un pied, deux pieds. Mes amis me demanderont pourquoi j’embrasse les choses sales et je leur dirai que j'embrasse ses pieds, à elle. Miah.

Mes amis me traiteront de fou. Ils parleront de mon amour fictif à mes parents et maman viendra dans ma chambre. Elle dira que je devrais continuer de prendre mes pilules. Je prendrai une pilule dans un verre d’eau et mon cerveau s’en ira encore. Il s’en ira encore plus souvent, et plus loin encore. Je le verrai de moins en moins. Comme papa. Je ne le verrai plus jamais arriver au milieu de la nuit et je dormirai de plus en plus seul. Je crierai de plus en plus, jusqu’au matin. Et le matin, je demanderai à mon cerveau de se réveiller, mais il ne sera pas là. 

Il faut que mon cerveau oublie la fille. Oublie Miah. Il y a la musique qui compte plus qu’elle et qui attend vraiment. Il y a le mi, sur le piano. C’est une mélodie. C’est déjà le soir. Débouche-moi une bière et raconte-moi la blague que tu me racontais à propos des sonates. Pchhht! Dis-moi que c'est drôle. Dis-moi que tu ris.

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