16 novembre 2009

Les morts compliquées



Mon chien est mort hier. Ma mère est morte deux jours avant. Et mon père, deux mois avant. Donc, ma mère est morte deux jours avant hier. Elle est morte il y a trois jours. Elle est morte deux jours avant que mon chien meure. Et mon père, il est mort deux mois avant. Deux mois avant que ma mère meure. Donc, il est mort deux mois avant deux jours avant hier. Il est mort deux mois avant aujourd’hui, plus hier, plus deux jours, les deux jours étant ceux où ma mère est morte. Il est mort deux mois et deux jours avant le jour où mon chien est mort, voilà. Ce qui fait, en bout de ligne, deux mois et trois jours. Je peux dire avec fierté que mon père est mort il y a de cela deux mois et trois jours. Et aucun mathématicien ne pourrait me reprendre. À moins qu’un mathématicien ait inventé une nouvelle façon de calculer la mort. C’est toujours possible. Aujourd’hui, la science n’a plus de limites. Et qui plus est, la mort n’a jamais eu de limites.

Mon frère, lui, il est mort deux jours avant mon père. Il est mort il y a de cela deux jours et deux mois et trois jours. Deux plus trois, ça fait cinq. Donc, mon frère est mort il y a de cela deux mois et cinq jours. Mais ma soeur, Béatrice, elle est morte un jour avant que ma mère apprenne la mort de mon père. Et ma mère a appris la mort de mon père un mois avant la mort (de mon père). Et mon père est mort un 31 mars. Donc, elle l’a appris le 31 février, mais il n’y a pas de 31 février. En plus, c’était une année bissextile. Donc, elle a appris la mort de son mari un mois moins deux jours avant sa mort. Ainsi, Béatrice est morte un 28 février.

Et plus je tente de découvrir qui est mort quand, plus je me dis que je n’y comprends rien. C’est donc dire que vous pouvez mourir à n’importe quel moment : deux mois avant l’autres, trois jours et un mois avant un tel ; quatre années et un mois et cinq jours avant un tel autre ; il n’y aura pas même un imbécile pour suivre votre mort, de la date où vous aurez trépassé jusqu’à votre enterrement. 

Vos morts sont trop compliquées.

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