28 septembre 2009

Non-guérison





Nous avons un problème, un sérieux problème. Je ne peux pas me lever debout, mais je peux vous en parler. Je ne parle pas de problème insignifiant du style des mères-porteuses, non je parle d’un vrai problème en tant que société, non de nation, non de pays, non de continent, non de non! De paraplégie de cacophonie o.k., je vais m’expliquer oui, laissez-moi m’expliquer mais je sais que vous voulez que je m’explique, je ne suis pas sourd! Vous êtes plus sourd que moi! Et je ne vous traite pas de sourd pour autant!

Non, je ne me lèverai pas. Je ne veux pas me fâcher, c’est vrai. Pas parce que nous avons un sérieux problème qu’il faut se choquer. Je ne ferais qu’empirer les choses. Je ne veux pas empirer les choses : je veux vous mettre au courant. Mais j’hésite, depuis un certain temps, en fait, depuis que vous m’avez donné le droit de parole, car il faut dire que c’est assez rare, ici, d’obtenir le droit de parole! Hein, Monsieur le procureur! Non, je ne veux pas vous offenser, non, je ne fais rien de cela, je parle. Vous m’avez demandé de parler, vrai? Je parle. Et je reste assis. Je vous préviens d’un inquiétant danger, et vous, tout ce que vous trouvez à faire, c’est de me remettre à l’ordre! Vous êtes dans quel clan, dites-moi? Vous êtes pro-fin-du-monde ou quoi? Vous souhaitez la fin de l’espèce humaine, c’est ça! Dites-le d’emblée, on en aura fini avec vous. 

Non je ne m... Non je ne me choque pas! Je ne vandalise rien non plus! Ma voix ne vandalise rien! Ce sont d’autres voix que vous devriez punir, Monsieur le proc! Quelles voix? J’ai entendu quelqu’un me demander quelles voix ; de quelles quoi croyez-vous que je parle, Monsieur le pro

- Sacha? Ça va? 

Une autre! Ça y est! Vous entendez, Monsieur le proc? C’est un interminable dialogue entre la planète et moi, qui se joue, là, présentement, et je crois que vous devriez être au fait de ce qui se joue! 

- Ça doit faire vingt minutes que t’es enfermé dans les toilettes... Qu’est-ce tu fous? 

Je ne suis jamais certain, jamais totalement certain, mais si je me concentre, parfois, je suis certain et je suis certain d’une chose, c’est qu’elle m’a traité de fou! Vous avez entendu, si, comme moi? Je devrais lui crier que je ne suis pas fou, mais les gens considèrent fou tout ce qu’ils ne connaissent pas! C’est vrai, moi, quand ils me laissent me promener dans la rue, je saurais en traiter mille de folles.

- J’entends quand tu parles, Sacha... C’est moi, Judith. Pourquoi tu sors pas?

Elle va encore me sortir le coup du...

- T’es normal. On n’a rien contre toi!

J’ai mal au ventre, des docteurs me pincent par en-dedans alors vous comprendrez pourquoi je reste assis-là, je ne peux pas me lever, il faut que les intestins me sortent, vous comprendrez, car les docteurs habitent dedans. Il faut que je chie tout ce qu’ils sont, ça fait des jours qu’ils me pincent et me parlent par en-dedans. C’est du sérieux, Monsieur le procureur ils me parlent d’un danger guettant l’humanité entière. Celui qui me l’a dit, c’est lui, là! Oui, celui au fond de l’eau! Mais, je sais qu’il se noie au fond de la toilette, Monsieur, mais vous ne pouvez tout de même pas me demander de le sauver! C’est lui, l’initiateur de la fin du monde! 

- Sachaaaaaaaaahhh tu fais exprès ou quoi! J’ai envie de pipi!

C’est sa faute à lui! À elle! Je dois les laisser mourir! Ne me dites pas qu’il faut sauver les gens qui introduisent de mauvaises nouvelles! Non, ne me dites pas ça!

- Tu vas te noyer dans la toilette si ça continue, Sacha!

Il ne le faut pas, je vous l’assure. Oui, oui, je me suis levé maintenant oui, je me choque! D’accord, c’est vrai, je suis choqué! La preuve est que je me suis levé... Je le remarque. Je ne suis pas aveugle! Vous me croyez aveugle?! Sourd, aveugle, imbécile, c’est ça? Voyez qui le tient, le morceau, Monsieur! Voyez qui tient le rasoir! Voyez-le! Ce n’est pas le petit docteur! Les docteurs sont bons sur le scalpel, et pour les oeuvres de charité! Mais moi je parle sérieusement, et quand je dis que la planète est danger, c’est vrai! Et le rasoir, vous n’avez rien à dire contre ça, dites...

- Tu te rases? Mais t’as pas un poil...

Moi, que ferez-vous si j’utilisais le rasoir, rien qu’un tout petit peu, pour régler le sort de l’humanité. Parce que j’adore l’humanité, vraiment, je l’adore, seulement il faut en punir quelques-uns, je veux dire il faut en tasser certains pour en laisser parler d’autres, d’autres qui ont beaucoup envie de parler. C’est différent chez chaque personne. Certaines personnes ont beaucoup, beaucoup, beaucoup envie de parler. Et d’autres, à peine. C’est la constitution. Je l’ai signée. Et maintenant, c’est le trait final moi je dis, certains doivent parler, et si ce n’est avec la langue, c’est avec le rasoir, même imberbe!

- Tu te décides enfin?

Et je me suis décidé, Monsieur le procureur, mais ce n’est pas contre vous que je fais la révolte, c’est contre le petit docteur qui est sorti de mes intestins jusqu’à l’eau de la toilette et ce docteur il m’a dit, c’est fini pour l’être humain! Les frères ne sont plus frères! Les soeurs ne sont plus soeurs! Plus rien n’est rien! C’est le cancer partout, Monsieur! Le cancer! Il a dit : il faut éliminer le cancer ; et le cancer est partout! Ça y est! La chimio ne règle rien, alors tentez-le par vous-mêmes! Tentez de régler le problème, tuez le problème! Tuez le cancer! Mais le cancer est en vous... vous savez ce qu’il m’a dit : le cancer est en vous... derrière une toute petite porte, vous l’ouvrez un jour et paf c’est en vous, mais c’est un problème qu’il faut savoir digérer, Monsieur, un problème qu’il faut accepter de voir, tout digéré, tout ramolli, tout là, au fond du bassin d’eau, il faut le regarder droit dans les yeux je crois et dire : c’est moi qui vais te tuer.

1 commentaire:

William Drouin a dit...

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