8 juin 2011

Paumes-paupières

Tu fais souvent ça, peser avec tes paumes sur tes yeux pour y voir des couleurs. Le noir de tes paupières se transforme alors en une série de taches roses, fluorescentes, tu dis, que tu ne parviendras jamais à expliquer clairement la couleur que tu vois mais qu’il y a sous ta peau des explosions. Tu penses alors que ton cerveau n’est pas normal de voir toutes ces couleurs qui n’existent pas.

Tu te persuades que le problème vient du fait que ton cerveau n'est pas normal. Tu aimes cette idée. Tu as toujours tendance à croire que ton cerveau est différent de celui des autres. Quand tu écrases tes yeux contre ta peau, du plus fort que tu peux, tu vois les monuments fluorescents que tu as vu dans un rêve, une fois, et tu commences à croire que tu es chanceux de voir tout ça. Tout ça est une agréable défaillance de tes nerfs optiques.

Tes nerfs optiques souffrent sous la pression de tes mains. Tu le sais. Tu fais exprès de les faire souffrir un peu plus longtemps, rien que pour voir apparaître ce visage de cette personne que tu aimes. Des cheveux se dessinent, comme un million de projecteurs sur le noir de tes paupières closes. Des yeux se dessinent, aussi. Ces yeux sont à l’intérieur des tiens. Ton esprit devient symétrique. Tu perds un peu la carte. Tu adores perdre la carte parce que tu as l'impression que ça te rend spécial.

Tu te sens observé par ce visage que tu vois dans tes yeux et, plus tu te sens observé, plus tu appuies fort sur tes paupières. Tes yeux saignent, vraiment, à un point tel que tes mains saignent elles aussi. Mais en attendant, tu demeures fasciné par le faux visage rose qui éclabousse partout dans tes yeux. Alors tu écrases tes paupières un peu plus fort pour y voir ce baiser que tu n’as jamais vu. Ce baiser ne t’a jamais été accordé. Tu écrases tes yeux jusqu’à ce qu’enfin tu ne distingues plus rien de ce qui existe ou n'existe pas.

Alors tu rouvres les yeux. Pour un instant de réalité. Tu les ouvres, et les ouvres plus grands encore. Mais bien que tu les ouvres, tu ne vois toujours rien. Tout est noir. Tu replaces tes mains sur tes yeux. Tu appuies. De la lumière réapparaît et tu recommences à vivre.

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