16 septembre 2009

Tout


Le système solaire, ce n’est pas tout, Monsieur le professeur. Moi, le soleil, je l’ai jamais vu tout entier. Je sais qu’il existe, parce que tout est possible, mais moi je dis, les adultes bombardent leur logique un peu n’importe où. À vrai dire, Monsieur le professeur, je vois pas grand-chose qui soit logique dans tout ça. D’après ce que les gens disent en tout cas, tout se meut un peu n’importe où, tout se tait à peu près n’importe quand, tout se baise à peut près n’importe comment, tout se confond avec n’importe quoi. Moi je dis, une fois pour toutes, il faudrait lui mettre le grappin dessus, à ce tout. Qu’il cesse d’être à peu près rien et qu’il commence à être quelque chose... 

Non mais c’est vrai, je me demande à quoi il ressemble, ce tout. Ils disent souvent : tout s’oublie. Du coup, moi je dis, s’il s’oublie, c’est qu’il oublie de se laver. Et quelqu’un qui oublie de se laver, ça sent pas très propre. En plus, à ce qu’ils disent, il baigne toujours dans l’huile celui-là. Mais quand je me demande à quoi il ressemble, ce tout, je me rappelle qu’ils m’ont souvent dit : tout devient laid en vieillissant. Et quand j’y pense, ça doit faire vraiment longtemps que les gens disent ça. Alors le tout doit être vraiment vieux, et vraiment devenu très moche, et même très dégueulasse. 

Une qui est bonne, dans ce cas-là, c’est la toute. Vous connaissez? La femme du tout. Elle habite avec le tout malgré sa puanteur, alors que elle, ce qu’ils disent d’elle : ah, la toute belle! la toute radieuse! la toute splendide! la toute élégante! C’est la toute parfaite. Vraiment, je sais pas ce qu’elle fait avec lui. Mais les gens disent souvent : tout reste. Alors j’imagine que lui reste, et qu’elle le laisse rester. 

J’espère que, toutefois, la toute nourrit le tout. Parce que sinon, faudrait faire gaffe, Monsieur le professeur. Un jour, tout va mourir. Et si tout meurt, moi je sais pas si tout va pas sauter aussi. C’est pas moi qui le dit. Mais plus j’y pense, plus ça fait peur, Monsieur le professeur.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’ils disent toujours que tout est dans tout. Et moi je me demande si tout est dans moi. Et comment il a fait pour entrer là, lui. Si j’entre dans votre classe, Monsieur, je veux être le seul à y entrer. Mais je sens toujours ce foutu tout qui se faufile un peu partout. Dans mes cahiers, dans mes notes de cours. Même quand je suis assis là, devant vous, à mon pupitre, il me fait gigoter. C’est lui qui me fait faire des bêtises, Monsieur.

C’est sa faute à lui, vous savez. C’est lui le maître. Les gens disent que tout est l’envers, que tout est en désordre. Tout est carrément désordonné. Pas étonnant que mon pupitre soit dans cet état-là... C’est lui qui décide, c’est lui le maître. Il a même son temps à lui. Il disent toujours : y a un temps pour tout! Vous voyez, il a même un temps pour lui tout seul. Et moi je me retrouve « en tout temps » quoi, dans le temps du tout. Je suis dans son temps à lui, Monsieur, faut pas me demander ce que sont les participes passés... Ou le subjonctif présent... Je connais le temps du tout, mais vos temps à vous, je les connais pas du tout. 

Ils disent que tout devient laid en vieillissant, mais aussi ils disent : tout se complexifie en vieillissant. Moi je crois que c’est ça le problème. Il est si vieux, le tout, qu’on pourra jamais le comprendre. Et moi j’essaie de le comprendre, Monsieur, mais tout me dépasse. Pourtant, ils disent, tout s’explique. À moi, il s’est jamais expliqué. J’ai fini d’attendre. Tout est beaucoup plus vieux que moi, ici. Moi je dis, vaudrait mieux pour moi que je m’éloigne de tout, un certain temps. 

Je sais que c’est l’examen sur les planètes du système solaire ce matin. Mais moi, les planètes, ça me fait peur, voilà tout. Et faut que je m’éloigne de la science le plus vite possible, vous savez. Oui, parce qu’ils le disent : la science rejoint tout. Et moi, il faut absolument que je m’éloigne de tout ce qui rejoint tout...

1 commentaire:

William Drouin a dit...

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