16 septembre 2009

Dario




le développement 
d'une histoire
n'est pas différent
du développement
de la réflexion


Mort.

J’ai un mort à mes côtés. Il s'appelle Dario. C'était le nom qu'il s'était donné. Et alors? 56 ans, cheveux noirs, maigre comme un chou gras. Que dire de plus? Comment voulez-vous que je me sente? Ce n’est pas moi, le mort. Ce n’est pas moi qui suis malade depuis des mois. Comment voulez-vous que je me sente? Malade? Si c'est le cas, les morts rendent malades, c’est ça? Au nombre de morts qu’il y a eu sur terre, si on vous écoutait, il ne resterait plus sur terre que des malades.

Sympathie.

Les sympathies, je les aies. Je lui donne, au mort. À Dario, d'accord, il a un nom. Je ne pleure pas pour autant. La mort, ça vient comme ça, chercher un être puis un autre. C’est comme le cancer, ça tue qui ça veut. On ne choisit pas. C'est le hasard! C'était lui, et pas moi. Je me réjouis. J'ai tort? Il a perdu, j'ai gagné. Je ne pleurerais pas si je gagnais à la loto, croyez-moi! Alors comment voulez-vous que je me sente visé? Je ne suis pas mort. Et même si je l’étais, me sentirais-je visé? Non, jamais, je ne serais pas assez conscient pour me sentir visé. Alors comment me sentir concerné par la mort?

Empathie.

Un synonyme, encore? Sympathie, empathie, personnellement, ça rime, sinon c'est pareil. Sympathique, ça veut dire gentil, je sais. Mais empathique, ça ne veut pas dire grand-chose. Que les autres meurent, je trouve ça tout à fait normal. Les autres meurent chaque nuit, chaque jour, tout le temps, bref ils ne font que ça de leur vie. Mourir. Chaque fois que j’entends parler de la vie des autres, c’est à propos de la mort. Je me dis que leur vie ne se résume à pas grand-chose à part la mort, vraiment. Ils vivent pour mourir, c’est tout. Ils ne font rien de leur vivant, mais ce qu’ils font de leur mort... Ils me demandent de les aimer morts alors que je ne les ai jamais connus vivants!

Pathétique.

Moi ça? Je connais ce mot-là. Je ne suis pas pathétique. J'existe. Dieu n’existe pas. Nous allons tous mourir, les uns après les autres. Alors à quoi bon dire que celui-là était meilleur que celui-là? C’est du pareil au même. Nous sommes des poussières nées d’autres poussières et la mort, étant poussière elle-même, ne fait de nous que de minuscules poussières qui retourneront elles-mêmes poussières, pour des poussières et des poussières encore, qui mettront au monde d’autres poussières qui vivront pour se rendre compte qu'enfin elles n'étaient que poussières elles aussi!

Allergie.

Vous êtes allergique à la poussière? Allergique à la mort? Eh bien moi, ça ne me fait pas peur, la mort! La mort, je la vis. Je la sens chaque jour. Je la comprends, même! Ne venez pas me dire que Jésus avait compris la mort. Ne venez pas me dire que tous ces religieux avaient compris la mort. Personne ne comprend rien à la mort, car personne ne comprend qu'il n'y a rien après la mort! La résurrection n'existe pas, tout comme l'astrologie n'existe pas!  Non, vraiment, jamais la mort ne me fera couler du nez, jamais elle ne me fera couler de l’oeil...

Idiot.

C’est moi l’idiot? Et c’est vous qui ne dites qu’un seul mot alors que j’ose en dire plus d’une vingtaine?! C’est vrai, la sagesse revient à celui qui ne dit pas grand-chose, c’est vrai, la sagesse revient à celui qui se tait! Mais je refuse de me taire, voyez-vous! Je vis, moi, parce que de toute façon, n’est-ce pas vous qui dites qu’il faut vivre à tout prix? Vous vous contredisez vous-mêmes. Moi, je parle. Et c’est ça, la vie. Parler. C'est découvrir ce que nous avons à dire, nous-mêmes.

Étincelle.

Comme si le feu avait quelque chose à voir là-dedans. Un feu s’est éteint à mes côtés. Il s'appelait Dario. Il brillait de pleins feux. Son énergie se communiquait à tous les êtres fabuleux de la planète. Non mais, quelle genre de poésie voulez-vous que j'écrive à propos d'une chose aussi froide et sans intérêt que la mort? Je n’ai pas les outils nécessaires pour faire revivre les morts, alors à quoi bon vouloir parler d'eux! À quoi bon tenter de le réanimer? Je ne suis pas du genre à sortir les allumettes, le bois ou les pierres. Il est mort, il est mort. Il faut accepter le destin des autres. Et je fais plus que l’accepter, ça ne me fait ni chaud ni froid! C’est la suite des choses! La suite logique de la vie humaine.

Éteinte.

Tout s’éteint. Moi-même je vais m’éteindre. Et qui sera là pour pleurer mon décès? Personne. Et c'est tant mieux. Ma petite famille, peut-être. Et si je mourais subitement, personne ne serait là. Je ne pourrai jamais, sur mon lit de mort, remercier ceux qui m’ont aidé. Je ne pourrai jamais dire à ceux que j’aime que je les aimais. Je ne pourrai pas le faire. Je partirai comme ça, pouf, comme une poussière... Comme rien du tout. Et j’aurai vécu tout ce temps pour accomplir ce que j’ai accompli, là, pour dire ce que j’avais à dire, là, toute ma vie, de mon présent, pour dire ce que j'avais à dire de mon présent...

Étincelle.

Et ce temps qui passe tandis que je dis ce que je dis là, alors que je pourrais utiliser ce temps pour faire autre chose. Tandis que je pourrais utiliser ce temps pour faire autre chose... Je pourrais mourir comme ça, d'un coup. Moi aussi, je pourrais le faire. Et je ne serais pas meilleur que ce mort-là ou celui-ci. Il y a un mort à mes côtés. Et la dernière chose qu’il m’a dite, c’est « ne t’en fais pas, t’as autant de chances de gagner à la loto que d’avoir une tumeur au cerveau ». Et si j’étais chanceux? Si j’étais incroyablement chanceux? Et si je gagnais à la loto? C'est possible... Ça arrive à quelques-uns d'entre nous. Je ne pleurerais pas. Je n'aurais pas le temps de pleurer. Ça arriverait si vite que je ne saurais pas quoi faire. De toute façon, je serais inconscient depuis longtemps, non? C'est possible. C'est très possible. Comme ça boum boum, paf. Ça peut m'arriver. Ça m'arrive peut-être. Là, maintenant. C'est possible. C'est terrible...

Vie.

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