11 novembre 2009

Ma blonde

Ma blonde ne m’appelle jamais. J’ai raison, c’est vrai, chaque fois que le téléphone sonne, ce n’est jamais elle. J’ai toujours eu raison d’ailleurs. J’ai raison depuis le début. Mais il ne faut pas m’en vouloir non plus. Je l’appelle au moins deux fois par jour, et même si elle trouve cela insuffisant, je ne suis pas à blâmer. Je n’aime pas appeler les gens. J’aime qu’on me téléphone. J’aime répondre au téléphone. Elle répond toujours quelque chose du genre « oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield ». J’ignore même s’il y a réellement une institut psychiatrique à Valleyfield. Mais rien que de le dire, ça m’amuse.

Ce soir, le téléphone n’a pas sonné une seule fois. Elle doit se demander ce que je fabrique. Elle doit attendre mon appel. Mais je préfère laisser le combiné sur la charge. Je déteste lorsque la pile du téléphone est à plat. Je lui ai déjà dit : on s’en fout de la pile de ton téléphone résidentiel. Si elle est à plat, je vais t’appeler sur ton cellulaire. Mais pour elle, on dirait, c’est une manie de recharger les téléphones. Il faut que toutes les piles soient toujours pleines. Sinon elle a l’impression de manquer un appel.

J’attends son appel depuis cet après-midi. Je me demande ce qu’elle fabrique. Probablement qu’elle attend mon appel depuis cet après-midi. Mais je ne veux pas l’appeler. Depuis samedi passé, il y a un froid entre nous... Voici ce qui s’est passé : j’attendais son appel, et elle m’a appelé. J’ai répondu : elle a dit oui allô ici l’institut et j’ai dit oui allô ici l’institut. Et déjà que je doutais de l’existence d’une institut psychiatrique à Valleyfield, je me suis dit qu’il était fort improbable qu’il y en ait deux. Alors j’ai dit « non, tu n’es pas l’institut, c’est moi l’institut! Y en a pas deux comme moi! »

Je lui ai dit que c’était très prétentieux de dire qu’il n’y en avait pas deux comme elle. Et moi, toujours très humble, je lui ai raccroché la ligne au nez. Et j’ai attendu son appel. J’ai espéré qu’elle me rappelle, mais le téléphone n’a jamais sonné. Alors je me suis demandé ce qu’elle fabriquait. En fait, elle était en train de jouer aux cartes sur son ordinateur. Je l’ai appris bien plus tard. Et quand je l’ai appris, je lui ai dit que c’est con de jouer aux cartes sur l’ordinateur.

Mais elle a beau dire que telle ou telle chose est inutile, pour moi, il existe certaines choses qui me font vivre inutilement. Comme jouer aux cartes sur l’ordinateur. Je peux y passer des heures. En solitaire. Et quand je gagne, même s’il n’y a pas de récompenses, j’ai la récompense d’avoir gagné. 

J’écris depuis tout à l’heure et je trouve qu’elle tarde à m’appeler. Elle est supposée venir chez moi ce soir et pour elle, j’ai préparé tout un dîner. Un boeuf bourguignon. Je déteste les dîners. J’ignore pourquoi elle tient tant à préparer les dîners. Je ne mange rien de toute façon. Je n’ose pas répondre au téléphone car je ne veux pas qu’elle m’invite à dîner, voilà. Je suis sûr qu’elle a préparé tout un dîner pour moi. Et je déteste manger. Je veux discuter, voilà. Je suis supposé aller chez elle ce soir et je sais qu’elle me forcera à tout manger ce qu’elle a préparé. Un boeuf bourguignon. Mais j’en n’ai pas envie. Et j’ai beau espérer, je sais qu’elle ne viendra pas. Elle déteste les dîners. Le téléphone vient tout juste de ne pas sonner :

- Oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield.
- Comment? Non, c’est moi l’institut! 
- Prétentieux...
- Qu’est-ce que tu fais? Tu viens oui ou merde?
- Merde!
- Quoi merde?
- J’ai pas dit merde, j’ai dit tu viens oui ou merde?!
- Non, toi tu viens!
- Merde!

Et j’ai raccroché. Cette fille me faisait penser comme une fille. Je répète sans le vouloir tout ce que j’entends. Et parfois, c’est moi que j’entends. Et quand je me parle, je parle souvent au téléphone qui ne sonne pas. Je lui parle directement : 

- Tu sonnes?
- J’ai sonné chez toi...
- À ma porte?! 
- Pas à ta porte... ce que je foutrais dehors? J’ai sonné à moi-même...
- Eh bah arrête de sonner à toi-même et sonne à ma porte! J’attends quelqu’un!

Et j’ai raccroché. Je sais très bien que je me parle à travers le téléphone et qu’il n’y a personne au bout du fil. Mais ça m’aide à mieux me parler. Quand j’ai un objet sur l’oreille, j’ai l’impression d’être écouté.

Tout à l’heure, le téléphone a sonné. Et c’était vrai. C’était elle. Elle me demandait si je venais. J’ai dit toi tu viens. Elle a dit tu veux que je vienne, mais tu viens j’ai dit non je ne veux pas venir, mais que tu viennes, je le veux elle a dit tu ne veux pas venir et j’ai dit je ne veux pas venir mais je veux que tu veuilles venir et elle a dit tu veux que je veuilles venir et si je venais, tu me voudrais ou tu voudrais seulement que je viennes plus encore? J’ai dit viens. Je t’attends. Et j’ai raccroché.

Et le téléphone a sonné derechef : 

- Oui allô, ici l’institut psychiatrique de Valleyfield!
- C’est moi l’institut! Y en a pas deux!
- Il n’y en a qu’une, en effet...

Et j’ai raccroché. Et j’ai espéré que ma blonde me rappelle pour m’assurer que c’était elle qui venait et qu’elle viendrait manger mon boeuf bourguignon et qu’elle m’assure que ce n’est pas moi qui vais chez elle car je n’ai aucune envie de sortir d’ici je préfère jouer aux cartes parce que l’extérieur moi ça me fait peur et je préfère l’intérieur qui est le mien et si elle veut qu’on s’aime, elle devra apprendre à laisser son foutu jeu de cartes et laisser son boeuf bourguignon de côté. Je ne suis pas un boeuf bourguignon. Je ne suis pas une paire de vallets. Et plus elle s’obstine à rester chez elle, plus je la déteste. 

Moi, j’adore sortir. Je sors toujours. Je vais à l’épicerie, je vais voir ma famille, je sors dans les bars. Elle, jamais. Et j’en ai marre de toujours rester enfermé chez elle sous prétexte qu’elle a peur de l’extérieur.

Le dernière fois que le téléphone a sonné, il ne sonnait pas au téléphone. Il sonnait à ma porte. Juste avant que je commence à écrire, ça a sonné à la porte, et c’était mon téléphone :

- Oui allô, je représente l’institut psychiatrique de Valleyfield...
- Depuis quand les téléphones sonnent aux portes? que j’ai dit.

Et quand je suis rentré, j’ai commencé à écrire. Et j’écris pour dire clairement que j’attends l’appel de ma blonde. Et l’institut psychiatrique de Valleyfield attend aussi l’appel de ma blonde. Et je dis soit elle est sur son chemin, soit elle joue aux cartes sur l’ordinateur. Mais ce qui est sûr, c’est que ma blonde va venir. Et ce qui est encore plus sûr, c’est qu’elle existe. Sinon, les types de l’institut auraient eu raison depuis le début. Et je déteste les gens qui ont raison depuis le début.

1 commentaire:

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