9 septembre 2009

La logique meurtrière



Laissez-vous porter 
par le moment présent



Je ne veux pas dire que j’aimerais qu’il vive, ce n’est pas ce que je veux dire, je veux dire que je voudrais qu’il... vive comme il pourrait vivre c’est-à-dire, je ne crois pas qu’il puisse vivre éternellement, c’est vrai, ce serait stupide de croire cela, car chaque homme meurt, à un certain moment, alors c’est normal que je dise que je ne voudrais pas le voir vivre éternellement. Pas que je ne voudrais pas le voir vivre éternellement, je voudrais bien, mais la chose est impossible. Alors je veux le voir vivre aussi longtemps qu’il vivra. Voilà.

Mais sachant ce qui attend les humains, je sais bien qu’il mourra. Et j’aimerais bien le voir mort, non, je veux dire, j’aimerais bien qu’il soit humain, enfin, j’espère qu’il est humain, alors j’espère qu’il mourra! Je veux dire, tous les humains meurent, alors lui aussi mourra, et ça me fera plaisir de voir que lui aussi était humain. Il me ferait grande peine de m’apercevoir qu’il n’était pas humain, vous comprenez, enfin... Il me ferait grande peine de ne pas le voir mort, car il me ferait grande peine de m’apercevoir qu’il est éternel, car s’il était éternel, cela prouverait qu’il n’est pas humain, et j’aimerais bien qu’il soit humain car j’aime les humains, vous voyez...

Je ne veux pas dire que j’aimerais qu’il soit mort, seulement, j’aimerais être présent lors de sa mort. C’est normal, je veux être là lorsqu’il nous quittera, oui bon, je veux être présent lorsqu’il cessera d’être présent, d’accord ça peut paraître étrange, mais ceux qui nous quittent ne nous quittent jamais vraiment, vous savez, ils restent là. Alors oui, j’aimerais le voir mourir devant moi, mais je ne dis pas que je le veux mort, non je le veux vif, mais j’aimerais bien être présent lors de son passage vers l’au-delà, vous savez, pour qu’il me sente près de lui. Pas que j’aimerais qu’il sache que c’est à cause de moi qu’il est mort non, ça m’est bien égal, j’aimerais seulement sentir une fois un mort mourir. Voilà tout. Non je ne suis pas... Non je ne lui veux aucun mal.

Comment vous dire... je veux bien qu’il ait mal, pas parce que j’aimerais lui faire mal, mais avoir mal, c’est une chose humaine vous savez, et je serais bien peiné d’apprendre qu’il était pendant tout ce temps un simple robot ou autre chose d’inhumain, non c’est important pour moi vous savez, qu’il ait mal, voilà tout.

Je ne veux pas dire que j’aimerais qu’il ne vive plus, seulement, je veux qu’il vive ce qu’il a à vivre, et je me dis, comme ce qu’il a à vivre n’est en rien l’éternité, je me dis ce qu’il a à vivre, c’est maintenant, c’est le moment présent. Alors s’il ne peut saisir ce moment présent, moi, je veux bien lui faire saisir enfin, je veux bien le provoquer, moi, ce moment présent!

Je ne veux pas dire que je veux sa mort, entendez-moi bien, seulement il serait stupide de ne point la vouloir, cette mort, car elle arrivera de toute façon. Alors aussi bien la provoquer, vous savez, plutôt que de l’attendre inlassablement, aussi bien la décider, cette mort. Aussi bien l’en avertir et être là, à ces côtés.

Non, je ne vous parle pas d’euthanasie, aucunement, car l’homme dont je vous parle n’est pas sur un lit d’hôpital! Enfin, vous le voyez bien, là, c’est un prisonnier enfin, c’est un type derrière des barreaux alors j’en infère que c’est un prisonnier, dites-moi le contraire si c’est effectivement le contraire. Mais je me dis, comme il sortira bientôt de prison, il verra son espérance de vie grandement augmentée, alors il se croira éternel, mais il faut le raisonner, Monsieur, vraiment, il faut qu’il sache qu’il n’a rien d’autre à vivre qu’une succession de moments présents. Et puisque sa vie n’est qu’une succession de moments présents, je me dis, aussi bien immortaliser tout cela!

Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je veux dire, je ne veux pas dire que je veux qu’il soit mort, seulement, voilà : j’aimerais qu’il se souvienne, lorsqu’il mourra, de tout le mal qu’il a fait, et je ne dis pas que c’est mal de faire le mal, au contraire, si les humains ont mal, cela prouve qu’ils sont humains! Donc c’est bien nécessaire d’avoir quelqu’un comme lui qui fasse le mal, cela permet aux humains qui ont mal d’être plus humains encore, et donc, de plus exister encore. Et j’aime me sentir humain, et donc, j’aime ceux qui me font mal! J’aime donc cet homme! Ah vraiment, n’hésitez pas, Monsieur ; ne tentez pas de deviner ce à quoi je pense, je ne pense à rien de mal, je pense à lui, Monsieur, je ne pense qu’à lui et rien d’autre.

Je veux qu’il meurt, bien sûr, oui, mais ne prenez pas cette affirmation comme une menace, s’il vous plaît! Je vous en prie non, ce n’est pas du tout ça. Lorsque je dis que je veux qu’il meurt, c’est parce qu’avant tout, je veux qu’il vive! Vous comprenez? Et puisque quiconque vit meurt, eh bien, je veut qu’il meure. La chose me semble normale, vraiment, Monsieur, j’ignore pourquoi vous m’avez mis les menottes. Je ne suis pas fou. Je suis extrêmement logique. Je vous assure. Extrêmement cohérent.

Je veux le tuer, oui bon d’accord, mais d’où vous sortez ça? Oui, je veux le tuer, c’est vrai, mais j’essaie justement de vous expliquer ma façon de voir les choses! Je ne crois pas qu’il ne mérite pas de vivre, soyez-en certain! Il mérite assurément de vivre, mais sa durée de vie, disons, quant à elle, demeure indéterminée. Vous savez, sa durée de vie ne doit pas dépendre de lui-même, puisque sa mort ne dépend pas de lui-même! C’est logique! Alors, je crois, vraiment, que sa durée de vie doit dépendre d’un autre être humain, Monsieur.

Parce que celui qui vit est humain, c’est l’humain qui décide de la vie, Monsieur! Et moi, ne suis-je pas humain? Je crois que tout peut s’arranger. Je peux très bien décider de la durée de vie de cet être humain. Ça me semble très logique. Qui plus est, l’être humain se caractérise par ce qu'il a fait de mal! Et moi? Y a-t-il une seule chose qui puisse prouver que je suis humain? Je n’ai jamais rien fait de mal, Monsieur. Mais si seulement je commettais une grave erreur, vous savez, si je faisais réellement le mal, comme, par exemple, tuer quelqu’un, cela pourrait prouver que je suis humain. Vraiment, Monsieur, mon seul but je vous le jure, c’est d’être humain. 

Bon, c'est vrai, j'ai dit que je voulais le tuer. Mais comprenez-moi, je veux seulement être celui qui détermine le moment de sa mort. Et puis? Qu'importe! Relâchez-le. Sortez-le de prison enfin! Mon but n'est pas qu'il vive moins longtemps que la durée de vie qui lui est due, Monsieur, comprenez-moi : mon but n'est pas de le faire cesser de vivre sans raison! Je vous jure, Monsieur, je l'attends. Et je veux le voir vivant.








1 commentaire:

William Drouin a dit...

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