20 septembre 2009

Zéro


J’ai 26 ans. Vingt-six ans. Twenty-six years old. Veintiséis años. Sechsundzwanzig Jahre alt! Ventisei anni! Zesentwingit jaar oud! 26 лет старых... είκοσι έξι χρονών...


J’ai beau me répéter mon âge de toutes les façons possibles, ça ne rime à rien. Plus je le répète, moins il signifie. Je n’arrive pas à saisir ce qu’il tente de me dire exactement. Oui, âge? (Parfois, je colle mon poignet contre mon oreille et j’écoute ce qu’il a à me dire) Oui, que veux-tu dire exactement? Vingt-six : un peu plus d’un quart de siècle, un peu moins que vingt-sept, le chiffre treize fois deux, le double d’une douzaine plus deux, l’âge de mon imbécile d’oncle divisé par deux, la date d’aujourd’hui plus le mois de juin, et demain, ce sera la date d’aujourd’hui plus le mois de mai! Oui, chaque jour, je gagne un jour, mais je perds aussi un mois! C’est probablement le calcul le plus juste ; la meilleure façon de voir les choses...  


Catherine a 25 ans. C’est pour cette raison qu’elle ne m’appelle plus depuis une semaine. Un an de moins que moi. Elle n’a vu que 25 étés. Moi, 26. Il lui manque une saison. Un été lui manque, et c’est ce qui la rend complètement décalée. Et cet été qu’elle a manqué, c’est peut-être l’été de mes quinze ans, l’été le plus important de toute ma vie! C’est peut-être cet été où il faisait très chaud, ou je me suis baigné comme jamais! Où je n’avais ni blonde ni personne pour me dire d’exister... 26 moins 25, ça ne fait qu’un. Nous ne pourrons jamais n’être que tous les deux. Tout s’explique par le calcul...


J’ai toujours calculé. Je ne veux pas dire que j’ai toujours étudié la table des multiplications, non celle-là, je l’ai apprise assez vite. Je veux dire que depuis mon enfance, je calcule tout. Je connais même la fin du nombre pi. C’est zéro. Je ne connais pas l’avant-dernier chiffre. Mais le jour où quelqu’un le trouvera, je pourrai dire avec raison que le chiffre qui le suit, c’est zéro. Car tout se termine par zéro. Le vide, à la fin des chiffres, vous croyez que c’est quoi? 


Tout se termine par zéro. Aujourd’hui, j’ai vingt-six ans et zéro jour. Mais le zéro, on l’efface toujours. D’ailleurs, quand un enfant naît, on ne dit jamais qu’il a zéro an. On dit oh qu’il est beau. Et jamais on ne fête l’anniversaire de son zéro an. Vraiment, en mathématiques, les gens n’ont aucune compassion pour les zéros. Dès qu’un nombre se termine par zéro, on supprime ce zéro dès que possible. 


Je crois que tous les êtres humains sont constitués à peu près de la même façon que le nombre pi. Une succession de hauts et de bas. Quelques-uns plus élevés que d’autres. Mais tous naissent trois. Et de ce trois, ils bâtissent n’importe quoi. Ils retombent vite à un. Puis, lorsqu’ils apprennent à marcher, ça vaut bien un quatre. Mais dès qu’ils se mettent à faire des bêtises, ils retombent à un. Enfin, une fois l’enfance terminée, ils atteignent le six. À partir de là, c’est une série de haut et de bas. Certains resteront six, d’autres resteront un. Einstein, pour moi, c’est un neuf. Mais tout cela se termine toujours de toute façon par un zéro qu’on veut cacher sous terre.


La mort ne m’inquiète pas, au contraire, je la trouve très utile. À quoi ressemblerait sinon la population de la planète? Elle franchirait actuellement probablement le cap des 26 145 556 334 200 332 445 553 240. Je dis seulement que tout se termine par zéro. C’est le zéro qui décide de tout. C’est une loi tout à fait logique.


Je suis 26. Catherine est 25. Et curieusement, lorsqu’elle regarde un enfant de cinq ans, elle perd tous ses moyens. Elle veut le cajoler, l’embrasser. Puis, lorsque cet enfant a deux ans, elle veut carrément le prendre dans ses bras. J’en infère que plus les gens sont jeunes, plus Catherine leur accorde de l’attention. Suivant cette logique, si j’avais zéro an, elle serait probablement complètement amoureuse de moi. 


Je dis qu’il faut repartir à zéro. Pour partir en neuf. Il n’y a plus d’âge. Je ne suis plus 26. Cessons de compter les anniversaires. Nous sommes zéros. Zéros pour tout le monde. Mais pour être certains d’être zéros, il faut mourir. Il faut se suicider. C’est une loi tout à fait logique. Si tout se termine par zéro, alors si je meurs, je deviens moi-même zéro. Et Catherine m’aime. C’est la seule solution possible.


Les anniversaires, c’est con. Ce n’est pas pas parce que j’ai un an de plus qu’elle m’appelera. Mais dès lors que je serai zéro, sa voix se fera entendre de nouveau. Mon cellulaire sonnera. Je voudrai lui répondre, mais je serai trop mort pour pouvoir sortir le téléphone de mon pantalon. Elle me laissera un message :


- Bonne fête! Vingt-six ans! Wow! Ça te tente qu’on aille manger au resto pour fêter ça? 



à Alexandre


1 commentaire:

William Drouin a dit...

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