26 mars 2010

Votre vie sociale au 87 rue Sackville

Vous marchez sur un trottoir. Le temps vous fait penser à l’automne, mais c’est l’été. Vous observez la pointe de vos petites bottes. Elles ne vous plaisent pas. Elles ne sont pas à votre goût. Vous auriez préféré acheter les grises. C’est peut-être la saleté qui vous déplaît. La neige en a blanchi les extrémités. Et vous observez constamment la pointe grise de vos petites bottes qui étaient noires quand vous les avez achetées.

Vous croisez plusieurs voitures stationnées au bord de la route. Chaque fois que vous en croisez une, vous cessez d’observer vos bottes pour jeter un coup d’oeil à votre reflet dans les vitres des voitures. Les vitres teintées vous donnent un teint que vous ne détestez pas. Votre visage semble parfait sur ce trottoir. Vous avez l’air intouchable. Vous portez un sac très lourd et vous vous dites que vous en avez beaucoup sur les épaules. Mais vous continuez d’avoir fière allure.

Vous vous allumez une cigarette. Vous vous dites que vous n’aviez jamais fumé auparavant, mais que cette fois, vous fumez pour une bonne raison. Vous en avez marre de votre visage si beau qui ne sert à personne. Et puis tout compte fait, votre corps est assez bien fait. Vous connaissez plus d’une personne qui aimerait mettre la main dans vos culottes.

Vous frottez nerveusement le bouton à la taille de votre pantalon. Vous glissez une main dans la poche de votre pantalon et touchez quelque chose de bien aiguisé. Vous croisez un inconnu. Il vous viole, ou il vous attaque, peu importe puisque vous avez su prévoir le coup. Vous le poignardez et le laissez gémir sur le trottoir. Et vous vous dites que rien de cela ne s’est réellement produit. Vous avez imaginez cette scène. Mais vous continuez quand même de tâter le canif dans votre poche. Vous vous dites que vous êtes une personne forte.

Mais vous trébuchez sur une brique. Vous dites que la brique est idiote. Vous avez abîmé votre jean. Une vieille dame vous aide à vous relever. Vous lui dites que vous êtes plus jeune qu’elle et que vous n’avez pas besoin d’aide. Vous crachez sur sa main. Vous reprenez votre sac et continuez votre chemin. La vieille dame demande un mouchoir à un vieux monsieur. Elle veut essuyer la main sur laquelle vous avez cracher. Vous ne regrettez pas votre geste, mais vous vous demandez quelle haleine devait avoir ce crachat. Vous aviez mangé du beurre d’arachide ce matin-là. Vous vous dites que les crachats au beurre d’arachide ne doivent pas sentir grand-chose et vous poursuivez votre chemin en vous demandant si ce qui s’est produit s’est réellement passé.

Vous sortez une arme à feu de votre sac. Sans faire exprès, vous appuyez et détruisez tout le contenu de votre sac. Des gens appellent la police. Vous sentez que la police vous poursuit. Vous accélérez le pas. Chaque fois qu’un homme croise votre chemin, vous lui offrez votre arme mais il n’en veut pas. Vous entendez les sirènes de la police. Vous lâchez l’arme. Un homme décide de prendre le pistolet et tire une balle dans votre dos. Vous mourez.

Vous vous dites que ce n’était qu’un rêve. Ni votre corps, ni votre âme n’est mort. Vous poursuivez votre chemin. Un enfant joue dehors. Vous renversez tous ses camions. Vous marchez sur un jeu d’échec et celui-ci se fracasse. Vous bousculez une jeune fille de la maternelle. Son crâne se fend sur un lampadaire. Elle gémit encore derrière vous quand vous poignardez le ventre de sa mère. Vous vous décidez à lâcher le couteau. Vous vous dites que ce trottoir ne vous fait faire que des bêtises, alors vous voulez traversez la rue.

En traversant, une voiture vous évite de justesse. Elle ne vous tue pas, mais elle écrase deux jeunes filles, une vieille dame et un homme dans la quarantaine. Vous vous dites que de toute façon, la vieille dame puait le beurre d’arachide. Vous posez enfin le pied sur l’autre trottoir. À ce moment-là, une voiture vous fait sauter. Votre nez frappe contre le pare-brise et vous faites une petite commotion cérébrale. Vous vous relevez en disant que tout va bien. Vous reprenez votre sac et vous regagnez le trottoir. Vous vous efforcez de marcher droit, même si le sang coule le long de vos tempes.

Vous ne vous regardez plus dans la vitre des voitures. Vous êtes moches, vous le savez. Et vos bottes, vous n’en avez plus rien à foutre. Vous arrivez enfin au 87 rue Sackville. Une amie vous ouvre la porte. Elle vous salue. Vous lui dites que vous avez le corps décédé. Elle vous dit qu’elle comprend et que la route est longue et dure. Elle vous demande si vous avez ce qu’elle veut.

Et vous dites oui. Vous les avez, ses petites bottes grises... Elles sont dans votre sac. Vous les lui donnez. Vous admirez sont regard très heureux. Vous attendez qu’elle enfile ses petite bottes et vous murmurez un petit wow très désintéressé. Au moment de quitter le 87 rue Sackville, vous n’avez qu’un seul regret.

Vous : Elle aussi, j’aurais pu la tuer...

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