26 novembre 2009

Réinvention presque posthume




J’ai tout écrit. Il n’y a plus rien à écrire. J’ai tout fait. Je suis mort 45 fois depuis ma naissance. Et je n’ai même pas 45 ans. Je suis mort en moyenne deux fois par année. J’ai peint ce qu’il y avait à peindre. J’ai aimé celles que j’ai aimées. J’ai bu ce qu’il y avait à boire. J’ai fumé. Beaucoup. J’ai ri une fois par jour, au moins. Des jours que je riais 45 fois, mais je ne comptais pas. 

J’ai vendu, j’ai acheté. J’ai reçu de l’argent. Je me suis soûler au milieu des gens. Même si aucun de ces gens n’était dans le même appartement que moi. J’ai dansé. J’ai crié. J’ai encore dansé. J’ai réveillé des voisins. J’ai fait brûler des épouvantails. J’ai fait exploser des bouts de plastique. J’ai poussé des filles. Des gars mon pété la gueule. Je suis retourné chez moi avec mon sang et mon ivresse. J’ai été joyeux.

J’ai espéré l’amour. Une fois. Je l’ai eu six fois. Et je l’ai fait cent fois. Mille fois, si on compte les fois où je l’ai fait tout seul. Je suis sorti tard. Je ne suis jamais rentré. J’ai parlé au travers de mon chapeau. Du mien et de celui des autres. 

J’ai enterré vivants des thons dans un carré de sable. J’ai vomi après avoir été malade, après avoir mangé une saucisse et après avoir bu du whisky. J’ai bu tout ce qui a existé, sauf la bouteille qui traîne encore dans ma bibliothèque. J’ai lu des livres mauvais. J’ai lu des livres trop longs. J’ai lu des contes pour enfant. J’ai lu des blagues qui ne m’ont pas fait rire. J’ai lu les livres que j’avais écrits mentalement. Et j’ai mentalement su qu’il ne fallait pas que je les publie. 

J’ai héberger des artistes. J’ai écouté chanter des filles qui ne savaient pas chanter. Pendant 27 ans, j’ai enduré tout ce qu’il y avait à endurer. J’ai donné des piastres à des clochards sur Sainte-Cath. J’ai vu une fille pleine de sida se piquer à l’héroïne. J’ai observé attentivement un paranoïaque faire une crise cardiaque. J’ai travaillé avec le public. J’ai travaillé dans la construction. Je me suis efforcé. Je me suis fatigué. Je me suis relaxé. Et j'ai recommencé.

J’ai promené mon chien 400 fois. J’ai fait l’épicerie 250 fois. J’ai fumé 4000 cigarettes. J’ai bu 650 bières. J’ai fait 2500 redressements assis et 300 push-ups. J’ai mangé 67 spaghettis sauce à la viande et 23 fondues chinoises. J’ai fait ce qu’il y avait à faire.

J’ai donné 60$ à la guignolée, 300$ à opération enfant-soleil, 3400$ à hydro-québec et 8000$ à l’impôt. J’ai fait partie d’un syndicat, d’un groupe d’artiste, d’une manifestation, d'un groupe de touristes, d’une gang de junks, d’un trip à trois, d’un comité littéraire.

J’ai fait des études. J’ai vu l’université. J’ai eu des amis. On a bu de la bière dans des verres à café pendant les cours. On a bu du vin autour des tables rondes. Je me suis pris pour un autre. J’ai cru que j’étais un artiste. J’ai signé des autographes. Je me suis trouvé beau. Je me suis trouvé laid. J’ai mis du varsol sur mes boutons. Je me suis rasé la barbe. J'ai eu la barbe longue. Je me suis rasé encore et j'ai eu la barbe longue. Je me suis photographié nu. Je me suis filmé nu. 

J’ai fait des vidéos cocasses. J’ai composé de la musique. J’ai joué Erik Satie au piano. J’ai imité plusieurs artistes. J’ai adoré Miro. J’ai voulu me retrouver dans la peau d’un autre. J’ai voulu me suicider. J’ai pleuré dans les bras d’une fille. J’en ai aimé une autre. J’ai été infidèle. J’ai voulu vivre. J’ai pris le bateau, le train, l’avion et l’auto. J’ai tondu la pelouse. Je me suis fait tondre le pied par mon père. 

J’ai détesté mes parents. J’ai détesté le travail, la cuisine et l'alcool. J’ai détesté les adultes. Puis j’ai aimé mes parents. J’ai aimé travailler, cuisiner et prendre un coup. Je suis devenu adulte.

J’ai tout fait ce qu’il y avait à faire. À partir de maintenant, tout ne fait que se répéter. Plus rien n’est à faire. J'ai chié 14 000 fois, pissé 52 000 fois. Le soleil, je l'ai vu se lever 1300 fois et je l'ai vu se coucher au moins autant de fois que j'ai pu pisser. La lune, je l'ai vue pleine 40 fois. Une fois de plus, une fois de moins. J'en ai assez vu. 

J'ai subi les pires insultes. Je me suis fait battre. J'ai battu les plus faibles. J'ai insulté les plus forts. J'ai battu ce qu'il y avait à battre. J'ai vécu les pires échecs. J'ai vécu les meilleurs échecs. J'ai vécu ce qu'il y avait à vivre. J'en ai assez, maintenant.

J'ai écrit tout ce que j'avais fait. J'ai dit que j'avais fait tout ce qu'il y avait à faire. J'ai demandé la mort. J'ai demandé autre chose. J'ai espéré avoir le goût de continuer et de refaire ce que j'avais fait. Puis, j'ai continué et j'ai refait. 

Et j'ai réinventé.

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