25 novembre 2009

Comment écrire l'épopée du boeuf bourguignon en une seule étape facile



J’ai envie d’écrire, de parler de quelque chose de sérieux, quelque chose de logique, de cohérent et de droit un truc avec beaucoup de verbes, et d’adverbes, et de chiffres aussi. Un texte avec des statistiques sur la grippe ou sur la mort ou sur les naissances très nombreuses et les voyages aussi, et le nombre impressionnant de bagages à l’aéroport. Je veux un truc sur les femmes qui s’emmerdent dans les bureaux d’agences de voyage et je veux une relation amoureuse entre un nègre et une scandinave. Je veux une histoire vraisemblable qui ne tombe dans aucun cliché, mais je veux des voitures, du sexe, des blagues et des fusils. Je veux un truc travaillé, retravaillé et peaufiné. Un brin intellectuel, mais pas trop. Je veux de la philosophie, mais surtout de l’introspection, comme dans les auto-fictions.

Je veux écrire une histoire dont le début mettrait en scène une femme dans une cuisine. Pas trop d’animaux, seulement un chat. Un chat et une femme dans la cuisine. Je veux qu’elle fasse un ragoût ou un boeuf bourguignon, quelque chose du genre, et que ce soit super sérieux la façon dont elle mélange les légumes et la viande de sa marmite. Je veux que ça commence comme ça. 

Je veux expliquer ce à quoi pense la femme, et ce à quoi elle pense, je veux que ce soit ce à quoi pense une mère de famille super normale qui attend son mari. Et le chat, lui, je veux qu’il soit comme un bibelot mais qu’il ait un pouvoir symbolique. Tous les thèmes visités par mon histoire tournent autour de lui. C’est un super-chat. 

Je veux un élément déclencheur qui soit cohérent avec le début. Je veux que le lecteur se dise « j’y crois pas, vraiment, cela arrive? C’est possible que cela arrive, mais je ne m’attendais pas à ce que cela arrive! » Il y aurait un assez grand effet de surprise et la marmite de la vieille se renverserait sur le plancher de la cuisine, et le chat recevrait plusieurs gouttes de boeuf. 

Je veux écrire longtemps. Une longue histoire. L’intrigue doit être extrêmement longue. Il doit y avoir de grands questionnements : « Qui a bien pu nettoyer le boeuf bourguignon que la femme a renversé sur le plancher de la cuisine? » Et des indices : « Le chat adore le boeuf bourguignon. » Je veux de longues descriptions qui donnent un sens aux jugements de la femme dans la cuisine : « Elle est vieille, elle fait attention au gras, elle a les pieds palmés et des boucles d’oreille en forme de losange. »

Je veux que le lecteur soit étonné de la suite des événements. Je veux du suspens, des énigmes et des événements fantastiques. La vieille doit quitter sa cuisine pour prendre l’avion. Mais elle ne connaît rien, ni aux douanes ni aux hôtesses. Je veux qu’elle se trouve un mec sympa et musclé qui mange une patate frite. Je veux qu’elle l’embrasse, qu’elle le parfume et qu’elle le transforme. Je veux qu’il devienne elle et qu’ils se définissent tous les deux comme des âmes soeurs. Je veux une rupture, grave et émotive, et je veux que ce soit mon dénouement. 

Je veux écrire un texte bien écrit. De jolis mots assez longs qui disent ce qu’ils ont à dire mais qui n’en disent pas trop long. Je veux des blagues au sujet des hommes musclés et au sujet des femmes dans les cuisines, mais je ne veux ni clichés ni kitsch. Je veux que mon texte soit sincère, vrai et authentique. Et les gens ne sauront plus comment définir mon genre. Je veux qu’ils hésitent entre l’auto-fiction, l’essai, le roman traditionnel, la poésie et la biographie ; et je veux qu’ils décident finalement d’inventer spécialement un nouveau genre en mon nom.

Je veux que mon texte soit publié, je veux en vendre beaucoup et recevoir beaucoup d’argent. Je veux être reconnu dans la rue et je veux que mes lecteurs me parlent directement. Il faut qu’ils me parlent précisément de la fin de mon récit. Et je veux que la fin soit grave, rigolote et surprenante. Je veux un départ avec beaucoup de bagages, un retour à la cuisine initiale et un retour aux origines. Je veux que le chat se mette à parler, mais discrètement. Une sorte de langage qu’il faut s’amuser à décoder. Je veux écrire tout ça, et je veux l’écrire en une seule soirée. Je ne veux pas m’attarder trop longtemps aux lieux communs, mais je veux transgresser les tabous. Je veux que la vieille boive, et qu’elle boive beaucoup. Je veux que tout le monde prenne de la drogue et que les jeunes fassent l’amour sans cesse. Je veux qu’il y ait de la musique des années 70 sur tout ça, et que les enfants soient autistes mais attachants. 

Je veux, à la toute fin, un dernier dessin. Pas trop abstrait, mais très contemporain. Un truc qui ne s’inspire de rien sauf de l’histoire. Une femme qui renverse une marmite et une avion dans le ciel. Des traits de crayons très gras, et un chat gris presque rayé. Rien de commun. Je veux une finale explosive toute en rires pour que les lecteurs veulent la relire. 

Je veux l’écrire, et je veux en être l’auteur. Je veux que le bouquin soit aussi épais qu’une bible et que les enfants aient horreur de le lire. Je veux récolter des prix prestigieux en littérature, et avoir une page wikipédia juste à moi.

Je ne veux rien de trop compliqué, juste une histoire logique et belle. Je veux que le texte soit utile et bien expliqué, comme un mode d’emploi, étape par étape. Je veux que le texte serve à tout le monde et qu’il contredise les préjugés du gouvernement. Je veux que ce soit poétique, mais vivant. Je veux une ambiance réelle, où l’on pourrait sentir l’odeur du lilas, du président américain et des gamins qui baissent leurs culottes.

Si tu pouvais m’écrire tout ce que je devrais écrire. Si tu pouvais le faire avant demain matin, ce serait génial... 

Je t’aime 
xxx

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Your blog keeps getting better and better! Your older articles are not as good as newer ones you have a lot more creativity and originality now keep it up!