8 juin 2011

L'enfant dans la cage

« Suffit qu’on enferme quelqu’un dans une cage en lui disant qu’il n’en sortira pas avant d’avoir écrit un roman pour qu’il en écrive un. Le talent n’y est pour rien. Ce qu’il faut, c’est une cage. C’est tout. »

Ça, mon père l’a dit. Ma mère l’a dit. Tout le monde l’a dit. Le jour qu’ils m’ont trouvé une cage, ils m’ont annoncé que j’allais devenir écrivain. Je m’y attendais pas trop parce que, moi, mon truc, à la base, c’est le hockey. Mon roman, j’ai décidé de le commencer en parlant de hockey, et la fois où Fab s’est pris le puck dans la gueule. Ça me fait toujours rire. Trucs comme ça. Mes parents, eux, rient pas. Ils veulent que je parle de sentiments je sais pas, trucs de coeur littérature et les déchirements entre personnes. Papa m’a dit ça, clair : il faut que tu racontes une histoire d’amour. J’ai essayé mais, des histoires d’amour... De cul, je connais, mais d’amour.

Hier matin, mon père a fait entrer une fille dans ma cage. C’est la fille de mon oncle je pense. Ma cousine. Je l’ai reconnue parce que noël dernier c’est à elle que j’ai donné mes vieux patins. Ils avaient rapetissé avec le temps, et puis j’aime pas trop quand la marque du patin disparaît à cause de l’usure. J’en ai acheté d’autres. Je les ai jamais essayés. Je veux dire, sur la glace. En tout cas, quand elle est entrée dans la cage, la cousine était troublée je pense. À cause de l’espace restreint, probablement. Je lui ai demandé si elle avait joué un peu avec les patins que je lui avais donnés, elle a dit je t’aime, et je pense que ma mère avait un peu orchestré tout ça. J’ai dit moi aussi. On s’est embrassé, question de faire histoire d’amour, et puis elle est sortie se brosser les dents. Moi j’ai écrit un truc du genre l’amour, avec les cousines, c’est un peu dégueulasse comme embrasser le bébé que mon oncle a eu avec son sperme. Ça turn off. 

Ma mère a fait une crise en lisant ça. Comme quoi je sais pas écrire. Que j’arriverai jamais au roman qu’ils m’ont fait promettre. Que je sortirai jamais de ma cage. Et juste pour faire chier elle faisait pendre mes nouveaux patins au bout de leurs lacets dans sa main. J’ai écrit sur papier que je hais ma mère, regrette d’être né de son ventre flasque, sa tête laide et si elle s’approche de ma cage je jure je lui arrache les cheveux. 

Mon père trouvait ça drôle de voir à quel point je la haïssais. Il a dit que c’était une bonne idée d’écrire un roman sur la haine. Pour m’inspirer, il a poussé ma mère dans la cage. Je lui ai arraché les cheveux, comme promis, et ses vêtements, et ses oreilles, enfin qu'elle était morte quand elle est sortie de la cage. Mon père, lui, riait. Il trouvait ça génial que maintenant je puisse commencer mon roman en disant que ma mère est morte. Il disait que les enfants sans maman, ça touche.

Hier après-midi, j’ai écrit le roman de maman qui meurt. C’était pas mauvais je trouve. Mais mon père trouvait ça nul parce que je disais pas que ma mère était une salope. Je disais qu’elle me manque et ça n’avait rien de vraiment déchirant, je veux dire, littéraire.

Et puis hier soir, j’ai écrit le roman d’un type qui avait enfermé son fils dans une cage. Ça, mon père a aimé. Il a trouvé que ça avait l’air vrai. Je comprends pas trop. C’était pourtant super clair qu’à la fin de mon histoire le fils sortait de sa cage et tuait son père en lui enfonçant la lame du patin dans l’oeil.

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